Lois linguistiques du Canada annotées : Lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales

2e édition

2017 CanLIIDocs 1

Ministère de la Justice Canada, juillet 2017

 

RÉSUMÉ : L’ouvrage Lois linguistiques annotées du Canada : lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales (« Lois linguistiques du Canada annotées » ou « la publication ») est un outil de référence juridique complet et évolutif. Il répertorie toutes les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales qui touchent, en tout ou en partie, à l’utilisation des langues avec et au sein des institutions gouvernementales et dans le cadre d’activités commerciales ou privées. L’ouvrage comprend une variété de dispositions législatives et réglementaires ainsi que les extraits de jurisprudence y afférents portant sur les langues officielles du Canada, les langues autochtones et les droits de ceux et celles qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais. La publication sera rendue accessible en ligne de façon progressive, en commençant par la Charte canadienne des droits et libertés à compter du 27 juillet 2017.  Les autres chapitres portant sur les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales seront ajoutés en ligne au cours de l’automne et de l’hiver de 2017.

Données de publication CanLII

Auteur(s) : Direction des langues officielles, Ministère de la Justice Canada

Référence : Lois linguistiques du Canada annotées : Lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales, 2017 CanLIIDocs 1

Source : Ministère de la Justice Canada

Publication : Montréal, juillet 2017

Droit d’auteur : © Sa Majesté la Reine du chef du Canada (2017). Tous droits réservés.

Date de dernière modification : 26 juillet 2017 (voir la date affichée sous chaque chapitre).

Accessibilité web (version HTML) : vérification avec JAWS (juillet 2017)

Autre URL : http://ouvert.canada.ca/data/fr/dataset/f17d967a-98c0-454f-a07b-f95d4a2820f1

 


 

 

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© Sa Majesté la Reine du chef du Canada

représentée par la ministre de la Justice et procureur général du Canada, 2017

 

ISSN 2561-0384

No de cat. J12-6F-PDF


 

Table des matières

Structure de l’ouvrage

À propos des auteurs

Avant-propos

Remerciements

Guide d’utilisation

Avertissements supplémentaires

Questions ou commentaires

Chapitre 1 : Lois constitutionnelles

Loi constitutionnelle de 1982

Partie I – Charte canadienne des droits et libertés

Garantie des droits et libertés (article 1)

Libertés fondamentales (article 2)

Droits démocratiques (article 3)

Garanties juridiques (articles 7 à 14)

Droits à l’égalité (article 15)

Langues officielles du Canada (articles 16 à 22)

Droits à l'instruction dans la langue de la minorité (article 23)

Recours (article 24)

Dispositions générales (article 27)

Application de la Charte (article 33)


 

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L’objectif de protéger les minorités de langue officielle […] est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l’existence de la collectivité.  Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. […]

Ce principe d’égalité réelle a une signification.  Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État […]. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement. […]

Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada […].

- R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 aux para 20, 24 et 25, 1999 CanLII 684 (CSC)

 

La protection des minorités linguistiques est essentielle à notre pays.  Le juge Dickson saisit l’esprit de la place des droits linguistiques dans la Constitution dans Société des Acadiens […] : « La question de la dualité linguistique est une préoccupation de vieille date au Canada, un pays dans l’histoire duquel les langues française et anglaise sont solidement enracinées. »  Comme l’énonce le juge La Forest dans R. c. Mercure […], les « droits concernant les langues française et anglaise […] sont essentiels à la viabilité de la nation ».

Comme nous l’avons déjà indiqué, la Charte [canadienne des droits et libertés] a enrichi les droits linguistiques.  La protection constitutionnelle du droit à l’égalité prévue par l’art. 15 et les dispositions imposant le respect et la protection des droits des autochtones ont fortifié la protection des droits des autres minorités et le droit de ne pas être l’objet de discrimination.  Comme la Cour suprême du Canada l’exprime dans le Renvoi relatif à la sécession […], « Des minorités linguistiques et culturelles, dont les peuples autochtones, réparties de façon inégale dans l’ensemble du pays, comptent sur la Constitution du Canada pour protéger leurs droits. »

Le principe du respect et de la protection des minorités est une caractéristique structurelle fondamentale de la Constitution canadienne, qui explique et transcende à la fois les droits des minorités expressément garantis dans le texte de la Constitution.  C’est un domaine où, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession […], « Une lecture superficielle de certaines dispositions spécifiques du texte de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur. »  Cette caractéristique structurelle de la Constitution ne ressort pas uniquement des garanties spécifiques en faveur des minorités.  Elle imprègne tout le texte, et comme nous l’avons expliqué, elle joue un rôle vital dans la modulation du contenu et des frontières des autres caractéristiques structurelles de la constitution : le fédéralisme, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la démocratie. 

- Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 2001 CanLII 21164 (CA ON) aux para 112-4

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Structure de l’ouvrage

Cette publication est un outil de référence juridique complet et évolutif. Elle répertorie toutes les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales qui touchent, en tout ou en partie, à l’utilisation des langues avec et au sein des institutions gouvernementales et dans le cadre d’activités commerciales ou privées. L’ouvrage comprend une variété de dispositions législatives et réglementaires ainsi que les extraits de jurisprudence y afférents portant sur les langues officielles du Canada, les langues autochtones et les droits de ceux et celles qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais.  La publication sera rendue accessible en ligne de façon progressive, en commençant par la Charte canadienne des droits et libertés à compter du 27 juillet 2017.  Les autres chapitres portant sur les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales seront ajoutés en ligne au cours de l’automne et de l’hiver de 2017.

1.     LOIS CONSTITUTIONNELLES  

2.     LOIS FÉDÉRALES

3.     COLOMBIE-BRITANNIQUE

4.     ALBERTA

5.     SASKATCHEWAN

6.     MANITOBA

7.     ONTARIO

8.     QUÉBEC

9.     NOUVEAU-BRUNSWICK

10.  NOUVELLE-ÉCOSSE

11.  ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD

12.  TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

13.  YUKON

14.  TERRITOIRES DU NORD-OUEST

15.  NUNAVUT


 

À propos des auteurs

La mise à jour et l’élargissement des Lois linguistiques du Canada annotées sont le fruit du travail de la Direction des langues officielles du ministère de la Justice Canada (« ministère de la Justice »).  Les membres suivants actuels et anciens de la Direction ont contribué à la publication à des moments différents :

Michel Francoeur, directeur et avocat général

Isabelle Palad, analyste et co-gestionnaire de projet

Helen Kneale, avocate et co-gestionnaire de projet

Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux

Carolina Mingarelli, directrice adjointe et avocate-conseil

Michael Aquilino, avocat

Chadia Brahim, parajuriste

Anne-Marie Duquette, avocate

Claude Imbeau, avocat 

Richard Keswick, avocat

Christine Lemaire, avocate

Rana El-Khoury, avocate

Alison Williams, adjointe juridique

Daniel Wirz, avocat

Breanne Lavallée-Heckert, étudiante en droit

Kaitlyn Chiasson, analyste étudiante

Marie-Ève Bélair, stagiaire (adjointe juridique)

Les membres suivants du Groupe du droit des langues officielles (aujourd’hui l’Équipe du droit de la Direction des langues officielles) du ministère de la Justice ont travaillé de 1996 à 1998 sur la première édition de la publication (1998) :

Michel Francoeur, gestionnaire et avocat-conseil 

Alain Tremblay, chargé de projet

Bruno Thériault, avocat

Alexandre Larouche, avocat

Liliane Marcil, adjointe administrative

Avant-propos

Première édition, 1998

La première édition de cette publication a été rédigée par le Groupe du droit des langues officielles (aujourd’hui l’Équipe du droit de la Direction des langues officielles) du ministère de la Justice et publiée en 1998 dans le cadre du Symposium national sur les langues officielles du Canada. Cet événement a commémoré le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur de la deuxième Loi sur les langues officielles du Canada (1988) – la première Loi sur les langues officielles fédérale est entrée en vigueur en 1969 et a été abrogée en 1988 – et le vingtième anniversaire de l’adoption des dispositions linguistiques principales du Code criminel (article 530 – Langue de l’accusé) en 1978.

La première édition, entreprise par le ministère de la Justice de concert avec le ministère du Patrimoine canadien, a rassemblé non seulement la Loi sur les langues officielles fédérale et le Code criminel, mais également presque toutes les autres lois linguistiques canadiennes, c’est-à-dire les lois constitutionnelles, fédérales, provinciales et territoriales (398 en tout) ayant trait, en tout ou en partie, à l’utilisation de langue(s) avec et au sein des institutions gouvernementales et dans les sphères d’activités commerciales ou privées.

Pour chacune de ces lois, la publication a reproduit les extraits de jurisprudence pertinents et les références y afférents (331 en tout).  Cependant, pour des raisons administratives et financières, l’ouvrage n’a pas reproduit les règlements et les autres textes législatifs délégués pris sous l’égide de ces diverses lois, à l’exception de quelques textes, ni les lois relatives à l’éducation en langue minoritaire. Cependant, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège les droits à l’instruction dans la langue de la minorité, a été reproduit et annoté avec les extraits de jurisprudence pertinents.

L’objectif de la publication était de permettre aux juristes et non-juristes d’acquérir une meilleure connaissance des principes juridiques linguistiques applicables au Canada. Elle a été publiée exclusivement en version papier et distribuée gratuitement.

Deuxième édition, 2017

Cette deuxième édition des Lois linguistiques du Canada annotées est publiée en 2017 en commémoration du 150e anniversaire du Canada et de l’enchâssement des premiers droits linguistiques constitutionnels au Canada à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Depuis la publication de la première édition en 1998, les droits linguistiques au Canada ont évolué de façon significative. Des développements de nature législative et judiciaire, notamment la décision phare R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 de la Cour suprême du Canada ainsi que les modifications à la partie VII (Promotion du français et de l’anglais) de la Loi sur les langues officielles fédérale en 2005, continuent de façonner la création, la mise en œuvre et l’interprétation des droits linguistiques.  Afin de mieux représenter cette réalité changeante, la Direction des langues officielles du ministère de la Justice s’est engagée en 2015 à mettre à jour et à élargir la portée de la publication.

Cette deuxième édition permet de rester à l’affût des développements législatifs, réglementaires et jurisprudentiels canadiens et constitue un outil de référence évolutif accessible en ligne gratuitement pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens. Son contenu fera l’objet de mises à jour régulières en fonction de la fréquence des changements législatifs et jurisprudentiels.

L’objectif de la publication demeure le même que celui de la première édition (1998) : permettre aux juristes et aux non-juristes d’acquérir une meilleure compréhension des principes juridiques applicables aux questions linguistiques au Canada. De surcroît, les auteurs ont visé à effectuer une compilation exhaustive de textes législatifs et d’extraits de jurisprudence linguistiques pertinents qui comprend non seulement les droits afférents aux langues officielles, mais également les droits linguistiques autochtones ainsi que les droits de ceux et celles qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais. Les textes législatifs ainsi que les extraits de jurisprudence relatifs au droit des langues officielles répertoriés dans l’ouvrage ont triplé depuis 1998.

Les auteurs espèrent donc que cette publication, dans son entier, permettra à ses lecteurs une meilleure compréhension de la portée et de l’ampleur des questions de droits linguistiques. Bien au-delà des droits linguistiques constitutionnels enchâssés à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, à l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et aux articles 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, cet ouvrage illustre la pertinence des enjeux linguistiques pour une panoplie de domaines régis par des lois : le droit pénal, le droit administratif, le droit de la famille, le droit du travail et de l’emploi, le droit de l’immigration et de la citoyenneté, le droit autochtone, le droit commercial, le droit de l’aviation, les ressources naturelles, la radiodiffusion, les soins de santé et ainsi de suite. Que nos lecteurs en profitent pour explorer les manifestations innovatrices, et parfois inattendues, des enjeux de droits linguistiques que fait surgir la vie de tous les jours.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Laurie C. Wright, sous-ministre adjointe (Secteur du droit public et des services législatifs) du ministère de la Justice pour son appui à ce projet.

Ce projet a nécessité la participation de plusieurs partenaires clé qui ont collaboré au format, à la structure et à l’assistance technique afférents à cette publication numérique. Les auteurs désirent remercier les personnes suivantes pour leurs contributions : Dugald Topshee, Anne-Murielle Hassan et Marc Bernard de la Direction des solutions d’information du ministère de la Justice ; Karine Briand de la Direction des communications du ministère de la Justice ; Deborah MacNair, avocate ministérielle du ministère de la Justice; et Ashley Casovan et Alannah Hilt du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Les auteurs aimeraient remercier le Bureau de la traduction et Diane Brazeau, adjointe exécutive à la Direction des langues officielles, pour avoir géré les services de traduction nécessaires à ce projet.

Les auteurs tiennent aussi à remercier sincèrement Xavier Beauchamp-Tremblay, président de CanLII et Frédéric Pelletier, Ivan Mokanov et Maude Adam de Lexum Inc. pour leur collaboration exemplaire du début à la fin de cette publication.

Guide d’utilisation

Dans la mesure du possible, les auteurs ont incorporé des hyperliens aux titres des jugements, aux lois et aux règlements cités afin de permettre aux lecteurs de consulter la version entière d’une référence dans CanLII. Les titres en question sont reproduits conformément au système de référencement de CanLII.

Au niveau de la législation, seule la version courante d’une disposition figure dans la publication. Dans le cas où des modifications législatives significatives auraient été apportées à une disposition, les annotations peuvent être divisées en catégories distinctes. Par exemple, dans Chapitre 2: Lois fédérales, les annotations du paragraphe 530(3) du Code criminel comprennent une catégorie distincte intitulée « Jurisprudence antérieure aux modifications apportées au Code criminel en 2008 ».

Des catégories distinctes servent également, dans certains cas, à regrouper des extraits de jurisprudence ayant un thème ou enjeu juridique commun. En voici un exemple : dans le Chapitre 1 : Lois constitutionnelles, les annotations de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés sont subdivisées en fonction des dispositions de la Charte dont la violation est alléguée.

Lorsque le libellé d’une disposition se répète dans plusieurs lois ou règlements, les lois ou règlements en question peuvent être regroupés dans une catégorie distincte de dispositions linguistiques. Par exemple, dans le Chapitre 8 : Québec, une liste des règlements régissant les ordres professionnels figure dans les annotations du Code des professions, R.L.R.Q. c. C-26. Ces règlements disposent d’un libellé semblable pour les dispositions qui prévoient la possibilité de subir un examen professionnel en français ou en anglais.

Des notes explicatives, identifiées par « NOTA », figurent dans la publication afin de fournir des informations supplémentaires aux lecteurs quant à l’historique ou au traitement d’un jugement ou pour apporter une précision sur la portée des annotations d’un chapitre donné. Voici un exemple d’une note explicative :

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance: Québec (Procureur général) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII) [disponible en anglais seulement].

Les dispositions législatives et réglementaires sont reproduites dans le(s) langue(s) dans laquelle/lesquelles elles ont été adoptées, alors que les extraits de jurisprudence sont fournis en français et en anglais. Les traductions des extraits de jurisprudence unilingues sont fournies afin d’en faciliter la lecture seulement et ne constituent pas des traductions officielles des jugements unilingues. 

Les traductions sont identifiées au début d’un extrait de jurisprudence par [NOTRE TRADUCTION] en français et [OUR TRANSLATION] en anglais.

Les auteurs respectent l’authenticité des textes reproduits dans la publication dans la mesure du possible. Advenant les rares cas d’une erreur typographique ou cléricale décelée par les auteurs dans un extrait de jurisprudence, elle pourrait être annoncée par « (sic) » peut apparaître dans le texte. Les abréviations et acronymes sont épelés et identifiés entre crochets, tel qu’illustré ci-dessous: 

[34] Or, autant dans le cas des EPNS [écoles privées non subventionnées] que dans celui des autorisations spéciales délivrées par la province, les enfants reçoivent ou ont reçu, de fait, de l’enseignement en langue anglaise et se situent en principe dans les catégories d’ayants droit établies par le par. 23(2). […]

- Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 RCS 208, 2009 CSC 47 (CanLII)

Afin de favoriser la concision de la publication, les auteurs ont recours à l’ellipse […] pour représenter des paragraphes ou phrases omis tant pour les dispositions législatives que pour les extraits de jurisprudence.

Avertissements supplémentaires

Veuillez noter que les chapitres individuels des Lois linguistiques du Canada annotées sont datés dans le but d’indiquer leurs mises à jour les plus récentes. Par ailleurs, alors que le contenu de la publication est mis à jour de façon régulière, il ne jouit pas d’un statut officiel, alors les lecteurs sont invités à consulter les versions officielles des lois, règlements et jugements reproduits dans la publication. La publication ne constitue ni un avis juridique ni une position juridique du ministère de la Justice Canada.

Questions ou commentaires

En cas de questions ou de commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec la Direction des langues officielles du ministère de la Justice Canada par courriel à olad-dlo@justice.gc.ca.

Chapitre 1 : Lois constitutionnelles

Loi constitutionnelle de 1982

Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11

 

Partie I – Charte canadienne des droits et libertés

Garantie des droits et libertés (article 1)

1. Droits et libertés au Canada

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations – Paragraphe 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

[73] Il ressort des documents se rapportant à l'article premier [de la Charte canadienne] et à l'art. 9.1 [de la Charte québécoise] que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française vise un objectif important et légitime. Ils révèlent les inquiétudes à l'égard de la survie de la langue française et le besoin ressenti d'une solution législative à ce problème. De plus, ces documents montrent le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le "visage linguistique". Toutefois, les documents se rapportant à l'article premier et à l'art. 9.1 n'établissent pas que l'exigence de l'emploi exclusif du français est nécessaire pour atteindre l'objectif législatif ni qu'elle est proportionnée à cet objectif. Cette question précise n'est même pas abordée dans les documents. En fait, dans son mémoire et dans ses arguments oraux, le procureur général du Québec n'a pas tenté de justifier l'exigence de l'emploi exclusif du français. Il a plutôt insisté sur les motifs de l'adoption de la Charte de la langue française et de la législation antérieure en matière linguistique, motifs qui, il faut le répéter, ne sont pas contestés par les intimées. Le procureur général du Québec s'est appuyé sur ce qu'il a appelé la légitimité démocratique générale de la politique linguistique du Québec, sans mentionner expressément l'exigence de l'emploi exclusif du français. Sur la question de la proportionnalité, le procureur général du Québec s'est référé à la jurisprudence américaine traitant du discours commercial pour démontrer sans doute que les tribunaux devaient respecter le choix fait par le législateur quant aux moyens à employer pour atteindre, du moins dans le domaine de l'expression commerciale, un objectif législatif dont la légitimité est reconnue.  Il a toutefois mentionné, au titre de la justification de l’exigence de l’emploi exclusif du français, les « assouplissements » qu’y apportent les art. 59 à 62 de la Charte de la langue française et ses règlements d'application. Le procureur général a fait valoir que ces exceptions à l'exigence de l'emploi exclusif du français traduisent le souci de prendre des mesures bien conçues et d'intervenir le moins possible en matière d'expression commerciale. Si d'autres dispositions de la Charte de la langue française et de son règlement d'application viennent restreindre la portée de l'exigence de l'emploi exclusif du français, les art. 58 et 69 n'en interdisent pas moins l'emploi d'une langue autre que le français lorsqu'ils s'appliquent, par exemple, dans le cas des intimées. Nous devons donc décider si une telle interdiction est justifiée. La Cour pense qu'il n'a pas été démontré que l'interdiction, par les art. 58 et 69, de l'emploi d'une langue autre que le français est nécessaire pour défendre et pour améliorer la situation de la langue française au Québec ni qu'elle est proportionnée à cet objectif législatif. Puisque la preuve soumise par le gouvernement indique que la prédominance de la langue française ne se reflétait pas dans le "visage linguistique" du Québec, les mesures prises par le gouvernement auraient pu être conçues spécifiquement pour régler ce problème précis tout en restreignant le moins possible la liberté d'expression. Alors qu'exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l'objectif de promotion et de préservation d'un "visage linguistique" français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des Chartes québécoise et canadienne, l'obligation d'employer exclusivement le français n'a pas été justifiée. On pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou l'on pourrait exiger qu'il soit plus en évidence que d'autres langues. De telles mesures permettraient que le "visage linguistique" reflète la situation démographique du Québec où la langue prédominante est le français.  Cette réalité devrait être communiquée à tous, citoyens et non-citoyens, quelle que soit leur langue maternelle.  Cependant, l’usage exclusif du français ne résiste pas à l'examen fondé sur le critère de la proportionnalité et ne reflète pas la réalité de la société québécoise. En conséquence, nous estimons que la restriction imposée à la liberté d'expression par l'art. 58 de la Charte de la langue française, en ce qui concerne l'usage exclusif du français pour l'affichage public et la publicité commerciale, n'est pas justifiée en vertu de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. De la même manière, la restriction imposée à la liberté d'expression par l'art. 69 de la Charte de la langue française, en ce qui concerne l'utilisation exclusive de la raison sociale en langue française, n'est pas justifiée, ni en vertu de l'art. 9.1 de la Charte québécoise ni en vertu de l'article premier de la Charte canadienne.

Devine c. Quebec (Attorney General), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

[29] Il reste à déterminer si la restriction imposée à la liberté d'expression par les dispositions contestées de la Charte de la langue française, qui exigent l'usage du français tout en permettant en même temps l'usage d'une autre langue, est justifiée aux termes de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et de l'art. 9.1 de la Charte du Québec. Les documents relatifs à l'article premier et à l'art. 9.1 présentés par le procureur général du Québec pour justifier les dispositions contestées ont été examinés dans l'arrêt Ford. Pour les motifs énoncés dans cet arrêt, une mesure législative imposant l'usage exclusif, par opposition à l'usage prédominant, du français ne peut se justifier aux termes de l'article premier ou de l'art. 9.1. L'article 58 de la Charte de la langue française, comme il a été démontré dans l'arrêt Ford, exige l'emploi exclusif du français et par conséquent ne résiste pas à l'examen de l'art. 9.1. Pour les motifs donnés dans cet arrêt, l'exigence relative à l'usage concurrent ou prédominant du français est justifié aux termes de l'art. 9.1 et de l'article premier.

[…]

[32] Les articles 52 et 57 [de la Charte de la langue française], s'ils doivent être maintenus en vigueur, n'entraînent pas de résultats non voulus par cet ensemble législatif et n'enfreignent pas l'al. 2b) de la Charte canadienne ni l'art. 3 de la Charte québécoise comme il ressort de l'arrêt Ford. Leur maintien en vigueur ne produit pas de résultats non voulus parce que leur existence ne dépend pas de l'art. 58, comme c'est le cas pour les art. 59, 60 et 61. De même, leur maintien en vigueur ne porte pas atteinte aux Chartes car les art. 52 et 57 prévoient la publication de certains articles, tels les catalogues, les brochures, les bons de commande et les factures, en français mais n'exigent pas l'usage exclusif du français. L'article 89 prévoit clairement que, dans les cas où l'usage exclusif du français n'est pas exigé de façon explicite par la loi, la langue officielle et une autre langue peuvent être utilisées conjointement. Selon nos motifs dans l'arrêt Ford, l'autorisation de l'usage concurrent résiste à l'examen en vertu de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise. Cet arrêt a établi le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le "visage linguistique" en exigeant que l'affichage se fasse en français. La même logique s'applique à la communication au moyen de divers articles, tels que les brochures, les catalogues, les bons de commande et les factures, et le lien rationnel est encore une fois démontré. Les articles 52 et 57 peuvent donc être maintenus aux termes de l'art. 9.1 de la Charte québécoise et l'art. 57 -- le seul des deux qui soit assujetti à la Charte canadienne -- peut être maintenu en vertu de son article premier. Il reste maintenant à déterminer si les art. 52 et 57 sont contraires à l'art. 10 de la Charte québécoise et si l'art. 57 est contraire à l'art. 15 et à l'article premier de la Charte canadienne.

[…]

[36] Il nous reste à déterminer si l'art. 57 est contraire à l'art. 15 et à l'article premier de la Charte canadienne. L'article 15 de la Charte canadienne a été invoqué par l'appelante seulement devant cette Cour, bien que le procureur général du Québec ait accepté que des questions constitutionnelles soient énoncées et que l'art. 15 soit en cause. Néanmoins, nous ne bénéficions pas de motifs de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure qui interprètent l'application de l'art. 15 à l'art. 57. Cette Cour n'a pas encore rendu de jugement interprétant le sens de l'art. 15. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner la question de savoir si l'art. 57 porte atteinte, à première vue, à l'art. 15. Nous avons déjà conclu qu'il portait atteinte à première vue à l'al. 2b). La seule question restant à trancher est de savoir si l'application de l'article premier serait différente s'il y avait une violation prima facie de l'art. 15 en l'espèce. Plus précisément, la question devient celle de savoir si le critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, et énoncé de nouveau par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713, entraînerait un résultat différent en l'espèce si la violation prima facie dont il est question constituait une atteinte aux droits que garantit l'art. 15. Nous avons déjà décidé que l'exigence de l'usage concurrent du français a un lien rationnel avec la préoccupation urgente et réelle de l'Assemblée nationale d'assurer que le visage linguistique du Québec reflète la prédominance du français. Cette exigence porte-t-elle atteinte le moins possible au droit à l'égalité devant la loi et au droit à l'égalité de bénéfice et de protection égale de la loi, indépendamment de toute discrimination? Est-elle conçue de manière à ne pas empiéter sur ce droit au point que la réduction des droits l'emporte sur l'objectif législatif? En veillant à ce que les non-francophones puissent rédiger des formulaires de demandes d'emploi, des bons de commandes, des factures, des reçus et des quittances dans la langue de leur choix, de pair avec le français, l'art. 57 interprété conjointement avec l'art. 89, crée, tout au plus, une atteinte minimale aux droits à l'égalité. Bien que, comme l'appelante l'a soutenu, l'exigence de l'usage concurrent du français puisse créer un fardeau additionnel pour les marchands et les commerçants non francophones, il n'y a rien qui porte atteinte à leur capacité d'utiliser également une autre langue. Par conséquent, notre conclusion concernant l'application de l'article premier demeure même si, à première vue, la violation en cause de la Charte canadienne est une violation de l'art. 15.

Galganov c. Russell (Township), 2012 ONCA 409 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Le règlement en litige, à savoir le règlement no 49-2008 (le Règlement), exige que le contenu de toute nouvelle affiche commerciale extérieure soit en français et en anglais, même si le nom de l’entreprise peut être unilingue.

[…]

[5] Voici les questions en litige dans le présent appel : (1) Monsieur Galganov a-t-il qualité pour demander l’annulation du Règlement? (2) Le Règlement excède-t-il les pouvoirs du canton? (3) Si le Règlement n’excède pas les pouvoirs du canton, a) porte-t-il atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, et b) s’il y porte atteinte, la limite à la liberté d’expression est-elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

[7] Je suis également d’avis de rejeter l’appel de monsieur Brisson. Je souscris à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle le canton a le pouvoir d’adopter le Règlement. En ce qui concerne la question de savoir s’il y a atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui lui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, je suis d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas atteinte. Toutefois, je conclus que cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

[61] Compte tenu des décisions rendues par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine, en imposant l’utilisation du français et de l’anglais sur les nouvelles affiches commerciales extérieures, l’objet du Règlement porte atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Je dois maintenant déterminer si cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

(i) Le Règlement sert-il un objectif suffisamment important?

[…]

[67] La preuve soumise à la Cour concernant le bien‑être social du canton analysé au point (2)b)(ii) portant sur le pouvoir d’adopter le Règlement, démontre l’importance de l’objet visé par le Règlement, à savoir le maintien et la valorisation de l’égalité du statut du français dans le canton, lequel a décidé de se doter d’un statut bilingue au titre de la Loi sur les services en français et d’offrir des services aux résidents dans les deux langues. L’objectif du Règlement, à savoir la promotion du statut d’égalité du français et de l’anglais, les langues officielles du Canada, est urgent et important. 

[68] Par conséquent, le Règlement satisfait au premier critère de l’article premier de la Charte.

(ii) Le Règlement satisfait-il au volet de la proportionnalité, le deuxième volet du critère?

[69] La Cour, ayant conclu que le Règlement satisfait au premier critère, doit examiner si les moyens utilisés sont raisonnables et si leur justification peut se démontrer par l’application du volet de la proportionnalité dont il est question dans le critère.

[…]

[75] La juge de première instance disposait d’éléments de preuve démontrant que, en 2006, le français était la première langue apprise par 45,5 p. 100 de la population du canton, l’anglais était la première langue apprise de 50,3 p. 100 de cette population et 4,2 p. 100 de la population avait une autre langue comme première langue apprise. Le nombre total de francophones dans le canton a augmenté, mais, selon le témoignage d’un expert, à savoir monsieur Castonguay, professeur de mathématiques retraité de l’Université d’Ottawa, qui a publié de nombreux écrits sur l’assimilation linguistique, la proportion de francophones est en baisse en raison de l’assimilation linguistique. Dans l’ensemble, monsieur Breton, un sociologue qui s’intéresse principalement aux minorités linguistiques et culturelles, et monsieur Choquette, un spécialiste de l’histoire des Franco-Ontariens, disent que la population francophone en Ontario et ailleurs au Canada est en baisse. Pour protéger la langue française, il est essentiel qu’il y ait un milieu linguistique. Selon les documents que la juge de première instance a acceptés, il existe un lien rationnel entre protéger le statut égalitaire du français et veiller à ce que la réalité de la société québécoise soit transmise par le « visage linguistique » comme l’a exposé la Cour suprême dans l’arrêt Ford.

[…]

[77] De même, l’utilisation conjointe du français et de l’anglais est rationnellement liée à la préoccupation du canton de veiller à ce que sa nature bilingue se reflète sur les affiches commerciales extérieures.

[78] Je souligne également qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard du choix du gouvernement à l’étape du lien rationnel : voir Lavoie c. Canada, 2002 CSC 23 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 769, au paragraphe 59. Compte tenu de la preuve de l’importance symbolique de confirmer l’égalité de statut des deux langues officielles, il existe un lien rationnel entre le Règlement et la promotion de l’égalité de statut du français et de l’anglais et, plus généralement, entre le Règlement et la protection du français.

[…]

[81] Le processus entrepris par le canton avant l’adoption du Règlement a compris la tenue de consultations avec le public et l’examen de solutions de rechange. Il en a résulté un règlement qui ne s’appliquait qu’aux nouvelles affiches commerciales extérieures. Dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 94, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Premièrement, lorsqu’ils s’attaquent à un problème social comme celui-ci, en présence d’intérêts et de droits conflictuels, les représentants élus doivent bénéficier d’une certaine latitude.  La Cour n’interviendra pas du seul fait qu’elle peut imaginer un moyen plus adéquat, moins attentatoire, de remédier au problème.  Il suffit que la Ville démontre qu’elle a conçu une mesure restrictive  raisonnablement adaptée à la situation.

[82] En concevant le Règlement comme il l’a fait, le canton a démontré qu’il réglait le problème d’une manière qui porte atteinte de façon minimale à la liberté d’expression.

[83] Il faut aussi se rappeler les faits particuliers de l’espèce. L’argument selon lequel la liberté d’expression de M. Brisson est touchée de façon plus que minimale par l’exigence que la description de ses services sur sa nouvelle affiche unilingue française figure également en anglais perd beaucoup de sa solidité compte tenu des faits suivants : le nom de l’entreprise de M. Brisson, à savoir « Independent Radiator Services », n’est inscrit qu’en anglais, et M. Brisson a le droit de le laisser inchangé; pendant la plupart des 34 années au cours desquelles M. Brisson a exploité son entreprise, son affiche a été unilingue anglaise et il continue de distribuer des cartes professionnelles et des factures en anglais. Par conséquent, dans le passé, M. Brisson a choisi de ne s’exprimer qu’en anglais; il choisit maintenant de ne s’exprimer qu’en français sur son affiche extérieure tout en continuant d’utiliser l’anglais dans d’autres aspects de son entreprise. Exiger qu’il utilise l’anglais sur son affiche en plus du français constitue une atteinte minimale à son droit à la liberté d’expression.

[84] L’étape de l’atteinte minimale étant franchie, il faut finalement examiner si les effets attentatoires du Règlement l’emportent sur l’importance de l’objectif poursuivi. M. Brisson n’a formulé aucun argument quant à cet aspect du critère de l’arrêt Oakes. Compte tenu de l’importance de la protection et de la promotion de l’égalité de statut du français, je suis d’avis de conclure que les avantages procurés par le Règlement l’emportent sur l’atteinte à la liberté d’expression ou les inconvénients occasionnés. 

[85] Pour ces motifs, bien que le Règlement porte atteinte aux droits qui sont garantis à M. Brisson par l’alinéa 2b) de la Charte, cette atteinte est justifiée, au regard de l’article premier de la Charte, dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[45] La Cour suprême a déclaré en 1988, en obiter, c’est-à-dire sans que cela soit nécessaire pour appuyer sa décision, qu’exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l’objectif de promotion et préservation d’un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des chartes québécoise et canadienne.  La Cour suprême est allée jusqu’à dire spécifiquement, dans l’arrêt Ford, qu’on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou qu’on pourrait exiger qu’il soit plus en évidence que d’autres langues.

[46] Je suis d'avis que l'art. 58 ne fait rien d'autre, dans sa forme actuelle, que de reproduire les lignes directrices formulées par la Cour suprême.  Je suis également d'opinion qu'à la lumière de la preuve soumise à la Cour suprême en 1988 une disposition telle que l'art. 58 actuel aurait résisté à une attaque fondée sur le droit à la liberté d'expression et sur le droit à l'égalité, et n'aurait pas été déclarée inopérante.

[47] On le réalise immédiatement, pour que la même réponse s'impose aujourd'hui, vu que la Procureure générale du Québec a choisi de ne pas faire de preuve pour établir que la disposition se justifie au regard de l'article premier de la Charte canadienne et de l'article 9.1 de la Charte québécoise des droits de la personne, il faut pouvoir conclure que l'obiter dictum de l'arrêt Ford a la même force que s'il faisait partie de la ratio decidendi et qu'en conséquence l'appelante a le fardeau de prouver l'absence de justification.

[…]

[58] Je conclus en l’espèce que l’obiter dictum de la Cour suprême dans Ford a le même poids que s’il faisait partie de la ratio decidendi et lie la Cour d’appel.  En effet, il apparaît clairement de l’analyse des arrêts Ford et Devine que la Cour suprême mesurait la portée de ses conclusions sur le délicat contentieux de la langue d’affichage au Québec et souhaitait régler la question.  La formulation de la règle de la nette prédominance n’est certes pas une phrase isolée dont on n’aurait pas prévu la répercussion.

[…]

[61] L'appelante avait donc le fardeau d'établir que la situation révélée par les documents considérés par la Cour suprême en 1988 était modifiée au point que la mesure ne pouvait plus se justifier en 1999. Elle a fait une certaine preuve qui n'a pas été retenue par le juge de la Cour supérieure.  Elle a décliné l'invitation qui lui avait été faite de faire une preuve complète, estimant que le fardeau reposait toujours sur les épaules de la Procureure générale.  Elle a voulu le faire en Cour d'appel, mais la permission lui a été refusée pour la raison déjà indiquée.  C'est dans  ce cadre qu'il y a lieu d'examiner les griefs de l'appelante.

[62] Il paraît opportun de rappeler la preuve qui doit être faite pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

[63] À cette fin, l'arrêt Oakes, précité, établit, aux p. 138 et 139, que l'objectif poursuivi par la mesure restrictive doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution et que la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer.  Cela nécessite l'application d'« une sorte de critère de proportionnalité » qui comporte trois éléments :

Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question.  Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles.  Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question.  Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352.  Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme « suffisamment important ».

[…]

[65] L'appelante ayant le fardeau de la preuve en l'espèce, elle devait établir que la mesure ne se justifiait plus au sens de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.

[66] J'ai déjà indiqué que la Cour suprême a conclu dans Ford que la preuve faisait ressortir que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française vise un objectif important et légitime, et qu'elle montre le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le visage linguistique.

[…]

[68] Je ne vois aucun mérite à l'argument de l'appelante que la Cour suprême n'a jamais soumis l'objectif général de la Charte de la langue française à l'examen du critère de proportionnalité élaboré dans Oakes.  Au contraire,  l'obiter de la Cour suprême dans Ford propose une clause qui rencontre toutes les exigences de l'arrêt Oakes et de l'arrêt Sharpe.

[…]

[88] Je partage l’avis du juge de la Cour supérieure que la doctrine du stare decisis s’applique à Devine et qu’il s’est bien dirigé en droit en concluant que, dans l’hypothèse où l’article 58 dans sa version actuelle porte atteinte à l’article 15 paragraphe 1 de la Charte canadienne et à l’article 10 de la Charte québécoise, l’atteinte est justifiée en vertu de l’article premier et l’article 9.1.

[…]

[117] Je suis d'avis que l'art. 58 de la Charte de la langue française adopté par le gouvernement du Québec en suivant les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine est une disposition valide et que l'appelante n'a apporté aucune preuve pertinente qui aurait permis à la Cour supérieure de réviser ses conclusions portant sur la langue de l'affichage public et la publicité commerciale au Québec.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[43] Les appelants ont ensuite prétendu que le juge de première instance a commis une erreur [traduction] « lorsqu’il a présumément omis de suivre dans sa totalité l’obiter dictum formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Ford », à savoir que les affiches extérieures libellées en français et dans une autre langue satisferaient au critère de l’arrêt Oakes si le libellé français est nettement prédominant ou est de taille égale au libellé de l’autre langue.

[44] Les appelants ont prétendu qu’une disposition de « taille égale » plutôt qu’une disposition de « taille nettement prédominante » satisferait au critère de l’atteinte minimale de l’article premier de la Charte canadienne.

[45] La Cour suprême du Canada a dit dans les arrêts Ford et Devine que les deux types de dispositions satisfont au critère de l’arrêt Oakes. C’est au législateur, et non pas aux appelants, qu’il incombe de choisir entre deux solutions qui sont toute aussi constitutionnelles l’une que l’autre. En ce qui concerne la publicité commerciale, le législateur a choisi le critère voulant que le français doive figurer de façon « nettement prédominante » (article 58 de la CLF [Charte de la langue française]); en ce qui concerne les inscriptions sur un produit, des catalogues et d’autres documents, il a choisi d’autoriser l’utilisation de deux langues, et il n’exige pas que l’une ou l’autre soit prédominante (articles 51, 52 et 89 de la CLF).

[…]

[66] Le juge de première instance a résumé l’analyse de la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Ford et Devine, concernant les droits à l’égalité.

[67] Dans l’arrêt Ford, la Cour suprême, ayant décidé que la loi constituait une atteinte à la liberté d’expression, ne s’est pas penchée sur la question de l’égalité.

[68] En revanche, la Cour suprême, dans l’arrêt Devine, après avoir conclu que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, devait traiter de la question de l’égalité. Elle a conclu que l’analyse fondée sur l’article premier s’appliquait également à l’article 15 de la Charte canadienne, c’est-à-dire si la loi constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression, elle constitue également une limite raisonnable aux dispositions sur l’égalité. En ce qui concerne l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a décidé que le droit à l’égalité devait être lié à un autre droit ou à une autre liberté, en l’espèce, la liberté d’expression. Étant donné que la Cour suprême avait déjà conclu que la limite à la liberté d’expression était justifiable, elle a tiré la même conclusion en ce qui concerne le droit à l’égalité.

[69] En l’espèce, après avoir appliqué le même principe et après avoir conclu que l’atteinte à la liberté d’expression était justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne et des articles 3 et 9.1 de la Charte québécoise, le juge de première instance a rejeté la contestation fondée sur l’égalité.

[…]

[77] La Cour n’a relevé aucune erreur dans l’analyse approfondie faite par le juge de première instance quant au droit et quant à l’application de principes de droit aux faits de l’espèce. Rien dans la CLF, peu importe que l’on analyse l’objet ou l’effet des dispositions, ne porte atteinte à la dignité humaine de la population anglophone. De toute façon, même s’il y a atteinte aux droits à l’égalité, celle-ci serait justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne comme il a déjà été conclu dans l’analyse relative à la liberté d’expression.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance : Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII).

Annotations – Article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés

Reference re the Final Report of the Electoral Boundaries Commission, 2017 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Il s’agit d’un renvoi. On demande à la Cour (1) si l’abolition, en 2012, des anciennes circonscriptions électorales provinciales de Clare, Argyle et Richmond portait atteinte à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, (2) si l’atteinte était justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[…]

[133] L’article 3 exige que les limites des circonscriptions électorales reflètent une véritable représentation. La détermination comporte une mise en équilibre de la parité électorale et de critères faisant contrepoids. Les critères faisant contrepoids applicables varient selon les circonstances. En ce qui concerne Clare, Argyle et Richmond, les critères qui ont été relevés dans Carter, et qui méritent raisonnablement d’être pris en compte, comprennent la représentation des minorités et l’identité culturelle.

[…]

[135] Nous n’affirmons pas que l’article 3 de la Charte exige qu’il y ait des circonscriptions électorales protégées dans Clare, Argyle et Richmond. Nous affirmons plutôt que, selon l’article 3, l’organisme qui est autorisé par la loi à créer les circonscriptions électorales doit être autorisé à mettre en équilibre les critères constitutionnels énoncés dans l’opinion majoritaire de l’arrêt Carter, et de formuler son opinion sur la question.

[136] L’intervention du procureur général le 14 juin 2012 a empêché la Commission de faire la mise en équilibre et d’exprimer sa véritable opinion sur la représentation effective des électeurs de Clare, Argyle et Richmond. Par conséquent, l’intervention du procureur général a porté atteinte aux préceptes de l’article 3 de la Charte. L’atteinte (1) a mené directement à la recommandation du Rapport final d’éliminer les circonscriptions électorales protégées qui, elle, (2) a mené directement à leur abolition dans (pour citer le libellé de la question du renvoi no 1) « l’article 1 du chapitre 61 des Acts of Nova Scotia 2012 […] par lesquelles dispositions les recommandations soumises à l’Electoral Boundaries Commission par son Rapport final […] à la House of Assembly ont été adoptées ».

[…] 

8. Deuxième question : l’atteinte est-elle justifiée au regard de l’article premier?

[138] Aucune observation n’a été formulée quant à savoir si l’atteinte à la Charte était « prescrite par une règle de droit » au sens de l’article premier. Compte tenu de notre conclusion sur la proportionnalité, laquelle est exposée ci-après, il n’est pas nécessaire de formuler des commentaires sur ce point.

[…]

[145] Selon la Cour, l’objectif visé par la loi était d’appliquer à la situation de la Nouvelle‑Écosse les principes constitutionnels de la représentation effective énoncés dans l’arrêt Carter, avec l’aide d’une commission indépendante comme le prévoit l’article 5 de la House of Assembly Act. Ceci résume l’opinion exprimée dans le Rapport de 1992 de la Commission qui a mené à l’adoption de l’article 5 (précité, au  paragraphe 27). Il s’agit d’un objectif urgent et réel.

[146] Vient ensuite le deuxième volet du critère de l’arrêt Oakes – la proportionnalité. Nous ne devons nous pencher que sur le premier et le deuxième volets du critère, à savoir le lien rationnel et l’atteinte minimale.

[…]

[152] Le fait est que, selon l’article 5 de la House of Assembly Act, le gouvernement majoritaire contrôle toujours le contenu de l’adoption future qui fixe les limites des circonscriptions électorales. Malgré tout ce qui est énoncé dans les rapports de la Commission, en suivant l’article 5 et les procédures législatives de la House of Assembly, le gouvernement majoritaire pourrait promulguer l’abolition des circonscriptions protégées dans Clare, Argyle et Richmond (précité, aux paragraphes 92 à 99). C’est là le processus qui a un lien rationnel avec l’objectif législatif.

[153] Par contre, l’objectif législatif ne prévoit pas que le procureur général peut faire dévier le processus prévu par la loi en interdisant à la Commission d’exprimer son opinion sur la représentation effective et en « annulant » un rapport qui énonçait son opinion. 

[154] Il n’y a aucun lien rationnel entre l’atteinte à la Charte et l’objectif législatif.

c) Proportionnalité – Atteinte minimale

[…]

[159] L’« annulation » par le procureur général du rapport provisoire de la Commission ne portait pas atteinte de façon minimale au droit garanti par la Charte

d) Résumé – Question no 2

[160] Pour chacun de ces deux motifs, l’atteinte ne satisfait pas au volet proportionnalité du critère de l’arrêt Oakes. Il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième élément de la proportionnalité.

[161] La deuxième question posée dans le renvoi est la suivante : l’atteinte à l’article 3 est-elle justifiée au regard de l’article premier? Notre réponse est non.

Raîche c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 93, 2004 CF 679 (CanLII)

[48] La Commission en est d'ailleurs arrivée à la même conclusion. Elle a accepté qu'il y avait une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, et elle était aussi consciente que la parité du pouvoir électoral n'est pas le seul critère à évaluer en redécoupant des circonscriptions électorales. Toutefois, et elle a décidé qu'un écart de -21 % était tout simplement trop grand, et malgré l'existence d'une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, il était nécessaire de réduire l'écart de Miramichi par rapport au quotient électoral. Par conséquent, elle a transféré la paroisse d'Allardville et une partie des paroisses de Saumarez et de Bathurst à la circonscription de Miramichi.

[49] Vu que le critère primordial pour déterminer si une population jouit d'une représentation effective est l'égalité des suffrages, et vu qu'une commission n'enfreint l'article 3 de la Charte que si « des personnes raisonnables, appliquant les principes appropriés, n'auraient pas pu tracer les limites existantes des circonscriptions » la Cour conclut que la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte quand elle a décidé de transférer des paroisses d'Acadie-Bathurst à Miramichi.

[50] Cette décision est raisonnable, et par conséquent, la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte.

L'article 1 de la Charte

[51] Pourtant, si la Cour n'a pas raison, et que la Commission a violé l'article 3 de la Charte, la Cour n'estime pas que la violation puisse être sauvegardée par l'article 1 de la Charte.

[52] La Cour suprême du Canada a énoncé le critère pour déterminer si une violation de la Charte est sauvée par l'article 1 dans les termes suivants :

Tout d'abord, ce dernier doit prouver que la disposition contestée vise un objectif suffisamment urgent et réel pour justifier la violation d'un droit constitutionnel. Il ne doit pas s'agir d'un objectif « peu importan[t] » ni « contrair[e] aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique » : Oakes, précité, p. 138. Une fois cette preuve faite, le gouvernement doit établir que l'atteinte est proportionnée, savoir qu'il existe un lien rationnel entre la disposition législative et l'objectif visé, que la disposition porte le moins possible atteinte au droit constitutionnel en cause et que ses effets bénéfiques l'emportent sur ses effets préjudiciables.

[53] En vertu du critère de l'arrêt Oakes, la Cour doit pondérer les droits de l'individu et les besoins de la société. Il est donc nécessaire d'avoir des éléments de preuve quant aux besoins de la société. Le défendeur, qui a le fardeau de la preuve, n'a rien avancé à ce sujet. Par conséquent, il s'avère impossible de faire une analyse solide de l'article 1, et le défendeur n'a pas démontré que la violation était justifiée.

Annotations – Article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés

Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, 1997 CanLII 327 (CSC)

[84] J’arrive maintenant à la possibilité de justification prévue par l’article premier de la Charte, qui est rédigé ainsi :

1.  La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés.  Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Afin de justifier la limitation d’un droit garanti par la Charte, le gouvernement doit établir que les limites sont prescrites par une « règle de droit » et qu’elles sont « raisonnables » dans le cadre d’une « société libre et démocratique ».  Dans R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, notre Cour a exposé le cadre analytique applicable pour décider si une loi constitue une limite raisonnable d’un droit garanti par la Charte.  Ce cadre a été reformulé succinctement par le juge Iacobucci dans l’arrêt Egan, au par. 182 :

Dans un premier temps, l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles.  Dans un deuxième temps, le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif doit être raisonnable et doit pouvoir se justifier dans une société libre et démocratique.  Cette seconde condition appelle trois critères: (1) la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif; (2) la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte, et (3) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif.  Dans le contexte de l’article premier, il incombe toujours au gouvernement de prouver selon la prépondérance des probabilités que la violation peut se justifier.

Il n’est pas nécessaire d’examiner chacun de ces éléments dans le présent pourvoi.  À supposer, sans trancher la question, que la décision de ne pas financer des services d’interprètes médicaux à l’intention des personnes atteintes de surdité constitue une limite prescrite par une « règle de droit », que l’objectif de cette décision -- limiter les dépenses au titre des soins de santé -- est « urgent et réel » et que la décision a un lien rationnel avec l’objectif, je conclus qu’elle n’est pas une atteinte minimale au par. 15(1).

[85] Notre Cour a confirmé récemment que l’application du critère de l’arrêt Oakes commande un examen attentif du contexte dans lequel s’inscrit le texte de loi attaqué; voir Ross c. Conseil scolaire du district No 15 du Nouveau-Brunswick, 1996 CanLII 237 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 825, au par. 78.  La Cour a également statué que, dans les cas où l’examen du texte en cause exige que soient soupesés des intérêts opposés et des questions de politique sociale, le critère de l’arrêt Oakes doit être appliqué avec souplesse, et non de manière formaliste ou mécanique; voir R. c. Keegstra, 1990 CanLII 24 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 697, à la p. 737, McKinney, précité, Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, aux pp. 999 et 1000, Cotroni, précité, à la p. 1489, Comité pour la République du Canada c. Canada, 1991 CanLII 119 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 139, à la p. 222 (le juge L’HeureuxDubé), Egan, précité, au par. 29 (le juge La Forest) et aux par. 105-106 (le juge Sopinka), et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, au par. 63 (le juge La Forest) et aux par. 127 à 138 (le juge McLachlin).  En outre, il est évident que, même si des considérations financières seules ne peuvent justifier une atteinte à la Charte (Schachter, précité, à la p. 709), les gouvernements doivent disposer d’une grande latitude pour décider de la distribution appropriée des ressources dans la société; voir les arrêts McKinney, à la p. 288, et Egan,  au par. 104 (le juge Sopinka).  Cela est particulièrement vrai dans les cas où le Parlement, lorsqu’il accorde des avantages sociaux déterminés, doit privilégier certains groupes défavorisés; voir Egan, aux par. 105 à 110 (le juge Sopinka).  En revanche, des membres de notre Cour ont avancé qu’il n’y a pas lieu de faire montre de retenue à l’égard de la décision du législateur du seul fait qu’une question relève du domaine « social », ou parce que la nécessité pour le gouvernement d’agir «progressivement» a été établie; voir Egan, au par. 97 (le juge L’Heureux-Dubé) et aux par. 215 et 216 (le juge Iacobucci).  Dans le présent pourvoi, le fait de ne pas fournir des services d’interprètes gestuels ne satisferait pas au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes, si on faisait montre de retenue.  Par conséquent, il n’est pas nécessaire, dans le présent contexte où des « avantages sociaux » sont en cause et où il faut choisir entre les besoins de la population en général et ceux d’un groupe défavorisé, de décider s’il convient de faire montre de retenue.

[86] Cependant, la liberté d’action qui doit être accordée à l’État n’est pas infinie.  Les gouvernements doivent démontrer que leurs actions ne portent pas atteinte aux droits en question plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire pour réaliser leurs objectifs. Ainsi, j’ai affirmé ce qui suit au nom de la Cour, dans TétreaultGadoury, précité, à la p. 44 :

Il va sans dire, cependant, que la retenue dont il sera fait preuve à l’égard du gouvernement qui légifère en ces matières ne lui permet pas d’enfreindre en toute impunité les droits dont bénéficie un individu en vertu de la Charte.  Si le gouvernement ne peut démontrer qu’il était raisonnablement fondé à conclure qu’il s’était conformé à l’exigence de l’atteinte minimale en tentant d’atteindre ses objectifs, la loi sera invalidée.

[87] Dans la présente espèce, le gouvernement n’a manifestement pas démontré qu’il était raisonnablement fondé à conclure que le refus complet de fournir des services d’interprètes médicaux aux personnes atteintes de surdité constituait une atteinte minimale aux droits de celles-ci.  Comme il a été souligné plus tôt, le coût estimatif de la fourniture de services d’interprétation gestuelle dans l’ensemble de la ColombieBritannique s’élevait seulement à 150 000 $, soit environ 0,0025 pour 100  du budget des soins de santé de la province à l’époque.  Ce chiffre découle d’une extrapolation faite à partir des services qui étaient alors fournis par le Western Institute for the Deaf and Hard of Hearing dans le Lower Mainland.  Même si peu d’éléments de preuve ont été présentés quant au contenu précis de ces services, personne n’a prétendu que l’élargissement de leur prestation à l’ensemble de la province n’aurait pas satisfait aux exigences du par. 15(1).  Vu ces circonstances, le refus de dépenser cette somme relativement peu importante pour maintenir ces services et en élargir la prestation ne saurait constituer une atteinte minimale aux droits garantis aux appelants par la Constitution.

[88] Toutefois, les intimés soutiennent qu’il n’est pas possible de faire de distinction utile entre la situation des personnes atteintes de surdité et celle des autres personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles.  Si on les oblige à fournir des interprètes aux premières, d’affirmer les intimés, ils devront aussi en fournir aux secondes, ce qui augmentera de façon marquée le coût du programme et nuira sérieusement à la viabilité financière du régime de soins de santé.  Dans ce contexte, disentils, le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure qu’ils portaient le moins possible atteinte aux droits des personnes atteintes de surdité.

[89] À mon sens, cet argument relève entièrement de la spéculation.  Il n’est aucunement évident que les personnes atteintes de surdité et celles qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles sont dans une situation analogue, que ce soit sur le plan du statut constitutionnel ou de l’accès pratique à des soins de santé adéquats.  Du point de vue du patient, il n’y a pas vraiment de différence entre le langage gestuel et le langage parlé s’il lui est impossible de communiquer avec le médecin.  Toutefois, du point de vue des obligations de l’État, il peut très bien exister une différence.  En l’espèce, les seules dispositions constitutionnelles pertinentes sont le par. 15(1) et l’article premier de la Charte.  Par contraste, dans une affaire concernant la prestation de services d’interprètes médicaux pour des entendants, l’analyse serait plus compliquée.  En pareil cas, il serait nécessaire d’étudier l’interaction entre le par. 15(1) et les autres dispositions de la Constitution, en particulier celles touchant les obligations des gouvernements en matière linguistique.  De plus, les intimés n’ont produit aucun élément de preuve sur le champ d’application éventuel ou le coût d’un programme d’interprétation médicale pour les entendants.  Il est possible que la nature et l’étendue des mesures d’accommodement raisonnables requises pour les entendants en vertu de l’article premier diffèrent de celles requises dans le cas des personnes atteintes de surdité.  Par conséquent, toute action relative à la prestation d’un tel programme, qu’elle soit fondée sur l’origine nationale ou la langue en tant que motif analogue, serait examinée selon des paramètres constitutionnels nettement différents de ceux applicables à une action fondée sur la déficience.

[90] En outre, il est évident que les personnes atteintes de surdité sont dans une situation particulière en ce qui a trait à leur capacité de communiquer avec la population en général.  Comme je l’ai dit précédemment, il est extrêmement difficile pour bon nombre de personnes atteintes de surdité de bien maîtriser les langages basés sur l’expression orale, sous leur forme parlée ou écrite.  De plus, il est évident que ces personnes éprouvent des difficultés particulières à obtenir les services de concitoyens qui connaissent le langage gestuel.  Il n’y a aucune preuve permettant d’apprécier si les personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles sont dans une situation analogue.  Aussi, sans vouloir minimiser les difficultés que rencontrent le groupe des entendants dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français, il n’est absolument pas évident que les obstacles à la communication qu’ils ont à surmonter sont analogues à ceux qui se dressent devant les personnes atteintes de surdité.  En conséquence, il est impossible de prédire quel succès auraient les membres de ce groupe s’ils présentaient une action fondée sur le par. 15(1).  Par conséquent, la possibilité qu’une telle action puisse être présentée ne saurait justifier l’atteinte aux droits constitutionnels des personnes atteintes de surdité.

[…]

[94] Bref, je suis d’avis que le fait de ne pas financer l’interprétation gestuelle n’est pas une « atteinte minimale » au droit des personnes atteintes de surdité à l’égalité de bénéfice de la loi qui leur est garanti par le par. 15(1) indépendamment de toute discrimination fondée sur leur déficience physique.  La preuve établit clairement que, en tant que groupe, les personnes atteintes de surdité reçoivent des services médicaux inférieurs à ceux reçus par les entendants.  Comme la santé est un aspect central  de la qualité de vie de tous les citoyens, la prestation de services médicaux de qualité inférieure aux personnes atteintes de surdité réduit nécessairement leur qualité de vie globale.  Le gouvernement n’a tout simplement pas démontré que cet état de choses défavorable doit être toléré afin de réaliser l’objectif de limitation des dépenses dans le domaine de la santé.  Autrement dit, le gouvernement n’a fait aucun « accommodement raisonnable » pour tenir compte de la déficience des appelants.  Pour reprendre la terminologie de la jurisprudence de notre Cour en matière de droits de la personne, il n’a pas pris, à l’égard de leurs besoins, des mesures d’accommodement au point d’en subir des « contraintes excessives »; voir Simpsons-Sears, et Central Alberta Dairy Pool, précités.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[45] La Cour suprême a déclaré en 1988, en obiter, c’est-à-dire sans que cela soit nécessaire pour appuyer sa décision, qu’exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l’objectif de promotion et préservation d’un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des chartes québécoise et canadienne.  La Cour suprême est allée jusqu’à dire spécifiquement, dans l’arrêt Ford, qu’on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou qu’on pourrait exiger qu’il soit plus en évidence que d’autres langues.

[46] Je suis d'avis que l'art. 58 ne fait rien d'autre, dans sa forme actuelle, que de reproduire les lignes directrices formulées par la Cour suprême.  Je suis également d'opinion qu'à la lumière de la preuve soumise à la Cour suprême en 1988 une disposition telle que l'art. 58 actuel aurait résisté à une attaque fondée sur le droit à la liberté d'expression et sur le droit à l'égalité, et n'aurait pas été déclarée inopérante.

[47] On le réalise immédiatement, pour que la même réponse s'impose aujourd'hui, vu que la Procureure générale du Québec a choisi de ne pas faire de preuve pour établir que la disposition se justifie au regard de l'article premier de la Charte canadienne et de l'article 9.1 de la Charte québécoise des droits de la personne, il faut pouvoir conclure que l'obiter dictum de l'arrêt Ford a la même force que s'il faisait partie de la ratio decidendi et qu'en conséquence l'appelante a le fardeau de prouver l'absence de justification.

[…]

[58] Je conclus en l’espèce que l’obiter dictum de la Cour suprême dans Ford a le même poids que s’il faisait partie de la ratio decidendi et lie la Cour d’appel.  En effet, il apparaît clairement de l’analyse des arrêts Ford et Devine que la Cour suprême mesurait la portée de ses conclusions sur le délicat contentieux de la langue d’affichage au Québec et souhaitait régler la question.  La formulation de la règle de la nette prédominance n’est certes pas une phrase isolée dont on n’aurait pas prévu la répercussion.

[…]

[61] L'appelante avait donc le fardeau d'établir que la situation révélée par les documents considérés par la Cour suprême en 1988 était modifiée au point que la mesure ne pouvait plus se justifier en 1999. Elle a fait une certaine preuve qui n'a pas été retenue par le juge de la Cour supérieure.  Elle a décliné l'invitation qui lui avait été faite de faire une preuve complète, estimant que le fardeau reposait toujours sur les épaules de la Procureure générale.  Elle a voulu le faire en Cour d'appel, mais la permission lui a été refusée pour la raison déjà indiquée.  C'est dans  ce cadre qu'il y a lieu d'examiner les griefs de l'appelante.

[62] Il paraît opportun de rappeler la preuve qui doit être faite pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

[63] À cette fin, l'arrêt Oakes, précité, établit, aux p. 138 et 139, que l'objectif poursuivi par la mesure restrictive doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution et que la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer.  Cela nécessite l'application d'« une sorte de critère de proportionnalité » qui comporte trois éléments :

Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question.  Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles.  Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question.  Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352.  Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme « suffisamment important ».

[…]

[65] L'appelante ayant le fardeau de la preuve en l'espèce, elle devait établir que la mesure ne se justifiait plus au sens de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.

[66] J'ai déjà indiqué que la Cour suprême a conclu dans Ford que la preuve faisait ressortir que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française vise un objectif important et légitime, et qu'elle montre le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans le visage linguistique.

[…]

[68] Je ne vois aucun mérite à l'argument de l'appelante que la Cour suprême n'a jamais soumis l'objectif général de la Charte de la langue française à l'examen du critère de proportionnalité élaboré dans Oakes.  Au contraire,  l'obiter de la Cour suprême dans Ford propose une clause qui rencontre toutes les exigences de l'arrêt Oakes et de l'arrêt Sharpe.

[…]

[88] Je partage l’avis du juge de la Cour supérieure que la doctrine du stare decisis s’applique à Devine et qu’il s’est bien dirigé en droit en concluant que, dans l’hypothèse où l’article 58 dans sa version actuelle porte atteinte à l’article 15 paragraphe 1 de la charte canadienne et à l’article 10 de la charte québécoise, l’atteinte est justifiée en vertu de l’article premier et l’article 9.1.

[…]

[117] Je suis d'avis que l'art. 58 de la Charte de la langue française adopté par le gouvernement du Québec en suivant les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine est une disposition valide et que l'appelante n'a apporté aucune preuve pertinente qui aurait permis à la Cour supérieure de réviser ses conclusions portant sur la langue de l'affichage public et la publicité commerciale au Québec.

Paquette c. Canada, 1987 ABCA 228 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Le procureur général du Canada, qui poursuit l’accusé en vertu de la Loi sur les stupéfiants, et le procureur général de l’Alberta qui est intervenu dans l’instance, interjettent tous deux appel d’une décision selon laquelle les dispositions non adoptées de la Partie XIV.1 du Code criminel qui autorise la tenue de procès dans l’une ou l’autre des langues officielles sont en vigueur en Alberta. La question en litige est de savoir si l’omission de promulguer l’article en Alberta porte atteinte à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. […]

[33] Le débat tourne principalement autour de la question de savoir si la loi discrimine à tort (par opposition au terme plus neutre faire une distinction), et à quel moment le défenseur de la loi est poussé vers l’article premier.

[34] La discrimination en cause en l’espèce est de nature géographique. L’accusé pourrait bénéficier des droits prévus à Partie XIV.1 dans de nombreux endroits au Canada, mais il est privé de l’égalité devant la loi en raison de la province dans laquelle il est accusé.

[…]

[40] Un examen approfondi d’autorités figure dans le jugement rendu par la juge McLachlin dans Andrews v. The Law Society of British Columbia 1986 CanLII 1287 (BC CA), [1986] 4 W.W.R. 242 (entendu par la Cour suprême du Canada en juin). Elle propose le critère suivant à la page 253 :

La question ultime est de savoir si une personne impartiale, qui soupèse les objets de la loi en fonction de ses effets sur les personnes lésées et qui accorde l'importance voulue au droit de la législature d'adopter des lois pour le bien de tous, conclurait que les moyens législatifs adoptés sont déraisonnables ou injustes.

D’autres analyses utiles figurent dans les jugements du juge Spencer dans B.C. and Yukon Territory Building and Construction Trades Council et al v. A.G. of B.C. and Expo ‘86 Corporation et al (1986), 1985 CanLII 596 (BC SC), 22 D.L.R. (4th) 540, du juge Strayer, de la Cour fédérale, dans Smith, Kline and French Laboratories v. A.G. Canada (1986), 1985 CanLII 3151 (FC), 24 D.L.R. (4th) 321, et du juge Hugessen dans l’appel de cette cause. À la page 369, le juge Strayer déclare ceci:

On remarquera que ce critère comporte deux volets: d'une part, la fin recherchée doit faire partie de celles qu'il est, d'une façon générale, légitime pour un gouvernement de rechercher et, d'autre part, les moyens utilisés doivent se rapporter, d'une manière rationnelle, à la réalisation de cette fin.

Le juge Hugessen, au nom de la Cour d’appel fédérale, rejette ce critère, car il n’accorde pas une portée adéquate à l’article premier. Il ne propose aucun critère, bien qu’il déclare ceci : « Au niveau le plus fondamental, le droit à l’égalité que garantit l’article 15 ne peut être que le droit de ceux qui sont dans une situation analogue de recevoir un traitement analogue » (à la page 590). Il parle des fondements admissibles et non admissibles pour établir les catégories, les fondements non admissibles doivent être justifiés au regard de l’article premier. Dans Reference Re French in Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA), [1987] 5 W.W.R. 577, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu, à la majorité, que toute inégalité doit être justifiée au regard de l’article premier. Cette approche n’est pas compatible avec notre conclusion dans Mahe. J’ai éxaminé l’ouvrage de M. Gold, The Principled Approach to Equality Rights: a Preliminary Inquiry (1982), 4 Supreme Court L. Rev. 131, surtout à la page 147, et l’ouvrage de Wakeling et Chipeur, An Analysis of Section 15 of the Charter after the First Two Years, 1987, 25 Alta. L. Rev. 407.

[…]

[49] La Cour d’appel de la Saskatchewan a également rendu son jugement dans Reference Re French in Criminal Proceedings. La majorité semble approuver la décision rendue par le juge Halvorson dans Re Tremblay en mettant l’article en vigueur. La majorité a conclu que l’article 15 s’appliquait et que la Couronne ne s’était pas acquittée du fardeau imposé par l’article premier. Elle propose la solution possible de suspendre l’instance jusqu’à ce que la loi soit mise en œuvre. La majorité affirme que l’égalité est essentiellement de nature comparative, les cas semblables ne sont pas traités de façon semblable, les personnes qui sont dans une situation analogue ne reçoivent pas un traitement analogue. Non seulement je n’utiliserais pas ce critère, mais je ne pourrais pas conclure que l’accusé qui demande, au Québec ou en Ontario, que son procès ait lieu en français, se trouve dans une situation analogue à celle dans laquelle, par exemple, se trouve un accusé qui fait la même demande en Alberta. Présumer ainsi revient à nier la pertinence de la mise en œuvre par étapes. La majorité reconnaît que l’inégalité découle de l’omission de promulguer l’article et ne blâme pas la mise en œuvre par étapes. Elle conclut que des procès en français peuvent être tenus à la Cour supérieure et que la lacune dans les cours provinciales peut être comblée par des nominations de personnes appartenant aux barreaux de la Saskatchewan ou d’autres provinces au poste de juge permanent ou suppléant. Je m’arrête pour souligner que j’hésiterais à affirmer que la nomination d’un juge suppléant en Alberta constituerait une mesure satisfaisante. Elle a ensuite conclu que le défaut d’agir ne peut plus être justifié au regard de l’article premier. Je conviens que l’exécutif est tenu de respecter la Charte, mais je ne conviens pas qu’il doit faire preuve d’une justification au regard de l’article premier, et, plus important encore, je ne conviens pas que son défaut d’agir peut être présumé comme étant de l’inaction à court terme. La solution qui a été proposée, en accord avec ce que le juge Halvorson a fait, privait tout simplement le lieutenant-gouverneur en conseil de la possibilité d’agir et ne tenait pas compte de l’avis du législateur de donner cette possibilité. En Alberta une telle action est de nature législative parce que la mise en œuvre exige de passer outre à la Jury Act.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[64] Par conséquent, dans l’ensemble, selon nous, le meilleur point de vue sur l’affaire est le suivant : le législateur et les législatures, indubitablement, en vertu du paragraphe 16(3), ont le pouvoir de faire passer les droits en matière de langues officielles au-dessus des droits enchâssés dans la Charte, mais aucun d’eux, lorsqu’il le fait, n’est exempté par le paragraphe 16(3) de respecter les libertés et droits fondamentaux prévus ailleurs dans la Charte. Cette solution dont ils peuvent se prévaloir en vertu des articles 1 et 33 est, bien sûr, une tout autre affaire, bien que l’on pourrait ajouter que l’existence de ces articles vise à éliminer certains des obstacles à la promotion des langues officielles qui, compte tenu de l’article 15 en particulier, pourraient être rencontrés autrement.

[…]

[93] À notre humble avis, la présente affaire constitue un autre exemple de la façon dont l’interprétation des articles connexes de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte peut être très différente en raison de la présence de l’article premier dans la Charte. La différence, en l’espèce, est que ces considérations, ayant trait à l’établissement d’une distinction entre les inégalités justifiées et les inégalités injustifiées, qui, dans Burnshine, Prata et MacKay, avaient tant d’importance en ce qui concernait l’interprétation de l’article de la Déclaration canadienne des droits portant sur l’égalité, doivent maintenant, pour la plupart, être examinées dans le contexte de l’article premier de la Charte. La Déclaration canadienne des droits, bien sûr, ne contenait aucune disposition équivalente à l’article premier de la Charte.

[…]

[97] Toutefois, selon nous, la question de savoir si une inégalité devant la loi du type de celle qui est envisagée par le paragraphe 15(1) est justifiée ou injustifiée, compte tenu de la nature, de l’objet et de l’effet, et peut‑être de l’origine, de la mesure qui l’a occasionnée, doit être examinée dans le contexte de l’article premier plutôt que dans celui du paragraphe 15(1).

[…]

3. La disposition contestée : sa nature et son objet

[121] La Loi modifiant le droit pénal vise notamment à donner aux accusés dont la langue est le français la possibilité, laquelle existe partout au Canada, de subir leur procès dans leur propre langue.

[…]

[127] En ce qui concerne la nature et l’objet de la loi contestée, et le critère de l’arrêt Oakes, nous n’avons aucune difficulté à conclure que la loi, en ce qui concerne son objet et son effet, était raisonnable et amplement justifiée, au moment de son entrée en vigueur — au regard de l’alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits — et au moment de l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte. Et nous sommes convaincus qu’elle jouit toujours de la protection de l’article premier de la Charte. L’objet de la loi est, selon nous, suffisamment important pour justifier de passer outre à l’article 15, et les moyens choisis pour atteindre cet objectif, à savoir autoriser l’exécutif à promulguer province par province, satisfont à chacun des éléments du volet de la proportionnalité du critère de l’arrêt Oakes.

[…]

[166] Comme il a déjà été souligné, une disposition transitoire constitue seulement un pont entre un ancien et un nouvel ordre juridique. Dès qu’il existe une raison de créer un nouvel ordre, le défaut de l’exécutif de traverser le pont, pour ainsi dire, devient de plus en plus inexplicable et difficile à justifier — et plus le défaut dure longtemps, plus la difficulté est grande. Cela est d’autant plus vrai en matière de droit pénal. C’est plus particulièrement à la lumière de ceci, et à la lumière des faits de l’espèce, que l’argument en faveur de la justification du défaut de promulguer en Saskatchewan, éprouve des difficultés. En effet, à notre humble avis, le défaut d’agir, lequel a pour effet de maintenir la restriction imposée quant au droit constitutionnel d’un accusé, en Saskatchewan, à l’égalité devant la loi, ne peut plus être justifié au regard de l’article premier.

[…]

[168] Le défaut de l’exécutif de promulguer en Saskatchewan [l’art. 530 du Code criminel], compte tenu de la situation qui prévaut dans la province, est déphasée par rapport à l’objectif—en effet il empêche d’atteindre l’objectif dans la province—et, pour reprendre les termes utilisés dans l’arrêt Oakes, il ne peut plus être considéré comme ayant un lien rationnel avec l’objectif. On pourrait ajouter que l’acte de l’exécutif en cause ne porte pas atteinte « le moins possible » aux droits à l’égalité, en Saskatchewan, d’un accusé dont la langue est le français. Par conséquent, à notre humble avis, la Couronne n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que la restriction en question est raisonnable et que sa justification peut se démontrer.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[43] Les appelants ont ensuite prétendu que le juge de première instance a commis une erreur [traduction] « lorsqu’il a présumément omis de suivre dans sa totalité l’obiter dictum formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Ford », à savoir que les affiches extérieures libellées en français et dans une autre langue satisferaient au critère de l’arrêt Oakes si le libellé français est nettement prédominant ou est de taille égale au libellé de l’autre langue.

[44] Les appelants ont prétendu qu’une disposition de « taille égale » plutôt qu’une disposition de « taille nettement prédominante » satisferait au critère de l’atteinte minimale de l’article premier de la Charte canadienne.

[45] La Cour suprême du Canada a dit dans les arrêts Ford et Devine que les deux types de dispositions satisfont au critère de l’arrêt Oakes. C’est au législateur, et non pas aux appelants, qu’il incombe de choisir entre deux solutions qui sont toute aussi constitutionnelles l’une que l’autre. En ce qui concerne la publicité commerciale, le législateur a choisi le critère voulant que le français doive figurer de façon « nettement prédominante » (article 58 de la CLF [Charte de la langue française]); en ce qui concerne les inscriptions sur un produit, des catalogues et d’autres documents, il a choisi d’autoriser l’utilisation de deux langues, et il n’exige pas que l’une ou l’autre soit prédominante (articles 51, 52 et 89 de la CLF).

[…]

[66] Le juge de première instance a résumé l’analyse de la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Ford et Devine, concernant les droits à l’égalité.

[67] Dans l’arrêt Ford, la Cour suprême, ayant décidé que la loi constituait une atteinte à la liberté d’expression, ne s’est pas penchée sur la question de l’égalité.

[68] En revanche, la Cour suprême, dans l’arrêt Devine, après avoir conclu que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, devait traiter de la question de l’égalité. Elle a conclu que l’analyse fondée sur l’article premier s’appliquait également à l’article 15 de la Charte canadienne, c’est-à-dire si la loi constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression, elle constitue également une limite raisonnable aux dispositions sur l’égalité. En ce qui concerne l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a décidé que le droit à l’égalité devait être lié à un autre droit ou à une autre liberté, en l’espèce, la liberté d’expression. Étant donné que la Cour suprême avait déjà conclu que la limite à la liberté d’expression était justifiable, elle a tiré la même conclusion en ce qui concerne le droit à l’égalité.

[69] En l’espèce, après avoir appliqué le même principe et après avoir conclu que l’atteinte à la liberté d’expression était justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne et des articles 3 et 9.1 de la Charte québécoise, le juge de première instance a rejeté la contestation fondée sur l’égalité.

[…]

[77] La Cour n’a relevé aucune erreur dans l’analyse approfondie faite par le juge de première instance quant au droit et quant à l’application de principes de droit aux faits de l’espèce. Rien dans la CLF, peu importe que l’on analyse l’objet ou l’effet des dispositions, ne porte atteinte à la dignité humaine de la population anglophone. De toute façon, même s’il y a atteinte aux droits à l’égalité, celle-ci serait justifiable au regard de l’article premier de la Charte canadienne comme il a déjà été conclu dans l’analyse relative à la liberté d’expression

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance : Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII).

Annotations – Paragraphe 18(2) de la Charte canadienne des droits et libertés

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[118] J’ai conclu que le par. 18(2) de la Charte impose aux municipalités du Nouveau-Brunswick l’obligation d’adopter, d’imprimer et de publier leurs arrêtés municipaux dans les deux langues officielles. J’ai conclu également que l’omission de la ville de Moncton d’adopter et publier ses arrêtés municipaux, y compris l’arrêté municipal Z-4, enfreint le par. 18(2) de la Charte et l’obligation constitutionnelle à laquelle la ville est assujettie.

[119] Cette omission constitue une négation pure et simple d’un droit garanti par la Charte. Elle ne peut constituer une restriction prescrite par une règle de droit qui serait susceptible de justification en vertu de l’article premier de la Charte.

[120] Aux termes du par. 52(1), une loi peut être jugée inconstitutionnelle suivant son texte même parce qu’elle porte atteinte à un droit garanti dans la Charte et que sa validité n’est pas sauvegardée par l’article premier de la Charte. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une situation où une loi violerait des droits garantis mais de l’omission par une institution du gouvernement, la ville de Moncton, de respecter les modalités d’origine constitutionnelle en matière d’adoption de ses arrêtés municipaux.

[…]

[128] Il y a lieu de rappeler à cet égard que l’article premier de la Charte permet d’apporter des restrictions aux droits qui y sont garantis dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.  Cette limitation générale permet au législateur d’atteindre l’équilibre ou un compromis entre l’exercice d’un droit garanti et la sauvegarde d’un intérêt supérieur de la société.  Par contre, même si certaines limites imposées à l’exercice du droit garanti au para. 18(2) pourraient être justifiées, cette disposition crée une obligation au bilinguisme législatif qui ne saurait être limitée en faveur d’un unilinguisme ou d’un bilinguisme laissé au choix des conseils municipaux.  Cela reviendrait à nier le droit linguistique constitutionnel garanti au para. 18(2). Également l’obligation au bilinguisme s’étend implicitement au processus d’adoption des arrêtés municipaux.

Annotations – Paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés

Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[51] Il est usuel de procéder à l'analyse d'une violation de la Charte en appliquant les critères de l'arrêt Oakes. En appliquant les critères de l'arrêt Oakes, on passe immédiatement à l'objectif pressant et urgent du gouvernement, pour ensuite s'interroger sur la proportionnalité de la mesure gouvernementale contestée. Cependant, il faut d'abord considérer si la mesure elle-même peut être considérée comme une règle de droit. Selon l'article 1 de la Charte, les droits et libertés énoncés « ne peuvent être restreints que par une règle de droit ». Il ne fait aucun doute que le Règlement, adopté sous le régime de la LLO, est une règle de droit. Ce qui est contesté, toutefois, n'est pas le Règlement en soi, mais plutôt une lacune qu'on y constate. À mon avis, l'effet est le même. L'absence de mesure réglementaire en l'espèce a pour effet de brimer un droit garanti par la Charte.

[…]

[54] Dans un pays aussi vaste que le Canada, avec une population relativement peu nombreuse et diversifiée, il est raisonnable et légitime de limiter l'offre de services bilingues là où la demande ne le justifie pas. Selon moi, il s'agit là d'un objectif valide du point de vue constitutionnel. L'objectif de rationalisation est donc évidemment légitime. Il s'agit de décider si sa réalisation porte atteinte aux droits de façon proportionnée. Il faut d'abord se demander s'il y a un lien entre l'objectif et l'atteinte, autrement dit, si le fait de limiter l'offre de services en français permet une rationalisation des services. Sans doute cela est-il vrai. Le lien logique existe; c'est à l'étape de la proportionnalité proprement dite, soit l'atteinte minimale et l'équilibre entre l'effet préjudiciable et les avantages conférés, que la mesure échoue.

[55] En effet, l’atteinte n’est pas minimale.  La preuve a établi une demande importante; ce sont les droits d’un grand nombre de francophones qui sont ainsi brimés. La juge McLachlin (maintenant juge en chef), dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, nous rappelle, pour ce qui est de l'atteinte minimale, que c'est au gouvernement qu'il incombe d'en faire la preuve […]

[56] En l'espèce, la défenderesse n'a pas démontré en quoi le règlement tel que formulé, qui omet les voyageurs en automobile comme facteur à considérer afin de déterminer la « demande importante » , porte minimalement atteinte aux droits des voyageurs appartenant à la minorité linguistique. La défenderesse se contente de soutenir que la démographie de l'endroit ne justifie pas des services policiers bilingues; cela ne répond en rien aux préoccupations des voyageurs francophones.

[…]

[60] Les effets bénéfiques du règlement contesté se mesurent uniquement par les économies que le Trésor public est susceptible de réaliser en n'étant pas obligé de fournir des agents bilingues sur l'autoroute 104 dans l'aire de service d'Amherst. Cet avantage d'ordre économique doit être apprécié par rapport à l'effet préjudiciable de la violation et ce, au regard des valeurs consacrées par la Charte. En l'instance, la preuve établit la « demande importante » et, en conséquence, l'effet préjudiciable sur les droits des francophones qui circulent sur l'autoroute 104 près d'Amherst est clair. Dans son témoignage, le sergent d'état-major Hastey a décrit les complications qu'entraînent les besoins de services en français des francophones unilingues. Il n'a toutefois pas abordé la problématique du droit des francophones de s'exprimer en français en s'adressant à une institution fédérale, quelle que soit par ailleurs leur compétence dans l'autre langue officielle. J'ai déjà traité des problèmes d'ordre pratique soulevés par la défenderesse, aux paragraphes 57 et suivants de ces motifs. Aucun de ces arguments ne justifie la violation des droits linguistiques garantis par la Charte. À mon avis, l'effet préjudiciable de l'omission notée dans le Règlement l'emporte largement sur tout avantage que pourrait entraîner la politique de refuser l'offre de services bilingues sur l'autoroute d'Amherst. L'effet de la mesure est donc disproportionné par rapport à l'avantage recherché par la rationalisation.

[61] J’en conclus que la violation des droits linguistiques des francophones qui circulent sur l’autoroute 104 près d’Amherst, et plus particulièrement l’atteinte aux droits garantis par le paragraphe 20(1) de la Charte, n’est pas justifiée aux termes de l’article premier de la Charte.

Annotations – Article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés

Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), [2015] 2 R.C.S. 139, 2015 CSC 21 (CanLII)

[49] Il se peut que les coûts et les considérations pratiques redeviennent pertinents si une partie responsable cherche à justifier une violation de l’art. 23 en vertu de l’article premier de la Charte. De plus, les coûts et les considérations pratiques peuvent s’avérer pertinents quand un tribunal cherche à concevoir une réparation « convenable et juste » eu égard aux circonstances en vertu du par. 24(1) de la Charte. Donc, la conclusion qu’il y a violation de l’art. 23 ne donnera pas automatiquement lieu à l’ouverture d’une nouvelle école pour les titulaires de droits. Il existe un tiraillement constant dans la conciliation de priorités concurrentes, entre la disponibilité de moyens financiers et les pressions exercées sur le trésor public. Pour concevoir une réparation, le tribunal tient compte des coûts et des considérations pratiques qui font partie de la prestation de tous les services d’enseignement ― tant pour les écoles de la majorité linguistique que pour celles de la minorité. Nous ne sommes toutefois pas saisis de cette question en l’espèce.

[50] En résumé, on tient compte des coûts et des considérations pratiques pour déterminer où se situe une communauté linguistique minoritaire sur l’échelle variable des droits garantis par l’art. 23. Si cette communauté a droit au plus haut niveau de services d’enseignement, au même titre que la communauté majoritaire, il n’est pas nécessaire de tenir compte des coûts et considérations pratiques pour décider si les titulaires des droits reçoivent les services auxquels ils ont droit. Il peut toutefois arriver que les coûts et les considérations pratiques s’avèrent pertinents lorsqu’on tente de justifier une violation de l’art. 23 ou de concevoir une réparation convenable et juste par suite d’une violation.

[…]

[61] À mon avis, le jugement déclaratoire prononcé par le juge en l’espèce constitue une déclaration limitée, ou faite à première vue, de violation de l’art. 23. Dans ces circonstances, où les enfants de titulaires des droits garantis par l’art. 23 ont droit à une expérience éducative équivalente à celle des enfants de la majorité, il n’y a aucune différence entre une conclusion d’absence d’équivalence et une conclusion selon laquelle les titulaires de droits n’ont pas reçu les services auxquels ils ont droit en vertu de l’art. 23. En fait, à moins qu’elle puisse être justifiée au sens de l’article premier, l’absence d’équivalence viole les droits garantis aux demandeurs par la Charte. Autrement dit, par quel autre moyen pourrait-on valider une violation, si ce n’est qu’en justifiant l’omission de fournir des services équivalents ou d’allouer suffisamment de ressources? Cependant, puisqu’aucune responsabilité n’a encore été attribuée pour cette violation ― et qu’il demeure possible que la ou les parties responsables tentent de la justifier ― on ne peut affirmer que le jugement déclaratoire rendu par le juge constitue une conclusion complète selon laquelle il y a violation de la Charte. D’ailleurs, le fait que le juge a soigneusement formulé son jugement déclaratoire indique qu’il était conscient de ces difficultés.

[…]

[73] L’imputation d’une responsabilité pour la violation en cause ne peut avoir lieu qu’à la prochaine étape de l’instance. Le partage de la responsabilité permettra de déterminer sur qui repose le fardeau de justifier la violation de l’art. 23 si l’on invoque un argument relatif à l’article premier. De même, la responsabilité serait fort probablement partagée avant que des ordonnances de réparation sur le fond ne soient rendues.

Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208, 2009 CSC 47

[2] La première de ces modifications édicte que les périodes de fréquentation scolaire passées dans des écoles privées anglophones non subventionnées ne sont pas prises en compte pour établir l’admissibilité d’un enfant à l’enseignement dans le réseau scolaire anglophone financé par les fonds publics. La seconde modification établit la même règle pour l’enseignement reçu en vertu d’une autorisation particulière accordée par la province en vertu des art. 81, 85 ou 85.1 CLF [Charte de la langue française], dans les cas de difficultés graves d’apprentissage, de séjours temporaires au Québec ou de situations graves d’ordre familial ou humanitaire. Pour les  motifs qui suivent, je conclus que les modifications en litige limitent les droits garantis par l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, que ces limites n’ont pas été justifiées en vertu de l’article premier de la Charte et que les al. 2 et 3 ajoutés à l’art. 73 CLF par la Loi 104 [Loi modifiant la Charte de la langue française] sont en conséquence inconstitutionnels. Je rejetterais donc les pourvois principaux. Je rejetterais également les appels incidents des intimés, qui portent sur des questions accessoires.

[…]

[22] Notre Cour doit se pencher sur la validité constitutionnelle des deuxième et troisième alinéas de l’art. 73 CLF. Il s’agit, en premier lieu, de décider si les dispositions en cause portent atteinte aux droits linguistiques garantis par l’art. 23 de la Charte canadienne et, dans l’affirmative, de se demander si l’atteinte est raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de cette charte. Il faudra ensuite procéder à la détermination de la réparation appropriée et à l’adjudication des dépens.

[…]

E. La justification en vertu de l’article premier

[37] Les intimés ont plaidé que les appelants ne pouvaient invoquer l’article premier de la Charte canadienne pour justifier une limitation des droits garantis par l’art. 23. Il est maintenant bien établi que l’article premier s’applique aux droits linguistiques et que, dans l’arrêt Quebec Association of Protestant School Boards, la Cour n’a jamais conclu dans le sens invoqué par les intimés (voir notamment : Ford, p. 771 et 774).  Par conséquent, en conformité avec la méthode établie dans l’arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, notre Cour doit d’abord déterminer si l’objectif visé par les mesures adoptées par le législateur québécois est suffisamment important pour justifier l’atteinte aux droits garantis et, ensuite, si les moyens choisis sont proportionnels à l’objectif recherché.

[38] La Loi 104 comportait deux objectifs principaux. D’une part, elle visait à régler le problème des écoles passerelles et de l’élargissement des catégories d’ayants droit qu’entraînaient les inscriptions d’élèves dans ces institutions. D’autre part, et de façon plus générale, elle cherchait à protéger la langue française au Québec et à favoriser son épanouissement. Bien que la législature québécoise doive exécuter ses obligations constitutionnelles relatives aux droits à l’instruction dans la langue de la minorité sur son territoire, la règle fondamentale relative à la langue d’enseignement au Québec demeure. Selon l’article 72 CLF, sauf exceptions, l’enseignement se donne en langue française à tous les élèves, tant à la maternelle qu’aux niveaux primaire et secondaire, sur le territoire du Québec. Cette règle exprime un choix politique valide.  L’Assemblée nationale du Québec peut légitimement vouloir faire respecter ce choix, sans dérogations autres que celles qu’imposent les droits linguistiques reconnus par l’art. 23 de la Charte canadienne. La création d’une voie d’accès quasi automatique aux écoles de la minorité linguistique par l’intermédiaire de ces écoles tremplins compromettrait la réalisation de cette volonté du législateur. Résoudre cette difficulté représente un objectif important et légitime. D’ailleurs, dans l’arrêt Ford, notre Cour a déjà reconnu que l’objectif général de protection de la langue française représentait un objectif légitime, au sens de l’arrêt Oakes, eu égard à la situation linguistique et culturelle particulière de la province de Québec :

[…]

[40] L’objectif législatif étant reconnu comme valide, il faut alors déterminer si les dispositions introduites par la Loi 104 apportent une réponse proportionnée aux problèmes identifiés plus haut. À mon avis, les appelants ont établi l’existence d’un lien rationnel de causalité entre les objectifs de la Loi 104 et les mesures prises par la province de Québec. Notre Cour s’est d’ailleurs prononcée à plusieurs reprises sur l’importance de l’éducation et de l’organisation des écoles pour la préservation et l’épanouissement d’une langue et de sa culture (Mahe, p. 362-363; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 849; Gosselin, par. 31). La Loi 104 cherche à protéger et à valoriser l’enseignement en langue française et l’usage de cette langue.

[41] La difficulté principale que pose l’examen de la validité constitutionnelle des dispositions attaquées se situe à l’étape de l’analyse de la proportionnalité des mesures adoptées. Même si l’existence d’un lien rationnel entre les mesures attaquées et l’objectif de la loi est reconnue, il faut poursuivre l’analyse et se demander si les moyens retenus par le législateur représentent une atteinte minimale, au sens de la jurisprudence, aux droits constitutionnels garantis par le par. 23(2) de la Charte canadienne. Je suis d’avis que les mesures adoptées et contestées dans les pourvois Nguyen et Bindra sont excessives par rapport aux objectifs visés et ne satisfont pas à la norme de l’atteinte minimale.

[42] Je traiterai d’abord de l’affaire Nguyen et donc du cas des écoles privées non subventionnées, visées par le deuxième alinéa de l’art. 73 CLF.  Comme je l’ai souligné plus tôt, la Loi 104 exclut toute considération du parcours scolaire d’un enfant dans une école anglophone privée non subventionnée. Elle ne tient aucunement compte de la durée et des circonstances de ce parcours, non plus que de la nature et de l’histoire de l’établissement scolaire où l’enfant a été inscrit. Le refus de prendre en compte ce parcours est total et sans nuance. À la lumière de la preuve présentée dans le pourvoi Nguyen, cette solution législative paraît excessive par rapport à la gravité du problème identifié, ainsi qu’à son impact sur les clientèles scolaires et, potentiellement, sur la situation de la langue française au Québec. Selon la preuve, le nombre d’enfants pouvant se faire admettre dans le réseau public anglophone après un passage dans une EPNS [école privée non subventionnée] reste relativement faible, bien qu’il semble augmenter graduellement. Par exemple, pour l’année scolaire 2001-2002, il ressort des statistiques fournies par le ministère de l’Éducation que, pour l’ensemble du Québec, un peu plus de 2 100 élèves inscrits dans les EPNS anglaises aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire ne détenaient pas de certificat d’admissibilité à l’enseignement en anglais (d.a., p. 1605). En conséquence, avant l’entrée en vigueur de la Loi 104, leur passage dans ces institutions aurait pu les qualifier pour un éventuel transfert vers le réseau anglophone financé à même les fonds publics. Ce chiffre représente environ un peu plus de 1,5 pour 100 du nombre total des élèves admissibles à l’enseignement en langue anglaise cette année-là (Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, 2002-2007, p. 82). De plus, ce nombre s’est accru. En effet, le nombre d’écoliers fréquentant une EPNS anglaise sans détenir de certificat d’admissibilité dépassait 4 000 pour l’année scolaire 2007-2008 (d.a., p. 1605). Malgré cette augmentation, les effectifs en cause demeurent relativement faibles par rapport aux clientèles des réseaux scolaires anglophone et francophone. Devant cette situation, sans pour autant nier l’importance de l’objectif de l’al. 2 de l’art. 73 CLF, la prohibition absolue de la prise en considération du parcours scolaire dans une EPNS semble trop draconienne. En effet, on n’assiste pas à un retour effectif au libre choix et à un bouleversement des catégories d’ayants droit. Le législateur aurait pu adopter des solutions différentes, qui soient moins attentatoires aux droits garantis et davantage conciliables avec l’approche concrète et contextuelle que recommande l’arrêt Solski.

[43] Toutefois, je ne veux pas nier les dangers que l’expansion illimitée des EPNS pourrait présenter pour les objectifs de préservation et d’épanouissement de la langue française au Québec. En l’absence de toute mesure susceptible de contrôler le développement de ce phénomène, les écoles passerelles pourraient devenir éventuellement un mécanisme permettant de manière quasi automatique de contourner les dispositions de la CLF portant sur les droits scolaires linguistiques, de créer de nouvelles catégories d’ayants droit en vertu de la Charte canadienne et de rétablir indirectement un régime de libre choix linguistique dans le domaine scolaire au Québec.

[44] Certains éléments de preuve relatifs à l’utilisation des écoles passerelles laissent planer des doutes quant à l’authenticité de bon nombre de parcours scolaires, et quant aux objectifs de la création de certaines institutions. Ainsi, la publicité de quelques établissements suggère qu’un court passage en leur sein permet de rendre leurs élèves admissibles aux écoles anglophones financées à même les fonds publics (d.a., p. 1200-1202). Une méthode d’examen des dossiers plus conforme à celle établie dans l’arrêt Solski permet l’étude concrète du cas de chaque élève et de celui des établissements concernés. Elle porte sur la durée du parcours, la nature et l’histoire de l’institution et le type d’enseignement qu’on y donne. Par exemple, on peut penser qu’un passage de six mois ou d’un an au début du cours primaire dans des institutions créées pour jouer le rôle de passerelles vers l’enseignement public ne représente pas un parcours scolaire respectant les objectifs du par. 23(2) de la Charte canadienne et l’interprétation donnée à cette disposition dans l’arrêt Solski. De plus, comme je l’ai souligné précédemment, on se souviendra que dans cet arrêt, notre Cour avait exprimé des réserves à l’égard des tentatives de créer des droits linguistiques en faveur de catégories élargies d’ayants droit au moyen de courts passages dans des établissements scolaires de la langue de la minorité (Solski, par. 39).

[45] Les situations visées par le pourvoi Bindra touchent elles aussi un nombre relativement restreint d’enfants. En effet, selon les statistiques fournies par les appelants, il appert que, de 1990 à 2002, en moyenne 7,1 pour 100 des élèves admissibles à l’enseignement en anglais l’étaient en vertu d’une autorisation spéciale délivrée par la province en conformité avec les art. 81, 85 et 85.1 CLF (Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, 2002-2007, p. 90). Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer avec précision dans quelle proportion ces élèves ont par la suite obtenu un certificat d’admissibilité en vertu de l’art. 73, al. 1(2) CLF, je constate, toutefois, qu’une forte majorité de ceux-ci sont admissibles parce qu’ils séjournent temporairement au Québec et ont obtenu, sur cette base, des autorisations spéciales en vertu de l’art. 85 CLF. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le mécanisme des autorisations spéciales continue de relever entièrement du gouvernement du Québec. Celui-ci peut donc accorder des autorisations qui excèdent le cadre de ses obligations constitutionnelles, mais il ne peut, ce faisant, nier les droits qui découlent de ces autorisations et qui sont garantis par la Charte canadienne.  Les dispositions ajoutées à la CLF par la Loi 104 et qui s’appliquent au cas de M. Bindra ne respectent pas le principe de la préservation de l’unité des groupes familiaux que reconnaît le par. 23(2) de la Charte canadienne. En effet, elles sont de nature à empêcher totalement le regroupement des enfants d’une famille dans un même système scolaire.

F. Les réparations

[46] Je dois donc conclure que la limitation des droits constitutionnels des intimés n’a pas été justifiée conformément à l’article premier de la Charte canadienne. Par conséquent, je confirmerais la déclaration d’invalidité des al. 2 et 3 de l’art. 73 CLF prononcée par la Cour d’appel du Québec. En raison des difficultés que peut entraîner cette déclaration d’invalidité, je suspendrais ses effets pour une période d’un an afin de permettre à l’Assemblée nationale du Québec de réexaminer la loi. Toutefois, il faut également considérer la situation des demandeurs concernés dans les deux pourvois.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[21] Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité consacrés à l’art. 23 ont une portée nationale et un caractère réparateur.  Au moment où cette disposition a été adoptée, ses rédacteurs connaissaient et considéraient inadéquats les divers régimes applicables aux minorités linguistiques anglophones et francophones du Canada.  L’article 23 était destiné à offrir une solution uniforme qui permettrait de combler les lacunes de ces régimes.  Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Quebec Association of Protestant School Boards, p. 79-80, relatif à la constitutionnalité des dispositions en matière d’enseignement contenues dans la CLF :

Sans doute est-ce un régime général que le constituant a voulu instaurer au sujet de la langue de l’enseignement par l’art. 23 de la Charte et non pas un régime particulier pour le Québec.  Mais, vu l’époque où il a légiféré, et vu surtout la rédaction de l’art. 23 de la Charte lorsqu’on la compare à celle des art. 72 et 73 de la Loi 101, il saute aux yeux que le jeu combiné de ces deux derniers articles est apparu au constituant comme un archétype des régimes à réformer ou que du moins il fallait affecter et qu’il lui a inspiré en grande partie le remède prescrit pour tout le Canada par l’art. 23 de la Charte.

En raison du caractère national de l’art. 23, la Cour a interprété les droits qu’il confère de façon uniforme pour toutes les provinces : Quebec Association of Protestant School Boards; Mahe; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.); Arsenault-Cameron; Doucet-Boudreau.  Cependant, le contexte historique et social propre à chaque province n’est pas pour autant dépourvu de pertinence; il faut en tenir compte dans l’examen des approches adoptées par les provinces pour appliquer ces droits et dans les cas où une justification au sens de l’article premier de la Charte canadienne est nécessaire : Ford, p. 777-781.

[…]

[52] Par ailleurs, le procureur général du Québec fait valoir que, bien que l’interprétation quantitative que l’on donne actuellement de l’art. 73 CLF [Charte de la langue française] ne soit pas la norme requise par le par. 23(2) de la Charte canadienne, cette interprétation est néanmoins justifiable au sens de l’article premier.  Il estime que la situation linguistique unique du Québec au sein du Canada — la communauté linguistique provinciale majoritaire est, en même temps, la communauté linguistique nationale minoritaire — peut justifier le critère de la « majeure partie » selon l’interprétation qu’il donne de ce critère.  Nous ne jugeons pas nécessaire d’examiner cette possibilité.  Le fait de donner une interprétation atténuante de l’art. 73 permet au Québec d’atteindre ses objectifs législatifs tout en garantissant qu’aucune personne admissible en vertu de l’art. 23 de la Charte canadienne ne sera empêchée de fréquenter une école de la minorité linguistique si elle choisit de le faire. […] 

P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, 1984 CanLII 32 (CSC)

[p. 84] Si, comme il est clair, le chapitre VIII de la Loi 101 [Charte de la langue française] est le prototype de régime auquel le constituant veut remédier par l’adoption de l’art. 23 de la Charte, il est inconcevable que les restrictions que ce régime impose aux droits relatifs à la langue de l’enseignement puissent, pour autant qu’elles sont incompatibles avec l’art. 23, avoir pu être considérées par le constituant comme se confinant à « des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Les restrictions imposées par le chapitre VIII de la Loi 101 ne sont donc pas des restrictions légitimes au sens de l’art. 1 de la Charte, pour autant que ce dernier s’applique à l’art. 23.

[…]

[p. 85] Imaginons en effet que le chapitre VIII de la Loi 101 ait été édicté après la Charte, ou encore, qu’une autre province que le Québec adopte maintenant une loi rédigée comme le chapitre VIII de la Loi 101 mais destinée à restreindre le droit à l’enseignement dans la langue française.

[p. 86] Pourrait-on penser que l’art. 1 de la Charte est capable de légitimer une telle législation, pour autant que l’art. 1 s’applique à l’art. 23?

Nous ne le croyons pas.

Quelle que soit leur portée, les restrictions que l’art. 1 de la Charte permet d’apporter aux droits et libertés qu’elle énonce ne peuvent pas équivaloir à des dérogations comme celles qu’autorisent les par. 33(1) et (2) de la Charte, lesquels d’ailleurs n’autorisent pas de dérogation à l’art. 23 :

[…]

Elles ne peuvent non plus équivaloir à des modifications de la Constitution du Canada dont la procédure est prescrite par les art. 38 et suiv. de la Loi constitutionnelle de 1982.

[…]

[p. 87] Nous paraissent irréfutables les moyens suivants, invoqués par le procureur général du Nouveau-Brunswick dans son mémoire :

[TRADUCTION] … L’article 59 modifie les catégories de parents qui ont le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise en suspendant l’application au Québec de l’al. 23(1)a). Par déduction, les autres catégories de bénéficiaires des droits conférés par l’art. 23 ne peuvent être redéfinies selon le processus législatif ordinaire.

La définition détaillée des catégories de parents est au cœur même de l’art. 23. Toute tentative visant à redéfinir les catégories de parents qui ont des droits scolaires constitue en réalité une tentative visant à modifier la Constitution sans observer la formule d’amendement prescrite et n’est pas, en conséquence, visée par l’art. 1.

C’est la même idée qu’énonce le procureur général du Canada dans son mémoire où il écrit, après avoir référé à l’article 1 de la Charte :

…[il] ne permet pas de modifier les catégories de citoyens qui sont titulaires du droit reconnu à l’article 23 en imposant des critères différents qui vont directement à l’encontre de ceux expressément énoncés à cet article. La clause de dérogation prévue à l’article 33 ne couvre pas l’article 23 et ce n’est qu’aux termes de la procédure de modification de la Constitution prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 qu’on peut amender la Charte canadienne des droits et libertés.

[…]

[p. 88] […] Les dispositions de l’art. 73 de la Loi 101 heurtent de front celles de l’art. 23 de la Charte et ne sont pas des restrictions qui peuvent être légitimées par l’art. 1 de la Charte. Ces restrictions ne peuvent être des dérogations aux droits et libertés garanties par la Charte ni équivaloir à des modifications de la Charte. Une loi du Parlement ou d'une législature qui par exemple prétendrait imposer les croyances d'une religion d'état entrerait en conflit direct avec l'al. 2a) de la Charte qui garantit la liberté de conscience et de religion, et devrait être déclarée inopérante sans qu'il y ait même lieu de se demander si une telle loi est susceptible d'être légitimée par l’art. 1. Il en va de même pour le chapitre VIII de la Loi 101 vis-à-vis de l’art. 23 de la Charte.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[864] Je retiens de ces commentaires un certain nombre de principes : dès lors que des considérations de coûts et de pédagogie ou des décisions rendues dans des litiges antérieurs établissent le droit au plus haut degré de services – l’équivalence—les coûts et les aspects pratiques ne sont pas pertinents en ce qui concerne l’analyse relative à l’équivalence. Les coûts et les considérations pratiques sont pertinents lorsqu’il est question de déterminer les services auxquels un nombre donné d’étudiants a droit; en d’autres mots, ils sont pertinents lorsque la Cour situe le nombre sur l’échelle variable. Ils peuvent également être pertinents si une partie tente de justifier, au regard de l’article premier de la Charte, une atteinte à l’article 23. Les coûts et les considérations pratiques peuvent s’avérer pertinents quand un tribunal cherche à concevoir une réparation « convenable et juste », car « la conclusion qu’il y a violation de l’art. 23 ne donnera pas automatiquement lieu à l’ouverture d’une nouvelle école pour les titulaires de droits ».

[…]

[989] De plus, bien que le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité soit restreint par le critère de la justification par le nombre, ces restrictions ne suscitent pas les mêmes préoccupations d’ordre philosophique que les éléments du critère de l’arrêt Oakes. Le critère de l’article premier s’intéresse aux intérêts sociaux opposés et aux avantages publics (Carter, au paragraphe 79). Les restrictions imposées par le critère de la justification par le nombre visent à limiter les dépenses gouvernementales à ce qui est pratique en termes de pédagogie et de coûts. Le critère de la justification par le nombre repose encore moins sur les préoccupations visées par l’article premier que les notions de lois à caractère arbitraire, de portée trop grande et exagérément disproportionnées. Les restrictions énoncées à l’article 23 ne permettent tout simplement pas à la Cour de prendre en compte les avantages publics qui pourraient justifier de restreindre les droits linguistiques.

[990] On a beaucoup moins parlé des raisons pour lesquelles les revendications fondées sur l’article 15 sont si rarement justifiées. Il semble que la rareté des cas où le droit à l’égalité a été justifié au regard de l’article premier est attribuable au fait qu’il n’y a pas de norme plus exigeante imposée aux gouvernements. Ces cas se sont avérés exceptionnellement difficiles à justifier au vu des faits de l’espèce en raison des intérêts humains fondamentaux et des intérêts opposés qui sont en jeu.

[…]

D. Justification

[1518] Je conclus que la province a porté atteinte à l’article 23 en maintenant sa politique de ne pas appliquer l’AFG [Annual Facility Grant] Rural Factor au CSF [Conseil scolaire francophone] en 2008-2009, 2009‑2010 et 2010-2011. Le ministre a traité le CSF différemment des conseils majoritaires en dépit du fait qu’il a reconnu que la raison invoquée pour justifier ce traitement était en train de s’estomper. Il reste à déterminer si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier.

[1519] J’énonce, au chapitre IX, intitulé Justification, le cadre pour la justification. Dans ce chapitre, j’explique qu’étant donné que la revendication des demandeurs est fondée sur les effets inconstitutionnels d’une loi d’apparence neutre, c’est le cadre analytique établi dans l’arrêt Oakes plutôt que le cadre analytique établi dans l’arrêt Doré, qu’il convient d’appliquer. L’objet de ce régime, qui, comme le reconnaissent les demandeurs, est urgent et réel, est l’« affectation rationnelle et juste des fonds publics ». En l’espèce, la mesure attentatoire en cause, à savoir la politique consistant à ne pas appliquer le AFG Rural Factor au CSF, avait également pour objectif l’affectation rationnelle et juste des fonds publics.

[1520] L’étape du lien rationnel de l’analyse prescrite par l’arrêt Oakes vise à éviter les régimes législatifs arbitraires en examinant s’il existe un lien entre la mesure attentatoire et un objectif valide poursuivi par le gouvernement. En examinant s’il existe un lien rationnel, je vais tenir compte de l’objectif et du régime visant à atteindre cet objectif.

[1521] Je conclus qu’il existe un lien rationnel entre dépenser les fonds publics de façon juste et rationnelle et une mesure qui n’appliquait pas l’AFG Rural Factor au CSF. La politique n’accordait au CSF aucun accroissement de financement lorsqu’il se livrait à ses activités dans de nombreuses écoles louées, hétérogènes, et ne payait pas pour l’entretien de ces installations. Ainsi, on disposait de davantage de fonds pour les conseils scolaires de la majorité qui s’occupaient de l’entretien, ce qui constituait une allocation juste et rationnelle de fonds. De plus, après environ 2008, le maintien de l’application de la politique au CSF a réduit le préjudice causé au (sic) à une époque où le ministre ne fournissait annuellement que la moitié de l’ensemble du financement AFG des districts. Le ministre a décidé d’attendre jusqu’à ce qu’il y ait plus de fonds à distribuer avant de rendre l’AFG Rural Factor applicable au CSF.

[1522] L’étape de l’atteinte minimale du critère sert à déterminer si la mesure attentatoire porte atteinte le moins possible au droit à la liberté. Dans le cadre de cette étape, on examine s’il existe des moyens moins radicaux grâce auxquels la province aurait pu atteindre son objectif de façon réelle et substantielle. Le fait que la province se livre à une mise en balance des intérêts et à une allocation de ressources limitées incite à faire preuve d’une certaine déférence envers la province. Il s’agit d’un degré moyen de déférence qui tient compte du bien collectif et de la valeur que la société accorde à l’éducation. 

[1523] Selon moi, le défaut de ne pas avoir fait le changement en 2008 constituait une atteinte minimale. Le CSF a continué de recevoir environ 60 p. 100 du financement AFG auquel il aurait finalement droit. Les nouveaux programmes du CSF dans le cadre desquels le CSF est passé de locaux loués à des locaux lui appartenant en 2008, puis en 2011, de sorte que le besoin du CSF en fonds supplémentaires n’était pas urgent en 2009. En outre, étant donné que le CSF ne consacrait pas ses fonds AFG à la location de locaux, notamment à la location de locaux homogènes, il était concrètement dans une position avantageuse en ce qui concerne les fonds AFG.

[1524] La dernière étape consiste à déterminer la proportionnalité des effets de la mesure attentatoire. Cette étape va au-delà de l’objectif de la mesure et elle sert à déterminer ses effets bénéfiques et ses effets préjudiciables. 

[1525] À l’échelle locale, les effets bénéfiques de la politique consistant à ne pas appliquer l’AFG Rural Factor au CSF sont simples : le ministère n’a pas eu à subir les conséquences politiques découlant du fait de prendre à la majorité pour donner à la minorité à une époque où il venait justement de faire cela. La politique a également eu l’effet de protéger les conseils majoritaires contre les petites pertes AFG supplémentaires dans les années où ils ne recevaient déjà que la moitié de ce qu’ils avaient l’habitude de recevoir. Le ministère n’a économisé aucuns fonds attribués à la majorité qu’il aurait pu réaffecter à la minorité.

[1526] Les effets préjudiciables sont plus difficiles à quantifier. Le ministère a toujours prétendu que les conseils scolaires devraient consacrer une partie de leurs fonds de fonctionnement à l’entretien des installations. Le CSF a eu des excédents de fonctionnement de plus de 5 793 403 $ en 2008-2009, de 4 242 349 $ en 2009-2010 et de 1 853 493 $ en 2010-2011. Le CSF n’a fait mention d’aucun projet qu’il était incapable de terminer en raison d’un manque de fonds AFG au cours de cette période. Je souligne que, au cours des dernières années, depuis 2013-2014, le CSF a reporté le remplacement d’un système de chauffage, ventilation et climatisation (« CVC ») à l’École Élémentaire Anne-Hébert (Vancouver (est)) en raison d’une insuffisance de fonds AFG. Il est possible que le CSF aurait pu être en mesure d’aller de l’avant plus tôt avec un tel projet si le ministère avait commencé à appliquer l’AFG Rural Factor au CSF en 2008‑2009. Toutefois, cela est peu probable parce que le CSF devait composer avec la diminution du financement AFG accordé à l’ensemble des districts au cours de ces années. À la limite, je conclus que si le ministère avait appliqué plus tôt l’AFG Rural Factor au CSF, il aurait réduit le fardeau financier du CSF. 

[1527] Après avoir mis en balance ces effets, je conclus que les effets bénéfiques l’emportent sur les effets préjudiciables. Tous les conseils scolaires étaient confrontés à une période économique difficile en 2008‑2009 et en 2009-2010, surtout en ce qui concernait leur AFG. Le CSF a commencé à avoir besoin du AFG  Rural Factor au cours de ces années, mais ce n’est qu’en 2011 que ce besoin s’est concrétisé, après que ses programmes soient passés de locaux loués hétérogènes à des locaux lui appartenant. Le CSF possédait à cette époque un avantage comparatif en raison de sa décision de ne pas consacrer ses fonds AFG à la location de locaux, même s’il recevait des fonds pour des étudiants inscrits dans ces écoles. Le CSF disposait également d’excédents de fonctionnement très importants. Dès que le ministère a pu obtenir plus de fonds pour son enveloppe budgétaire AFG, il a attribué tous ces fonds au CSF. Compte tenu de ces facteurs et de la déférence dont il faut faire preuve à l’égard de l’évaluation du ministère quant aux meilleurs moyens d’établir un équilibre entre les besoins de la majorité et les besoins de la minorité, je conclus que les effets préjudiciables et les effets bénéfiques sont équilibrés, et que l’atteinte satisfait au critère de la proportionnalité.

NOTA – Pour d’autres exemples de justifications de violations de l’art. 23 la Charte canadienne des droits et libertés en vertu de l’article premier dans le présent jugement, veuillez vous référer aux paragraphes 4247 à 4259 et 4991 à 5003. Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Dauphinee c. Conseil Scolaire Acadien Provincial, 2007 NSSC 238 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[46] Je conclus que le ministère, en ne prévoyant pas, et en ne tentant même pas de prévoir, des dispositions dans son Tuition Support program qui pourraient répondre aux besoins d’étudiants du CSAP [Conseil scolaire acadien provincial] ayant des besoins particuliers porte atteinte aux droits à l’égalité ou à l’équivalence des parents qui, selon la Cour suprême du Canada, font partie intégrante des garanties prévues à l’article 23 de la Charte. Les défendeurs n’ont invoqué aucune raison impérieuse expliquant pourquoi les étudiants du CSAP  ne devraient pas avoir accès au Tuition Support program. Les demandeurs ne demandent pas que de nouvelles écoles ou de nouvelles installations soient construites, ils demandent simplement que le ministère approuve un plan permettant aux étudiants du CSAP qui sont admissibles à de l’aide en matière de frais de scolarité d’avoir accès au Tuition Support program. Ils demandent accès à un plan, semblable à celui auquel la majorité anglophone a accès, qui répond aux besoins des étudiants francophones ayant des besoins particuliers. Il ne s’agit certainement pas d’une demande exagérée. Je conclus que le défaut du ministère de s’efforcer de prévoir de telles dispositions constitue une atteinte aux droits garantis par l’article 23 de la Charte aux familles qui sont visées par cet article. Si le ministère refuse de s’efforcer de prévoir de telles dispositions, compte tenu du fait que cela ne semble entraîner aucun coût supplémentaire, ou même si cela entraîne des coûts supplémentaires raisonnables, il est difficile d’envisager comment cela pourrait être justifié au regard de l’article premier de la Charte. Rien ne justifie dans les circonstances de ne pas offrir aux étudiants et aux familles du CSAP l’accès au Tuition Support program, et (sic), compte tenu de certaines des dispositions  dont j’ai déjà fait mention. Le ministère doit agir afin de voir, le cas échéant, quelles écoles de français langue première, dans d’autres administrations, qui répondent aux besoins des étudiants ayant des besoins particuliers peuvent être incluses dans le Tuition Support program actuel, ou doit mettre en place un plan différent qui répondra de façon adéquate aux besoins des étudiants du CSAP qui ont des besoins particuliers. Si cela exige que des modifications soient apportées aux lignes directrices et aux règlements actuels, alors cela peut certainement être fait en collaboration avec le CSAP et ses groupes de parents. Il s’agit tout simplement d’une question d’« accommodement ».

[…]

[53] Le ministère a bel et bien porté atteinte aux droits garantis aux demandeurs par l’article 23 de la Charte en n’examinant pas la question des accommodements et en ne fournissant aucun accommodement aux familles du CSAP en ce qui concerne son Tuition Support program pour les étudiants ayant des besoins particuliers.  Une telle atteinte n’est pas justifiée dans les circonstances et elle ne peut être justifiée au regard de l’article premier. Le ministère doit s’efforcer d’inclure et d’accommoder dans son Tuition Support Program les étudiants du CSAP qui ont des besoins particuliers d’une manière qui répond à leurs besoins et à leurs droits en matière linguistique. La meilleure façon d’atteindre cet objectif devrait être élaborée par le ministère, le CSAP et ses groupes de parents. Dans les circonstances, cela ne s’applique pas à la création de nouvelles installations comparables aux écoles privées anglophones existantes parce que le nombre ne justifie pas la prise de telles mesures.

Voir également :

Canadians for Language Fairness c. Ottawa (Ville), 2006 CanLII 33668 (CS ON)

 

Libertés fondamentales (article 2)

2. Libertés fondamentales

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[…]

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

[40] […] La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l'expression qu'il ne peut y avoir de véritable liberté d'expression linguistique s'il est interdit de se servir de la langue de son choix. Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression. Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c'est aussi pour un peuple un moyen d'exprimer son identité culturelle. C'est aussi le moyen par lequel un individu exprime son identité personnelle et son individualité. Que le concept d'"expression" utilisé à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise aille au-delà du simple contenu de l'expression ressort de la protection spécifiquement accordée à la "liberté de pensée, de croyance [et] d'opinion" à l'art. 2 et à la "liberté de conscience" et à la "liberté d'opinion" à l'art. 3. Cela nous permet de penser que la "liberté d'expression" est censée englober plus que le contenu de l'expression au sens étroit.

[…]

[43] Les deuxième et troisième moyens invoqués par le procureur général du Québec et résumés ci-dessus, visent ce qu'impliquent pour la question à l'étude les garanties expresses ou précises de droits linguistiques énoncées à l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et aux art. 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces moyens sont étroitement liés et peuvent être traités ensemble. Ces garanties spéciales de droits linguistiques ne font pas obstacle, par implication, à une interprétation de la liberté d'expression qui englobe la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix. La liberté générale de s'exprimer dans la langue de son choix et les garanties spéciales de droits linguistiques dans certains secteurs d'activité ou de compétence gouvernementale -- la législature et l'administration, les tribunaux et l'enseignement -- sont des choses tout à fait différentes. Comme l'a fait observer cette Cour dans l'arrêt MacDonald, précité, et dans l'arrêt Société des Acadiens, précité, ces garanties spéciales de droits linguistiques ont un fondement historique, politique et constitutionnel qui leur est propre. Tous les droits linguistiques expressément reconnus dans la Constitution canadienne ont ceci de commun qu'ils s'appliquent aux institutions gouvernementales et que, d'une manière générale, ils obligent le gouvernement à prévoir, ou du moins à tolérer, l'emploi des deux langues officielles. En ce sens, ils s'apparentent davantage à des droits proprement dits qu'à des libertés. Ils donnent droit à un avantage précis qui est conféré par le gouvernement ou dont une personne peut jouir dans le cadre de ses rapports avec le gouvernement. Parallèlement, le gouvernement est tenu de fournir certains services ou avantages dans les deux langues officielles ou tout au moins d'autoriser les personnes faisant affaire avec le gouvernement à employer l'une ou l'autre langue. À la différence d'une liberté garantie, les droits en question n'assurent pas à un individu la liberté de choisir sa propre ligne de conduite dans le cadre d'un large champ d'activités privées. Les droits linguistiques garantis par la Constitution imposent au gouvernement et aux institutions gouvernementales des obligations qui, pour reprendre l'expression employée par le juge Beetz dans l'arrêt MacDonald, forment un "système précis" qui donne expressément l'option d'employer l'anglais ou le français ou de recevoir des services en anglais ou en français dans certaines circonstances concrètes, facilement déterminables et limitées. En l'espèce, par contre, ce que demandent les intimées est une liberté comme celle dont parle le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 336: "La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'État ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte." Les intimées désirent se dégager de l'exigence, imposée par l'État, de faire leur publicité et leur affichage commerciaux uniquement en français et réclament la liberté, dans le domaine entièrement privé ou non gouvernemental de l'activité commerciale, de faire leur publicité et leur affichage dans la langue de leur choix ainsi qu'en français. À l'évidence, les intimées ne cherchent pas à utiliser la langue de leur choix dans des relations directes, quelles qu'elles soient, avec un organisme gouvernemental et ne cherchent pas non plus à obliger le gouvernement à leur fournir des services ou d'autres avantages dans la langue de leur choix. En cela, les intimées revendiquent une liberté, la liberté de s'exprimer dans la langue de leur choix dans un secteur d'activité non gouvernemental par opposition à un droit linguistique de la nature de ceux garantis par par la Constitution. Reconnaître que la liberté d'expression englobe la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix ne compromet ni ne contredit les garanties spéciales relatives aux droits en matière de langues officielles dans des domaines relevant de la compétence ou de la responsabilité du gouvernement. La structure juridique, la fonction et les obligations des institutions gouvernementales en ce qui concerne l'anglais et le français ne sont aucunement touchées par la reconnaissance que la liberté d'expression comprend la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix en dehors des domaines pour lesquels les garanties linguistiques spéciales ont été prévues.

[…]

[54] La Cour estime que la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte canadienne et par l'art. 3 de la Charte québécoise ne peut se limiter à l'expression politique, si importante soit-elle dans une société libre et démocratique. Si la jurisprudence antérieure à la Charte a insisté sur l'importance de l'expression politique, cela tenait à ce qu'elle était la forme d'expression qui donnait le plus souvent lieu à des contestations fondées sur le partage des pouvoirs et sur la "charte des droits implicite" et que, dans ce contexte, la liberté d'expression politique pouvait être rattachée au maintien et au fonctionnement des institutions d'un gouvernement démocratique. L'expression politique n'est toutefois qu'une forme d'expression dans la grande diversité de types d'expression qui méritent une protection constitutionnelle parce qu'ils servent à promouvoir certaines valeurs individuelles et collectives dans une société libre et démocratique.

[…]

[57] […] Pour répondre aux questions soulevées en l'espèce, il n'est pas nécessaire que la Cour trace les limites du vaste éventail des types d'expression qui méritent la protection de l'al. 2b) de la Charte canadienne ou de l'art. 3 de la Charte québécoise. Il suffit de décider si les intimées ont un droit protégé par la Constitution d'utiliser la langue anglaise dans leur affichage ou, plus précisément, si le fait que l'affichage en question vise un but commercial exclut l'expression qu'il comporte du champ d'application de la liberté garantie.

[59] À notre avis, son caractère commercial n'a pas cet effet. Étant donné que cette Cour a déjà affirmé à plusieurs reprises que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale, il n'y a aucune raison valable d'exclure l'expression commerciale de la protection de l'al. 2b) de la Charte. Notons que les tribunaux d'instance inférieure ont eu recours au même genre d'interprétation large et généreuse pour faire bénéficier l'expression commerciale de la protection accordée à la liberté d'expression par l'art. 3 de la Charte québécoise. Au-delà de sa valeur intrinsèque en tant que mode d'expression, l'expression commerciale qui, répétons-le, protège autant celui qui s'exprime que celui qui l'écoute, joue un rôle considérable en permettant aux individus de faire des choix économiques éclairés, ce qui représente un aspect important de l'épanouissement individuel et de l'autonomie personnelle. La Cour rejette donc l'opinion selon laquelle l'expression commerciale ne sert aucune valeur individuelle ou sociale dans une société libre et démocratique et, pour cette raison, ne mérite aucune protection constitutionnelle.

[60] Bien au contraire, l'expression envisagée aux art. 58 et 69 de la Charte de la langue française est une expression au sens de l'al. 2b) de la Charte canadienne et au sens de l'art. 3 de la Charte québécoise. En conséquence, l'art. 58 porte atteinte à la liberté d'expression garantie par l'art. 3 de la Charte québécoise et l'art. 69 porte atteinte à la liberté d'expression protégée par l'al. 2b) de la Charte canadienne et par l'art. 3 de la Charte québécoise. Bien que l'expression considérée ait un aspect commercial, il faut souligner que l'accent est mis, en l'espèce, sur le choix de la langue et sur une loi qui interdit l'emploi d'une langue. […]

Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (CanLII)

[32] Deuxièmement, l’appelant soutient que le refus de l’employeur de mener ses entrevues disciplinaires en français, tel qu’il l’aurait demandé à deux reprises (les 27 et 31 août 2009), a porté atteinte à sa liberté d’expression telle que garantie par l’alinéa 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’à ses droits linguistiques protégés par l’article 16 de la Charte et par la Loi sur les langues officielles (la Loi). Il faut préciser que même si l’appelant insiste que cette question ne devait pas être traitée comme un simple manquement à l’équité procédurale, son grief ne soulève pas la violation de ses droits linguistiques comme une question distincte à être tranchée par l’arbitre. J’en traiterai donc ici.

[…]

[46] À mes yeux, il est loin d’être établi que l’appelant bénéficiait effectivement des droits linguistiques qu’il prétend avoir en vertu de la Charte et de la Loi, laquelle met en œuvre les paragraphes 16 à 20 de la Charte (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773). L’appelant s’appuie sur l’article 16 de la Charte et sur l’objet de la Loi (article 2), sans pour autant démontrer que ces dispositions imposaient une obligation à son employeur d’assurer que les entrevues du 31 août et du 1er septembre 2009 se dérouleraient en français. […]

Galganov c. Russell (Township), 2012 ONCA 409 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[7] Je suis également d’avis de rejeter l’appel de monsieur Brisson. Je souscris à la conclusion de la juge saisie de première instance selon laquelle le canton a le pouvoir d’adopter le règlement. En ce qui concerne la question de savoir s’il y a atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui lui est garanti par l’alinéa 2b) de la Charte, je suis d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas atteinte. Toutefois, je conclus que cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte

[…]

a) Le règlement porte-il atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte?

[50] M. Brisson, appuyé par l’intervenante, prétend que le règlement porte atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte.

[51] Pour décider si le règlement porte atteinte à la liberté d’expression, je dois procéder à l’analyse en deux étapes prescrite dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927. La première étape consiste à déterminer si l’activité fait partie de la sphère des activités protégées par la liberté d'expression. Le cas échéant, la deuxième étape consiste à déterminer si l’objet ou l’effet de l'action gouvernementale en cause restreint la liberté d'expression

[52] Le fait que l’affiche de M. Brisson soit une affiche commerciale ne la soustrait pas à l’application du droit à la liberté garanti à l’alinéa 2b) : voir Ford c. Québec (P.G.), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pages 766 à 767. L’expression commerciale est visée par la garantie de liberté d’expression si elle transmet un message.

[53] Il suffit de lire l’affiche de M. Brisson pour se rendre compte qu’elle transmet un message concernant la nature de son entreprise. En dessous de son nom commercial, à savoir « Independent Radiator Services », l’affiche est ainsi libellée :

Radiateurs réparés et neufs

Air climatisé rempli et réparé

Réparation mécanique mineure

[54] L’affiche indique que l’entreprise de M. Brisson est une entreprise de réparation et d’installation de nouveaux radiateurs, de remplissage [avec du liquide] et de réparation de climatiseurs, et de réparation mécanique mineure. Par conséquent, l’affiche de M. Brisson transmet un message et ne peut pas être soustraite à la protection de l’alinéa 2b).

[55] Je dois donc déterminer si l’objet ou l’effet du règlement porte atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression. M. Brisson et l’intervenante prétendent que le bilinguisme obligatoire sur les nouvelles affiches commerciales extérieures oblige les entreprises commerciales à agir d’une manière qu’elles n’auraient pas souhaité et que cette contrainte porte atteinte au droit à la liberté d’expression garanti à l’alinéa b). Par conséquent, ils prétendent que la juge de première instance a commis une erreur en statuant qu’il n’y avait aucune atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression.

[56] Le choix de la langue est un aspect important de l’expression. Dans l’arrêt Ford, à la page 748, la Cour suprême a déclaré que « [l]e langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression ». La Cour suprême a conclu que l’article 58 de la Charte de la langue française du Québec, L.R.Q, c. C-11, lequel mentionnait que « [l]'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle [le français] » était inopérant parce qu’il portait atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q, c. C-12, (la « Charte québécoise »), lequel est l’équivalent de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne. La Cour suprême a conclu qu’il y a atteinte à l’article 3 lorsqu’il y a obligation d’utiliser une langue en particulier et qu’il n’est donc pas possible d’utiliser la langue de son choix. L’article 58 n’est pas non plus justifié au regard de l’article 9.1 de la Charte québécoise. L’article 9.1 est une disposition qui correspond à l’article 1 de la Charte canadienne, et dont l’application est également soumise au critère de la proportionnalité et du lien rationnel.

[…]

[61] Compte tenu des décisions rendues par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine, en imposant l’utilisation du français et de l’anglais sur les nouvelles affiches commerciales extérieures, l’objet du Règlement porte atteinte au droit de M. Brisson à la liberté d’expression qui est garanti par l’alinéa 2b) de la Charte. Je dois maintenant déterminer si cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[4] L'appelante a été déclarée coupable d'avoir enfreint l'art. 58 de la Charte de la langue française du Québec, L.R.Q., chap. C-11, qui exige la nette prédominance du français dans l'affichage commercial bilingue, et condamnée à payer l'amende minimale prévue par l'art. 205 de la même loi.  Elle demande à la Cour de déclarer ces articles invalides et inopérants, au motif que l'art. 58 enfreint son droit à la liberté d'expression garanti par les art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., chap. C-12, ainsi que son droit à l'égalité garanti par l'art. 15 de la Charte canadienne et par l'art. 10 de la Charte québécoise.

[…]

Le droit à la liberté d’expression est-il violé par l’exigence de la nette prédominance du français?

[44] La disposition qui prescrivait que l'affichage public et la publicité commerciale devaient se faire exclusivement en français a été déclarée inopérante en 1988.  À l'évidence, une telle disposition le serait encore aujourd'hui.

[45] La Cour suprême a déclaré en 1988, en obiter, c'est-à-dire sans que cela soit nécessaire pour appuyer sa décision, qu'exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l'objectif de promotion et préservation d'un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des Chartes québécoise et canadienne.  La Cour suprême est allée jusqu'à dire spécifiquement, à la p. 780 de l'arrêt Ford, qu'on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue ou qu'on pourrait exiger qu'il soit plus en évidence que d'autres langues.

[46] Je suis d'avis que l'art. 58 ne fait rien d'autre, dans sa forme actuelle, que de reproduire les lignes directrices formulées par la Cour suprême.  Je suis également d'opinion qu'à la lumière de la preuve soumise à la Cour suprême en 1988 une disposition telle que l'art. 58 actuel aurait résisté à une attaque fondée sur le droit à la liberté d'expression et sur le droit à l'égalité, et n'aurait pas été déclarée inopérante.

[…]

[60] Tenant pour acquis que l'art. 58 restreint la liberté d'expression, le juge de la Cour supérieure a conclu qu'il appartenait à l'appelante de démontrer, par sa propre preuve, que les principes de Ford ne s'appliquaient plus.  Je suis d'avis qu'il a raison.  L'arrêt Ford a établi des lignes directrices et le législateur les a pour ainsi dire codifiées en 1993, satisfaisant ainsi au fardeau de preuve imposé par l'article premier de la Charte canadienne et par l'art. 9 de la Charte québécoise.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

2. Liberté d’expression

[20] Au procès, les appelants ont prétendu que les articles 51, 52 et 58 de la CLF [Charte de la langue française] portaient atteinte à leur droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne) et l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte québécoise).

[…]

[33] Le juge de première instance a décidé que la protection de la langue française était toujours un objectif important et que les mesures adoptées satisfaisaient au critère de l’arrêt Oakes. Il a conclu que les appelants ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver que la situation du français avait changé de façon importante depuis les décisions rendues dans les arrêts Ford et Devine.

2.2 Motifs d’appel

[34] Les appelants ont prétendu que le juge de première instance a mal interprété ce qui suit :

• l’obiter dictum de la Cour suprême dans l’arrêt Ford;

• le jugement rendu dans Entreprises W.F.H.;

• le principe de l’autorité de la chose jugée et son application;

• la notion de visage linguistique du Québec dont il est fait mention dans l’arrêt Ford;

• les mots « la vulnérabilité du français ».

2.3 L’obiter dictum de la Cour suprême dans l’arrêt Ford

[…]

[37] Le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit et n’a pas interprété l’obiter de la Cour suprême du Canada comme signifiant que seule l’exigence voulant que le français soit « nettement prédominant » satisfait au critère de l’atteinte minimale.

2.4 Le jugement rendu dans Entreprises W.F.H.

[40] Les appelants peuvent être en désaccord avec le jugement rendu par la Cour d’appel dans l’arrêt Entreprises W.F.H., mais la Cour du Québec, en l’espèce, était liée par la jurisprudence des tribunaux d’instance supérieure, notamment la jurisprudence de la Cour d’appel.

[…]

[42] Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en ayant recours à l’arrêt Entreprises W.F.H.

[…]

2.5 Le principe de l’autorité de la chose jugée et son application

[…]

[45] La Cour suprême du Canada a dit dans les arrêts Ford et Devine que les deux types de disposition satisfaisaient au critère de l’arrêt Oakes. C’est au législateur, et non pas aux appelants, qu’il incombe de choisir entre deux solutions qui sont toutes les deux constitutionnelles. Pour ce qui est de la publicité commerciale, le législateur a choisi le critère voulant que le français doive figurer de façon « nettement prédominante » (article 58 de la CLF); en ce qui concerne les inscriptions figurant sur un produit, dans un catalogue et dans d’autres documents, le législateur a décidé d’autoriser l’utilisation des deux langues sans exiger qu’une langue soit prédominante par rapport à l’autre (articles 51, 52 et 89 de la CLF).

[…]

[49] Le juge de première instance a correctement appliqué le critère de l’autorité de la chose jugée. La véritable question à trancher en l’espèce était celle de savoir si la preuve soumise au procès justifiait de s’écarter de la jurisprudence. Non, elle ne justifiait pas de s’écarter de la jurisprudence.

[…]

[64] La Cour ne relève aucune erreur dans l’analyse du juge de première instance. La protection du français est toujours un objectif important et les mesures adoptées satisfont toujours au critère de l’arrêt Oakes. Les appelants n’ont pas démontré que la situation du français avait changé de façon importante depuis les décisions rendues dans les arrêts Ford et Devine.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII)

Canadians for Language Fairness c. Ottawa (Ville), 2006 CanLII 33668 (CS ON)

[115] La requérante soutient que le droit d’expression des Anglophones unilingues est abrogé par le Règlement [n0 2001-170] et la politique [de bilinguisme]. Les employés unilingues anglais sont forcés de prendre des mesures supplémentaires pour être bilingues. La politique est contraignante et discriminatoire et donc en contravention de la Charte et de divers pactes internationaux des Nations-Unies.

[…]

[119] Dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, la Cour suprême du Canada préconise une méthode en deux étapes pour déterminer s’il y a eu violation de la liberté d’une personne.

[120] La première étape consiste à déterminer si une activité relève du champ de la liberté d’expression. La Charte ne protège pas une activité qui ne transmet ni ne tente de transmettre une signification.

[121] Le fait d’être obligé d’apprendre une deuxième langue pour obtenir un emploi particulier n’est pas une activité qui a une signification ou un contenu.

[122]  Par contre, si l’activité a une signification, la deuxième étape consiste à déterminer si l'objet ou l'effet de l'action en cause était de restreindre la liberté d'expression.

[123] La preuve avancée en l’espèce est que l’objet et l’effet de la politique sont de s’assurer que les citoyens anglophones et francophones puissent obtenir des services dans la langue officielle de leur choix. La preuve nous convainc qu’en permettant aux employés de la Ville de travailler dans la langue de leur choix, on facilite la prestation des services publics en français et en anglais. On n’a donc pas essayé de restreindre l’expression de pensée, d’opinion ou de croyance en adoptant une politique qui encourage l’usage des deux langues. Le droit de s’exprimer dans la langue de son choix est clairement garanti dans la politique.

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] Le requérant soulève également la question de la liberté d’expression. La Cour suprême, dans l’arrêt Ford, a fait une distinction entre les droits linguistiques et la liberté d’expression :

"La liberté générale de s'exprimer dans la langue de son choix et les garanties spéciales de droits linguistiques dans certains secteurs d'activité ou de compétence gouvernementale ‑‑ la législature et l'administration, les tribunaux et l'enseignement ‑‑ sont des choses tout à fait différentes."

[23] Pour illustrer cette remarque, nous soulignons que la liberté d’expression est garantie à tous les Canadiens indépendamment de leur langue. Toutefois, devant les tribunaux, les actes de procédure et les plaidoiries ne peuvent être rédigés et ne peuvent se faire que dans l’une des langues officielles.

[24] L’essence même de la liberté d’expression d’une personne est qu’elle peut exercer celle-ci dans sa propre langue. Par conséquent, en l’espèce, M. Lavigne peut s’exprimer dans sa propre langue, à savoir l’anglais, comme il l’a fait lorsqu’il a plaidé sa requête. Il peut également bénéficier des services d’un interprète. Il serait par conséquent difficile de concevoir qu’il puisse y avoir, de quelque façon que ce soit, entrave à sa liberté d’expression. La conclusion recherchée par le requérant vise en fait à obliger le gouvernement du Québec à adopter une politique législative.

[25] La Cour suprême a décidé que cette liberté suppose essentiellement qu’il n’y a aucune contrainte ni aucune coercition : l’article 2 de la Charte canadienne impose d’une manière générale une obligation négative au gouvernement plutôt qu’une obligation positive d’aide ou de protection. Pour ce qui est de la liberté d’expression, ce principe est bien illustré dans la décision Haig :

Selon le point de vue traditionnel, exprimé dans le langage courant, la garantie de la liberté d'expression énoncée à l'al. 2b) interdit les bâillons mais n'oblige pas à la distribution de porte‑voix.

[26] Selon la Cour, l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise n’imposent pas au gouvernement l’obligation de légiférer [sic] de s’obliger à désigner comme procureurs ceux qui parlent la langue de l’autre partie. La mesure sollicitée par M. Lavigne s’apparente en fait davantage à une politique législative.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté sur requête à la Cour d’appel du Québec et la demande d'autorisation d'appel a été rejetée à la Cour suprême du Canada.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[p. 14] Il ne fait nul doute, sous le régime des art. 530 et 530.1 du Code criminel, que l’accusé et son avocat jouissent effectivement du droit et de la liberté de s’exprimer dans leur langue officielle. En effet, l’art. 530.1 précise, à son alinéa a), que « l’accusé et son avocat ont le droit d’employer l’une ou l’autre langue officielle au cours de l’enquête préliminaire et du procès » (dans la version anglaise, il est précisé que ce droit peut être exercé « for all purposes during the preliminary inquiry and trial of the accused »).

[p. 14] Cela dit, la Cour suprême du Canada ayant indiqué qu’il existait une nette distinction entre la liberté d’expression exercée dans le cadre d’activités privées et les droits linguistiques exercés dans le cadre de rapports avec l’État, à mon avis il serait inopportun de transposer l’analyse faite par la Cour suprême à l’égard de la liberté d’expression aux dispositions relatives aux droits linguistiques. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Voir également :

Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

Immeubles Claude Dupont inc. c. Québec (Procureur général), [1994] J.Q. no 1553, [1994] R.J.Q. 1968 (CS QC) [hyperlien non disponible]

 

Droits démocratiques (article 3)

3. Droits démocratiques des citoyens

3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, 2003 CSC 37 (CanLII)

I. La représentation régionale

[…]

[167] Ces caractéristiques de l’histoire et des institutions politiques du Canada confirment que la notion de représentation démocratique équitable dans notre pays inclut la représentation des intérêts particuliers des groupes régionaux.  Cette conclusion est, selon moi, étayée par certains énoncés de notre Cour sur le lien entre le fédéralisme et la démocratie, particulièrement dans le Renvoi sur la sécession.  Notre Cour a alors affirmé que les principes à la base de la Constitution, y compris le fédéralisme et la démocratie, existaient en symbiose : « [a]ucun de ces principes ne peut être défini en faisant abstraction des autres, et aucun de ces principes ne peut empêcher ou exclure l’application d’aucun autre » (par. 49).  Cette affirmation suggère que le fédéralisme — et l’attention qu’il porte à la protection des intérêts particuliers des groupes régionaux — contribue à définir la démocratie canadienne.

[…]

[169] Ces observations paraissent indiquer que l’un des éléments du droit de participer utilement au processus démocratique s’identifie au droit de se faire entendre en tant que membre d’une collectivité régionale.  La garantie constitutionnelle de représentation effective emporte le droit de tout électeur à un certain degré de reconnaissance de ses intérêts en tant que résident du Manitoba, d’une province maritime ou du Québec, et elle sous-entend l’existence d’une égalité relative minimale entre les différentes provinces et régions du pays qui ne peut être entièrement écartée par une majorité numérique à l’échelle nationale.  Cet aspect de la représentation effective ne doit pas être élevé au niveau d’un droit absolu.  Sa valeur ne devrait pas être exagérée au risque d’éclipser des préoccupations fondamentales telle l’équité entre les électeurs.  Il s’agit toutefois d’une des valeurs qui doit être prise en compte pour définir la notion de représentation utile et pour déterminer si la mesure gouvernementale viole l’art. 3.

Reference re the Final Report of the Electoral Boundaries Commission, 2017 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Il s’agit d’un renvoi. La Cour a demandé 1) si l’abolition, en 2012, des anciennes circonscriptions électorales provinciales de Clare, d’Argyle et de Richmond portait atteinte à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, 2) si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[2] Les circonscriptions électorales devraient refléter une [traduction] « représentation effective ». Il s’agit d’un droit constitutionnel garanti aux citoyens par l’article 3 de la Charte. Il ne s’agit pas d’une option stratégique dont dispose le gouvernement. Dans le présent renvoi, l’analyse porte sur les normes qui régissent la mise en œuvre du principe constitutionnel de la représentation effective.

[3] La représentation effective découle d’une mise en équilibre des critères, qui sont définis de façon large par la Cour suprême du Canada et qui sont tirés de l’article 3. L’équilibre est appliqué aux circonstances de la carte électorale. Il s’agit d’une enquête normative et contextuelle dont le résultat pourrait être subjectif. Un observateur raisonnable pourrait être en désaccord. Il est donc essentiel d’identifier la personne qui est chargée de l’enquête.

[…]

[19] La portée « démocratique » de l’article 3 ne se limite pas au bureau de scrutin. L’interprétation téléologique faite par les tribunaux de l’article 3 a eu très tôt une incidence sur les limites des circonscriptions électorales. Il y a eu d’abord la décision rendue par la juge en McLachlin, qui siégeait alors à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, dans l’arrêt Dixon c. British Columbia (Attorney General) (1989), 1989 CanLII 248 (CS de la C.‑B.), 59 D.L.R. (4th) 247. Il y a ensuite eu l’arrêt Circ. électorales provinciales (Sask.), 1991 CanLII 61 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 158 (communément appelé « Carter »), qui a infirmé (1991), 1991 CanLII 8030 (CA Sask.), 78 D.L.R. (4th) 449 (CA Sask.), sur le renvoi concernant le renvoi du gouvernement de la Saskatchewan concernant les limites des circonscriptions électorales.

[…]

[49] L’annexe G du rapport intérimaire expliquait le raisonnement qui a amené la Commission [de délimitation des circonscriptions électorales] à recommander le maintien des circonscriptions protégées d’Argyle, de Clare et de Richmond (afin de favoriser la représentation acadienne) ainsi que celle de Preston (afin de favoriser la représentaation afro‑néo‑écossaise). La Commission a appliqué sa conception du principe énoncé dans l’arrêt Carter aux circonstances qui sont devenues évidentes lors des audiences de la Commission :

Annexe G : Maintenir les « circonscriptions protégées »

Le Canada est reconnu à l’échelle mondiale pour sa reconnaissance et son respect des droits des minorités au sein de ses institutions démocratiques et parlementaires. En effet, selon la Cour suprême, il s’agit de l’une des caractéristiques de l’ordre constitutionnel canadien (voir le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998). La Nouvelle‑Écosse possède un historique relativement récent en matière de reconnaissance et de respect de ses collectivités distinctes acadienne et afro‑néo‑écossaise. Depuis 1991, la province de la Nouvelle‑Écosse a fait cela en étendant une « protection » spéciale à quatre circonscriptions électorales. [] La création et le maintien de ces circonscriptions électorales représentent un choix – reconnu ou non – quant à la meilleure façon de représenter un groupe minoritaire. Pour assurer une « représentation effective » à l’assemblée législative pour tous les Néo‑Écossais (un droit qui leur est accordé par la Constitution et l’objectif principal du redécoupage de la carte électorale) il faut que la parité relative du pouvoir électoral soit mise en balance avec d’autres considérations, et que l’équilibre atteint variera en fonction d’un certain nombre de facteurs et de circonstances. Dans le jugement de la Commission, conserver les quatre circonscriptions protégées pour les Acadiens et les Afro‑Néo‑Écossais continue d’être l’équilibre approprié entre la parité relative des électeurs et d’autres considérations afin de mieux assurer que ces groupes reçoivent une représentation effective au sein de l’assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse.

Les circonscriptions protégées de la Nouvelle‑Écosse ont été ainsi désignées parce qu’elles ont une importance historique spéciale pour la province, ainsi qu’une importance significative pour les minorités acadienne et afro‑néo‑écossaise dont la représentation politique au sein de l’assemblée législative doit être protégée. Trois des quatre circonscriptions possèdent une population acadienne majoritaire ou nombreuse : Clare, Argyle et Richmond. La quatrième circonscription est celle de Preston, où les Afro‑Néo‑Écossais constituent une composante importante des électeurs. La protection spéciale a été accordée afin d’éviter la dilution politique inévitable de ces collectivités minoritaires au sein de la majorité environnante (même si leur nombre total à l’échelle provinciale justifierait autrement une représentation proportionnelle au sein de l’assemblée législative). Bien que ce type d’accommodement des groupes minoritaires pose problème (voir plus bas), il demeure important aussi bien sur le plan politique que culturel car il reconnaît la place unique que ces groupes minoritaires occupent dans l’histoire de la province et sa diversité culturelle actuelle et le rôle qu’elles y jouent.

Tout comme les Mi’kmaq, les collectivités acadienne et afro‑néo‑écossaise ont un caractère culturel unique et un fondement territorial en Nouvelle‑Écosse qui soutient l’argument selon lequel il faut maintenir une forme de « statut spécial » au sein du processus de redécoupage des circonscriptions électorales. Ce statut découle du fait qu’elles constituent des collectivités culturelles minoritaires qui sont propres à la Nouvelle‑Écosse; on peut également dire qu’elles possèdent des « territoires » dans la province qui ont été occupés de façon continue depuis des centaines d’années. Leur caractère unique découle de la longue évolution des minorités ethno‑linguistiques (Acadiens) ou raciales (Afro‑Néo‑Écossais) au sein d’une majorité de langue anglaise principalement de descendance britannique, mais aussi, ce qui est tout aussi important, de leurs cultures autochtones uniques qui ont évoluées au cours des siècles d’isolement (en raison de l’éloignement rural et/ou de l’exclusion sociale) comme collectivités cohérentes. En bref, ces cultures minoritaires sont toutes deux néo‑écossaises de façon différente et profondément enracinées dans des collectivités territoriales au sein de la province.

[]

En effet, les représentants élus des circonscriptions protégées en Nouvelle‑Écosse ont pour mission de jouer un double rôle à l’intérieur et à l’extérieur de l’assemblée législative : ils ont le devoir de représenter les circonscriptions comme les autres membres de l’assemblée législative, mais ils agissent aussi comme représentants politiques de la communauté culturelle élargie qu’ils représentent. Par conséquent, les Acadiens de l’ensemble de la province, qu’ils habitent ou non dans les trois circonscriptions protégées dépendent de celles‑ci et des représentants élus qu’ils envoient à l’assemblée législative pour qu’ils jouent un rôle important dans la protection des intérêts et des identités liées à la langue, à la culture, ainsi qu’à la tradition acadiennes. Il en va de même pour la circonscription de Preston qui, qu’elle élise ou non un Afro‑Néo‑Écossais à l’assemblée législative (un résultat qui dépend en grande partie des décisions prises par les partis politiques dans le cadre de leur processus de sélection de candidats), s’attend toujours à ce que son député élu joue ce double rôle – une mission qu’ils sont capables de réaliser grâce à la forte présence des électeurs afro‑néo‑écossais dans les limites de la circonscription protégée de Preston (il convient de souligner que cela correspond à la définition politique classique d’une circonscription d’influence, où les candidats politiques doivent solliciter l’appui d’un groupe minoritaire afin d’être élus, même si l’importance de l’influence minoritaire variera selon la situation locale et d’une élection à une autre). Il s’agit d’un élément additionnel à prendre en considération. Ceci revêt l’importance de la reconnaissance symbolique des collectivités minoritaires. Une telle reconnaissance constitue un message positif de reconnaissance de la part de la majorité à l’intention des minorités quant à leur importance historique et quant à leur caractère distinctif continu. La révocation du statut protégé des quatre circonscriptions désignées éliminerait cette reconnaissance; elle enverrait un message négatif clair au sujet de leur place et de leur statut au sein de la vaste collectivité provinciale.

[] La protection offerte aux trois circonscriptions acadiennes devrait être perçue comme une mesure supplémentaire visant à reconnaître et à protéger la minorité francophone de la province mais, au‑delà de ça, les collectivités acadiennes et indigènes particulières d’où provient la vaste majorité de la population francophone de la Nouvelle‑Écosse. La Constitution reconnaît aussi explicitement – au paragraphe 15(2) qui protège la constitutionnalité des programmes de promotion sociale – que l’égalité des minorités doit être perçue comme autre chose qu’une « uniformité » de traitement; une différence de traitement est parfois nécessaire pour atteindre une forme d’égalité qui correspond plus étroitement à l’équité à l’égard des minorités, particulièrement celles qui ont historiquement fait l’objet de discrimination. Enfin, ce qui est directement pertinent quant au processus de redécoupage des circonscriptions électorales, la Cour suprême dans le Renvoi relatif aux circonscriptions électorales provinciales (1991) a conclu que le droit de vote garanti à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés n’inclut pas le droit que les votes aient le même « poids », c’est‑à‑dire que les circonscriptions doivent être de la même taille sur le plan de la population.

[…]

[52] Le 14 juin 2012, le procureur général, M. Landry, a écrit au président de la Commission. Dans sa lettre, M. Landry déclarait que le rapport intérimaire était « nul et sans effet », parce qu’il ne respectait pas le mandat et il enjoignait la Commission à remplacer le rapport en question par un autre rapport intérimaire :

[…]

[65] Il n’y a aucun chemin direct vers la représentation effective. Selon la juge McLachlin, la question « comprend plusieurs facteurs » :

[…]

[66] On s’attend à ce que l’organe qui détermine ou qui recommande les limites établisse un équilibre entre ces facteurs. La représentation efficace met en balance le principe de la parité des électeurs et les critères faisant contrepoids. Parmi les critères faisant contrepoids on compte la représentation des minorités et l’identité culturelle et de groupe. […]

[79] D’après le texte du premier rapport intérimaire de la Commission, il semble que sans la lettre du 14 juin 2012 du procureur général, la Commission aurait conclu que les critères énoncés dans l’arrêt Carter de représentation des minorités et d’identité culturelle et de groupe, soutenaient un écart plus marqué pour les circonscriptions acadiennes (précité, aux paragraphes 47 à 49). L’intervention du procureur général a forcé la Commission à signer un rapport final comprenant des limites des circonscriptions électorales qui, à cet égard, ne représentaient pas la perception authentique de la Commission à l’égard de la représentation effective selon les critères constitutionnels.

[…]

[89] La Commission n’est pas seulement un mandataire du gouvernement qui suit les ordres de son mandant. Elle tire également directement de l’article 3 de la Charte le pouvoir de mettre en œuvre les principes constitutionnels de représentation effective. La représentation effective n’est pas une faveur découlant de la générosité du gouvernement. L’article 3 énonce un « droit démocratique » enchâssé qui est garanti aux citoyens et qui est intouchable, même par la dérogation législative prévue à l’article 33.

[…]

[133] L’article 3 exige que les limites des circonscriptions électorales reflètent une représentation effective. La mise en œuvre comporte l’établissement d’un équilibre entre la parité électorale et les critères opposés. Les critères opposés applicables varient selon les circonstances. Pour les circonscriptions de Clare, d’Argyle et de Richmond, les critères qui ont été soulignés dans l’arrêt Carter et dont on doit raisonnablement prendre en considération comprennent la représentation des minorités et l’identité culturelle.

[…]

[135] Nous n’affirmons pas que l’article 3 de la Charte exige que les circonscriptions de Clare, d’Argyle et de Richmond soient protégées. L’article 3 prévoit plutôt que l’organe qui est autorisé par la loi à établir les circonscriptions électorales doit pouvoir établir un équilibre entre les critères constitutionnels tels qu’établis par la majorité dans la décision Carter, et exprimer son point de vue relativement à l’affaire en question.

[136] L’intervention du procureur général du 14 juin 2012 a empêché la Commission d’établir un équilibre, et d’exprimer son point de vue réel quant à la représentation effective des électeurs dans les circonscriptions de Clare, d’Argyle et de Richmond. Par conséquent, l’intervention du procureur général a porté atteinte aux préceptes de l’article 3 de la Charte. L’atteinte 1) a mené directement à la recommandation du rapport final qui consiste à éliminer les circonscriptions protégées qui, elle, 2) a mené directement à leur abolition (pour citer le libellé de la question no 1 visée par le Renvoi) « l’article 1 du chapitre 61 des Acts of Nova Scotia 2012 [] en vertu duquel les recommandations formulées par la Commission de délimitation des circonscriptions électorales dans son rapport final [] à l’assemblée législative ont été adoptées » .

Daoust c. Directeur général des élections du Québec, 2011 QCCA 1634 (CanLII)

[37] Le juge de première instance a conclu que la Loi électorale [québécoise] ne contrevient ni à l’article 3 de la Charte canadienne ni à l’article 22 de la Charte québécoise, pas plus que la preuve n’établit de violation du droit à l’égalité consacré par l’article 15 de la Charte canadienne et l’article 10 de la Charte québécoise. Je suis du même avis. Voici pourquoi.

[…]

[39] Sans entrer dans tous les détails, la carte électorale du Québec est, aujourd’hui, divisée, en vertu de la Loi électorale, en circonscriptions, lesquelles sont délimitées en tenant compte de l'égalité de vote des électeurs, mais en prenant également en compte des considérations d'ordre démographique, géographique et sociologique. Sous réserve d'exceptions, l'article 16 de la Loi électorale stipule qu'il ne peut y avoir de différence entre le nombre d'électeurs dans chaque circonscription qui dépasse 25 % du quotient obtenu par la division du nombre total d'électeurs par le nombre de circonscriptions. Le candidat d'une circonscription ayant remporté le plus grand nombre de votes est élu député.

[…]

[44] Tout système électoral doit donc conférer ou assurer à l’électorat un degré de représentation minimal, mais significatif, pour être valide. Les appelants soutiennent que le mode de scrutin en vigueur ne satisfait pas cette exigence. Ils relèvent les écarts qui peuvent parfois exister entre le pourcentage de votes obtenus et le nombre de députés élus. Ils considèrent, à l’instar des intervenants, que le mode de scrutin actuel crée des distorsions importantes qui affectent le caractère représentatif de l’électorat. Les minorités, notamment les anglophones du « West Island », seraient, selon les appelants, sous-représentées à l’Assemblée nationale. Le système actuel favoriserait l’élection de gouvernements majoritaires et jouerait contre les partis minoritaires.

[…]

[50] La preuve, particulièrement le témoignage de l’expert Leslie Seidle retenu par le juge, permet de conclure que le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour actuellement en vigueur au Québec respecte le droit à une représentation effective des électeurs, y compris des minorités identifiés par les appelants.

[…]

[56] À partir du moment où il y a représentation effective des citoyens, ce qui implique la possibilité que chaque électeur puisse exercer son droit de vote périodiquement, librement et secrètement, être candidat aux élections, voter pour le parti de son choix, s'exprimer sur la place publique, le droit de vote consacré à l'article 3 de la Charte canadienne et à l’article 22 de la Charte québécoise est respecté. C’est le cas en l’espèce.

City of Yellowknife et al c. Commissioner of NWT et al, 2015 NWTSC 51 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[47] Le rapport final [de la Commission sur la délimitation des circonscriptions électorales] est très catégorique quant aux défis auxquels est confrontée la Commission pour ce qui est d’atteindre une parité relative tout en tenant compte des autres questions légitimes, et des préoccupations qui ont été soulevées :

Il est évident que la parité électorale absolue entre les circonscriptions électorales est impossible à atteindre. De plus, il est extrêmement difficile de formuler une recommandation qui ferait en sorte que toutes les circonscriptions électorales aient une différence de plus ou moins 25 p. 100 quant au nombre d’électeurs. Pour ce faire, il faudrait apporter des changements radicaux aux circonscriptions électorales qui ne tiendraient pas suffisamment compte de la configuration historique des circonscriptions, de la langue, de la culture, de la géographie, des revendications territoriales ou des ententes sur l’autonomie gouvernementale.

Nous sommes également d’avis que le statu quo est inacceptable et que des changements doivent être envisagés. Certaines iniquités entre les circonscriptions sont importantes et se sont accrues au fil du temps. Le concept de représentation effective exige que l’on tente de réduire ces iniquités autant que possible.

Il semble clair que la question du nombre de circonscriptions électorales à Yellowknife, par rapport à d’autre endroits dans les Territoires du Nord‑Ouest, ne peut être réglée d’une manière qui répond aux préoccupations de chacun. Nous ne croyons pas que la représentation effective exige que le nombre de circonscriptions électorales à Yellowknife corresponde parfaitement à la proportion de la population territoriale de Yellowknife. Par contre, la situation à Yellowknife ne peut pas être ignorée et, si des circonscriptions électorales additionnelles sont envisagées, l’une d’entre elles devrait être allouée à Yellowknife.

Ibid., page 15.

[48] Les demandeurs allèguent que même si la question de la sous‑représentation des circonscriptions de Yellowknife était reconnue, rien dans le rapport final n’explique pourquoi ce problème ne pouvait pas être atténué. Je ne suis pas d’accord.  Le rapport fait référence aux autres questions à prendre en considération qui ont été prises en compte dans l’analyse. Dans l’extrait cité plus haut au paragraphe 47, la Commission renvoie directement aux défis auxquels elle était confrontée, ainsi qu’au besoin de tenir compte de facteurs tels que la configuration historique des districts, la langue, la culture, la géographie, les revendications territoriales et les ententes sur l’autonomie gouvernementale.

[49] Ces préoccupations correspondent de très près aux réalités citées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvoi : Circ. électorales provinciales (Sask.) lorsqu’elle a fait allusion aux situations où mettre l’accent sur la parité des électeurs peut nuire à l’objectif de représentation effective :

(...) la représentation effective et la bonne administration dans ce pays obligent ceux qui sont chargés de fixer les limites des circonscriptions électorales à tenir parfois compte d'autres facteurs que la parité du nombre des électeurs, tels les conditions géographiques et les intérêts de la collectivité.  La difficulté qu'il y a à représenter de vastes territoires à faible densité de population, par exemple, peut dicter un nombre d'électeurs quelque peu inférieur dans ces districts; en insistant sur la parité des nombres, on pourrait priver des citoyens, ayant des intérêts distincts, d'une voix effective au sein du processus législatif aussi bien que d'une aide réelle de la part de leurs représentants dans leur rôle d'"ombudsman".  Ce n'est là qu'un des nombreux facteurs susceptibles de commander une dérogation à la règle "une personne, une voix" dans l'intérêt d'une représentation effective.

Renvoi : Circ. électorales provinciales (Sask.), précité, p. 188.

[50] Il est difficile d’imaginer une juridiction où ces points à prendre en considération auraient un plus grand écho que dans les Territoires du Nord‑Ouest. Cette juridiction couvre une vaste région géographique. Bon nombre de ses collectivités sont privées d’accès routier une partie de l’année. Le transport aérien est extrêmement cher. Le territoire compte onze langues officielles, dont neuf langues autochtones. Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. O‑1. Certains groupes autochtones ont réglé des revendications territoriales et les bénéficiaires sont répartis dans plusieurs collectivités. D’autres groupes n’ont pas réglé leurs revendications territoriales mais ont une communauté d’intérêts. Ce sont tous des facteurs qui ont une incidence sur la manière dont les citoyens de ces territoires peuvent atteindre une représentation effective à l’assemblée législative.

[…]

[54] La délimitation des circonscriptions électorales constitue toujours un exercice complexe; cependant, dans le contexte de cette juridiction, la délimitation est particulièrement difficile à faire. Les circonscriptions ne sont pas divisées conformément aux limites de « circonscriptions urbaines » et de « circonscriptions rurales ». Tel qu’il a déjà été mentionné, une multitude de variables doivent être prises en compte afin d’assurer une représentation effective.

[…]

[58] Tel qu’indiqué plus haut, les Territoires du Nord‑Ouest possèdent des caractéristiques uniques, ce qui pose particulièrement problème en ce qui concerne la délimitation des circonscriptions électorales. Des personnes raisonnables peuvent ne pas s’entendre sur la manière dont ces problèmes pourraient être résolus. En soupesant les nombreux facteurs qui devaient être pris en compte, notamment les chiffres, l’assemblée législative pourrait bien avoir pris une décision différente quant au meilleur moyen de régler ces problèmes difficiles, et délimiter différemment les circonscriptions électorales. Cependant, dire qu’une décision différente aurait été prise n’a aucune commune mesure avec le fait d’affirmer que la décision n’aurait pas pu avoir été prise par des personnes raisonnables, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

Judicial Recount Arising out of the 41st General Election in the Electoral District of Etobicoke-Centre (Re), 2011 CanLII 36068 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Certains bulletins de vote doivent être rejetés en raison des dispositions législatives. Ces bulletins de vote peuvent être catégorisés de la manière suivante :

[…]

2. Lorque le « X » n’apparaît pas dans le cercle

L’alinéa 284(1)b) de la Loi [électorale du Canada] prévoit que, pour qu’un bulletin soit valide, une marque doit se trouver à droite des noms des candidats. Par conséquent, si le « X » ne se trouve pas dans le cercle, le bulletin de vote n’est pas valide.

L’avocat de Borys Wrzesnewskyj a fait valoir que le terme « shall » qui figure dans la version anglaise à l’alinéa 284(1)b) de la Loi ne devrait pas être interprété comme ayant un caractère impératif, mais plutôt comme ayant un caractère facultatif, ce qui signifie que les bulletins qui portent une marque située à l’extérieur du cercle se trouvant à droite des noms des candidats peuvent encore être valides tant que l’intention de l’électeur est claire.

L’avocat a fait valoir que l’interprétation du terme « shall » (dans la version anglaise) comme ayant un caractère impératif est fondée sur une jurisprudence qui date d’avant la Charte et celle‑ci n’a pas pris en considération l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada R.U.), 1982, ch. 11 (la « Charte »). Afin que l’alinéa 284(1)b) soit conforme à l’article 3 de la Charte, le terme « shall » doit être interprété comme ayant un caractère facultatif. Sinon, les électeurs qui inscriront une marque à l’extérieur du cercle seront privés de leurs droits, et un tel résultat n’est pas conforme aux droits qui leur sont garantis par l’article 3.

L’avocat de M. Wrzesnewskyj a allégué qu’un certain nombre de résidents de la circonscription électorale Etobicoke‑Centre n’ont pas l’anglais comme langue maternelle. L’avocat a fait valoir que les personnes qui ne comprennent peut‑être pas l’anglais pourraient avoir de la difficulté à comprendre les instructions quant à l’endroit où il faut inscrire son vote sur le bulletin et, par conséquent, pourraient inscrire leur vote à l’extérieur du cercle. L’interprétation du terme « shall » qui figure à l’alinéa 284(1)b) comme ayant un caractère impératif priverait ces personnes de droits. L’avocat a aussi fait référence à la législation du Manitoba qui permet que les marques situées à l’extérieur du cercle soient considérées comme des votes valides et les décisions Chrol c. Winnipeg (City), 2007 MBQB 16 (CanLII), [2007] M.J. No 22 appuient cet argument.

[…]

L’avocat de Ted Opitz a fait valoir que le terme « shall » qui figure à l’alinéa 284(1)b) devrait être interprété conformément à la Loi d’interprétation du Canada, L.R.C. 1985, ch. I‑21, article 11 (la « Loi d’interprétation ») qui énonce ce qui suit :

L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

L’avocat a fait valoir que la Cour doit interpréter l’alinéa 284(1(b) conformément à l’interprétation faite par des tribunaux ontariens au cours des dernières années, lesquels ont appliqué « shall » de façon impérative, et que la jurisprudence du Manitoba présentée par le demandeur n’est pas pertinente en l’espèce, puisque la législation du Manitoba concernant cette question diffère des dispositions de la Loi électorale du Canada. Il allègue que la Charte  n’annulle pas le libellé clair de la loi, et que la Cour doit appliquer l’alinéa 248(1)b) tel qu’il est écrit.

Je suis d’avis que le terme « shall » qui figure à l’alinéa 284(1)b) doit être interprété comme ayant un caractère impératif. La jurisprudence de l’Ontario et d’autres provinces a conclu de façon systématique que l’alinéa 248(1)b) exige qu’un bulletin de vote qui porte une marque à l’extérieur de l’un des cercles soit invalide. La Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S 1038, à la page 1078 :

Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d'une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. 

L’alinéa 284(1)b) ne se prête pas à plus d’une interprétation. L’article énonce clairement que les bulletins qui portent des marques à l’extérieur de l’un des cercles doivent être rejetés. Le législateur a déterminé sans ambiguïté que le terme « shall » doit être interprété comme ayant un caractère impératif. Par conséquent, l’alinéa 284(1)b) doit être interprété comme ayant un caractère impératif. Il n’incombe pas à la Cour d’ajouter ou de supprimer quoi que ce soit dans une loi lorsque les dispositions ne sont pas ambiguës. De plus, l’alinéa 284(1)b) n’est peut‑être pas incompatible aux droits prévus à l’article 3 de la Charte. Afin de déterminer si le libellé de l’alinéa 284(1)b) porte atteinte à l’article 3, une analyse complète de la Charte devrait être effectuée. Aucune demande visant à contester la constitutionnalité de l’alinéa 284(1)b) n’a été présentée à la Cour en l’espèce, et il convient d’aviser le procureur général avant de présenter une telle demande. Par conséquent, je suis d’avis que l’argument doit être rejeté, et que les bulletins qui portent des marques à l’extérieur du cercle sont invalides.

Raîche c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 93, 2004 CF 679 (CanLII)

[28] Dans l'arrêt Renvoi: Circ. électorales provinciales (Sask.) la Cour suprême du Canada à examiné les principes de l'article 3 de la Charte. Le juge McLachlin (telle qu'elle était à l'époque), écrivant pour la majorité, a conclu que l'objet du droit de vote garanti à l'article 3 de la Charte est le droit à une représentation effective, et non seulement la parité du pouvoir électoral.

[…]

[30] Donc, la parité relative du pouvoir électoral est la condition première pour assurer une représentation effective, mais, d'autres facteurs, par exemple les caractéristiques géographiques, l'histoire, les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires, devaient être considérés et ils pourraient justifier une dérogation à l'égalité absolue des votes.

[…]

[33] En l'espèce, les demandeurs ont déposé de la preuve pour montrer qu'il existe une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst. Ils ont déposé sept affidavits des résidents de l'ancienne circonscription d'Acadie-Bathurst. Tous les sept attestent qu'il y a de forts liens linguistiques, historiques, sociaux et administratifs en Acadie-Bathurst, et très peu de liens entre les collectivités de l'ancienne circonscription Acadie-Bathurst et celles de Miramichi. Ainsi, à titre d'exemple, Carmel Raîche, une résidente d'Allardville et Ian Oliver, un résident de South Tetagouche, notent dans leurs affidavits qu'eux-mêmes, comme la population d'Allardville et South Tetagouche, étudient, font des achats, utilisent l'hôpital et fréquentent les centres de récréation dans la région de Bathurst et non pas à Mira. Finalement, la Cour estime que le témoignage des témoins des demandeurs est très important. La région a parlé d'une voix unie. Des représentants des associations, des maires des différentes villes, et le député d'Acadie-Bathurst ont déposé des affidavits et on fait des représentations devant la Commission. Une pétition, signée par plus de 2 000 personnes a été présentée à la Commission.

[…]

[47] Les gens expliquent que la région est unique. Elle a, d'après un intervenant, la plus grande concentration d'Acadiens au Canada. Pendant les audiences, plusieurs intervenants ont parlé de l'importance d'avoir une voix acadienne forte, et ont rappelé aux membres de la Commission les torts historiques causés aux Acadiens. La Cour estime, tenant compte de la preuve dans son ensemble, qu'il y a une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst.

[48] La Commission en est d'ailleurs arrivée à la même conclusion. Elle a accepté qu'il y avait une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, et elle était aussi consciente que la parité du pouvoir électoral n'est pas le seul critère à évaluer en redécoupant des circonscriptions électorales. Toutefois, et elle a décidé qu'un écart de -21 % était tout simplement trop grand, et malgré l'existence d'une communauté d'intérêts en Acadie-Bathurst, il était nécessaire de réduire l'écart de Miramichi par rapport au quotient électoral. Par conséquent, elle a transféré la paroisse d'Allardville et une partie des paroisses de Saumarez et de Bathurst à la circonscription de Miramichi.

[49] Vu que le critère primordial pour déterminer si une population jouit d'une représentation effective est l'égalité des suffrages, et vu qu'une commission n'enfreint l'article 3 de la Charte que si « des personnes raisonnables, appliquant les principes appropriés, n'auraient pas pu tracer les limites existantes des circonscriptions » la Cour conclut que la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte quand elle a décidé de transférer des paroisses d'Acadie-Bathurst à Miramichi.

[50] Cette décision est raisonnable, et par conséquent, la Commission n'a pas enfreint l'article 3 de la Charte.

Friends of Democracy c. Northwest Territories (Commissioner), 1999 CanLII 4256 (NWT SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[10] Il s’ensuit que le droit de vote garanti par l’article 3 de la Charte représente plus que le simple droit d’être inscrit comme électeur et de remplir un bulletin de vote le jour de l’élection. Dans le passé, des résidents des Territoires du Nord‑Ouest se sont vu refuser le droit de voter aux élections à la Chambre des communes et aux élections à l’Assemblée législative des Territoires du Nord‑Ouest. Ces refus de droit de vote ont depuis longtemps été corrigés par le législateur. Les Canadiens, par l’entremise du Parlement et de leurs assemblées législatives provinciales et territoriales, ont choisi de tolérer un certain degré de surreprésentation des régions peu populeuses  et des régions relativement éloignées plutôt qu’un refus complet de représentation législative de la part de ces régions. La présente demande ne vise  pas non plus l’abolition ou la réduction de la surreprésentation au sein des Territoires du Nord‑Ouest.

[11] La question dont la Cour est plutôt saisie en l’espèce est de savoir si la sous‑représentation des électeurs à Yellowknife, lors des élections à l’assemblée législative, viole l’article 3 de la Charte. Des circonscriptions électorales additionnelles devraient‑elles y être créées afin de corriger cette sous‑représentation et répondre aux normes établies en raison de cette exigence importante et primordiale de la Constitution du Canada?

[…]

[18] En tenant compte des facteurs de la géographie, de l’histoire et des intérêts communautaires, des différences linguistiques, des difficultés de communication avec les collectivités éloignées, et de la représentation des minorités, sans oublier les difficultés habituelles et les dépenses de déplacement entre le siège du gouvernement à Yellowknife et les diverses collectivités à l’extérieur de Yellowknife, je suis convaincu qu’il y a probablement une justification au regard de l’article 3 de la Charte à la surreprésentation actuelle des circonscriptions où les variations de pourcentage de la population se situent en-dessous de la moyenne. D’autre part, je ne peux pas trouver de justification semblable quant à l’énorme sous‑représentation des autres circonscriptions où les variations sont nettement (25 p. 100 ou plus) supérieures à la moyenne. Cette énorme sous‑représentation en l’absence d’une justification adéquate doit constituer une violation manifeste de l’article 3 de la Charte.

[…]

[24] Compte tenu du fait que le droit de vote prévu à l’article 3 de la Charte constitue un droit conféré par la citoyenneté pouvant être exercé par toutes les personnes habilitées à exercer ce droit, il est clair que ni l’existence ni l’exercice de ce droit ne doit dépendre de l’autorisation, ou de l’approbation d’un  gouvernement ou d’une autre autorité exécutive, que ce soit en lien avec la négociation ou la jouissanse de revendications territoriales autochtones ou de droits issus de traité. De plus, dans la mesure où les droits de vote dépendent de la loi ou ne peuvent être exercés qu’en fonction de celle‑ci, cette loi ne doit pas violer la loi suprême, à savoir la Constitution du Canada, tel que défini par l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

(2) La Constitution du Canada comprend :

a)  la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi; 

b)  les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe; 

c)  les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas a) ou b). 

(3) La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle.

[25] Tel que ce qui précède vise à démontrer, je ne suis toujours pas convaincu que l’article 3 de la Charte doit, en quelque sorte être interprété selon l’article 25 de la Charte ou l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, du moins en l’espèce, compte tenu de la preuve dont est saisie la Cour dans la présente demande. Il  est tout à fait inacceptable qu’un tel droit fondamental conféré par la citoyenneté, comme celui reconnu et garanti à l’article 3 de la Charte (et, par conséquent, la Constitution du Canada) soit suspendu et, par conséquent, ne soit pas exerçable lors des négociations gouvernementales à l’égard de l’autonomie gouvernementale future de groupes autochtones ou d’autres groupes qui pourraient durer des décennies.

[…]

[38] Comme me l’a rappelé l’avocat du défendeur, la Cour, dans la décision Morin c. Northwest Territories (Conflict of Interest Commissioner) (1999) N.W.T.J. No 5 (dossier CV 07975) a conclu que l’Assemblée législative des Territoires du Nord‑Ouest est une assemblée législative dans le plein sens du mot, même si elle n’a pas encore le pouvoir de modifier sa propre constitution, sauf dans la mesure permise par la Loi sur les Territoires du Nord‑Ouest. Cela dit, il est évident que le droit de vote prévu à l’article 3 de la Charte s’étend au vote lors des élections à cette assemblée législative ainsi qu’aux assemblées législatives provinciales dans l’ensemble du Canada. La situation dans les Territoires du Nord‑Ouest est différente à certains égards de la situation dans les provinces, mais les mêmes principes constitutionnels s’appliquent. Les citoyens canadiens de ces territoires possèdent les mêmes droits prévus à l’article 3 de la Charte que les citoyens canadiens des autres provinces.

 

Garanties juridiques (articles 7 à 14)

7. Vie, liberté et sécurité

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[41] Une autre considération importante dans l’interprétation des « meilleurs intérêts de la justice » tient au fait que les droits linguistiques sont totalement distincts de l’équité du procès.  […]

Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre.  Toutefois, ce droit est déjà garanti par l’art. 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l’assistance d’un interprète.  Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas des membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues.  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts.  Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. Notre Cour a déjà tenté d’éliminer cette confusion à plusieurs occasions.  Ainsi, dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, précité, le juge Beetz dit, aux pp. 500 et 501:

Ce serait une erreur que de rattacher les exigences de la justice naturelle aux droits linguistiques [. . .] ou vice versa, ou de relier un genre de droit à un autre [. . .] Ces deux genres de droits sont différents sur le plan des concepts. [. . .] Les lier, c’est risquer de les dénaturer tous les deux, plutôt que de les renforcer l’un et l’autre.

Je réaffirme cette conclusion dans l’espoir de mettre fin à cette confusion.  L’équité du procès n’est pas une considération à ce stade, et n’est certainement pas un critère qui, s’il y est satisfait, permettra de priver l’accusé des droits linguistiques que lui confère l’art. 530.

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[38] L'interprétation large de l'art. 14 peut également se justifier par la Charte elle‑même.  Notre Cour a déjà indiqué que les dispositions de la Charte doivent s'interpréter non pas isolément, mais plutôt l'une en fonction de l'autre: voir, par ex., R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588, les juges Wilson et La Forest, Dubois c. La Reine, 1985 CanLII 10 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 350, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357.  Notre Cour a déjà fait observer que l'art. 7 de la Charte est une expression générale des garanties juridiques contenues aux art. 8 à 14 de la Charte: Renvoi:  Motor Vehicle Act de la C.‑B., 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 502.  Il n'est donc pas surprenant que l'art. 14 soit étroitement lié à l'art. 7 et aux autres « garanties juridiques » offertes par la Charte.  En fait, je dirais que le droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'art. 14 est un moyen d'assurer que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d'un procès public et équitable prévue à l'al. 11d) de la Charte.  En même temps, la force de l'art. 14 peut être saisie en partie sous l'angle non seulement du droit de présenter une défense pleine et entière, mais encore du droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense, ces deux droits étant garantis par les art. 7 et 11 de la Charte.  En réalité, le lien étroit qui existe entre l'art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l'assistance d'un interprète dans le contexte criminel devrait être considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l'art. 7 de la Charte.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[114] Il va de soi que chacun jouit, en common law, du droit à un procès équitable, y compris le droit d'être informé de la preuve qui pèse contre lui, ainsi que le droit à une défense pleine et entière. Lorsque le défendeur ne comprend pas la procédure engagée contre lui, parce qu'il est incapable de comprendre la langue dans laquelle l'instance se déroule, ou parce qu'il est atteint de surdité, l'exercice effectif de ces droits peut fort bien imposer au tribunal une obligation corrélative de fournir une traduction appropriée. Mais le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris est non pas un droit distinct, ni un droit linguistique, mais un aspect du droit à un procès équitable.

[115] Cependant, il devrait être tout à fait clair que ce droit à un procès équitable que reconnaît la common law, y compris le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris, est un droit fondamental qui est profondément et fermement enraciné dans la structure même du système juridique canadien. C'est pourquoi certains aspects de ce droit sont enchâssés tout autant sous la forme de dispositions générales que sous celle de dispositions spécifiques dans la Charte, comme l'art. 7 relatif à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et l'art. 14 portant sur l'assistance d'un interprète. Tandis que le Parlement ou la législature d'une province peut, conformément à l'art. 33 de la Charte, déclarer expressément qu'une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'art. 2 ou des art. 7 à 15 de la Charte, il est presque inconcevable qu'ils supprimeraient complètement le droit fondamental lui‑même que reconnaît la common law, à supposer qu'ils pourraient le faire.

[116] Cela ne revient pas à placer les langues française et anglaise sur un pied d'égalité avec d'autres langues. Les langues française et anglaise sont non seulement placées sur un pied d'égalité, mais encore elles se voient conférer un statut privilégié par rapport à toutes les autres langues. Et cette égalité et ce statut privilégié sont tous les deux garantis par l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Sans la protection de cette disposition, il serait possible, par simple voie législative, d'accorder à l'une des deux langues officielles une certaine mesure de préférence comme on a tenté de le faire au chapitre III du titre premier de la Charte de la langue française, qui a été invalidé dans l'arrêt Blaikie no 1. L'unilinguisme français, l'unilinguisme anglais et, quant à cela, l'unilinguisme dans toute autre langue pourraient être aussi prescrits par simple voie législative. On peut donc constater que si l'art. 133 ne garantit qu'un minimum, ce minimum est loin d'être inconsistant.

[117] Ce serait une erreur que de rattacher les exigences de la justice naturelle aux droits linguistiques de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ou vice versa, ou de relier un genre de droit à un autre, sous le prétexte de renforcer l'un de ces droits ou les deux à la fois. Ces deux genres de droits sont différents sur le plan des concepts. Aussi, bien qu'ils jouissent d'une garantie constitutionnelle, les droits linguistiques comme ceux que protège l’art. 133 demeurent particuliers au Canada. Ils sont fondés sur un compromis politique plutôt que sur un principe et n'ont pas l'universalité, le caractère général et la fluidité des droits fondamentaux qui découlent des règles de la justice naturelle. Ils sont définis de manière plus précise et moins souple. Les lier, c'est risquer de les dénaturer tous les deux, plutôt que de les renforcer l'un et l'autre.

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] La préoccupation de M. Yamba quant au fait que sa maîtrise limitée de l’anglais l’empêchera d’obtenir un procès équitable aux États‑Unis soulève la question de son droit de présenter une défense pleine et entière et fait intervenir les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte. Dans le contexte de l’extradition, ces principes reconnaissent la réalité selon laquelle il n’est pas injuste d’extrader une personne vers un État dont les procédures criminelles ne répondent pas aux exigences constitutionnelles du Canada. Dans de telles circonstances, la Cour suprême du Canada a conclu que la question adéquate à trancher « est de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’extradition d’un fugitif en vue de son procès va à l’encontre des exigences fondamentales de la justice. » (Schmidt, à la page 523).

[23] Les exigences fondamentales de la justice incluent clairement le droit à un procès équitable. Afin de subir un procès équitable, un accusé doit comprendre ce qui se passe en cour. Dans l’arrêt R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, à la page 967, une affaire qui porte sur l’article 14 de la Charte, qui garantit le droit à l’assistance d’un interprète lors de toute instance, le juge en chef Lamer a déclaré ce qui suit :

Ce droit est un moyen d'assurer que les procédures soient équitables et conformes aux principes fondamentaux de justice naturelle.

[24] Le juge en chef Lamer a ensuite mentionné que l’assistance d’un interprète constitue une norme acceptée à l’échelle internationale pour faciliter le droit d’un accusé à un procès équitable. Après avoir fait référence au droit à l’assistance d’un interprète sans frais qui est garanti à un accusé, à la fois dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171 (alinéa 14(3)f)), et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 221 (alinéa 6(3)e)), le juge en chef a déclaré ce qui suit au sujet des États‑Unis (à la page 969) :

Bien que la Constitution des États-Unis soit dépourvue d'une disposition garantissant expressément le droit à l'assistance d'un interprète, les tribunaux américains ont conclu que ce droit existe implicitement en vertu du Cinquième amendement (le droit de ne pas être privé de liberté sans une procédure équitable), du Sixième amendement (le droit de l'accusé de confronter les témoins à charge et d'obtenir l'assistance d'un avocat) et du Quatorzième amendement (le droit de ne pas être privé de liberté par un État sans une procédure équitable), de même qu'en vertu des dispositions équivalentes que l'on trouve dans les Constitutions des États:  J. F. Rydstrom, « Right of Accused to Have Evidence or Court Proceedings Interpreted » (1971), 36 A.L.R.3d 276, Negron c. New York, 434 F.2d 386 (2nd Cir. 1970), et Valladares c. United States, 871 F.2d 1564 (11th Cir. 1989).

Voir également : R. c. Sidhu (2005), 2005 CanLII 42491 (CS Ont.), 203 C.C.C. (3d) 17 au paragraphe 276 (C.S.J. Ont.).

[25] À mon avis, il était raisonnable pour le ministre de conclure que l’assistance d’un interprète agréé répondrait aux préoccupations de M. Yamba relativement à l’équité du procès aux États‑Unis. Le recours à un interprète assurerait l’intégrité du processus de recherche des faits. Avec l’aide d’un interprète, M. Yamba sera capable de comprendre ce qui se passe en cour, de consulter un avocat et de lui donner des directives et, si M. Yamba choisit de le faire, de témoigner de manière utile.

R. c. Lapointe and Sicotte (1983), 9 C.C.C. (3d) 366 (CA ON) [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

[47] Rien de ce qui a été dit dans le présent jugement ne devrait être considéré comme un encouragement à la pratique suivie par la Police de la communauté urbaine de Toronto en l’espèce. Au contraire, la prise des déclarations des défendeurs en anglais sans exiger la présence d’un interprète a compromis sérieusement l’admissibilité des déclarations jugées importantes pour l’administration de la justice pénale. Dans chaque cas où des policiers interviennent auprès d’un suspect dont la langue maternelle est différente, tous les efforts doivent être faits afin d’obtenir les services d’un interprète qualifié. Idéalement, les policiers qui recueillent les déclarations devraient connaître la langue du suspect. Bien entendu, ce n’est pas toujours possible même au sein d’une société multiculturelle. Lorsqu’aucun policier parlant la langue du suspect n’est présent, il faut fournir l’assistance d’un interprète.

NOTA – Ce jugement a été entériné par la Cour suprême dans R. c. Lapointe et Sicotte, [1987] 1 R.C.S. 1253, 1987 CanLII 69 (CSC).

Cabral c. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1040 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Voici les points essentiels de la demande des demandeurs, tels qu’ils sont énoncés dans la déclaration modifiée :

a) Chaque demandeur a présenté une demande de résidence permanente en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , LC 2001, c 27 et de l’article 87.2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, dans la catégorie des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral) [CTMSF];

b) Même s’ils ont répondu à tous les autres critères exigés par la CTMSF pour l’obtention de la résidence permanente, chaque demandeur s’est vu refuser le statut de résident permanent parce qu’il ne répondait pas à l’exigence linguistique, ayant échoué au Système international de tests de la langue anglaise [IELTS] adopté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

c) Les demandeurs allèguent que l’IELTS est biaisé sur le plan culturel car il favorise l’« anglais britannique », plutôt que l’« anglais canadien » et requiert injustement une excellente connaissance de l’anglais;

d) Les demandeurs allèguent également que le ministre gère la CTMSF d’une manière qui favorise les ressortissants de pays anglophones et qui est discriminatoire envers les ressortissants qui, comme les demandeurs, proviennent de pays non anglophones;

e) Chaque demandeur, n’ayant pas répondu aux exigences prévues par l’IELTS, a demandé, conformément au paragraphe 87.2(4) du Règlement, que l’agent fasse une autre évaluation de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada;

f) Les demandeurs allèguent que l’agent a refusé d’examiner leurs demandes sur le fond en raison d’une directive ministérielle voulant qu’aucune demande de la CTMSF ne doit être examinée par un agent si l’exigence linguistique n’a pas été respectée;

g) Les demandeurs allèguent que la directive ministérielle est contraire au Règlement et est ultra vires;

h) Les demandeurs allèguent que la conduite des défendeurs constitue une violation de la loi, un méfait dans l’exercice d’une charge publique, un excès de compétence, un abus de procédure, de la mauvaise foi, et une atteinte aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11;

i) En raison du comportement fautif des défendeurs, les demandeurs ont subi des préjudices.

[…]

[89] À mon avis, les demandeurs n’ont pas démontré que l’IETLS est de quelque façon que ce soit « injuste » à leur endroit en raison de leur origine. Plus précisément, compte tenu des notes élevées obtenues par des  personnes provenant d’Italie, de Pologne et du Portugal, on ne peut pas dire que le test est discriminatoire envers les personnes provenant de pays non anglophones. Bien qu’il soit vrai que les candidats anglophones réussissent en plus grand nombre le test que les candidats non anglophones, cela n’est pas vraiment étonnant et, de surcroît, cela ne suffit pas pour établir qu’il existe un parti pris contre les candidats non anglophones.

R. c. Ibrahem, 2016 ONSC 3196 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Monsieur Ibrahem est une personne dont la langue maternelle est autre que l’anglais, mais il est capable de communiquer en anglais et de comprendre cette langue. Lorsqu’il a bénéficié de l’assistance d’un interprète parlant sa langue maternelle, il n’était pas privé de ses droits de garder le silence ou de faire une déclaration volontaire.

[…]

[38] Monsieur Ibrahem n’a pas été privé du droit au silence garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il avait un état d’esprit conscient lorsqu’il a parlé avec les policiers. Il n’a subi aucune pression de la part des policiers et n’a pas été piégé par ceux‑ci.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[80] Les appelants ont fait valoir que les dispositions de la Charte de la langue française [CLF] portent également atteinte au droit à la liberté qui leur est garanti par l’article 7 de la Charte canadienne et par l’article premier de la Charte québécoise :

Charte canadienne

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Charte québécoise

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

[…]

[81] Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que la décision de faire des affaires dans la langue de son choix ne peut pas être qualifiée d’intrinsèquement et de fondamentalement personnelle et, par conséquent, protégée par le droit à la liberté.

[82] Comme l’a conclu le juge de première instance, le droit à la liberté garanti par les chartes québécoise et canadienne n’est pas synonyme d’absence de contrainte; il se limite à la protection de la sphère irréductible de l’autonomie personnelle où les individus peuvent faire des choix intrinsèquement privés sans ingérence de l’État.

[83] Le juge de première instance n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que les contraintes imposées par la CLF quant à la manière dont les appelants mènent leurs affaires ne peuvent pas être qualifiées d’intrinsèquement et de fondamentalement personnelles. De plus, ce droit protège les personnes et non les sociétés.

H.M.T.Q. c. Blackduck, 2014 NWTSC 58 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[4] La langue maternelle de M. Blackduck est le Tłı̨chǫ (appelé aussi « dogrib » pendant la présentation de la preuve lors du voir‑dire). Sa position selon laquelle sa déclaration ne devrait pas être admise en preuve est  fondée en grande partie sur le fait que lorsqu’elle a été prise, M. Blackduck ne bénéficiait pas de l’assistance d’un interprète. Il allègue que sa compréhension limitée de l’anglais et sa capacité limitée de s’exprimer dans cette langue rendent la déclaration inadmissible.

[…]

[83] J’admets que le sergent Landry, pour les raisons formulées lors de la présentation de ses éléments de preuve, croyait que M. Blackduck le comprenait. Cependant, cette croyance ne permettait pas d’établir que, en fait, M. Blackduck a compris tout ce qui a été dit ce jour‑là et, en particulier, qu’il a compris la mise en garde. La compréhension d’une langue dans certains types d’interactions n’est pas la même chose que la compréhension de ses droits, de concepts juridiques, et des conséquences potentielles de certaines décisions.

[…]

[88] L’évaluation du caractère volontaire est un exercice contextuel et fondé sur les faits. En l’espèce, la question est de savoir si M. Blackduck a compris qu’il avait le droit de garder le silence. Considérant que le caractère volontaire renvoie à la compréhension de ce qui est en jeu ainsi que des répercussions du fait de s’adresser ou non aux autorités au sujet des événements allégués, je ne suis pas convaincue que le caractère volontaire a été démontré selon la norme de preuve requise. Je ne suis pas convaincue hors de tout doute raisonnable que M. Blackduck a compris qu’il avait le droit de garder le silence et qu’il a renoncé à ce droit en étant pleinement conscient de ce qui était en jeu lorsqu’il s’est adressé au sergent Landry ce jour‑là. Je ne suis pas non plus convaincue qu’il a pleinement compris que ce qu’il disait au sergent Landry pouvait être utilisé lors d’une poursuite intentée contre lui.

[89] Je reconnais que les agents en cause dans la présente affaire ne croyaient pas qu’il y avait un problème quant au degré de compréhension de M. Blackduck de ce qu’ils lui disaient. Cependant, lorsque des policiers s’adressent à une personne dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, ils devraient faire preuve de prudence et solliciter l’assistance d’un interprète pour veiller à ce que les détenus aient une compréhension claire de leurs droits, avant de tenter d’obtenir une déclaration de leur part.

R. c. J. K., 2011 ONSC 800 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[57] En l’espèce, le critère juridique applicable consiste à savoir si la compréhension de l’anglais de l’accusé et sa capacité de communiquer dans cette langue étaient tellement insuffisantes qu’il lui était impossible de comprendre ce que disaient les policiers ou de faire des déclarations en anglais (paragraphe 44, Lapoint (sic), paragraphe 33, L.B.). Lors du voir‑dire, la Cour doit déterminer [traduction] « la capacité de l’accusé de comprendre la langue de la déclaration et de communiquer dans celle‑ci » (paragraphe 44, Lapoint (sic)). 

[58] Compte tenu des éléments de preuve du voir‑dire, comme je l’ai déjà indiqué, je n’ai aucune hésitation à conclure que J.K. connaissait suffisamment l’anglais pour comprendre le type de questions qui lui étaient posées et comprendre le type de réponses qu’il a données pendant l’interrogatoire enregistré sur bande vidéo. 

[59] L’avocat de la défense a fait valoir que J.K. aurait pu mieux communiquer s’il avait bénéficié des services d’un interprète. Je ne suis pas en désaccord avec l’argument selon lequel ses réponses aurait peut‑être été plus éloquantes ou détaillées. Cependant, il ne s’agit pas du critère applicable. Si la possibilité que l’accusé puisse mieux communiquer par l’entremise d’un interprète constituait le critère applicable, les policiers devraient veiller à ce qu’un interprète soit présent lors des interrogatoires dans tous les cas où l’anglais est la seconde langue de l’accusé ou dans toute autre situation où les compétences linguistiques de l’accusé sont déficiences, même si l’anglais est la langue maternelle de l’accusé. Qu’en est‑il des déclarations faites par l’accusé lors de son arrestation sur les lieux du crime ou dans la voiture de patrouille, ou des déclarations faites à des tierces personnes, etc.? La liste irait à l’infini. 

[60] En termes clairs, je ne prétends pas que les policiers n’ont pas à fournir les services d’un interprète lorsqu’il est évident qu’il existe une bonne raison de croire que la personne interrogée a vraiment de la difficulté à comprendre les questions qui lui sont posées ou qu’elle a vraiment de la difficulté à répondre en raison d’une mauvaise compréhension ou d’une mauvaise connaissance de la langue. Ne pas fournir les services d’un interprète dans de tels cas pourrait compromettre l’admissibilité des déclarations en preuve.  

HMTQ c. Pelletier, 2002 BCSC 561 (CanLII)

[NOTRE TRADUCTION]

Audience équitable

[46] Monsieur Pelletier fait valoir que si l’audience [relative à son admissibilité à la libération conditionnelle] n’est pas tenue en français, il sera privé du droit à une audience juste et équitable qui lui est garanti par l’article 7 de la Charte, lequel est ainsi libellé :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[47] Monsieur Pelletier soutient que la plupart des témoins qui comparaîtront, dont lui‑même, parlent français et que, par conséquent, il ne serait pas équitable de tenir une audience en anglais parce qu’il est inévitable que certains propos seront perdus dans la traduction du français à l’anglais.

[48] Je ne peux pas souscrire à cet argument. Bien qu’il ne fasse aucun doute que M. Pelletier a droit à une audience équitable, soit en vertu de l’article 7 de la Charte, soit en vertu de la common law, je ne peux pas convenir que le recours à des services d’interprète rendra l’audience inéquitable. Bien que pour des raisons pratiques il serait plus utile pour M. Pelletier que l’audience soit tenue en français, le fait qu’elle se déroulera en anglais n’a pas inévitablement pour conséquence que l’audience sera inéquitable. Des services d’interprète peuvent et seront fournis au besoin; il est courant dans tous les tribunaux que des services d’interprète soient retenus lors d’audiences. Une attention particulière est requise lorsqu’une audience requiert les services d’interprète, mais il arrive régulièrement que les tribunaux fonctionnent avec l’assistance d’interprètes.

[49] Souscrire aux arguments de M. Pelletier sur ce point reviendrait à accepter la position selon laquelle toute personne qui a besoin de l’assistance d’un interprète dans la province de la Colombie‑Britannique ne bénéficie d’une audience équitable. Compte tenu du nombre de personnes d’origines ethniques différentes en Colombie‑Britannique et des diverses langues qu’elles parlent, il serait impossible de trouver des juges et des jurés parlant couramment toutes ces langues.

[50] Il importe que l’article 14 de la Charte prévoit le recours à l’assistance d’un interprète. L’article 14 a pour objet de garantir le droit à une audience équitable. Dans l’arrêt Société des Acadiens, précité, le juge Beetz a énoncé ce qui suit à la page 577 :

Le droit qu'ont les parties en common law d'être entendues et comprises par un tribunal et leur droit de comprendre ce qui se passe dans le prétoire est non pas un droit linguistique mais plutôt un aspect du droit à un procès équitable. Ce droit est d'une portée à la fois plus large et plus universelle que celle des droits linguistiques. Tout le monde en jouit, y compris les personnes qui ne parlent ni ne comprennent aucune des deux langues officielles. Il relève de la catégorie de droits que la Charte qualifie de garanties juridiques et, en fait, est protégé, du moins en partie, par des dispositions comme les art. 7 et 14 de la Charte :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

La nature fondamentale de ce droit à une audience équitable issu de la common law a été soulignée dans l’arrêt MacDonald, dans les motifs de la majorité, aux pages 499 et 500 :

Cependant, il devrait être tout à fait clair que ce droit à un procès équitable que reconnaît la common law, y compris le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris, est un droit fondamental qui est profondément et fermement enraciné dans la structure même du système juridique canadien. C'est pourquoi certains aspects de ce droit sont enchâssés tout autant sous la forme de dispositions générales que sous celle de dispositions spécifiques dans la Charte, comme l'art. 7 relatif à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et l'art. 14 portant sur l'assistance d'un interprète.

Dans la décision R. c. Watts, Ex Parte Poulin, précitée, le juge Verchere a énoncé ce qui suit à la page 224 :

[traduction]

En statuant, comme je le fais, que le droit de cette province exige que les procès se tenant dans des cours provinciales aient lieu en anglais, je ne perds pas de vue l’inéquité alléguée de la cour envers un Canadien qui ne parle que le français. Cependant, à mon avis, lorsque les droits d’une personne accusée qui ne maîtrise pas la langue anglaise sont respectés et que les éléments de preuve présentés lors du procès lui sont traduits, comme il se doit (voir R. c. Lee Kim (1915), 11 Cr.App.R. 293), on ne peut tenir pour acquis que l’instance sera de ce fait équitable.

[52] Pour les motifs qui précèdent, je ne souscris pas à l’argument de M. Pelletier selon lequel une instance en anglais donnera lieu à une audience inéquitable.

R. c. Butler, 2002 NBQB 325 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[15] Il existe des différences fondamentales entre les concepts de garanties juridiques et de droits linguistiques. […]

[25] Même si j’ai conclu que les droits linguistiques de M. Butler qui sont garantis par le paragraphe 20(2) n’ont pas été violés, je suis néanmoins d’avis que la langue peut, comme c’est le cas en l’espèce, constituer un facteur important à prendre en compte pour déterminer si le fait que M. Butler n’a pas obtenu la divulgation de la preuve en anglais a porté atteinte à sa capacité de présenter une défense pleine et entière.

[…]

[28] La divulgation n’est pas un processus qui est extrinsèque à la présentation de la preuve de la poursuite. Même si elle a lieu avant le début du procès à proprement parler, elle est tellement inextricablement liée à la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et entière et, à mon avis, elle va de pair avec le droit à une audience équitable.

[…]

[35] Ces décisions étayent mon point de vue selon lequel il peut y avoir des cas où l’accusé pourrait établir que le défaut de divulgation de la preuve dans la langue officielle de son choix pourrait porter atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière.

[…]

[38] On peut facilement établir une distinction entre les faits en l’espèce et ceux de la décision Rodrigue. Tout d’abord, la décision Rodrigue a été instruite dans le Territoire du Yukon, par opposition au Nouveau‑Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue du Canada. La Charte prévoit un objectif constitutionnel de dualité linguistique pour cette province. En raison du caractère unique de la province, l’application d’une norme plus rigoureuse en matière de divulgation peut être requise. […]

[51] L’accusé a fait valoir qu’il avait subi un préjudice en raison de son incapacité à comprendre la preuve divulguée en français. À mon avis, sans autre élément de preuve démontrant les conséquences véritables sur sa capacité d’exercer les droits constitutionnels qui lui sont garantis, cette affirmation ne suffit pas à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi un préjudice réel. Il incombe à M. Butler de démontrer à tout le moins que la nature de la divulgation en l’espèce l’a vraiment empêché d’examiner les éléments de preuve et de prendre des décisions éclairées quant à sa défense.

[52] Après avoir pris en compte tous les faits en l’espèce, je conclus que le fait de refuser une demande de traduction pourrait, dans certains cas, constituer une atteinte aux droits garantis par la Charte. Néanmoins, dans la présente affaire, M. Butler ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. Par conséquent, je conclus qu’il n’a pas établi qu’il y a eu violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

R. c. Ansary, 2001 BCSC 1333 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[64] En dépit du fait qu’il a participé à l’entrevue et même s’il n’y a eu aucune atteinte à son droit à l’assistance d’un avocat, les difficultés qu’éprouve M. Ansary en anglais mettent en doute le caractère équitable de l’interrogatoire mené par les policiers dans la présente affaire.

[65] Bien que M. Ansary n’ait jamais prétendu que son droit de garder le silence au sens habituel de ce droit a été entravé par la conduite des policiers au point de d’enfreindre l’article 7 de la Charte, il a continué de faire valoir son désir d’expliquer tout ce qui s’était passé. Il l’a fait en même temps qu’il a revendiqué son besoin d’avoir l’assistance d’un interprète.  

[66] L’article 14 de la Charte prévoit qu’une partie qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée pour la conduite des procédures a droit à l’assistance d’un interprète. Cependant, l’article n’étend pas précisément ce droit à l’étape préalable au procès dans les instances criminelles. Toutefois, à mon avis, le droit fondamental à un procès équitable qui est garanti par l’article 7 de la Charte requiert que les conséquences des difficultés linguistiques vécues par l’accusé soient prises en compte si le ministère public cherche à produire au procès des déclarations incriminatoires faites par l’accusé à l’étape de l’enquête.

[…]

[76] À mon avis, lorsque les policiers ont interrogé M. Ansary même si celui‑ci a demandé immédiatement et de façon continue l’assistance d’un interprète avant la première entrevue sans obtenir les services d’un interprète ou sans avoir été interrogé par un policier pouvant parler le pachto, ils ont pris le risque que les déclarations faites par M. Ansary par la suite soient déclarées inadmissibles. Bien que les policiers ne soient pas tenus de fournir l’assistance d’un interprète, leur détermination à procéder sans interprète soulève la question de l’équité de leur conduite au regard de l’équité du procès, ainsi que la question du risque que les éléments de preuve qu’ils ont recueillis soient entachés d’injustice.

[77] Bien que les témoignages des policiers disent le contraire, je suis convaincu que M. Ansary n’a pas entièrement compris toutes les questions qui lui étaient posées. Les transcriptions des deux entrevues me portent également à conclure que les policiers ont peut‑être mal compris ou mal interprété certaines réponses. Plus important encore, les policiers n’ont jamais donné à M. Ansary l’occasion de corriger tout manque de compréhension ou tout malentendu, ou de fournir une pleine explication en donnant la possibilité d’avoir une entrevue avec l’assistance d’un interprète, afin que M. Ansary puisse expliquer tout ce qui s’était passé comme il a toujours dit qu’il voulait le faire.  

[78] Je suis convaincu que la demande présentée par M. Ansary pour avoir recours à l’assistance d’un interprète pour l’aider à fournir une explication complète était sincère. Cette demande était directe et n’était pas fondée sur un motif illégitime. Je suis également convaincu que la volonté de M. Ansary de s’adresser aux policiers et, par conséquent, de renoncer à son droit de garder le silence doit être interprétée comme était conditionnelle à la possibilité de fournir une explication complète avec l’assistance d’un interprète.  

[79] Compte tenu de ces circonstances, je suis d’avis que le défaut des policiers de donner à M. Ansary l’occasion de fournir une explication complète avec l’assistance d’un interprète portait atteinte au droit de M. Ansarly de garder le silence, garanti par l’article 7. Par conséquent, les déclarations qu’il a faites avant et pendant la première et la seconde entrevues enregistrées sont inadmissibles. De même, l’entrevue connexe concernant le calendrier est inadmissible. Puisque l’équité du procès pourrait être touchée par l’admission d’éléments de preuve incriminants, ces déclarations ne peuvent être sauvegardées par l’application du paragraphe 24(2) de la Charte.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[pp. 35-36] Le droit est un droit à la divulgation de la preuve telle qu’elle existe, non pas un droit à avoir l’aide de la poursuite dans le sens de l’amélioration de la capacité de l’avocat de la défense, ou de l’accusé lui-même, d’apprécier et d’évaluer la signification ou le poids que l’on peut attacher à l’article de la défense, ou de l’accusé lui-même, d’apprécier et d’évaluer la signification ou le poids que l’on peut attacher à l’article de la preuve.

[pp. 38-39] Il se peut qu’il y ait des circonstances dans lesquelles la cour, avant le procès, décréterait que sans traduction d’un document d’une langue autre qu’une langue officielle dans une des langues officielles, ou d’une des langues officielles à l’autre langue officielle qui a été choisie par l’accusé comme la langue du procès, l’accusé ne pourra pas subir son procès avec la possibilité de présenter “une pleine réponse et défense” ou d’avoir un procès juste et équitable. Il faut attendre une autre cause pour préciser quelles seraient les circonstances où cela serait la décision de la cour. Dans les circonstances actuelles, l’accusé et son procureur admettent qu’ils ont tous les deux la capacité de comprendre l’anglais et ils n’allèguent pas que l’accusé subirait un préjudice si les déclarations et documents divulgués par la poursuite n’étaient pas divulgués avec une traduction en français avant le procès. La prétention de l’accusé est fondée exclusivement sur le principe réclamé que, ayant choisi le français comme la langue de son procès, il a le droit à la divulgation de ces éléments de preuve avec une traduction en français. J’ai rejeté cet argument.

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

R. c. R.T., 2016 QCCQ 689 (CanLII)

[2] Puisque l’accusé, la victime alléguée et trois témoins de la poursuite sont des personnes atteintes de surdité, toutes les procédures ont été interprétées du français à la langue des signes québécoise (ci-après LSQ) et de la LSQ au français, et ce, depuis le tout début de cette affaire.  Cette interprétation a été faite par des interprètes accrédités qui se sont relayés dans l’exécution de cette tâche tout au long des procédures.  Leur travail consistait essentiellement à interpréter l’ensemble des propos tenus lors du procès tant pour le bénéfice de l’accusé que celui des intervenants du système de justice, des témoins et de la victime alléguée. 

[3] Lors de la dixième journée d’audition, la défense a soulevé pour la première fois le fait que l’accusé semblait éprouver certaines difficultés de compréhension.  Ces problèmes faisaient apparemment suite au témoignage rendu par l’accusé dans le cadre d’un voir-dire tenu lors de la neuvième journée d’audition.  Avec le consentement des parties, le Tribunal a tenu une audition visant à bien cerner la nature des difficultés en question.  Au terme de cette audition, tenant compte de la preuve démontrant que l’accusé était en mesure de lire, le Tribunal a ordonné que toutes les audiences tenues jusqu’alors soient transcrites et a reporté la suite du procès pour que l’accusé puisse en prendre connaissance.  Le Tribunal a aussi indiqué à la défense qu’il serait sensible à toute demande visant à contre-interroger de nouveau certains témoins à la suite de cette lecture.

[…]

[26] En l’espèce, après avoir effectué une analyse détaillée de la preuve et des principes applicables, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de déclarer un avortement de procès.  Dans le contexte particulier de la présente affaire, les difficultés de compréhension soulevées par l’accusé ne permettent pas de conclure à une atteinte à l’article 14 de la Charte non plus qu’à une violation du droit de l’accusé d’être présent à son procès.

[27] De l’ensemble de la preuve présentée, le Tribunal retient que l’accusé connaît le lexique de base de la LSQ et comprend bien le sens d’un discours familier.  Malgré le fait que son niveau soit plutôt bas, il est clair qu’il est tout de même fonctionnel dans cette langue. Au quotidien, la LSQ constitue la langue qu’il maîtrise le mieux pour communiquer, et ce, à tous les niveaux.  Selon la preuve, c’est dans cette langue qu’il a communiqué avec la plaignante et son fils pendant plusieurs années.  Et c’est aussi dans cette langue qu’il a témoigné lors des procédures judiciaires intentées contre lui et qu’il a répondu aux questions de manière simple, compréhensible et cohérente.

[28] Il va de soi que chaque individu jouit d’un vocabulaire qui lui est propre.  Il est également acquis que plusieurs facteurs peuvent influer sur l’étendue du vocabulaire particulier de chaque personne. À titre d’exemple, le niveau d’instruction et les capacités intellectuelles et cognitives d’un individu peuvent avoir une incidence sur la portée de son vocabulaire et sa capacité à en saisir les plus infimes subtilités.

[29] En l’espèce, bien que l’accusé semble éprouver certaines difficultés à comprendre un vocabulaire plus complexe, cela ne le rend pas pour autant inhabile, et ce, tant en LSQ qu’en français écrit.  Aux yeux du Tribunal, le fait qu’un accusé éprouve certaines difficultés à comprendre certains termes, concepts ou notions ne saurait ipso facto constituer une atteinte à son droit à l’assistance d’un interprète et/ou à son droit d’être présent à son procès.  Cela ne rend pas non plus le procès automatiquement inéquitable.  L’existence ou non d’une violation de l’un ou l’autre de ces droits dépendra toujours des circonstances propres à chaque affaire.

[30] Dans le cas qui nous concerne, le Tribunal réitère que le niveau de compréhension de l’accusé est fonctionnel et que la qualité de l’interprétation n’est pas en cause.  Le Tribunal retient que les difficultés de compréhension qui ont été soulevées par l’accusé pour la première fois lors de la dixième journée d’audition ont plutôt trait à certains éléments et concepts spécifiques.  Puisque la plaignante et trois autres témoins de la poursuite ont donné leur version en ayant recours à la LSQ, l’accusé a été en mesure de comprendre leurs témoignages respectifs sans interprète en les regardant directement.  Tenant compte du fait que les termes qu’ils ont utilisés étaient plutôt simples et familiers, il est manifeste que l’accusé a été en mesure de bien comprendre leurs propos.

[…]

[33] En l’espèce, tenant compte de toutes ces circonstances et des principes applicables, le Tribunal conclut que les droits de l’accusé n’ont pas été enfreints et qu’il n’y a pas lieu de déclarer un avortement de procès.

R. c. Maurice Frenette, 2007 NBCP 33 (CanLII)

[15] Par conséquent, je poursuis mon analyse en tenant pour acquis que l’omission de fournir une version traduite d’un ensemble de documents divulgués peut, dans certains cas, constituer une violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte, mais qu’elle ne constitue pas automatiquement une violation. La question qui se pose est alors la suivante : Dans quelles circonstances l’omission ou le refus de faire traduire la preuve violent-ils la Charte?

[…]

[25] Afin de bien situer la présente affaire dans son contexte, nous devons d’abord déterminer avec précision ce que l’accusé demande. En s’appuyant sur son droit à une défense pleine et entière protégé par la Constitution, il demande à la Cour d’ordonner au poursuivant de faire traduire du français à l’anglais l’ensemble de la preuve documentaire et des entrevues enregistrées au profit de l’avocate qu’il a choisie. La traduction n’est pas à son profit à lui. M. Frenette comprend parfaitement le français. Il peut lire facilement et comprendre parfaitement tous les documents divulgués. Il a été interviewé deux fois par un agent de police francophone et la discussion a eu lieu entièrement en français. La traduction n’est donc pas pour lui; c’est pour son avocate.

[26] Les tribunaux ont conclu que l’article 7 donne à quiconque est accusé d’avoir commis un acte criminel des garanties importantes au chapitre de la procédure et du fond. Toutefois, la personne qui invoque ce droit doit établir non seulement qu’il y a eu atteinte à son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, mais aussi que la négation d’un droit garanti par l’article 7 est contraire aux principes de justice fondamentale. Les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 ne sont pas des « garanties distinctes »; ils ne peuvent être invoqués que lorsque la loi en question porte atteinte au « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne » : voir la décision du juge Lamer dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486 (C.S.C.). Le droit à la divulgation est l’un des principes essentiels du droit à la justice fondamentale : voir R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326. Les tribunaux ont vigoureusement protégé le droit de chacun à la justice fondamentale à l’égard de tous les aspects du processus en matière criminelle, notamment les techniques d’enquête policière, les procédures préalables au procès, les garanties au chapitre de la procédure, les moyens de défense et, bien entendu, le procès lui-même.

[27] M. Frenette a choisi de retenir les services d’une avocate unilingue anglophone pour le représenter. C’est son droit. Il n’était certainement pas obligé de retenir les services d’un avocat francophone simplement parce que cela aurait été plus pratique pour l’État, qui doit divulguer sa preuve à l’accusé. Mais aussi, pourquoi l’État serait-il obligé d’assumer les frais liés à la traduction de la preuve uniquement au profit de l’avocate choisie par l’accusé? 

[28] La situation de fait en l’espèce doit être distinguée de celle dans Butler, qui était tout à fait différente. M. Butler ne comprenait pas la langue dans laquelle la majorité de la preuve contre lui était rédigée. Il était personnellement désavantagé. Il ne pouvait pas comprendre la preuve que l’État entendait présenter contre lui, puisqu’il ne parlait pas la langue dans laquelle la preuve amassée contre lui était rédigée. Pourtant, même dans ces circonstances l’éminent juge a refusé d’ordonner la traduction de la preuve au motif qu’il n’y avait pas de preuve pour étayer la motion.

[29] En l’espèce, seule l’avocate de la défense ne comprend pas la preuve présentée contre l’accusé. Dans un tel cas, l’accusé a d’autres options. Il peut retenir les services d’un autre avocat, qui parle français, pour aider Me Mahoney. Il ne manque pas d’avocats bilingues dans la région. Il peut aider son avocate en traduisant les documents lui-même ou en résumant la preuve pour elle. Il peut engager les frais nécessaires pour faire traduire les documents essentiels. Il peut retenir les services d’un traducteur, ou de toute autre personne ayant une bonne maîtrise des deux langues, pour aider son avocate avant et pendant le procès. Il peut aussi retenir les services d’un avocat qui parle français et anglais pour assurer sa défense. Toutes ces options s’offrent à lui.

[30] L’accusé, ayant choisi que son procès se déroule en anglais, sait que la preuve documentaire qui sera présentée contre lui au procès relativement aux infractions qui sont du ressort exclusif de la Cour devra être traduite pour lui compte tenu de son droit à un procès dans la langue de son choix. Il sait également qu’un interprète traduira tous les témoignages au procès du français à l’anglais. Son avocate comprendra par conséquent la preuve présentée contre lui au procès. Il a également l’option de profiter d’une enquête préalable, s’il le désire, relativement aux infractions à l’égard desquelles il a le choix quant au mode de procès.

[31] Il est incontestable que Me Mahoney est désavantagée en l’espèce. Elle fait valoir qu’elle n’est pas en mesure d’assurer convenablement la défense de son client. Toutefois, ce désavantage n’a pas été créé par l’État; c’est son propre client qui en est l’artisan. L’État a respecté toutes ses obligations constitutionnelles de divulgation et n’a nullement porté atteinte à l’équité en matière de procédure ou de fond à laquelle M. Frenette a droit. Je ne vois pas comment on pourrait obliger l’État à corriger la décision de M. Frenette de retenir les services d’une avocate désavantagée en lui demandant d’éliminer, aux frais des contribuables, le désavantage. 

[32] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’omission du poursuivant de fournir la traduction des documents divulgués dans la langue officielle du choix de M. Frenette ne lui a pas causé de préjudice ou n’a pas nui à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Le requérant ne s’est par conséquent pas déchargé de son fardeau d’établir, sur la prépondérance de la preuve, l’existence d’une violation de la Charte.

Pien c. R., 2006 QCCQ 13382 (CanLII)

[1] Les requérants présentent une requête pour arrêt des procédures vu le défaut de divulguer la preuve en vertu des articles 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans un premier temps, on prétend que le ministère public n'a pas communiqué l'ensemble de la preuve relative à l'accusation. Deuxièmement, pour les accusés représentés par Me Louis Bigué, on reproche de ne pas avoir obtenu une copie de la communication de la preuve en langue anglaise. Enfin, malgré des demandes répétées, la poursuite refuse de remettre une copie de la communication de la preuve pour chacun des accusés se contentant d'en transmettre un exemplaire aux avocats en présence. En raison de chacun de ces manquements allégués, les requérants demandent l'arrêt des procédures.

[…]

La langue de la divulgation

[42] Cette partie de la requête ne touche que les accusés de la Première Nation de Long Point. La seule preuve repose sur le témoignage du chef Steeve Mathias. Il admet ne pas être aussi à l’aise en français qu’en anglais. Par contre, il témoigne avoir été en mesure de lire les documents même s'il a dû y consacrer davantage de temps. Son incompréhension repose davantage sur le libellé des chefs d’accusation que sur sa compréhension du contenu de la divulgation de la preuve.

[43] Aucune autre preuve n’a été faite concernant le degré de compréhension des autres accusés. Le Tribunal ne peut le présumer. Comme le droit à la divulgation de la preuve est un droit personnel, il ne peut pas non plus appliquer à l’ensemble des accusés le remède constitutionnel approprié pour l’un d’entre eux.

[44] Comme monsieur Mathias a pu lire et comprendre, à tout le moins en bonne partie, les documents divulgués, le Tribunal n’y voit aucun préjudice. Le Tribunal concourt à la position de la Cour d’appel de l’Ontario [dans Simard] et des tribunaux québécois [dans Cameron et Stadnick] selon laquelle il est suffisant de divulguer les renseignements dans l’état où ils sont. En l’absence de démonstration d’une totale incompréhension, il y a lieu de conclure que les droits à une défense pleine et entière et à un procès équitable ne sont pas enfreints.

Voir également :

Stockford c. R., 2009 QCCA 1573 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Singh, 2015 ONSC 7376 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Arjun, 2013 BCSC 2076 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Liew and Yu, 2012 ONSC 1826 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Alayadi, 2010 ABPC 79 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Cody, 2006 QCCS 3656 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]  

R. c. Larcher (19 septembre 2002) (CS ON), juge Lalonde [hyperlien non disponible]

R. c. Rose, 2002 CanLII 45358 (QC CS) [décision disponible en anglais seulement]

Stadnick c. La Reine, 2001 CanLII 39664 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement] 

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Cameron, [1999] Q.J. No. 6204 [hyperlien non disponible]

R. c. Hunt, 2007 QCCQ 1405 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement] 

R. c. Farooq, [1998] O.J. No. 1209 [hyperlien non disponible]

R. c. Breton (1995), 28 W.C.B (2nd) 525 (YK TC) [hyperlien non disponible]

R. c. Fiddler, 1994 CanLII 7396 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

 

10. Arrestation ou détention

10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :

a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention; 

b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit; 

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations

R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, 1994 CanLII 64 (CSC)

[19] Vu ces circonstances, il est essentiel que le volet information du droit à l'assistance d'un avocat ait une portée large et que les policiers donnent les renseignements [Traduction] "promptement et d'une manière compréhensible": R. c. Dubois, [1990] R.J.Q. 681 (C.A.), (1990), 54 C.C.C. (3d) 166, aux pp. 697 et 196 respectivement. À moins d'être clairement et complètement informées de leurs droits dès le début, les personnes détenues ne sauraient faire des choix et prendre des décisions éclairées quant à savoir s'ils communiqueront avec un avocat et, en outre, s'ils exerceront d'autres droits, comme celui de garder le silence: Hebert. Qui plus est, étant donné la règle selon laquelle, en l'absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langues ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être pas la mise en garde prévue à l'al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s'assurer qu'elle la comprend bien; il importe que la mise en garde type faite aux personnes détenues soit aussi instructive et claire que possible: R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537, à la p. 540, et Evans, à la p. 891.

[…]

[39] Comme notre Cour l'a affirmé dans l'arrêt Evans (à la p. 892), les autorités de l'État ont, en vertu de l'al. 10b), l'obligation « de prendre des moyens raisonnables d'expliquer à l'accusé son droit à l'assistance d'un avocat ». Dans la plupart des cas, il sera suffisant de lire à l'accusé une mise en garde qui satisfait aux critères que j'ai mentionnés. Cependant, lorsque les circonstances révèlent qu'une personne détenue ne comprend pas la mise en garde habituelle, les autorités doivent prendre des mesures additionnelles pour s'assurer que cette personne saisit les droits que lui garantit l'al. 10b) et les moyens qui lui permettront de les exercer: Evans, à la p. 892, et Baig, à la p. 540. […]

[41] […] Comme je l'ai mentionné, notre Cour a reconnu la fonction essentielle du volet information de l'al. 10b). Compte tenu de l'importance de ce volet pour que les objectifs de l'al. 10b) soient atteints, on ne devrait reconnaître la validité d'une renonciation que dans les cas où il est évident que la personne détenue comprend pleinement les droits que lui garantit l'al. 10b) ainsi que les moyens qui lui sont offerts pour les exercer, et qu'elle invoque ces droits. En exigeant le respect de ces conditions, on s'assure que la personne détenue prendra une décision éclairée si elle renonce à son droit à l'assistance d'un avocat, après avoir renoncé à son droit d'être informée. Puisque les obligations d'informer que l'al. 10b) imposent aux autorités de l'État ne sont pas écrasantes, il n'est pas, à mon avis, déraisonnable d'insister pour que ces autorités dissipent toute incertitude susceptible d'exister relativement à la connaissance que la personne détenue a de ses droits, ce qui peut être accompli par une simple lecture de la mise en garde habituelle, comme elles sont tenues de le faire dans les cas où la personne détenue n'indique pas clairement et de façon noné quivoque son désir de renoncer à son droit d'être informée.

R. c. Kooktook et al, 2006 NUCA 3 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[126] Le juge de première instance a formulé un certain nombre d’observations dans lesquelles il se dit inquiet du fait que toutes les communications entre les agents des pêches et les intimés ont été échangées en anglais. Il était inquiet de savoir si les intimés avaient pleinement compris ce qui leur a été dit. Il a formulé les observations générales suivantes (au paragraphe 42) :

Au Nunavut, l’anglais est une langue seconde pour de nombreux Inuits. Environ 80 % des citoyens de ce territoire sont de descendance inuite. Les niveaux de connaissance et de compréhension de l’anglais varient grandement. Il ne faut pas présumer que tous ont une connaissance de base de l’anglais. La présente Cour reconnaît que de nombreux concepts juridiques ne peuvent pas être traduits directement de l’anglais à l’inuktitut ou à l’innuinaqtun.

Le juge de première instance a de nombreuses années d’expérience au sein des tribunaux du Nunavut, ce qui lui permet de faire cette déclaration.

[127] La langue constituait une préoccupation particulière concernant M. Tucktoo. M. Ashevak, l’agent de protection de la faune, a déclaré que M. Tucktoo a parfois besoin d’aide en anglais. Le fait que l’agent McCotter a expliqué à ce dernier ses droits légaux en langage de profane donne à penser que lui non plus n’était pas certain du niveau de compréhension de M. Tucktoo.

[128] Encore une fois, l’absence d’un dossier complet et précis pose problème. La Couronne n’a pas à prouver qu’une personne qui fait une déclaration comprend pleinement l’anglais (ou toute autre langue dans laquelle les mises en garde sont données et la déclaration recueillie). Cependant, lorsque certains éléments donnent à penser que la compréhension peut ne pas être adéquate, les autorités ne peuvent pas s’attendre à ce qu’une décision sur le caractère volontaire soit rendue sans fournir de preuves permettant au juge d’examiner toutes les circonstances de l’espèce. La connaissance de la langue est l’une de ces circonstances. Si le dossier n’est pas complet ou n’est pas fiable, la Couronne court alors le risque de ne pas réussir à s’acquitter du fardeau de la preuve. En l’espèce, les entrevues n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement audio ou vidéo.

[129] Le juge de première instance a formulé d’autres observations dans ses motifs concernant cet aspect de l’affaire (au paragraphe 44) :

La prudence suggère qu’un enquêteur qui envisage d’obtenir la déclaration d’un Inuit accusé en anglais fasse une petite enquête pour déterminer le niveau de compréhension de l’anglais du citoyen, sa capacité à communiquer efficacement dans cette langue et son niveau d’alphabétisation en général, qui est établi en fonction de son niveau d’instruction. Réciter simplement les mises en garde de la police et les droits garantis par la Charte ne sera pas forcément suffisant pour déterminer le niveau de compréhension de l’anglais, en particulier compte tenu de la formulation alambiquée des mises en garde principales et secondaires normalement données par les policiers. Lorsque le niveau de connaissance ou de compréhension de l’anglais de l’accusé est faible, tous les efforts raisonnables doivent être déployés pour répondre aux besoins linguistiques manifestes du citoyen. Des services d’interprétation devraient être fournis, sur demande. Même si aucune demande en ce sens n’est faite, des services d’interprétation devraient être offerts s’il est évident que la personne éprouve des difficultés.

[130] À mon avis, ces observations sont bien fondées. Elles font écho aux préoccupations qu’expriment les juges des tribunaux du Nord depuis des décennies. Un exemple peut être tiré de l’affaire R. c. Haniliak, [1985] N.W.T.R. 352, dans laquelle le juge Marshall de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a déclaré ce qui suit (à la page 354) :

Je pourrais formuler des observations générales, pour commencer, concernant l’obtention des déclarations dans le Nord, car je crois qu’il est très difficile pour les policiers de respecter la règle traditionnelle en ce qui a trait au caractère volontaire et de répondre actuellement aux exigences de la Charte. Les raisons qui expliquent ces difficultés sont nombreuses et je crois que certaines d’entre elles sont plus subtiles que d’autres. Tout d’abord, certaines personnes dans le Nord n’ont aucune expérience à l’égard de la justice pénale canadienne, des affaires qui concernent la police et des questions juridiques. En raison de leur culture, de leur exposition limitée à la loi, de leur éducation, de la séparation géographique et pour bien d’autres raisons, il me semble que beaucoup de gens des collectivités du Nord ont besoin que leurs droits leur soient expliqués de façon plus poussée, notamment ceux qui prévalent au moment de recueillir une déclaration, et qu’une mise en garde plus claire leur soit donnée lors de leur arrestation et de leur mise en détention.

Pour que la Charte canadienne des droits et libertés ait un sens pour les gens qui ont eu peu de contacts avec la police et les tribunaux, les explications fournies, dans des cas semblables, à des personnes qui n’ont pas d’expérience à cet égard devront être plus approfondies et être données avec une plus grande circonspection. Je constate qu’en l’espèce, l’agent n’a pas seulement lu la mise en garde et le script approprié, mais qu’il a également fourni une explication, ce qui, à mon avis, est souvent nécessaire.

R. c. Vanstaceghem, [1987] O.J. No. 509, 36 C.C.C. (3d) 142 (C.S. Ont. C.A.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[18] Toutefois, je ne suis pas convaincu que la seule question que la Cour d’appel en matière de poursuites sommaires doit trancher porte sur la crédibilité. La question cruciale, qui est une question de droit, consiste à déterminer si l’accusé a été informé de ses droits, aux termes de l’alinéa 10b) de la Charte, dans un langage explicite et compréhensible. Les circonstances étaient particulières. Comme l’agent savait que l’intimé était francophone et que de toute évidence, il ne comprenait pas bien l’anglais puisqu’il n’a pas compris sa demande lorsqu’il lui a ordonné de se soumettre à un alcootest, je suis d’avis que des circonstances particulières exigeaient ici que l’agent s’assure, à juste titre, que l’intimé comprenait bien les droits que lui confère la Constitution. R. c. Anderson (1984), 45 O.R. (2d) 225; 10 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.); R. c. Baig, [1985] O.J. No. 150; 9 O.A.C. 266.

[19] L’avocat nous a informés que la base des Forces canadiennes de Trenton est une base militaire bilingue et qu’elle compte des agents de la police militaire qui parlent les deux langues officielles du Canada. La preuve permet de conclure que les militaires ont accès à des conseils juridiques. Dans la mesure où l’agent qui a procédé à l’arrestation a été contraint de présenter à l’intimé la fiche de demande d’alcootest en français, avant que ce dernier eut même compris une simple demande, la seule conclusion qui peut raisonnablement être tirée est que l’intimé aurait dû être informé de ses droits constitutionnels dans sa propre langue, soit au moyen d’une fiche, par l’entremise d’un interprète ou en communiquant par téléphone avec un agent bilingue pour obtenir de l’aide. Dans les circonstances particulières de l’espèce, l’utilisation du terme « avocat » n’a manifestement pas amené l’intimé à penser qu’il avait droit aux services d’un avocat, autrement dit qu’il avait le droit « d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ».

[...]

[21] À mon avis, il n’était pas raisonnable de la part de l’agent qui a procédé à l’arrestation d’inférer que l’intimé comprenait ses droits constitutionnels et a sciemment choisi d’y renoncer, compte tenu des circonstances particulières de sa détention. Le juge provincial a tiré sa conclusion en s’appuyant sur le fait que l’agent était convaincu que l’intimé était en mesure de le comprendre, et cette conclusion ne peut être étayée sur la seule base de la crédibilité qui, de toute façon, est plutôt réduite en l’espèce. La question visant à déterminer si l’intimé a été correctement informé de ses droits constitutionnels n’a pas été examinée comme il se doit par le juge provincial. À mon avis, le savant juge de la Cour d’appel a eu raison de conclure que les droits de l’intimé, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte, ont été violés.

R. c. Au Yeung, 2016 ABQB 313 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[47] L’important ici est que le caporal Frost a tenté d’expliquer au demandeur les droits qui lui sont garantis en vertu de l’article 10 de la Charte. En trois minutes, il lui a dit qu’un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) parlant le cantonais allait être présent, puis il y a eu une discussion entre le caporal Frost et le répartiteur de la GRC concernant ce membre de l’organisation. Pendant tout ce temps, le caporal Frost a tenté de garder le demandeur informé de ces procédures.

[...]

[49] La présente Cour estime que le caporal Frost n’a pas violé cet aspect des droits du demandeur énoncés à l’article 10 de la Charte. Certes, ni la Charte ni la Cour suprême du Canada n’a la prétention de vouloir que tous les agents de police connaissent l’ensemble des langues parlées au Canada. En plus d’essayer d’expliquer au demandeur, au mieux de ses capacités, les droits qui lui sont garantis par la Charte, le caporal Frost a immédiatement tenté d’obtenir les services de l’agent He, ce qu’il a fait dans les plus brefs délais possible, eu égard aux circonstances. La présente Cour estime que le caporal Frost, en prenant de telles mesures, s’est acquitté de son obligation d’informer le demandeur des motifs de son arrestation, ainsi que de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Quoi qu’il en soit, le caporal Frost a été en mesure d’obtenir les services de l’agent He, lequel devait lui servir d’interprète. L’agent He s’est entretenu avec le demandeur 12 minutes après que le caporal Frost l’eut arrêté et l’agent He a de nouveau informé ce dernier de ses droits en vertu de la Charte, en plus de reformuler la mise en garde.

[50] Le demandeur soutient que le caporal Frost ne s’est pas acquitté de sa responsabilité de l’informer pleinement de ses droits aux termes de l’alinéa 10b) de la Charte, puisqu’il ne lui a pas lu la totalité des droits figurant sur la carte expliquant les droits garantis par cette dernière. Là encore, cela revient à se demander si la reformulation du contenu de cette carte par le caporal Frost porte atteinte au droit du demandeur d’être représenté par un avocat. En gardant à l’esprit le fait que le caporal Frost ne parle pas le cantonais, la formulation complexe des droits énoncés sur cette carte porterait elle-même atteinte au droit que ce dernier tentait d’expliquer au demandeur. Le caporal Frost a expliqué à la présente Cour avoir cru que la meilleure façon d’aborder le demandeur était de lui expliquer les droits que lui confère la Charte, en utilisant un langage de profane plus simple. Il a admis qu’il ne s’agissait pas là d’une approche s’appuyant sur les « pratiques exemplaires », mais il a estimé, dans les circonstances, qu’il s’agissait de la meilleure façon de faire.

[51] La présente Cour estime que ce que le caporal Frost a fait était ce qu’il y avait de mieux à faire dans les circonstances et risquait de donner « sans délai » au demandeur une petite idée de ses droits. Cette tentative n’a pas porté atteinte au droit du demandeur d’être représenté par un avocat, puisque ce dernier a, en réalité, été informé de ce droit. L’agent He a ensuite pleinement expliqué ce droit au demandeur.

[52] En l’espèce, la première occasion raisonnable qu’a eue le demandeur d’exercer les droits énoncés à l’alinéa 10b) de la Charte s’est présentée lorsque le gendarme DeBow a conduit ce dernier auprès du détachement de la GRC. Le gendarme DeBow a alors escorté le demandeur jusqu’à une salle privée munie d’un téléphone, et ce dernier a eu la possibilité de communiquer avec un avocat et a, en fait, parlé à un avocat grâce à un interprète cantonais, dont les services lui ont été offerts par l’aide juridique.

[53] Les droits garantis au demandeur en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte n’ont pas été violés.

R. c. Singh, 2015 ONSC 7376 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] L’avocat de la défense soutient que les assertions et les déclarations doivent être exclues, puisqu’elles n’ont pas été faites de façon volontaire et que le défendeur n’a pas été correctement informé de son droit à un avocat, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte. Le défendeur prétend qu’il a été contraint de faire cette déclaration et qu’il ne maîtrisait pas suffisamment bien l’anglais pour comprendre ses droits ni la mise en garde qui lui a été donnée par les policiers.

[...]

[5] Dans R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 RCS 173, le juge en chef Lamer a déclaré qu’« en l’absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langues ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être pas la mise en garde prévue à l’al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s’assurer qu’elle la comprend bien ». L’avocat de la défense soutient qu’en l’espèce, il existe des circonstances particulières, étant donné que le défendeur n’était pas en mesure de bien parler ou de bien comprendre l’anglais.

[6] Après avoir visionné la totalité de la vidéo montrant la déclaration que le défendeur a faite à la police et avoir examiné la transcription de cette déclaration produite par un sténographe judiciaire, je suis forcé d’opiner en ce sens. Une grande partie de ce que le défendeur a dit était incompréhensible. Pour être clair, le défendeur possède tout de même une certaine connaissance de l’anglais, et comme l’a souligné dans son témoignage un des agents qui l’a interrogé, une partie de la confusion apparente du défendeur peut venir du fait que ce dernier cherchait à répondre de manière évasive aux questions auxquelles il n’avait pas de bonnes réponses à donner. Toutefois, comme l’a indiqué la Cour d’appel dans R. c. Lapointe, [1983] OJ No 183, la maîtrise d’une langue n’est pas une affaire à prendre ou à laisser.

[7] Le défendeur vit au Canada depuis près de deux décennies et a travaillé comme chauffeur de taxi et comme camionneur. L’avocat de la Couronne soutient que ces métiers exigent une certaine connaissance de la langue. Je suis d’accord pour dire qu’une connaissance rudimentaire de l’anglais est probablement nécessaire pour obtenir un permis et conduire un véhicule de façon sécuritaire en Ontario. En outre, le défendeur a signé un affidavit à l’appui de la présente demande d’exclusion d’éléments de preuve, et cet affidavit, qui était en anglais, n’était pas accompagné d’une traduction ni d’un affidavit signé par un interprète indiquant qu’il en a expliqué le contenu au défendeur, dans sa langue maternelle, le pendjabi.

[...]

[12] Cependant, l’examen de la vidéo et de la transcription révèle une grande incompréhension. Il est évident, en voyant et en écoutant le défendeur, que ce dernier a commencé à parler sans avoir compris la signification de la mise en garde formulée aux termes de l’alinéa 10b) et qu’en aucun moment, tout au long de sa déclaration, il n’en a saisi le sens.

[...]

[16] Par conséquent, le défendeur n’a jamais confirmé qu’il s’est vu donner la mise en garde appropriée, en vertu de l’alinéa 10b), et il est possible d’affirmer, d’après son niveau d’incompréhension, qu’il n’a jamais rien compris de cette mise en garde. Les policiers ont peut-être dit ce qu’il fallait, mais leurs propos sont restés incompris. La déclaration du défendeur recueillie sur vidéo par les policiers a donc été faite de façon involontaire et est, de ce fait, inadmissible.

[17] Il en va de même des déclarations faites par le défendeur lors de son arrestation et avant d’être emmené au poste de police. À ce moment-là, il n’avait pas encore reçu la mise en garde en vertu de l’alinéa 10b) ou celle-ci ne lui avait pas encore été pleinement expliquée. L’agent Andrew Pak a déclaré qu’il a donné au défendeur une version paraphrasée de la mise en garde standard, étant donné qu’il avait laissé la version officielle dans son carnet dans le véhicule de reconnaissance; l’agent Gregory Manuel a affirmé qu’il a donné au défendeur une mise en garde informelle, mais qu’il ne lui a pas présenté la version officielle complète. De toute façon, rien n’indique que les agents ont pris le temps d’expliquer lentement et soigneusement la signification de la mise en garde au défendeur.

R. c. Mathieu, 2014 ONCS 6124 (CanLII)

[101] Les limites sur le plan linguistique sont étroitement associées à la communication et à la compréhension de ce droit de garder le silence. L’accusé a répondu trois fois « Mhmm » au cours de cet échange. On ne sait pas trop comment cet avertissement avait été compris, particulièrement lorsque 16 heures plus tôt, on avait déterminé que ces droits devaient être communiqués à l’accusé en français.

[102] Le droit de garder le silence conféré par l’article 7 s’harmonise étroitement avec le droit à l’assistance d’un avocat conféré par l’al. 10b).

[103] Que les mots employés pour faire part à l’accusé de son droit de garder le silence aient été suffisants ou non, le problème est aggravé par le fait que les mots utilisés pour communiquer ce droit et la confusion entourant la question de savoir si l’accusé souhaitait alors parler à son avocat viennent s’ajouter au fait que ce droit avait été communiqué à l’accusé en anglais et que ce même service de police avait conclu, 16 heures plus tôt, que les limites de l’accusé en anglais dictaient que ses droits lui soient communiqués en français. Le détective Laver savait qu’on avait tiré cette conclusion mais n’en a pas tenu compte. 

[104] Le détective Laver n’a fait aucun effort particulier pour expliquer la nature de ce droit de garder le silence ou de consulter un avocat et n’a pas obtenu une renonciation véritable à ce droit, alors qu’elle connaissait les limites d’ordre linguistique de l’accusé et qu’elle savait que celui-ci avait déclaré à deux reprises qu’il attendait l’arrivée de son avocat. 

[105] Ces deux détectives ont consacré une journée à cette enquête, ont parlé à la plaignante et au témoin oculaire, ont obtenu des renseignements des deux agents et étaient prêts à commencer l’interrogatoire. Ils étaient désireux de procéder sur-le-champ à l’interrogatoire et de ne pas retarder celui-ci, ce qui aurait été le cas s’ils avaient dû prendre des arrangements pour obtenir les services d’un interprète ou mettre au courant un policier francophone qui aurait été chargé de mener l’interrogatoire. Leur intérêt dans cette affaire, ou leur désir d’aller de l’avant sans attendre davantage, a empêché l’accusé d’obtenir une explication valable quant à son droit de consulter un avocat et de bien comprendre qu’il avait le droit de garder le silence.

R. c. Soares, 2013 ONSC 126 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[26] La déclaration enregistrée démontre que M. Soares a semblé comprendre une bonne partie de ce que lui a dit Mme Peters. Toutefois, tel qu’il a été indiqué précédemment, lorsque l’agente utilisait des expressions familières ou des métaphores, M. Soares hésitait. De façon plus fondamentale, dans le cadre d’un interrogatoire de police, la communication va au-delà de la simple compréhension; la personne accusée doit être en mesure de participer de manière significative et de s’exprimer efficacement, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Cela aurait dû soulever des inquiétudes à savoir si M. Soares avait réellement compris ou non ses droits lorsqu’il a consulté l’avocat de service. Pour prouver mon point, je fais de nouveau référence à la description qu’a donnée M. Soares des conseils qu’il a reçus de l’avocat de service – soit se montrer très prudent lorsqu’il s’adresse aux policiers. Bien que l’avocat de service n’ait pas été appelé à témoigner, cet aspect du témoignage de M. Soares m’amène à conclure que soit ce dernier n’a pas compris les conseils qui lui ont été donnés, soit il s’est vu offrir de très mauvais conseils par l’avocat avec lequel il s’est entretenu. Je pense (et j’espère) qu’il s’agit de la première des deux options.

[27] Dans ces circonstances, l’entrevue de M. Soares était inéquitable et la question de la langue aurait dû être abordée directement dans le contexte du droit d’être représenté par un avocat. Pour cette raison, j’estime qu’il y a eu violation de l’alinéa 10b).

R. c. Arjun, 2013 BCSC 2076 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[86] L’enquête la plus importante consiste apparemment à déterminer si la personne accusée a été en mesure d’obtenir des conseils juridiques valables et compréhensibles, en se fondant sur l’évaluation objective de la capacité de cette dernière à comprendre suffisamment bien l’anglais pour saisir les conseils ainsi donnés.

[...]

[90] La question est donc de savoir s’il existait des circonstances particulières en ce qui a trait à la capacité de Mme Arjun de comprendre l’anglais, de sorte que pour exercer son droit à un avocat, les policiers se devaient de prendre des mesures supplémentaires pour s’assurer qu’elle comprenait ses droits et qu’elle avait la possibilité de les exercer convenablement, soit en ayant recours aux services d’un interprète pour s’entretenir avec son avocat ou en consultant un avocat parlant l’hindi. J’estime que les policiers étaient tenus de prendre de telles mesures.

[...]

[98] En l’espèce, j’estime que les policiers auraient dû se rendre compte que Mme Arjun ne comprenait pas ses droits. J’en viens à la conclusion que comme elle a une compréhension limitée de l’anglais, l’accusée avait besoin d’un interprète pour comprendre suffisamment bien le droit à un avocat que lui garantit la Charte. Certains facteurs objectifs donnent à penser que les policiers auraient dû savoir que la connaissance de l’anglais de Mme Arjun n’était pas suffisamment bonne pour qu’elle comprenne son droit d’être représentée par un avocat ou les conseils qu’elle aurait obtenus en en consultant un. Ces facteurs comprennent son accent prononcé; les demandes qu’elle a faites, par l’entremise de son avocat et de son plein gré, pour obtenir les services d’un interprète; les différents moments où elle a déclaré qu’elle ne comprenait pas ses droits; le fait qu’elle était perplexe à savoir si elle avait parlé à un avocat et si oui, à quel moment elle l’avait fait. J’estime que Mme Arjun n’a pas été en mesure d’obtenir des conseils juridiques valables et compréhensibles sans les services d’un interprète pour s’entretenir avec son avocat ou encore d’un avocat parlant l’hindi. Par conséquent, je conclus qu’il y a eu violation des droits garantis à l’accusée en vertu de l’alinéa 10b).

R. c. Barros-DaSilva, [2011] O.J. No. 3794, 2011 ONSC 4342 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[23] La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si M. Barros-DaSilva a été informé de son droit à un avocat dans une langue qu’il comprenait et s’il s’est vu offrir la possibilité d’exercer ce droit convenablement.

[24] Il est bien établi en droit que lorsqu’il existe des « circonstances particulières », un agent de police est tenu de prendre d’autres mesures pour s’assurer de façon raisonnable que la personne accusée comprend son droit d’être représentée par un avocat, qui lui est garanti par la Constitution : R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233, au paragraphe 8; R. c. Colak, [2006] O.J. No. 4953.

[...]

[28] Il existe des « circonstances particulières » dans les cas où certains facteurs objectifs démontrent que la compréhension de l’anglais de la personne accusée peut être limitée pour diverses raisons, par exemple, parce qu’elle a récemment immigré au Canada depuis un pays non anglophone et qu’elle a de la difficulté à comprendre son droit d’être représentée par un avocat. Dans de telles circonstances, les policiers ont le fardeau supplémentaire de prendre des mesures efficaces pour s’assurer, d’une façon concrète et compréhensible, que l’accusé comprend effectivement ses droits. Les circonstances pertinentes comprennent des facteurs tels que l’âge, le niveau de scolarité et de connaissance, la langue et la santé mentale. [...]

[29] Bien qu’il n’y ait pas de liste exhaustive des situations où des « circonstances particulières » peuvent exister, le juge Gage décrit des situations dans lesquelles un agent devrait porter attention à la présence de telles circonstances. Voici quelques exemples de telles situations :

1. Le défaut de répondre aux questions portant sur le droit à un avocat, combiné à une déclaration de la personne qui affirme ne pas parler très bien l’anglais : R. c. Lukavecki, [1992] O.J. No. 2123;

2. La nécessité de parler lentement à un accusé qui parle « un peu » l’anglais : R. c. Ly, [1993] O.J. No. 268;

3. Un accusé qui répond par la négative à la question de savoir s’il comprend qu’il a droit à un avocat et le défaut, par la suite, de fournir des directives écrites ou verbales au sujet de ce droit dans la langue maternelle de l’accusé : R. c. Lim, [1993] O.J. No. 3241, par le juge Bigelow (C.J.O.);

4. Le défaut d’accéder à la demande d’un accusé qui souhaite obtenir les services d’un interprète, d’un agent ou d’un avocat qui parle sa langue maternelle : R. c. Ferreira, par le juge Wren (J.C.S.), datée du 6 décembre 1993;

5. Le fait de savoir que la langue de l’accusé n’est pas l’anglais, combiné à une indication d’incompréhension de la demande pour une analyse d’haleine ainsi qu’aux déclarations répétées de l’accusé qui affirme ne pas comprendre son droit à un avocat ou encore la signification ou la fonction de l’avocat de service : R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233.

[30] La croyance subjective des agents, qui pensent que les accusés comprennent pleinement leurs droits, ne permet pas de trancher la question des « circonstances particulières ». Même si un tribunal admet le témoignage de la police selon lequel les agents croyaient que les accusés comprenaient pleinement leurs droits tels qu’ils ont été expliqués en anglais, les conclusions de fait peuvent tout de même donner lieu à des « circonstances particulières ». Conclure qu’il n’existe pas de circonstances particulières en s’appuyant sur la croyance subjective d’un agent au sujet de la capacité de l’accusé à comprendre ses droits légaux est une erreur de droit justifiant l’annulation. R. c. Vanstaceghem, précité, à la page 6; R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233 (C.J.O.), au paragraphe 9; R. c. Lukavecki, [1992] O.J. No. 2123 (Div. gén. Ont.); R. c. Olivia Baca, [2009] O.J. No. 1926 (C.J.O.), au paragraphe 2; R. c. Peralta-Brito, [2008] O.J. No. 81 (C.J.O.).

[31] Le défaut de l’accusé d’affirmer qu’il a de la difficulté à communiquer (c.-à-d. l’accusé n’a pas expressément demandé l’aide d’un interprète ou d’un avocat de service dans une langue particulière) ne permet pas de trancher la question des « circonstances particulières ». R. c. Oliva Baca, précité, au paragraphe 25; R. c. Silva, précité, aux paragraphes 26 et 27; R. c. Peralta-Brito, précité.

[...]

[33] Je conclus que bien que le savant juge de première instance ait exposé une bonne partie de la preuve, il n’a pas procédé à l’analyse juridique nécessaire à l’égard de la question que devait trancher la Cour au sujet de cette requête, à savoir si la preuve démontrait ou non l’existence de « circonstances particulières » qui auraient exigé que les policiers prennent des mesures supplémentaires pour s’assurer que M. Barros DaSilva a été informé de son droit à un avocat, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte, dans un langage explicite et compréhensible. Au lieu de cela, le juge a fondé sa décision sur la croyance subjective des agents, qui pensaient que l’appelant connaissait et comprenait l’anglais, alors qu’il existait une preuve objective de la présence de circonstances particulières, qui auraient dû alerter les agents et les amener à prendre d’autres mesures pour s’assurer que l’appelant comprenne bien ses droits. À mon sens, il s’agit là d’une erreur de droit.

[34] La preuve révèle clairement que lorsque les agents Skleryk et Shillington se sont entretenus avec M. Barros-DaSilva, il était particulièrement évident pour eux que M. Barros-DaSilva parlait avec un accent et que l’anglais n’était pas sa langue maternelle.

[...]

[46] En ce qui concerne l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte, j’estime que la décision de l’État de ne pas fournir à l’appelant les services d’un traducteur, d’un avocat ou d’un agent de police parlant le portugais a effectivement privé ce dernier de tous ses droits garantis par l’alinéa 10b), ainsi que de son droit à la protection contre l’auto-incrimination  et de son droit au silence. Par conséquent, l’incidence sur les droits de l’appelant garantis par la Charte est importante et favorise donc l’exclusion.

R. c. Therrien, 2006 BCSC 1739 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Les versions française et anglaise de ce que le caporal Gobeil a dit à M. Therrien étaient conformes aux exigences constitutionnelles prévues à l’alinéa 10b) de la Charte. La version française contenait encore plus d’information que la version anglaise, soit que la police pourrait lui fournir ou lui fournirait une liste d’avocats en Colombie-Britannique et ailleurs avec qui il pourrait communiquer sans frais pour obtenir gratuitement des conseils juridiques. M. Therrien a clairement précisé qu’il comprenait les deux versions. En effet, il a déclaré que le terme « ailleurs » faisait référence au Québec ou incluait ce dernier. Le fait que plus tard, il ne se souvenait pas que le caporal Gobeil lui ait offert les services d’un avocat francophone de l’aide juridique ne signifie pas que la police a violé les droits qui lui sont garantis par l’alinéa 10b).

[37] Quoi qu’il en soit, la police n’était pas tenue de l’informer de ses droits en français puisqu’il est clair, d’après le témoignage du caporal Gobeil et l’enregistrement sur bande de leur échange, que M. Therrien comprenait et parlait l’anglais. M. Therrien a tenté de se sauver lorsque le caporal Gobeil l’a informé qu’ils avaient un mandat d’arrestation contre lui sous deux chefs d’accusation pour meurtre au premier degré; M. Therrien a donc compris ce que le caporal Gobeil a dit. Je rejette le témoignage de M. Therrien selon lequel il a seulement réagi au fait que les menottes étaient serrées. Cette explication n’a pas été portée à l’attention du caporal Gobeil lors du contre-interrogatoire, et l’enregistrement audio de l’arrestation démontre qu’une seule des menottes avait été mise à M. Therrien lorsqu’il a tenté de se sauver.

[...]

[40] M. Therrien a confirmé avoir compris tous les renseignements qui lui ont été communiqués dans les deux langues. Le caporal Gobeil a également demandé à plusieurs reprises à M. Therrien s’il avait des questions au sujet de ses droits, ce à quoi il a invariablement répondu par la négative. J’ai perçu des signes d’impatience dans sa voix quand il s’est vu demander à maintes reprises s’il comprenait. Les policiers ont fait preuve d’une grande prudence en lui expliquant également ses droits en français, même si en vertu de la Constitution, ils n’étaient pas tenus de le faire.

R. c. Michaud, [1986] O.J. No. 1631, 45 M.V.R. 243 (Ont. Dist. Ct.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[27] Il est possible que la police n’ait pas à prendre de mesures extrêmes afin de respecter les droits d’un accusé en vertu de l’article 10 de la Charte. Toutefois, pour se conformer aux exigences prévues dans cet article, il est nécessaire que toute personne accusée soit clairement informée de ses droits. L’accusé doit comprendre ce qui lui est dit, de même que les options qui s’offrent à lui afin d’être en mesure de décider d’exercer ou non les droits qui lui sont garantis par la Charte.

[28] Il n’est pas suffisant pour un policier, lors de l’arrestation ou de la mise en détention d’une personne, de lui réciter simplement les droits qui lui sont garantis par l’article 10 de la Charte. Tel qu’il est énoncé à l’alinéa 10b), l’accusé ou le détenu doit être informé de ses droits. Cela signifie que ce dernier doit comprendre ce que l’agent de police lui dit. Autrement, il ne pourra pas décider de façon éclairée d’exercer les droits qui lui sont garantis ou encore d’y renoncer.

[29] Si les droits sont lus en anglais seulement et que la connaissance que l’accusé ou le détenu a de l’anglais ne lui permet pas de bien comprendre la situation, il s’agit alors là de « circonstances particulières », qui mettent en garde l’agent et qui l’obligent à agir raisonnablement, compte tenu des circonstances.

NOTA – Ces paragraphes ont été entérinés par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Vanstaceghem, [1987] O.J. No. 509, 36 C.C.C. (3d) 142 (CA ON).

R. c. Irving, 2016 QCCQ 2697 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[29] En vertu de l’alinéa 10b) de la Charte, chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’être informé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Ce droit a été établi, dans cette disposition, comme une obligation constitutionnelle des agents de la paix, qui interagissent avec les personnes arrêtées ou détenues.

[30] L’obligation d’informer l’intéressé ne peut pas être contraignante au point qu’il soit nécessaire de prouver que la personne à qui l’information a été communiquée l’a très bien comprise. Il est impossible de savoir avec certitude ce qu’une autre personne comprend, même si les explications données sont très claires. En outre, il semble concevable que l’intéressé bloque la réception de l’information, en criant ou en se bouchant les oreilles, par exemple, ou encore en tombant dans un état psychotique, qui lui fait perdre contact avec la réalité.

[31] Cependant, il est tout aussi inacceptable de prétendre que les obligations constitutionnelles peuvent être respectées simplement en lisant machinalement une formule, sans égard pour la personne à qui elle s’adresse. À mon avis, pour qu’un droit soit valable, il est essentiel qu’il soit communiqué de manière à ce que la personne qui transmet le message soit assurée, dans une mesure raisonnable, que ce dernier a bien été reçu.

[32] Je crois qu’une pratique qui a cours, laquelle n’est pas essentielle, mais peut être très utile, consiste à demander à l’intéressé de répéter ce qui a été dit dans ses propres mots.

[33] Au fond, la question de la langue est celle qu’il me faut trancher en l’espèce. À ce titre, il me semble pour le moins raisonnable de lire les droits de l’accusé dans sa langue, en particulier si celle-ci est l’une des deux langues officielles du pays et que les policiers peuvent facilement s’exprimer dans la langue de la personne mise en état d’arrestation.

Ashevak c. R., 2015 QCCQ 9636 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[9] Après avoir analysé la déclaration de l’accusé, qui affirme ne pas très bien comprendre l’anglais, la Cour reconnaît le fait que M. Ashevak est un Inuit âgé de 47 ans, dont la langue maternelle est l’inuktitut; il parle l’inuktitut à la maison, il n’avait pas à parler anglais lorsqu’il travaillait et dans une collectivité comme Salluit, un Inuit n’a généralement pas besoin, au quotidien, de parler anglais, à moins que son travail ne l’exige.

[...]

[12] La Cour est convaincue que la compréhension de l’anglais de l’accusé ne lui a pas permis de comprendre adéquatement ses droits et d’être pleinement conscient de ce qu’une renonciation supposait.

[13] Par conséquent, l’agent de police avait l’obligation de lui offrir des services de traduction – qui étaient accessibles selon la version des faits de l’agent – ou de le questionner de façon plus poussée pour s’assurer qu’il comprenait clairement ses droits et les conséquences possibles s’il y renonçait, en particulier dans la mesure où l’Inuit auquel il avait affaire n’avait jamais eu de démêlés avec la police auparavant.

R. c. Bassi, 2015 ONCJ 340 [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[42] L’avocat de la Couronne a fait valoir que je devrais conclure qu’il n’y avait pas de circonstances particulières, puisque selon ses observations, les échanges que M. Bassi a eus avec les agents, lorsque ceux ci sont examinés dans leur ensemble, démontrent qu’il a compris la teneur des communications entretenues avec eux. Je reconnais que M. Bassi pouvait s’exprimer raisonnablement bien en anglais. Cependant, la jurisprudence reconnaît qu’une personne arrêtée et mise en détention est placée dans une situation de vulnérabilité et se trouve souvent, comme c’est le cas en espèce, en terrain inconnu. La jurisprudence reconnaît également que des notions complexes entrent en jeu pour comprendre les circonstances auxquelles fait face une personne en état d’arrestation, de même que les conseils juridiques prodigués; ainsi, une personne capable de se débrouiller en anglais dans la vie de tous les jours peut ne pas avoir une connaissance suffisante de l’anglais pour comprendre les complexités des questions d’ordre juridique. Compte tenu des circonstances, en particulier des commentaires expressément formulés par M. Bassi dans la salle de prélèvement des échantillons d’haleine concernant son manque de compréhension et le fait que l’anglais n’est pas sa langue maternelle, je reconnais qu’il avait de la difficulté à comprendre l’avocat de service qui s’exprimait en anglais et qu’il existait des circonstances particulières.

[43] L’avocat de la Couronne a également soutenu que je devrais conclure que l’existence de circonstances particulières n’a pas été prouvée, étant donné que les agents de police Drexler et Simmonds ont tous deux affirmé que selon eux, M. Bassi parlait parfaitement bien l’anglais. Je rejette cet argument. Ce dernier ne concorde pas avec l’analyse effectuée dans la jurisprudence. La jurisprudence reconnaît qu’il n’est pas de la responsabilité des agents de police de juger du niveau de compréhension de l’anglais du défendeur ou de la bonne foi de ses déclarations lorsqu’il affirme ne pas comprendre certaines choses. La loi est claire à ce sujet, et il en va ainsi depuis de nombreuses années. Je me dois d’appliquer un critère objectif, en me fondant sur toutes les circonstances de l’espèce.

[...]

[49] Les agents Drexler et Simmonds ont tous deux indiqué dans leur témoignage que M. Bassi n’a jamais demandé à rencontrer un avocat de service parlant le pendjabi ou à obtenir les services d’un interprète pour appeler son avocat. Ils ont affirmé que si M. Bassi l’avait demandé, ils auraient accédé à sa demande. Ces propos démontrent que les agents ne comprennent pas bien leurs obligations découlant de la Charte en ce qui a trait aux questions d’ordre linguistique. La jurisprudence reconnaît qu’une personne en état d’arrestation, en particulier quelqu’un comme M. Bassi qui n’a jamais été arrêté auparavant, peut ne pas être au fait de l’existence d’un avocat de service dans une langue autre que l’anglais ou d’un service d’interprétation simultanée par téléphone à utiliser lors des communications avec un avocat. En présence d’une preuve objective de l’existence de circonstances particulières liées à la langue, les policiers ont l’obligation de prendre des mesures, notamment d’offrir l’assistance d’un avocat de service qui parle la langue maternelle du détenu ou encore les services d’un interprète pour s’entretenir avec un avocat. Il n’est pas de la responsabilité du détenu d’être au fait de ces services et de demander à en bénéficier. Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 48 ci-dessus, les commentaires de l’agent Simmonds selon lesquels les seules options possibles pour une deuxième consultation avec un avocat étaient d’avoir recours à un avocat du secteur privé, si M. Bassi en connaissait un (ce qui n’était pas le cas), ou de s’entretenir de nouveau avec l’avocat de service (anglophone), ont laissé à tort l’impression que M. Bassi n’avait pas d’autres options.

[50] Après que M. Bassi eut exprimé ses préoccupations concernant la langue, l’agent Simmonds, plutôt que d’offrir à ce dernier les services d’un interprète ou d’un avocat de service parlant le pendjabi, a demandé à M. Bassi s’il avait des questions qu’il aimerait poser à l’avocat de service plutôt qu’à lui. Pris dans le contexte de l’alinéa 10b), cet échange est troublant pour deux raisons.

[51] Premièrement, en ce qui concerne la langue, il ne fait pas suite aux problèmes qu’a clairement soulevés M. Bassi quant à sa compréhension de l’anglais. L’agent Simmonds n’allait pas répondre aux questions de M. Bassi en pendjabi.

[52] Deuxièmement, et plus fondamentalement encore, cet échange porte atteinte au rôle de l’avocat, en ce sens que l’agent cherche à savoir ce que le détenu souhaite demander à son avocat pour ensuite décider s’il est approprié de poser cette question à l’avocat ou à la police. Au lieu d’offrir à M. Bassi l’assistance d’un avocat de service parlant le pendjabi ou les services d’un interprète pour s’entretenir avec son avocat, l’agent Simmonds a décidé de s’interposer afin de déterminer quelles questions il était approprié de la part de M. Bassi d’aborder avec son avocat.

[53] J’admets que dans un sens, il peut y avoir un chevauchement partiel entre les conseils juridiques prodigués par un avocat et l’obligation d’un agent d’informer l’intéressé des motifs de son arrestation ou de sa détention, en vertu de l’alinéa 10a) de la Charte. Ceux-ci sont différents sur le plan fonctionnel, mais ils peuvent tous deux porter sur les éléments constitutifs de l’infraction reprochée. Cependant, il me semble que lorsqu’un agent entame une discussion avec un détenu au sujet des points que ce dernier souhaite aborder avec son avocat, il s’engage sur un terrain glissant et inapproprié. Ce dont une personne souhaite discuter avec son avocat est exactement ce que vise à protéger le secret professionnel de l’avocat et le concept plus général de la confidentialité de la relation avocat-client : Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 21, aux pages 833 à 837; Descôteaux et autre c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860, aux pages 870 à 875; R. c. McClure, 2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 17 à 37.

[54] Je trouve des éléments supplémentaires pour étayer ma conclusion selon laquelle les policiers n’ont pas respecté les droits de M. Bassi, en vertu de l’alinéa 10b), en ce qui concerne la langue, dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Sinclair, 2010 CSC 35 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 310. L’arrêt Sinclair ne porte pas expressément sur les droits linguistiques. Cependant, il traite du droit de communiquer de nouveau avec un avocat en présence d’une preuve objective que le détenu peut ne pas avoir compris les conseils initiaux donnés aux termes de l’alinéa 10b). La juge en chef McLachlin et la juge Charron, s’exprimant au nom de la majorité, ont soutenu, aux pages 338 et 339 de l’arrêt Sinclair, que l’obligation d’offrir la possibilité de consulter de nouveau un avocat existe en présence de circonstances objectives indiquant que le détenu peut ne pas avoir compris les conseils reçus initialement en vertu de l’alinéa 10b). Bien que l’agent Simmonds fût conscient que M. Bassi avait déjà parlé à un avocat, il savait également que cette consultation s’était déroulée en anglais. M. Bassi a clairement indiqué à l’agent Simmonds que l’anglais n’était pas sa langue maternelle, que certaines choses dites en anglais lui échappaient parfois et qu’il n’avait compris qu’environ 90 % de ce que l’avocat de service lui a dit; il s’agit là de circonstances objectives qui entraînaient l’obligation d’autoriser une deuxième consultation avec un avocat. En outre, cette obligation s’accompagnait, en l’espèce, du devoir d’offrir l’assistance d’un avocat de service parlant le pendjabi ou encore les services d’un interprète pendjabi lors de la consultation avec un avocat.

[...]

[72] Les répercussions à long terme sur la considération dont jouit l’administration de la justice m’amènent à conclure, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, qu’il est préférable d’exclure les éléments de preuve dans ce cas-ci. Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai décelé un certain nombre de facteurs aggravants qui font que la violation commise est particulièrement grave. Bien que la preuve que constitue l’échantillon d’haleine soit fiable et porte à peine atteinte à l’intégrité physique, les répercussions d’une violation des obligations prévues à l’alinéa 10b) concernant la langue sont importantes pour le défendeur. Les personnes qui sont arrêtées et détenues sont vulnérables et leur refuser le droit de s’entretenir avec un avocat dans leur langue maternelle a des répercussions importantes pour eux. Le droit dans ce domaine est bien établi, et il en va ainsi depuis de nombreuses années. Les policiers doivent respecter le fait qu’il n’est pas de leur devoir d’évaluer le bien-fondé des déclarations d’un détenu en ce qui concerne la langue. Au sein d’une administration diversifiée comme celle de la région de Peel, l’administration de la justice est déconsidérée lorsque les policiers ne connaissent pas bien leurs obligations pourtant bien établies en ce qui a trait à la langue et à l’alinéa 10b), en particulier lorsque les ressources nécessaires pour faire respecter ces droits sont facilement accessibles dans la région. La Cour ne peut pas fermer les yeux sur ce genre de comportement : R. c. Au-Yeung, 2010 ONSC 2292 (CanLII), aux paragraphes 67 à 69. J’estime que pour assurer la considération portée à long terme à l’administration de la justice, il convient d’exclure, en l’espèce, la preuve que constituent les résultats de l’échantillon d’haleine.

R. c. Stabile, 2010 QCCQ 10118 (CanLII)

[46] Remettre une carte bilingue à une personne arrêtée ou détenue pour qu’elle en prenne connaissance par elle-même n’est pas un moyen acceptable permettant de s’assurer qu’elle est en mesure de bien comprendre la portée de son droit.

[47] La procédure appropriée aurait été de solliciter l’aide d’un autre agent « peacekeeper », s’exprimant convenablement en français, pour l’informer de ses droits. À cette étape, si personne ne pouvait intervenir efficacement, il fallait requérir les services d’un interprète toujours disponible en cas d’arrestation ou de détention d’une personne de langue étrangère.

[48] À noter qu’il n’est pas question ici d’exiger que les « peacekeepers » de Kahnawake soient tous bilingues. En cas de nécessité, il leur faut toutefois recourir à des mesures appropriées telles demander à un confrère possédant une connaissance suffisante de la langue française de procéder à la lecture des droits constitutionnels et d’en vérifier la compréhension ou encore communiquer avec le bureau des interprètes pour s’assurer que le détenu soit bien informé des motifs de son arrestation ou de sa détention, de la possibilité d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et qu’il comprenne bien la portée de ses droits garantis par la Charte.

R. c. Kwitkowski, 2009 QCCQ 1221 (CanLII)

[9] Deux devoirs incombent selon la jurisprudence aux agents de la paix : un premier devoir d'information des droits et mise en garde à l'accusé (« informational duty ») et un second devoir positif de mise en œuvre (« implementional duties ») des conditions permettant d'exercer les droits reconnus par la loi. (R. c. Dubois, 1990 CanLII 3298 (QC CA), [1990] R.J.Q. 681).

[10] Ce premier devoir d'information est satisfait validement par les efforts et la patience des agents de la paix afin que l'accusé comprenne ses droits. L'accusé aura parfaitement compris son droit de consulter un avocat.

[11] Le second devoir positif de mise en œuvre par la force policière des droits conférés ("implementational" duties) incombe aux agents de la paix.  Pour qu'un accusé connaisse la nature et l'étendue de ses droits alors que l'aisance linguistique est manifestement ou apparemment en cause et qu'apparaît le scepticisme d'un accusé quant à sa capacité de pouvoir communiquer efficacement avec un avocat dans l'une des deux langues officielles du Canada, les agents de la paix ont cette obligation de mettre en œuvre ces moyens qui permettent à un accusé de communiquer efficacement avec un avocat pour qu'il comprenne bien la nature et l'étendue de ses droits.

[…]

[18] Aussi, lorsque des préoccupations de compréhension de la langue de consultation sont au cœur des circonstances révélées par une preuve, les devoirs d'information par les agents de la paix devraient recevoir une interprétation rigoureuse. Le défaut de communiquer la disponibilité des services de consultations juridiques concurremment avec ces services afférents et indispensables d'interprète qui existent pour ceux qui ne maîtrisent pas une des langues officielles ou qui manifestent à cet égard la crainte de ne pouvoir efficacement prendre conseil auprès d'un avocat compromet la validité d'une renonciation [(Regina v. Lim (No. 3) (1990), 1 C.R.R. (2d) 148 (Ont. C.A.) défaut de fournir les services d'un interprète dans le cas d'une difficulté évidente à parler l'une des langues officielles].

[…]

[42] Même un justiciable rompu aux droits que seraient les siens, aurait néanmoins droit aux mêmes informations et mise en œuvre des pleins droits d'un accusé si peu habile dans la seule langue officielle qu'il parle au pays. Le niveau de compréhension du français par l'accusé bien illustré par les nombreux témoignages entendus commandait que soit (sic) offert à l'accusé les services d'un interprète pour qu'il communique efficacement avec son avocat. Ce n'est pas qu'il ne voulait pas simplement un avocat. Il ne voulait pas d'un « avocat français ».

[43] Les droits des accusés qui naissent des garanties juridiques conférées à l'article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés ont comme corollaires des devoirs imposés aux agents de la paix sur l'étendue des conditions mises à la disposition des accusés pour l'exercice efficace du droit de consulter un avocat.

[44] Ainsi, une renonciation à l'exercice de cette garantie juridique sera suffisante et respectueuse des droits constitutionnels d'un justiciable lorsqu'il aura connaissance  des moyens qui sont et doivent être mis à sa disposition pour faire une décision éclairée, pour qu'une renonciation lui soit opposable (Regina v. Parks (1988), 33 C.C.R. 1 (Ont. H.C.), juge Watt).

[45] Il est vrai que le préjudice subi par l'accusé n'aurait pas changé l'obligation de l'accusé de fournir des échantillons d'haleine. Il n'y a pas eu de déclaration dont il est allégué qu'elle ait été faite en violation de son droit de demeurer silencieux.

[46] Pourtant, il s'agit d'un droit sacro-saint que celui de mettre à la disposition d'un accusé les services de conseils juridiques et d'interprète qui rendent utile l'exercice de ce droit fondamental, notamment en ces matières complexes pour un citoyen que sont les accusations de facultés affaiblies et d'alcoolémie supérieure au taux prescrit par la loi. Une obligation de retarder de soumettre l'accusé au test d'alcoolémie s'imposait tant que les moyens de consulter un avocat avec l'aide d'un interprète n'avaient pas été offerts et, dans l'affirmative, exercé et les tests d'alcoolémie d'autant retardés (R. v. Prosper, 1994 CanLII 65 (CSC), [1994] 3 S.C.R. 236).

[47] Le défaut d'y donner suite dans l'esprit de la Charte donne droit au remède qui a été accordé de façon habituelle, soit l'exclusion de la preuve qui suit la violation de ce droit et de la preuve dérivée afférente.

[48] Objectivement, ce droit d'accès à un avocat dont on comprend les conseils demeure primordial dans notre droit. Les officiers de la paix ont ce devoir à l'occasion d'une arrestation de s'assurer que l'accusé bénéficie pleinement d'un droit duquel il ne saurait être arbitrairement ou erronément en droit et fait privé.

R. c. Mario Régis Mazerolle, 2008 NBCP 31 (CanLII)

[28] En ce qui concerne l’article 10(b) de la Charte, il faut noter dans les instances où un individu qui conduit un véhicule à moteur, détenu par un agent de la paix qui soupçonne la présence d’alcool dans son organisme et qui anticipe lui faire lecture de l’ordre sous l’article 254(2) du Code criminel, choisit une langue autre que celle utilisée par l’agent de la paix, ce dernier ne peut pas lui faire lecture de son droit à l’avocat.  Il ne parle pas la langue choisie et ne peut pas s’attendre qu’il va se faire comprendre.  L’agent Arbeau ne pouvait donc pas lui aviser de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat en attendant l’arrivée de l’agent Goodfellow.  Le droit à l’avocat devait donc être suspendu en attente de l’arrivée d’un agent de la paix qui parlait la langue choisie par le détenu.  Après l’arrivée de l’agent Goodfellow celui-ci à mon avis a procédé immédiatement à l’ordre obligeant M. Mazerolle de fournir un échantillon d’haleine en vertu du paragraphe 254(2) du Code criminel.  Il n’y a pas eu de délai déraisonnable. 

R. c. Peralta-Brito, 2008 ONCJ 4 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[44] Après avoir examiné le dossier d’instruction dans son ensemble, je conclus qu’il existait des « circonstances particulières » en l’espèce, qui obligeaient l’agent qui a procédé à l’arrestation à prendre des mesures raisonnables pour s’assurer que l’accusé comprenait pleinement son droit à un avocat et prenait sciemment la décision d’y renoncer, jusqu’à ce qu’il ait fourni des échantillons de son haleine à un technicien qualifié. Bien que l’accusé eût semblé comprendre l’anglais, comme l’ont démontré ses réponses et ses réactions appropriées aux questions et aux directives de l’agent qui a procédé à son arrestation, son « fort » accent espagnol et le fait qu’il verbalisait peu auraient dû alerter l’agent et l’amener à déduire que l’anglais n’était pas la langue maternelle de l’accusé et que ce dernier pourrait donc avoir de la difficulté à comprendre son droit à l’assistance d’un avocat.

[45] Nonobstant le fait que l’accusé a expressément confirmé qu’il comprenait ses droits en vertu de l’alinéa 10b) et qu’il a par la suite renoncé à son droit de consulter un avocat avant de subir l’épreuve de dépistage, le principe établi dans Vanstaceghem, une décision qui lie la présente Cour, exige que les policiers, dans les cas où il existe des « circonstances particulières », prennent des mesures raisonnables pour s’assurer, d’un point de vue objectif, que les droits constitutionnels de l’accusé ont été bien compris. L’accusé n’a pas le devoir de demander l’aide d’un interprète; il incombe plutôt à la police de s’assurer que l’accusé a compris son droit à l’assistance d’un avocat. D’un point de vue objectif, il est possible de s’en assurer en expliquant à l’accusé son droit à l’assistance d’un avocat dans sa langue maternelle, soit de vive voix ou par écrit, ou en le mettant en contact avec un interprète ou un avocat de service qui maîtrise sa langue maternelle.

[46] Bien que, dans ce cas particulier, les agents aient agi de bonne foi dans tous leurs échanges avec le demandeur et aient eu des raisons de croire que l’accusé avait une bonne connaissance pratique de l’anglais, comme l’ont démontré son comportement réceptif et ses réponses verbales généralement appropriées, leur défaut de prendre des mesures pour s’assurer ou confirmer, d’un point de vue objectif, que l’accusé comprenait ses droits, d’une manière explicite et compréhensible, constitue une violation des droits de l’accusé en vertu de l’alinéa 10b). Bien que chaque cas repose sur les faits qui lui sont propres, je suis convaincu que l’accusé a démontré que ses droits, en vertu de l’alinéa 10b), ont été violés, selon la prépondérance des probabilités.

[47] J’en arrive à cette conclusion en dépit des sérieuses réserves que j’émets concernant la véracité de certains aspects du témoignage livré par l’accusé, dans le cadre de la présente demande, notamment lorsqu’il prétend avoir une connaissance limitée de l’anglais. Je suis également conscient du fait que la dénonciation ou le document d’accusation en l’espèce indique que l’accusé, qui n’était pas représenté lorsque la date de l’instruction a été mise au rôle dans cette affaire, a précisé qu’il n’avait pas besoin de l’aide d’un interprète lors de ce procès. La transcription des débats lors de la comparution visant à fixer la date de l’instruction, le 4 mai 2006, confirme l’entrée faite par le greffier concernant l’information relative à cette date, dans laquelle il est indiqué que l’accusé a expressément confirmé qu’il ne voulait pas l’aide d’un interprète lors du procès. Tel qu’il a été mentionné, M. Peralta-Brito a reçu l’aide d’un interprète hispanophone tout au long de la présente procédure.

[48] Malgré mes réserves, je reste convaincu que le demandeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’a pas réellement compris son droit à l’assistance d’un avocat et tout ce que ce droit implique. Le fait que l’accusé a demandé à parler à un avocat après qu’il eut subi l’épreuve de dépistage peut être interprété comme une confirmation de cette analyse. Les échanges verbaux de l’accusé avec l’agent qui a procédé à son arrestation et sa déclaration selon laquelle cet agent a commis « une erreur », en ne lui fournissant pas l’assistance d’un avocat dès son arrivée au poste de police, peuvent servir à démontrer que le demandeur a mal compris la teneur du droit à un avocat. Cette mauvaise compréhension peut avoir contribué au fait que l’accusé a renoncé initialement, soit avant que les échantillons d’haleine ne soient prélevés, au droit de s’entretenir avec un avocat.

Conséquences de la violation de la Charte

[49] Je conclus que le droit à un avocat conféré à M. Peralta-Brito en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés a été violé, compte tenu des préoccupations linguistiques mentionnées et de l’absence de tout examen objectif, qui aurait permis aux agents de s’assurer que l’accusé possédait une compréhension suffisante de l’anglais. Je suis incapable de conclure que l’accusé comprenait pleinement son droit à l’assistance d’un avocat lorsqu’il y a renoncé au départ. En conséquence de cette violation de la Charte, la preuve que constituent les épreuves de dépistage a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui même.

[...]

[51] Une personne mise en détention par la police doit être informée de son droit à l’assistance d’un avocat de manière explicite. D’après les faits en l’espèce, l’évaluation subjective effectuée par l’agent en ce qui a trait à la connaissance de l’anglais de la personne détenue ne constitue pas un fondement factuel suffisant pour conclure que l’accusé a été informé de ses droits de manière explicite ou compréhensible. La violation de ce droit fondamental est grave, et par conséquent, je conclus que l’admission en preuve du certificat d’analyse déconsidérerait l’administration de la justice.

Voir également :

R. c. Girard, 1993 CanLII 3159 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Ibrahem, 2016 ONSC 3196 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Ibrahim, 2016 ONSC 485 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Dumont, 2014 ONSC 4133 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

H.M.T.Q. c. Blackduck, 2014 NWTSC 58 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Doan and Nguyen, 2012 ONSC 3776 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Chen and Ye, 2012 ONSC 2832 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Lee, 2012 BCSC 1548 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Chodzba, 2009 CanLII 46659 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Poon and Wong, 2006 BCSC 869 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Wroblewski, 2002 CanLII 36530 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Kanuma, 2002 BCSC 355 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Cho, 1998 CanLII 3774 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Albert, 2015 ABPC 155 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Singh, 2015 ABPC 62 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Iyadurai, 2015 ONCJ 806 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Kim, 2014 ONCJ 106 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Melo, 2012 ONCJ 765 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Haidari, 2012 ONCJ 290 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Liagon, 2012 ABPC 56 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tran, 2011 ONCJ 75 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Xhango, 2010 ONCJ 503 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Oliva Baca, 2009 ONCJ 194 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Losier, 2009 NBCP 43 (CanLII)

R. c. Quach, 2007 ONCJ 645 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. A.M., 2007 MBQB 205 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Liard, 2006 ONCJ 64 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Silva, 2005 ONCJ 2 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Berezin, 2005 ONCJ 137 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rose, 2003 CanLII 32 (NL PC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Ly, [1993] O.J. No. 268 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Lim, [1993] O.J. No 3241 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Saini, [1992] B.C.J. No. 945, Vancouver Registry No. CC911319 (BC SC) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Lukavecki, [1992] O.J. No. 2123 [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Shmoel, [1998] O.J. No. 2233 (Ont. C.J. – Prov. Div.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tanguay (1984), 27 M.V.R. 1 (Co.Ct. Ont.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’art. 10 de la Charte canadienne et des enjeux de compréhension linguistique.

 

11. Affaires criminelles et pénales

11. Tout inculpé a le droit :

a)  d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche; 

b)  d'être jugé dans un délai raisonnable; 

c)  de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche; 

d)  d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

[…] 

[DERNIÈRE MISE À JOUR : AVRIL 2017]

Annotations – Paragraphe 11a)

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[105] Cela m'amène à l'autre méthode qu'on nous a invités à adopter et qui nous ferait considérer l'art. 133 comme renforçant la conception qu'a l'appelant de ses droits linguistiques, en prêtant à l'article ou en y rattachant des exigences de justice naturelle et d'équité en matière de procédure. À cet égard, l'appelant s'est référé dans son mémoire à l'al. 11a) de la Charte canadienne des droits et libertés :

11. Tout inculpé a le droit :

a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche;

D'après lui, les exigences de cette disposition [TRADUCTION] "servent à compléter les garanties prévues à l'art. 133". Et il ajoute :

[TRADUCTION]  De plus les exigences en matière de droits linguistiques prévues par l'art. 133 de notre Constitution et par l'al. 11a) de notre Charte des droits et libertés sont renforcées et explicitées dans :

 R. c. Côté (l977), 1977 CanLII 1 (CSC), 33 C.C.C. (2d) 353, le juge de Grandpré :

"... la règle par excellence quant au caractère suffisant d'une dénonciation consiste à se demander si l'accusé a été raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, de manière à avoir la possibilité d'opposer une défense pleine et entière et à subir un procès équitable." [Extrait du sommaire.]

[…]

[118] Avant de délaisser ce sujet cependant, je souhaite écarter toute idée, s'il en est, que le droit de l'appelant à un procès équitable, par opposition à ses droits linguistiques, pourrait en quelque sorte avoir été violé selon les faits de l'espèce et qu'il pourrait avoir droit à une libération ou à un nouveau procès sur tout autre fondement que l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[119] Si j'ai bien compris, telle n'était pas la position de l'appelant. Du début à la fin de ces procédures, son argumentation a porté uniquement sur son interprétation de l'art. 133. C'est ce qu'a dit le juge Bourassa. Dans son avis d'appel à la Cour supérieure, qui a été déposé après l'entrée en vigueur de la Charte, l'appelant n'a invoqué ni la Charte ni aucun principe de justice naturelle ou d'équité en matière de procédure; la seule disposition sur laquelle il s'est expressément appuyé a été l'art. 133. Il a fait la même chose dans sa demande d'autorisation d'appel et dans son avis d'appel à la Cour d'appel. Dans ses motifs de jugement, à la p. 999, le juge Meyer a fait allusion à la Charte, soit de son propre chef, soit parce qu'il en a été question au cours du débat, pour conclure, à juste titre selon moi : 

[TRADUCTION]  ... ma décision serait la même, que la nouvelle Charte des droits soit applicable ou non. À mon sens, la seule question pertinente a trait au sens qu'il faut donner à l'art. 133 et à son applicabilité en l'espèce.

[120] Les premières et seules plaidoiries de l'appelant qui mentionnent brièvement la Charte et les exigences de la justice naturelle sont sa demande d'autorisation de pourvoi à cette Cour et son mémoire. Tous deux vont dans le même sens et j'ai déjà cité la partie principale de son mémoire à cet égard : la Charte et les exigences de la justice naturelle ne sont invoquées par l'appelant que pour renforcer son argument essentiel relativement à l'art. 133. Il est révélateur aussi que la question constitutionnelle que l'appelant a soumise au juge Ritchie, qui l'a acceptée, ne porte que sur l'art. 133 et non sur la Charte. En résumé, le seul but poursuivi par l'appelant, si je comprends bien, a été, dès le départ et tout au long de l'instance, de faire valoir ses droits linguistiques de Québécois anglophone, tels qu'il les conçoit, et non pas le droit à un procès équitable que tous possèdent également.

[121] Mais même si j'avais mal compris l'appelant, je serais quand même d'avis que, compte tenu des faits et des plaidoiries en l'espèce, nous n'avons pas à nous intéresser à la Charte, ni à la question de savoir si l'appelant s'est vu refuser un procès équitable ou s'il avait droit à un procès en anglais, s'il ne l'a pas eu.

[122] Rien en l'espèce n'indique dans quelle(s) langue(s) le procès et le procès de novo se sont déroulés, si ce n'est que l'appelant a défendu sa cause en anglais devant le juge Bourassa. À aucun moment, l'appelant n'a allégué qu'il ne comprenait pas l'inculpation ou la preuve qui pesait contre lui; d'après ce qu'il a dit, il a obtenu une traduction de la sommation. Rien n'indique qu'il a demandé à la cour une traduction et nous n'avons pas à décider s'il y aurait eu droit.

R. c. Simard, [1995] O.J. No. 4975, 27 O.R. (3d) 97 (C.A. Ont.)

[42] Je suis d'avis que l'obligation du substitut du procureur général de fournir, sur demande du prévenu, une traduction écrite existe quelle que soit la complexité de la dénonciation.  De même que l'accusé, dans une procédure par acte d'accusation, est celui qui décide s'il a besoin de l'assistance d'un interprète (R. c. Tran, précité), seuls le prévenu ou son avocat, dans une poursuite sommaire, sont en mesure de décider s'il est nécessaire d'obtenir une dénonciation traduite dans la langue officielle du procès, afin de les informer adéquatement de l'infraction précise reprochée : art. 11a) de la Charte.  Tout en respectant la distinction qui doit être maintenue entre les droits linguistiques et les principes de justice fondamentale (MacDonald, précité), je répète qu'il incombe à eux seuls de décider si une traduction écrite est nécessaire pour comprendre l'étendue et la portée de la dénonciation afin de préparer une pleine et entière défense. Voilà, à mon sens, ce qui est requis pour assurer au prévenu un procès équitable dans sa langue officielle.

Annotations – Paragraphe 11b)

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[110] L’appelant soutient que les nombreuses atteintes aux droits linguistiques de l’appelant constituaient une violation non seulement des articles 530 et 530.1 du Code criminel, mais aussi de l’art. 7 et de l’al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon l’appelant, un arrêt des procédures en vertu de l’article 24(1) de la Charte ou de la common law constituerait une réparation efficace de la violation de ses droits. Le ministère public, pour sa part, soutient qu’il n’y a eu aucune violation de droits et que, si le tribunal devait tirer la conclusion contraire, la réparation appropriée serait la continuation des procédures, assortie d’une ordonnance d’un procès unilingue en français.

[111] À mon avis, étant donné le nombre et l’importance des atteintes aux droits de l’appelant, il est essentiel qu’une réparation efficace soit imposée. Rappelons que les droits linguistiques ne sont pas des droits procéduraux mais bien des droits substantiels. Une réparation appropriée doit remédier à la situation dans la mesure du possible, mais aussi assurer que le ministère public soit tenu responsable des manquements à ses obligations.

[…]

[116] L’appelant cherche aussi à invoquer l’al. 11b) de la Charte et demande qu’un arrêt des procédures soit accordé en raison des retards intolérables subis par l’appelant du fait qu’il a dû entreprendre les présentes démarches pour que ses droits linguistiques soient respectés.

[117] Cette question est soulevée pour la première fois par l’appelant devant cette cour. Le ministère public se trouve donc privé de la possibilité de déposer des éléments de preuve pertinents. Le dossier est dépourvu des transcriptions des diverses comparutions précédant l’enquête. Il ne comporte pas non plus d’autres éléments de preuve qui permettraient d’appliquer les facteurs pertinents à la détermination du caractère raisonnable des délais, autres que ceux subis à cause de la demande en certiorari, dont les renonciations aux délais, les raisons des délais, ou le préjudice subi par l’appelant.

[118] À mon avis, le dossier qui nous est présenté ne nous permet pas de faire l’analyse qui s’impose. La question des délais et celle de savoir si l’al. 11b) peut être invoqué pour obtenir un arrêt des procédures comme réparation devront faire l’objet d’une demande en première instance si l’appelant désire y donner suite.

[119] Cependant, rien dans les présents motifs ne devrait donner à penser que l’appelant n’est pas libre de formuler une telle demande, appuyée par la preuve nécessaire, y compris les délais causés par le non-respect de ses droits linguistiques.

Bossé c. R., 2015 NBBR 177 (CanLII)

[26] La juge du procès a attribué ce que j’ai appelé le « délai de traduction » aux actes de l’accusé, bien que le procureur du ministère public, dans son mémoire, ait admis que ce délai de huit mois était imputable au ministère public. En fait, cela n’a même pas été discuté dans les observations orales, et aucune question n’a été posée sur cet élément du retard. La juge du procès n’était pas liée par cet aveu du ministère public. Mais la Cour aurait pu poser des questions à l’un ou l’autre des avocats. Elle ne l’a pas fait.

[27] De toute façon, je conclus que la juge du procès a commis une erreur de droit quand elle a imputé ce retard à l’accusé. Il faut affirmer que ce retard a été causé par le ministère public. Le procureur du ministère public l’a avoué avec raison à l’audience sur la motion, bien que le nouveau procureur du ministère public en appel ne souscrive pas à cette assertion.

[28] Il était bien connu, dès le moment du dépôt de la dénonciation, que le procès serait tenu en anglais. La divulgation a été faite rapidement, et les parties ont déclaré qu’il y avait des milliers de documents, peut-être environ 5 000. Ce n’est que moins de deux semaines avant le procès que l’accusé a été avisé des documents qu’on avait l’intention de déposer en preuve, lorsque son avocat a reçu un courriel auquel était annexée une lettre ou une liste des documents. Six relieurs à feuilles mobiles sont arrivés le lendemain ou peu après. Mais lorsqu’il a reçu le courriel, l’un des avocats de l’accusé, moins d’une heure plus tard, a envoyé sa réponse, et, comme les deux avocats l’ont confirmé à la Cour, Me Matchim a écrit, non pas textuellement peut-être, mais selon le résumé qu’en a donné le procureur du ministère public commis au dossier (transcription, 6, 9 et 19 novembre 2012, p. 89) : [TRADUCTION] « Je suppose que vous aurez la traduction de tous vos… des documents français en anglais. C’est ce qu’il a dit. » Il faut remarquer que le procureur du ministère public a seulement vu le courriel le matin de la date de procès fixée intialement. Les avocats ont expliqué que le premier courriel provenait de l’adjoint du procureur et que, quand l’avocat de la défense a envoyé sa réponse, celle-ci est retournée à l’adjoint. Cependant, le procureur du ministère public a admis que même s’il l’avait vue avant, il aurait été trop tard pour obtenir une traduction des documents, et sa conviction était en fait qu’une traduction n’était pas nécessaire.

[29] La juge du procès a considéré cette réponse par courriel du 25 ou du 27 octobre comme une demande de traduction. Elle a dit ensuite que la demande ou la motion faite par l’accusé le 5 novembre 2012, date où le procès était censé commencer, a rendu nécessaire l’ajournement de huit mois qui s’est ensuivi. Avec égards, je ne suis pas d’accord. Ce qui a causé cet ajournement, c’est le fait que même si le procès devait être tenu en anglais, le ministère public a oublié son obligation de s’assurer que la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, serait traduite. En réalité, le procureur du ministère public a été surpris que la question surgisse le 5 novembre, et il était convaincu que le ministère public n’avait pas l’obligation de fournir la traduction des documents. Juridiquement, cette obligation était de rigueur dès le premier jour, le 30 avril 2012, et si le ministère public avait discuté la question avec la défense plus tôt, il aurait pu s’en occuper dès le début. Alors, il a fallu faire une demande d’ajournement, mais le juge et même le procureur du ministère public ont mentionné le fait que cela pourrait déclencher une motion fondée sur l’al. 11b), et c’est ce qui est arrivé.

[30] Lorsque l’accusé a choisi de subir son procès en anglais, il n’avait pas l’obligation additionnelle de rappeler au ministère public qu’il voulait tout son procès en anglais, y compris tout document à déposer en preuve et pas seulement les témoignages de vive voix ou les observations et les questions des avocats. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, dans l’arrêt R. c. Boudreau (1990), 107 R.N.B. (2e) 298, 1990 CanLII 4056 (NB CA), a affirmé que les documents déposés en preuve devraient être traduits dans la langue du procès.

[31] Le juge qui a fixé les dates initiales du procès avait ordonné que les contestations fondées sur la Charte soient formulées avant le 10 septembre 2012. La juge saisie du procès et de la motion a dit : [TRADUCTION] « Cette demande ou motion de l’accusé aurait dû être déposée au plus tard le 10 septembre 2012, comme les parties en avaient convenu au départ le 18 juin 2012 et comme la Cour l’a confirmé le 25 juin 2012, ou du moins, le poursuivant aurait dû en être saisi beaucoup plus tôt, puisque la divulgation a eu lieu le 1er mai 2012. » Ici encore, je conclus que ce n’est pas l’accusé qui avait la charge de s’assurer que le ministère public ferait son travail. Je conclus aussi que sa demande d’avoir un procès en anglais et son attente d’avoir les documents déposés en preuve dans cette langue n’étaient pas l’équivalent d’une contestation fondée sur la Charte. En fait, le 10 septembre 2012, le ministère public ne l’avait même pas avisé des documents, le cas échéant, qui seraient déposés en preuve.

[32] En conséquence, je suis d’avis que le délai de huit mois causé par la demande d’ajournement du ministère public en novembre 2012 ne doit pas être imputé à l’accusé, mais plutôt au ministère public.

R. c. Tran, 2011 ONCJ 75 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[117] Le procès de M. Tran a dû être ajourné pour une période de trois mois, soit du 23 avril au 27 juillet 2010 en raison du défaut du ministère du Procureur général de fournir les services d’un interprète, portant ainsi atteinte au droit de M. Tran à l’assistance d’un interprète prévu à l’article 14 de la Charte, et entraînant un délai additionnel, ce qui contrevient au droit de M. Tran d’être jugé dans un délai raisonnable prévu à l’alinéa 11b). À mon avis, cela laisse entrevoir un manque d’attention systématique à l’égard des droits linguistiques en Ontario et accentue les répercussions sur les intérêts de M. Tran protégés par la Charte.

Voir également :

R. c. Papatie, 2008 QCCA 1135 (CanLII)

Annotations – Paragraphe 11c)

R. c. Singh, 2015 ONSC 7376 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] L’avocat de la défense fait valoir que les déclarations doivent être exclues parce qu’elles n’étaient pas volontaires, et que le défendeur n’a pas été avisé adéquatement de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat qui est prévu à l’alinéa 10b) de la Charte. Le défendeur allègue avoir subi de la pression pour faire une déclaration, et il soutient que sa maîtrise de l’anglais était insuffisante pour lui permettre de comprendre ses droits ou pour comprendre l’avis qui lui a été donné par les policiers.

[4] En règle générale, une personne accusée ne peut pas être contrainte à témoigner contre elle‑même; par conséquent, seules les déclarations volontaires fournies aux policiers sont admissibles en preuve : article 7 et alinéa 11c) de la Charte. Toutes les déclarations faites aux policiers par un prévenu mis en détention qui n’a pas encore été informé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat sont considérées comme fournies involontairement et sont habituellement écartées des éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte : R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 RCS 353, aux paragraphes 58 et 98. Après avoir été informé du droit au silence et du droit de consulter un avocat, un prévenu peut choisir de répondre volontairement aux questions qui lui sont posées et ces déclarations seraient donc admissibles.

[…]

[21] Néanmoins, compte tenu des difficultés linguistiques du défendeur, il est évident qu’il n’a pas obtenu le type de mise en garde lui permettant de comprendre ses droits. Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada à l’arrêt R. c. Hebert, 1990 CanLII 118 (CSC), [1990] 2 RCS 151, « le fait que l’accusé ait pu ne pas avoir pris conscience qu’il avait le droit de garder le silence (par exemple, lorsqu’il n’a pas reçu la mise en garde habituelle) […] [est] pertinent pour déterminer le caractère volontaire de la déclaration ».

[22] Compte tenu des circonstances, les déclarations faites par le défendeur lors de son arrestation, ainsi que la déclaration qu’il a faite au poste de police plusieurs heures plus tard, étaient dépourvues de caractère volontaire. Par conséquent, ces déclarations sont inadmissibles.

Annotations – Paragraphe 11d)

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[38] L'interprétation large de l'art. 14 peut également se justifier par la Charte elle‑même.  Notre Cour a déjà indiqué que les dispositions de la Charte doivent s'interpréter non pas isolément, mais plutôt l'une en fonction de l'autre: voir, par ex., R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588, les juges Wilson et La Forest, Dubois c. La Reine, 1985 CanLII 10 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 350, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357.  Notre Cour a déjà fait observer que l'art. 7 de la Charte est une expression générale des garanties juridiques contenues aux art. 8 à 14 de la CharteRenvoi:  Motor Vehicle Act de la C.‑B., 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 502.  Il n'est donc pas surprenant que l'art. 14 soit étroitement lié à l'art. 7 et aux autres « garanties juridiques » offertes par la Charte.  En fait, je dirais que le droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'art. 14 est un moyen d'assurer que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d'un procès public et équitable prévue à l'al. 11d) de la Charte.  En même temps, la force de l'art. 14 peut être saisie en partie sous l'angle non seulement du droit de présenter une défense pleine et entière, mais encore du droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense, ces deux droits étant garantis par les art. 7 et 11 de la Charte.  En réalité, le lien étroit qui existe entre l'art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l'assistance d'un interprète dans le contexte criminel devrait être considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l'art. 7 de la Charte.

[…]

[83] Comme le droit à l'assistance d'un interprète est non seulement une garantie constitutionnelle fondamentale en soi, mais également un moyen important d'assurer la tenue d'un procès complet, équitable et public, garantie séparément par l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte, il s'ensuit qu'il sera plus difficile de renoncer aux droits garantis par l'art. 14 de la Charte que cela peut avoir été le cas antérieurement sous le régime de la common law et de textes législatifs comme le Code criminel et la Déclaration canadienne des droits.  En fait, il y aura des cas où, dans l'intérêt public général, il sera tout simplement impossible de renoncer à ce droit.  On a déjà reconnu cela en common law, dans les deux arrêts anciens Kwok Leung et Lee Kun, précités, où les tribunaux ont imposé des restrictions précises quant à la possibilité de renoncer validement et effectivement au droit à un interprète, peu importe que l'accusé soit ou non représenté par un avocat. […]

R. c. J. K., 2011 ONSC 800 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[52] Cependant, l’argument de la défense est beaucoup plus subtil que la simple affirmation qu’il y a eu atteinte à l’article 7 de la Charte. L’argument soulevé est le suivant :

[…] 

ii. La poursuite de l’interrogatoire sans interprète a porté atteinte au droit au silence (article 7 de la Charte), au droit à un procès équitable (alinéa 11d) de la Charte), ainsi qu’au droit de J.K. à l’assistance d’un interprète dans toute procédure (article 14 de la Charte). La défense allègue que la réparation appropriée est l’exclusion de la déclaration enregistrée sur bande vidéo, conformément au paragraphe 24(2) de la Charte.

[…]

[57] En l’espèce, le critère juridique consiste à savoir si la compréhension de l’anglais de l’accusé et sa capacité de communiquer dans cette langue étaient tellement insuffisantes qu’il lui était impossible de comprendre ce que disaient les policiers ou de faire des déclarations en anglais (paragraphe 44, Lapoint (sic), paragraphe 33, L.B.). Lors du voir‑dire, la Cour doit déterminer [traduction] « la capacité de l’accusé de comprendre la langue de la déclaration et de communiquer dans celle‑ci » (paragraphe 44, Lapoint (sic)). 

[58] Compte tenu des éléments de preuve du voir‑dire, comme je l’ai indiqué plus haut, je n’ai aucune hésitation à conclure que J.K. connaissait suffisamment l’anglais pour comprendre le type de questions qui lui étaient posées et comprendre le type de réponses qu’il a données pendant l’interrogatoire enregistré sur bande vidéo. 

[59] L’avocat de la défense a fait valoir que J.K. aurait pu mieux communiquer s’il avait bénéficié des services d’un interprète. Je souscris à l’argument selon lequel ses réponses aurait peut‑être été plus éloquantes ou détaillées. Cependant, ce n’est pas le critère applicable. Si la possibilité que l’accusé puisse mieux communiquer par l’entremise d’un interprète constituait le critère applicable, les policiers devraient veiller à ce qu’un interprète soit présent lors des interrogatoires dans tous les cas où l’anglais est la seconde langue de l’accusé ou dans toute autre situation où les compétences linguistiques de l’accusé sont déficiences, même si l’anglais est la langue maternelle de l’accusé. Qu’en est‑il des déclarations faites par l’accusé lors de son arrestation sur les lieux du crime ou dans la voiture de patrouille, ou des déclarations faites à des tierces personnes, etc.? La liste irait à l’infini.

[60] En termes clairs, je ne prétends pas que les policiers n’ont pas à fournir les services d’un interprète lorsqu’il est évident qu’il existe une bonne raison de croire que la personne interrogée a vraiment de la difficulté à comprendre les questions qui lui sont posées ou qu’elle a vraiment de la difficulté à répondre en raison d’une mauvaise compréhension ou d’une mauvaise connaissance de la langue. Ne pas fournir les services d’un interprète dans de tels cas pourrait compromettre l’admissibilité des déclarations en preuve.  

R. c. Maurice Frenette, 2007 NBCP 33 (CanLII)

[15] Par conséquent, je poursuis mon analyse en tenant pour acquis que l’omission de fournir une version traduite d’un ensemble de documents divulgués peut, dans certains cas, constituer une violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte, mais qu’elle ne constitue pas automatiquement une violation. La question qui se pose est alors la suivante : Dans quelles circonstances l’omission ou le refus de faire traduire la preuve violent-ils la Charte?

[…]

[29] En l’espèce, seule l’avocate de la défense ne comprend pas la preuve présentée contre l’accusé. Dans un tel cas, l’accusé a d’autres options. Il peut retenir les services d’un autre avocat, qui parle français, pour aider Me Mahoney. Il ne manque pas d’avocats bilingues dans la région. Il peut aider son avocate en traduisant les documents lui-même ou en résumant la preuve pour elle. Il peut engager les frais nécessaires pour faire traduire les documents essentiels. Il peut retenir les services d’un traducteur, ou de toute autre personne ayant une bonne maîtrise des deux langues, pour aider son avocate avant et pendant le procès. Il peut aussi retenir les services d’un avocat qui parle français et anglais pour assurer sa défense. Toutes ces options s’offrent à lui. 

[30] L’accusé, ayant choisi que son procès se déroule en anglais, sait que la preuve documentaire qui sera présentée contre lui au procès relativement aux infractions qui sont du ressort exclusif de la Cour devra être traduite pour lui compte tenu de son droit à un procès dans la langue de son choix. Il sait également qu’un interprète traduira tous les témoignages au procès du français à l’anglais. Son avocate comprendra par conséquent la preuve présentée contre lui au procès. Il a également l’option de profiter d’une enquête préalable, s’il le désire, relativement aux infractions à l’égard desquelles il a le choix quant au mode de procès.

[31] Il est incontestable que Me Mahoney est désavantagée en l’espèce. Elle fait valoir qu’elle n’est pas en mesure d’assurer convenablement la défense de son client. Toutefois, ce désavantage n’a pas été créé par l’État; c’est son propre client qui en est l’artisan. L’État a respecté toutes ses obligations constitutionnelles de divulgation et n’a nullement porté atteinte à l’équité en matière de procédure ou de fond à laquelle M. Frenette a droit. Je ne vois pas comment on pourrait obliger l’État à corriger la décision de M. Frenette de retenir les services d’une avocate désavantagée en lui demandant d’éliminer, aux frais des contribuables, le désavantage.

[32] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’omission du poursuivant de fournir la traduction des documents divulgués dans la langue officielle du choix de M. Frenette ne lui a pas causé de préjudice ou n’a pas nui à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Le requérant ne s’est par conséquent pas déchargé de son fardeau d’établir, sur la prépondérance de la preuve, l’existence d’une violation de la Charte.

[33] Je conclus en outre que le requérant n’a pas établi que la réparation fondée sur la Charte qu’il a sollicitée reposait sur des faits ou sur de la preuve. Dans son affidavit, il a précisé combien coûterait éventuellement la traduction de la preuve en question, mais il n’a pas établi qu’il n’a pas les moyens financiers ou les ressources financières pour obtenir la traduction des documents divulgués. Je ne dispose d’aucune preuve concernant l’absence de moyens financiers pour obtenir la traduction. En outre, il n’y a aucune preuve concernant l’incapacité du requérant de payer un deuxième avocat, qui parlerait français, ou un traducteur, s’il choisissait de se prévaloir de cette aide.  M. Frenette ne s’est tout simplement pas déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait.

R. c. Butler, 2002 NBQB 325 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Il [l’accusé] a présenté une requête en arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés au motif que le paragraphe 20(2), l’article 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés. Il allègue qu’il y a eu atteinte à ses droits parce que le procureur de la Couronne a refusé de traduire du français à l’anglais les renseignements divulgués dans la présente affaire.

[…]

[25] Même si j’ai conclu que les droits linguistiques de M. Butler garantis par le paragraphe 20(2) n’ont pas été violés, je suis néanmoins d’avis que la langue peut constituer et, en l’espèce, constitue un facteur important à prendre en compte pour déterminer si la capacité de M. Butler de présenter une défense pleine et entière a été violée en raison du fait qu’il n’a pas pu obtenir une divulgation en anglais.

[…]

[28] La divulgation n’est pas un processus extrinsèque au déroulement de la présentation de la preuve de la poursuite. Même si la divulgation a lieu avant le début du procès à proprement parler, elle est inextricablement liée à la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et, à mon avis, elle va de pair avec le droit à une audience équitable.

[…]

[45] En bref, sa position [celle de l’accusé] est que, à titre d’anglophone unilingue qui a présenté  une demande officielle de divulgation en anglais, il dispose du droit absolu de recevoir la divulgation dans cette langue. En raison de cette prémisse extrêmement large, je suis d’avis qu’il incombe à l’accusé d’établir que le refus de lui fournir une divulgation de la preuve traduite a causé un préjudice réel à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Il s’agit de la norme établie par la juge L’Heureux‑Dubé, dans l’arrêt R. c. O'Connor (1995), 103 C.C.C. (3d) 1 (C.S.C.), au paragraphe [74].

[46] L’objectif de la divulgation est la communication et elle consiste à informer l’accusé des renseignements détenus par le ministère public et, par conséquent, de la preuve à réfuter. Ces renseignements permettent également à la défense de décider de la stratégie qu’elle adoptera au procès.

[47] Je souscris à l’argument selon lequel M. Butler ne saisissait pas la substance de ce qui lui était communiqué. Sa demande de traduction a été rejetée.

[48] En l’espèce toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté relativement aux compétences de son conseiller juridique en français, ce qui constitue un autre point important à prendre en compte.

[49] De plus, l’enquête préliminaire, à la suite de laquelle l’accusé a été cité à procès s’est déroulée en anglais. L’enquête préliminaire n’est pas un substitut au processus de divulgation. Cependant, elle donne à l’accusé une possibilité restreinte de connaître la preuve qu’il doit réfuter au procès.

[50] L’accusé n’a également pas réussi à démontrer qu’il n’a pas les ressources financières nécessaires pour obtenir la traduction de la preuve divulguée. À cet égard, je souscris aux commentaires du juge MacDonald dans la décision R c. Rodrigue, précitée, à la page 479 :

Il est fort peu probable qu’une cour favorise la prétention d’un accusé qu’il a droit à une assistance juridique ou scientifique ou à un service de traduction si l’accusé lui-même a les moyens de financer ces genres d’aide.

[51] L’accusé a affirmé qu’il a subi un préjudice en raison de son incapacité de comprendre la divulgation de la preuve qui lui a été fournie en français. Cette affirmation, sans éléments de preuve supplémentaires quant à la conséquence réelle sur sa capacité d’exercer ses droits constitutionnels ne suffit pas, à mon avis, à prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il a subi un préjudice réel. Il incombe à M. Butler de démontrer à tout le moins que la nature de la divulgation en l’espèce, l’a vraiment empêché d’évaluer les éléments de preuve et de prendre des décisions éclairées quant à sa défense.

[52] Après avoir pris en compte l’ensemble des faits en l’espèce, j’ai conclu que le refus de fournir une traduction peut, dans certains cas, porter atteinte à des droits garantis par la Charte. Néanmoins, dans la présente affaire, M. Butler ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Par conséquent,  je conclus qu’il n’a pas prouvé qu’il y a eu violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[p. 36] Est-ce que le droit de présenter une défense pleine et entière comprend le droit à l’aide de l’état pour produire une traduction dans la langue officielle choisie par l’accusé pour son procès, d’une déclaration ou d’aucun autre document qui dans sa forme originale est dans l’autre langue officielle?

[p. 37] L’étendue du droit à présenter une défense pleine et entière, et du droit constitutionnel à un procès équitable (selon l’art. 11(d) de la Charte canadienne des droits et libertés), a été exploré le plus souvent dans le contexte de la portée du droit à l’assistance juridique. Est-ce que l’accusé a un droit absolu à un avocat au dépens de l’état? La réponse de la Cour d’appel de l’Ontario, dans R. v. Rowbotham (1988), 1988 CanLII 147 (ON CA), 63 C.R. (3d) 113 à la p. 173 est que l’art. 11(d) et l’art. 7 de la Charte qui garantissent un procès équitable d’après les principes de justice fondamentale, exigent que l’état fournisse un avocat à l’accusé au dépens de l’état si l’accusé désire un avocat mais ne peut pas le payer, et si l’assistance d’un avocat est essentielle à un procès équitable. Donc, le droit n’est pas absolu. Est-ce que l’accusé a le droit à l’avocat de son choix au dépens de l’état? Les cours ont dit qu’il n’y a pas un tel droit absolu : Panacui v. Legal Aid Society of Alberta [1988) 1987 CanLII 148 (AB QB), 1 W.W.R. 60 40 C.C.C. (3d) 459 (Cour du banc de la reine de l’Alberta); R. v. Robinson (1990) 1989 ABCA 267 (CanLII), 70 Alta L.R. (2d) 31 à la p. 70 (Cour d’appel de l’Alberta).

[pp. 37-38] La réponse des cours a été de nier l’existence d’un tel droit absolu; la cour accordera le droit à l’assistance d’un avocat au dépens de l’état si les circonstances l’exigent, telles la gravité du crime allégué et la complexité des questions de preuve ou de droit que soulève le cas. Peut-être à cause de la générosité des forces policières et des procureurs de la Couronne, la portée du droit à l’aide scientifique n’a pas été explorée. Au point où on peut énoncer des principes généraux à partir de ces bases, je dirais que le droit de la « common law ») reproduit dans l’art. 650(3) du Code criminel à “une pleine réponse et défense” et le droit constitutionnel à un procès juste et équitable, ne comprennent pas de règles absolues à l’égard de l’étendue de l’obligation de l’état. Cette étendue dépend des circonstances du cas : des circonstances du procès et de la préparation pour le procès; des circonstances dans lesquelles se trouve l’accusé y compris ses propres ressources financières. Il est fort peu probable qu’une cour favorise la prétention d’un accusé qu’il a droit à une assistance juridique ou scientifique ou à un service de traduction si l’accusé lui-même a les moyens de financer ces genres d’aide.

[pp. 38-39] Il se peut qu’il y ait des circonstances dans lesquelles la cour, avant le procès, décréterait que sans traduction d’un document d’une langue autre qu’une langue officielle dans une des langues officielles, ou d’une des langues officielles à l’autre langue officielle qui a été choisie par l’accusé comme la langue du procès, l’accusé ne pourra pas subir son procès avec la possibilité de présenter “une pleine réponse et défense” ou d’avoir un procès juste et équitable. Il faut attendre une autre cause pour préciser quelles seraient les circonstances où cela serait la décision de la cour. Dans les circonstances actuelles, l’accusé et son procureur admettent qu’ils ont tous les deux la capacité de comprendre l’anglais et ils n’allèguent pas que l’accusé subirait un préjudice si les déclarations et documents divulgués par la poursuite n’étaient pas divulgués avec une traduction en français avant le procès. La prétention de l’accusé est fondée exclusivement sur le principe réclamé que, ayant choisi le français comme la langue de son procès, il a le droit à la divulgation de ces éléments de preuve avec une traduction en français. J’ai rejeté cet argument. Il ne reste aucune autre circonstance qui invoquerait la sympathie de la cour pour reconnaître dans l’espèce que le droit de préparer et de présenter une défense pleine et entière serait entravé si la poursuite ne divulguait pas les renseignements dans la langue française. Il se peut que dans d’autres circonstances un accusé réussisse à persuader la cour que, sans une telle traduction, la préparation pour le procès serait tellement difficile, étant donné les ressources privées de l’accusé, qu’elle serait inefficace au point que, au procès lui-même, l’accusé ne pourrait pas présenter une défense pleine et entière. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Voir également :

H.M.T.Q. v. Blackduck, 2014 NWTSC 58 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Larcher (19 septembre 2002), Ontario (C.S.Ont.), juge Lalonde [hyperlien non disponible]

R. c. Fiddler, 1994 CanLII 7396 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

 

14. Interprète

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : MAI 2017]

Annotations

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[41] Une autre considération importante dans l’interprétation des «meilleurs intérêts de la justice» tient au fait que les droits linguistiques sont totalement distincts de l’équité du procès. […] Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre.  Toutefois, ce droit est déjà garanti par l’art. 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l’assistance d’un interprète.  Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues.  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts.  Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. […]

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[1] Dans le présent pourvoi, notre Cour est pour la première fois appelée à se pencher sur l'art. 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à l'assistance d'un interprète. Aussi mes motifs de jugement sont-ils un peu plus longs qu'ils ne le seraient normalement. Il est question en l'espèce d'une instance criminelle où celui qui revendique le droit en cause était un accusé qui ne parlait pas et ne comprenait pas l'anglais, la langue dans laquelle l'instance se déroulait. À la suite de l'audition de la présente affaire, le pourvoi a été accueilli à l'unanimité à l'audience et un nouveau procès a été ordonné, avec motifs à suivre.

[…]

IV. Analyse

[9] C'est la première fois que le droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte, est directement soulevé devant notre Cour. L'article 14 est ainsi rédigé :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

Le paragraphe 650(1) du Code criminel, qui prévoit qu'un accusé « doit être présent au tribunal pendant tout son procès », et le par. 650(3), qui confère à l'accusé le droit de « présenter [...] une pleine réponse et défense », sont également en cause dans le présent pourvoi. Toutefois, ces dispositions du Code criminel jouent un rôle secondaire par rapport à celui de l'art. 14 de la Charte. Non seulement l'art. 14 prévoit-il expressément le droit à l'assistance d'un interprète, mais il fait également partie, de par son statut constitutionnel, de la loi suprême et primordiale du pays. L'article 14 de la Charte a également une portée plus large que l'art. 650 du Code. Ce dernier s'applique principalement aux procédures intentées par voie de mise en accusation. Les règles qui régissent la comparution et la présence d'un accusé relativement à des infractions punissables par voie de procédure sommaire sont quelque peu différentes et moins strictes: voir les par. 800(2) et 800(3), l'al. 803(2)a), mais également l'art. 795 du Code. L'article 14 de la Charte confère toutefois à tous les accusés, indépendamment de la gravité de l'infraction reprochée et de sa classification, un droit constitutionnellement garanti à l'assistance d'un interprète lorsque l'accusé ne comprend pas ou ne parle pas la langue du prétoire.

[10] Élever le droit à l'assistance d'un interprète au rang de norme constitutionnelle est un pas important qui exige à tout le moins que les règles et les principes applicables aux interprètes, qui ont été conçus sous le régime de la common law et de diverses lois, soient reconsidérés et, si nécessaire, adaptés afin de correspondre aux préceptes de la nouvelle ère de la Charte. En même temps, il n'y a pas de doute que la jurisprudence abondante qui existe déjà sur la question des interprètes, dont celle qui est fondée sur l'art. 650 du Code, jouera un rôle important dans la détermination de la portée du droit garanti par l'art. 14 de la Charte.

[11] J'aimerais avant tout préciser que l'analyse qui suit de l'art. 14 de la Charte porte spécifiquement sur le droit d'un accusé dans le cadre de procédures criminelles et ne doit pas être considérée comme ayant nécessairement une application plus générale. En d'autres termes, je ne me prononcerai pas pour le moment sur la possibilité qu'il soit nécessaire d'établir et d'appliquer des règles différentes à d'autres situations qui tombent à bon droit sous le coup de l'art. 14 de la Charte — par exemple, lorsque les procédures en question sont de nature civile ou administrative.

[12] En l'espèce, notre Cour doit entreprendre la délimitation des paramètres du droit à l'assistance d'un interprète, lequel droit est formulé en des termes très généraux à l'art. 14 de la Charte. Pour déterminer la portée d'un droit garanti par la Charte, les propos du juge Dickson (plus tard Juge en chef), qui s'exprimait au nom de la Cour sur l'art. 8 de la Charte, dans Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, aux pp. 156 et 157, constituent un point de départ utile :

La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse . . .

. . . la façon appropriée d'aborder l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés est de considérer le but qu'elle vise [. . .] [ce qui rend] d'abord nécessaire de préciser le but fondamental de [l'article de la Charte] [. . .]: en d'autres termes, il faut d'abord délimiter la nature des droits qu'il vise à protéger.

Dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a précisé la façon dont les intérêts qui sont destinés à être protégés par un droit garanti par la Charte doivent être déterminés :

À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte. Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte. En même temps, il importe de ne pas aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par conséquent, comme l'illustre l'arrêt de notre Cour Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés.

[…]

[35] Il est clair que le droit à l'assistance d'un interprète qu'a l'accusé qui ne peut communiquer ni être compris pour des raisons linguistiques repose sur l'idée fondamentale que personne ne devrait avoir à subir un procès kafkaïen qui risque d'entraîner une perte de liberté. L'accusé a le droit de savoir exactement et de façon concomitante ce qui se produit pendant les procédures qui décideront de son sort. C'est une question d'équité fondamentale. Même si, objectivement, un procès est un modèle d'équité, si l'accusé qui souffre d'un handicap linguistique ne bénéficie pas d'une interprétation intégrale et concomitante des procédures, il est incapable d'en juger par lui-même. La légitimité même du système de justice aux yeux de ceux qui y sont soumis repose sur leur capacité de comprendre et de communiquer dans la langue dans laquelle les procédures se déroulent.

(iii) Lien avec les autres dispositions de la Charte

[36] L'interprétation large de l'art. 14 peut également se justifier par la Charte elle-même. Notre Cour a déjà indiqué que les dispositions de la Charte doivent s'interpréter non pas isolément, mais plutôt l'une en fonction de l'autre: voir, par ex., R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, les juges Wilson et La Forest, Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357. Notre Cour a déjà fait observer que l'art. 7 de la Charte est une expression générale des garanties juridiques contenues aux art. 8 à 14 de la Charte: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 502. Il n'est donc pas surprenant que l'art. 14 soit étroitement lié à l'art. 7 et aux autres « garanties juridiques » offertes par la Charte. En fait, je dirais que le droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'art. 14 est un moyen d'assurer que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d'un procès public et équitable prévue à l'al. 11d) de la Charte. En même temps, la force de l'art. 14 peut être saisie en partie sous l'angle non seulement du droit de présenter une défense pleine et entière, mais encore du droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense, ces deux droits étant garantis par les art. 7 et 11 de la Charte. En réalité, le lien étroit qui existe entre l'art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l'assistance d'un interprète dans le contexte criminel devraitê tre considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l'art. 7 de la Charte.

[…]

(iv) Conclusions sur les objectifs auxquels répond l'art. 14

[38] Le droit d'un accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue des procédures d'obtenir l'assistance d'un interprète répond à plusieurs objectifs importants. D'abord et avant tout, il garantit que la personne accusée d'une infraction criminelle entend la preuve qui pèse contre elle et a pleinement l'occasion d'y répondre. Ensuite, le droit est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l'apparence d'équité. En tant que tel, le droit à l'assistance d'un interprète touche l'intégrité même de l'administration de la justice criminelle au Canada. Enfin, le droit est intimement lié à notre prétention d'être une société multiculturelle, exprimée en partie à l’art. 27 de la Charte. L'importance des intérêts qui sont protégés par le droit à l'assistance d'un interprète favorise une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé du droit garanti à l’art. 14 de la Charte, ainsi qu'une application de ce droit qui soit fondée sur des principes. 

[…]

[47] Pour déterminer si l'art. 14 de la Charte a effectivement été violé, il faut d'abord évaluer le besoin de recourir à l'assistance d'un interprète. Autrement dit, celui qui invoque le droit en question doit démontrer qu'il satisfait (ou satisfaisait) aux conditions requises pour pouvoir l'invoquer. L'article 14 de la Charte prévoit clairement que, pour bénéficier de ce droit, il faut que l'accusé « ne comprenne [...] pas ou ne parle [...] pas la langue employée ».

[48] Bien que le droit à l'assistance d'un interprète ne soit ni automatique ni absolu, il va sans dire, compte tenu particulièrement du fait que ce droit est élevé au rang de norme constitutionnelle, que les tribunaux devraient être généreux et avoir l'esprit ouvert lorsqu'ils évaluent le besoin d'un accusé de recourir à l'assistance d'un interprète. En général, les tribunaux devraient désigner un interprète dans l'un ou l'autre des cas suivants :

(1) il devient évident pour le juge que l'accusé a, pour des raisons linguistiques, de la difficulté à s'exprimer ou à comprendre les procédures et qu'un interprète serait utile; ou

(2) l'accusé (ou son avocat) requiert les services d'un interprète et le juge est d'avis que cette requête est justifiée.

Il importe de signaler que ni le texte de l'art. 14 de la Charte ni le fondement historico-juridique du droit ne contraint les tribunaux à informer tous les accusés qui comparaissent devant eux de l'existence du droit à l'assistance d'un interprète. De même, les tribunaux ne sont pas tenus d'examiner systématiquement la capacité de tout accusé de comprendre la langue des procédures. En même temps, rien n'oblige absolument l'accusé à faire valoir ou à invoquer formellement le droit en cause pour en jouir. Il en est ainsi du fait que les tribunaux ont la responsabilité indépendante d'assurer l'équité de leurs procédures et leur conformité avec les principes de justice naturelle et, par conséquent, de protéger le droit de l'accusé à l'assistance d'un interprète, peu importe qu'il ait vraimenté té revendiqué formellement.

[49] Tout comme il devrait tenir une audience sur la capacité mentale d'un accusé, s'il appert que celui-ci peut ne pas être en mesure de participer pleinement à sa propre défense, ou refuser d'accepter un plaidoyer de culpabilité s'il n'est pas convaincu que l'accusé comprend la nature de l'accusation et réalise ce qu'il fait, le tribunal devrait également vérifier de son propre chef le besoin de l'accusé de recourir aux services d'un interprète lorsqu'il paraît éprouver des difficultés linguistiques. Comme je l'ai déjà laissé entendre, l'élément dominant est la compréhension. L'omission de vérifier en présence d'une indication positive que l'accusé ne comprend peut-être pas ou peut ne pasê tre compris pour des raisons liées à la langue, et de désigner un interprète lorsque cela peut se révéler utile, pourrait constituer une erreur judiciaire et entraîner une ordonnance enjoignant de tenir un nouveau procès.

[50] Toutefois, l'avocat de la défense doit garder à l'esprit qu'il sera toujours plus sûr de demander un interprète lorsque c'est nécessaire, plutôt que de s'en remettre au tribunal pour qu'il en désigne un de son propre chef. De fait, à titre d'officiers de justice, le substitut du procureur général et l'avocat de la défense sont tous les deux tenus d'attirer l'attention du tribunal sur le besoin de recourir à un interprète lorsqu'ils s'aperçoivent qu'un tel besoin existe. Bien que les tribunaux doivent se montrer sensibles aux signes qui indiquent qu'un accusé peut peut-être éprouver des difficultés linguistiques, on n'attend pas et on ne saurait attendre d'eux qu'ils lisent dans les pensées. Lorsqu'aucun indice extérieur ne laisse entrevoir une incompréhension de la part de l'accusé et que celui-ci ou son avocat (dans le cas où il est représenté) n'a pas invoqué le droit en question, cela peut jouer contre l'accusé si ce dernier, après avoir gardé le silence pendant tout le procès, soulève la question de l'interprétation pour la première fois en appel. C'est ce qui ressort des affaires R. c. Tsang (1985), 27 C.C.C. (3d) 365 (C.A.C.-B.), et R. c. Tabrizi, [1992] O.J. No. 1383 (C. Ont. (Div. gén.)).

[…]

[52] Je soulignerais que les tribunaux doivent, comme de nombreux l'ont fait dans le passé, aborder la question du besoin d'un interprète avec sensibilité et compréhension, d'autant plus que le droit à l'assistance d'un interprète est maintenant consacré dans la Constitution. Comme Steele le précise dans son article intitulé « Court Interpreters in Canadian Criminal Law », loc. cit., aux pp. 226 et 227 :

[TRADUCTION] ... la capacité linguistique procède des circonstances. Par exemple, un allophone [une personne qui ne connaît pas la langue des procédures] pourrait trouver facile de comprendre son avocat, du fait particulièrement qu'il a pu, à l'extérieur de la salle d'audience, chasser tout malentendu, mais non de s'opposer aux avocats, au juge ou à un témoin. De la même façon, il pourrait être en mesure de comprendre son avocat dans le calme relatif du cabinet de ce dernier, mais pas dans l'atmosphère stressante de la salle d'audience.

[En outre,] parler, lire et comprendre oralement sont des compétences différentes. La partie qui est en mesure de témoigner couramment peut être incapable de lire une preuve documentaire. De même, le témoin qui est capable de suivre les instructions ou de comprendre une question peut être incapable d'y répondre parfaitement.

Voilà pourquoi notamment, Steele préconise l'application d'[Traduction] « une norme peu élevée d'évaluation du besoin » (p. 227), en vertu de laquelle les services d'un interprète seraient accordés à moins que le tribunal ne soit convaincu que le requérant est capable de comprendre les procédures autant que si celles-ci se déroulaient dans la langue dans laquelle il a la plus grande facilité.

[53] Dans la même veine, le juge Lacourcière de la Cour d'appel de l'Ontario a fourni certains conseils judicieux relativement à l'évaluation du besoin d'un interprète. Dans R. c. Petrovic (1984), 13 C.C.C. (3d) 416 (C.A. Ont.), il écrit, à la p. 423 :

[TRADUCTION] Tous étaient d'accord au procès pour dire que les services d'un interprète serbo-croate étaient requis, et l'appelant a inscrit son plaidoyer par l'entremise d'un interprète. Bien que la Déclaration des droits et la Charte canadienne des droits et libertés mentionnent toutes deux le droit à l'assistance d'un interprète dans toutes les procédures où le témoin ne comprend pas ou ne parle pas la langue dans laquelle l'instance se déroule, il n'incombe pas au tribunal de première instance et encore moins au tribunal d'appel de vérifier en profondeur la capacité de la partie ou du témoin de comprendre ou de parler la langue des procédures judiciaires. Une personne peut être en mesure de communiquer dans une langue pour des fins générales tout en ne possédant pas une compréhension ou une facilité de s'exprimer suffisante pour faire face à un procès et à ses conséquences inquiétantes sans l'assistance d'un interprète compétent. Même si cette personne baragouine le français ou l'anglais et comprend des communications simples, le droit garanti constitutionnellement par l'art. 14 de la Charte ne disparaît pas. [Je souligne.]

Je souscrirais également au point de vue adopté par le juge Lacourcière, à la p. 423 de l'arrêt Petrovic, et réitéré par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique à la p. 371 de l'arrêt Tsang, précité, voulant qu'une fois invoqué le droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte, ne devrait être refusé que si une [Traduction] « preuve solide et convaincante » établit que la demande de l'accusé visant à obtenir les services d'un interprète est faite non pas de bonne foi mais plutôt pour un motif détourné. Dans l'arrêt Roy c. Hackett, précité, où il était question d'interprétation lors d'une audience d'arbitrage, le juge Lacourcière souligne, à la p. 427, que, pour en arriverà une décision relativement à la bonne foi d'un témoin ou d'une partie qui demande les services d'un interprète, le juge ou le président d'un tribunal

[TRADUCTION] ... doit tenir compte du désir légitime de tout témoin de s'exprimer dans la langue qu'il connaît le mieux, normalement sa langue maternelle ... [et] éviter d'imputer un motif caché au témoin qui demande un interprète, même si ce témoin connaît jusqu'à un certain point la langue utilisée et pourrait, d'une façon générale, comprendre les procédures.

Ce commentaire témoigne de la sensibilité dont il faut faire preuve en évaluant le besoin d'un accusé de recourir aux services d'un interprète, et du fait que les tribunaux ne doivent pas trop s'empresser de tirer des conclusions défavorables lorsque celui qui invoque le droit a une certaine facilité dans la langue du prétoire.

(ii) Norme d'interprétation garantie

[54] Pour déterminer si l'accusé a été privé de son droit constitutionnel à l'assistance d'un interprète, il faut, en deuxième lieu, examiner s'il y a eu manquement ou dérogation à ce qui est considéré comme une « bonne » interprétation. Si l'accuséé tablit qu'il avait besoin de l'assistance d'un interprète, mais qu'on la lui a refusé, l'atteinte au droit sera évidente en soi (à condition, évidemment, que l'accusé établisse que le refus a été signifié à un moment où l'affaire progressait). Si toutefois, comme en l'espèce, un interprète a été désigné et que c'est la qualité de son interprétation qui est mise en cause, il devient plus difficile de déterminer si le droit en question a été violé. Il est alors nécessaire d'examiner la portée du droit garanti par l'art. 14 de la Charte et de commencer à définir ce qui constitue, dans les procédures criminelles, une norme d'interprétation appropriée.

[55] Bien que la norme d'interprétation soit élevée dans le contexte de l'art. 14, il ne devrait pas s'agir d'une norme de perfection. À mon avis, il est possible de la formuler à l'aide d'un certain nombre de critères destinés à assurer que les personnes aux prises avec des problèmes linguistiques comprennent et soient comprises tout autant que si elles connaissaient la langue employée dans les procédures. Ces critères sont notamment la continuité, la fidélité, l'impartialité, la compétence et la concomitance. J'examinerai chacun de ces éléments à tour de rôle.

I. Continuité

[56] Dans l'analyse de ce qui constitue une interprétation convenable, les tribunaux et les commentateurs ont généralement considéré la continuité comme un élément nécessaire. Aussi, les interruptions dans l'interprétation et les résumés des procédures ne sont généralement pas vus d'un bon œil.

[…]

[58] Je conclus donc que l'art. 14 de la Charte exige que l'interprétation des procédures soit continue. Les pauses et les interruptions ne doivent être ni encouragées ni permises.

II. Fidélité

[59] Il est évident en soi que l'interprétation doit être fidèle. Comme Steele le laisse entendre, aux pp. 240 et 241 de son article, loc. cit. :

[TRADUCTION] ... l'interprétation doit, autant que possible, reprendre chaque mot et chaque idée; l'interprète ne doit pas « nettoyer » le témoignage pour lui donner une forme, une grammaire ou une syntaxe qu'il ne possède pas; l'interprète ne devrait faire aucun commentaire sur le témoignage et il ne devrait s'exprimer qu'à la première personne, en disant, par exemple, « je suis allé à l'école » plutôt que « il dit qu'il est allé à l'école ».

C'est également en raison de ce besoin de fidélité qu'il est très peu probable que les résumés satisferontà la norme générale d'interprétation requise dans le contexte de l'art. 14 de la Charte. En fait, dans l'affaire américaine Negron, précitée, le juge Kaufman conclut, aux pp. 389 et 390, que les résumés fournis au défendeur par l'interprète de la poursuite étaient insuffisants pour la raison suivante :

[TRADUCTION] Quelque astucieux qu'aient pu être les résumés de [l'interprète], ils ne pouvaient permettre à Negron de comprendre la nature exacte du témoignage contre lui au moment, dans le procès, où l'État a choisi de le présenter.

[60] Il est cependant important de garder à l'esprit que l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans des circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d'exiger que même une norme d'interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection. Comme Steele l'explique,à la p. 242 :

[TRADUCTION] Même la meilleure interprétation n'est pas « parfaite », car l'interprète ne peut jamais donner au témoignage la même nuance ou le même sens que les propos originaux. Pour cette raison, les tribunaux ont prévenu qu'il ne convient pas d'examiner au microscope le témoignage interprété pour voir s'il comporte des incohérences. Il faut accorder le bénéfice du doute au témoin.

À cet égard, il peut être utile de signaler la distinction conceptuelle entre l'« interprétation », qui vise principalement la langue parlée, et la « traduction », qui vise principalement la langue écrite. Compte tenu du fait que l'interprétation comporte un processus de médiation entre deux personnes qui doit se produire sur-le-champ, avec peu de possibilité de réfléchir, il s'ensuit que la norme d'interprétation tendra à être inférieure à ce qu'elle pourraitê tre dans le cas de la traduction qui a pour départ un texte écrit, où le temps de réaction est en général plus long et où il est possible de mieux conci lier les différences conceptuelles qui existent parfois entre deux langues et de mieux en tenir compte.

III. Impartialité

[61] Il va sans dire également que l'interprétation, en particulier dans un contexte criminel, devrait être objective et impartiale : voir, par ex., Unterreiner, infra, Tabrizi, précité, et Morel, loc. cit., aux pp. 594 à 596. Comme le laisse entendre Steele, aux pp. 238 et 239 :

[TRADUCTION] Certaines personnes ne peuvent servir d'interprète parce qu'on craint qu'elles ne soient partiales. De toute évidence, une partie au litige ne pourra servir d'interprète, ni d'ailleurs un parent ou un ami d'une partie, le juge ou une personne étroitement liée aux événements à l'origine de l'accusation criminelle. Ces règles peuvent être assouplies dans le cas de procédures non accusatoires.

Bien que je sois d'accord avec Steele pour dire qu'un interprète devrait être impartial, j'assouplirais davantage ces règles, particulièrement en ce qui concerne des questions préliminaires comme la mise en liberté sous caution ou l'ajournement dans des régions éloignées de notre pays, où la réalité pratique de la géographie canadienne, conjuguée à l'urgence de certains cas, ferait de sorte que les intérêts de la justice seraient mieux servis.

IV. Compétence

[62] Pour satisfaire à la norme de protection garantie par l'art. 14 de la Charte, l'interprétation doit être d'assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue. Cela signifie à tout le moins que l'accusé a droit à un interprète compétent. Bien que, comme le souligne Steele à la p. 238, il n'y ait eu jusqu'ici aucune norme généralement acceptée d'évaluation de la compétence, l'interprète doit au moins prêter le serment de l'interprète avant d'interpréter les procédures: voir, par ex., R. c. L.L., [1986] O.J. No. 1954 (C. dist. Ont.), et Petrovic, précité, à la p. 423. S'il y a une bonne raison de douter de la compétence d'un interprète, le tribunal sera bien avisé d'examiner ses titres de compétence.

[…]

V. Concomitance

[64] Pour déterminer la norme appropriée en la matière, il faut également considérer le moment où l'interprétation a eu lieu. Pour satisfaire à la norme de protection garantie par l'art. 14 de la Charte, l'interprétation et la procédure en question doiventê tre concomitantes. Ici, il peut être utile de garder à l'esprit la distinction entre « consécutive » (après que les mots ont été prononcés) et « simultanée » (au moment même où les mots sont prononcés). S'il est généralement préférable que l'interprétation soit consécutive plutôt que simultanée, il importe d'abord et avant tout qu'elle soit concomitante. Bien que je n'aie pas à trancher la question, je tendrais à souscrire à l'avis que Steele exprime aux pp. 248 et 249 de son article, voulant que même si l'interprétation consécutive double en fait le temps nécessaire au déroulement des procédures, elle comporte de nombreux avantages par rapport à l'interprétation simultanée. Cette dernière est une tâche complexe et exigeante pour laquelle les interprètes judiciaires, contrairement aux interprètes de conférence, sont rarement formés. En outre, elle requiert du matériel sonore coûteux dont nos salles d'audience sont rarement munies. De plus, pour atteindre son efficacité maximale, l'interprétation simultanée doit s'effectuer dans un environnement où les facteurs de distraction pour l'interprète et son auditoire sont réduits au minimum, ce qui n'est pas toujours le cas dans nos salles d'audience animées. L'interprétation consécutive a, par ailleurs, l'avantage de permettre à l'accusé de réagir au moment opportun, comme au moment de soulever des objections. Elle permet également d'évaluer plus facilement sur-le-champ la fidélité de l'interprétation, ce qui est plus difficile lorsqu'une personne doit écouter la langue de départ et sa traduction en même temps, comme c'est le cas lorsque l'interprétation est simultanée.

[65]  Tous ces facteurs portent à croire que l'interprétation consécutive représente une meilleure solution que l'interprétation simultanée. Je reconnais cependant qu'il peut en être autrement en raison des différents besoins des personnes visées par l'art. 14 de la Charte, comme celles qui ont un problème auditif, et de la possibilité que des progrès technologiques soient réalisés dans les méthodes d'interprétation. Il importe par-dessus tout que l'interprétation et les propos interprétés soient concomitants.

VI. Résumé

[66] Somme toute, l'objectif de favoriser la compréhension des procédures, qui sous-tend le droit à l'assistance d'un interprète, est plus susceptible d'être atteint si la norme d'interprétation, dans le contexte de l'art. 14 de la Charte, est définie comme en étant une de continuité, de fidélité, d'impartialité, de compétence et de concomitance. Compte tenu de l'importance fondamentale des intérêts protégés par le droit à l'assistance d'un interprète, la norme d'interprétation garantie par la Constitution doit être élevée, et les dérogations admissibles à cette norme limitées. Pour déterminer s'il y a eu dérogation suffisante à la norme pour satisfaire au second volet de l'examen fondé sur l'art. 14, il faut garder à l'esprit le principe qui sous-tend le droit en question, celui de la compréhension linguistique. En d'autres termes, il faudrait toujours se demander s'il se peut que l'accusé n'ait pas compris une partie des procédures en raison des difficultés qu'il éprouve avec la langue du prétoire.

(iii) La dérogation est-elle survenue pendant que l'affaire progressait?

[67] Il importe de souligner que ce ne sont pas toutes les dérogations à la norme d'interprétation garantie qui violeront l'art. 14 de la Charte. Celui qui revendique le droit en cause doit établir quelque chose de plus, à savoir, d'une part, que la lacune dans l'interprétation avait trait aux procédures elles-mêmes et qu'elle a de ce fait touché aux intérêts vitaux de l'accusé, et, d'autre part, qu'elle ne concernait pas simplement quelque question accessoire ou extrinsèque comme une question administrative relative au calendrier. Pour distinguer entre la restriction du droit qui est si minime qu'elle ne viole pas l'art. 14, et une restriction plus importante qui viole effectivement l'art. 14, j'estime utile d'emprunter les propos et le raisonnement sous-jacent qui ont été formulés dans le contexte du droit d'être présent au sens de l'art. 650 du Code criminel, selon lesquels les distractions qui se produisent pendant que l'affaire « se déroule » ou « progresse », ou lorsque les « intérêts vitaux » de l'accusé sont en cause, sont réputées survenir pendant le « procès » et violer l'art. 650. Il va sans dire que, contrairement à l'art. 650 du Code qui requiert la présence de l'accusé pendant tout son« procès », l'art. 14 de la Charte utilise le terme général « procédures ». Néanmoins, j'estime que la jurisprudence relative à la disposition du Code aide à déterminer le genre de circonstances dans lesquelles l'interprétation doit respecter les normes constitutionnelles, compte tenu particulièrement des définitions générales fondées sur l'objet visé que les tribunaux ont, dans l'ensemble, données au terme « procès » utilisé à l'art. 650 du Code.

[…]

[70] En adoptant, pour les fins de l'art. 14 de la Charte la phrase « faire progresser l'affaire » et le raisonnement sous-jacent que l'on trouve dans Meunier et qui a été clarifié dans la jurisprudence relative à l'art. 650 du Code, je ne laisse pas entendre que cette phrase a un sens magique ou fixe. En fait, je souscrirais aux observations de la Cour d'appel de l'Ontario, dans R. c. Grimba (1980), 56 C.C.C. (2d) 570 (C.A. Ont.), où on a jugé que l'art. 650 (alors l'art. 577) du Code avait été violé lorsqu'on avait fait sortir l'accusé, à deux reprises, de la salle d'audience pendant son réinterrogatoire, alors que des plaidoiries avaient lieu et que des décisions étaient prises au sujet de l'admissibilité d'une preuve. En ce qui concerne la phrase « faire progresser l'affaire », le juge Zuber affirme, au nom de la Cour d'appel, à la p. 574 :

[TRADUCTION] Je ne puis croire qu'on ait voulu que cette phrase soit définitive. Elle constitue une façon de formuler la question essentielle de savoir si oui ou non le procès continuait. Il importe peu de savoir si la continuation incluait la présentation d'éléments de preuve, des plaidoiries, des décisions sur des questions de preuve, l'exposé au jury, etc. [Je souligne.]

Je compte simplement préciser que, si l'absence d'interprétation ou une lacune dans celle-ci porte sur une question purement administrative ou logistique qui ne touche pas aux intérêts vitaux de l'accusé, comme le fait de prévoir un ajournement ou d'y consentir, l'art. 14 de la Charte ne sera pas violé. En fait, dire qu'il s'agit d'une violation banaliserait le droit à l'assistance d'un interprète garanti par la Constitution.

[…]

(iv) Préjudice

[72]  J'aimerais faire un dernier commentaire sur la question de savoir ce que doit établir la partie qui allègue une violation de l'art. 14 de la Charte. À mon avis, il est primordial qu'au moment de déterminer si les droits garantis à l'accusé par l'art. 14 ont effectivement été violés, les tribunaux ne se lancent pas dans des conjectures quant à savoir si l'absence d'interprétation ou une lacune dans celle-ci au cours d'une instance donnée, a influé sur l'issue de l'affaire. Il est dangereux en soi de critiquer après coup la stratégie de la défense dans une affaire donnée ou de jauger l'utilité d'une bonne interprétation. Il est impossible de savoir avec certitude ce qui se serait produit si l'accusé avait bénéficié d'une interprétation intégrale et concomitante des procédures en question. Par exemple, on ne peut jamais réellement savoir ce qu'aurait pu provoquer dans l'esprit de l'accusé l'interprétation à laquelle il avait droit en vertu de l'art. 14 de la Charte.

[73] L'article 14 garantit expressément le droit à l'assistance d'un interprète lorsque certaines conditions préalables sont remplies. Nulle part ne prévoit-il ni ne donne-t-il à entendre que, pour pouvoir conclure que le droit a été violé, il faut effectuer une évaluation après coup de l'atteinte au droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière. En outre, le droit garanti à l'art. 14 de la Charte appartient non seulement aux accusés, mais aussi aux parties à des actions civiles et à des procédures administratives, de même qu'aux témoins. Si le droit à l'assistance d'un interprète était fondé exclusivement sur le droit de présenter une défense pleine et entière et sur la nécessité d'éviter toute atteinte à ce droit, il n'y aurait aucune raison de garantir séparément ce droit aux parties à des procédures non criminelles et aux témoins.

[74] L'article 14 garantit sans réserve le droit à l'assistance d'un interprète. Par conséquent, il serait erroné de se demander, pour déterminer si le droit a été violé, si l'accusé a vraiment subi un préjudice lorsqu'on lui a refusé l'exercice de ses droits garantis par l'art. 14. La Charte proclame en fait que le refus de fournir une bonne interprétation pendant que l'affaire progresse est préjudiciable en soi et viole l'art. 14. Le véritable préjudice qui résulte est une question qui doit être examinée et réglée en fonction du par. 24(1) de la Charte, lorsqu'il s'agit de concevoir une réparation convenable et juste pour la violation en question. En d'autres termes, le « préjudice » réside exclusivement dans le fait de se voir refuser l'exercice d'un droit auquel on a droit.

(v) Renonciation

[75] Comme le droit à l'assistance d'un interprète est non seulement une garantie constitutionnelle fondamentale en soi, mais également un moyen important d'assurer la tenue d'un procès complet équitable et public, garantie séparément par l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte, il s'ensuit qu'il sera plus difficile de renoncer aux droits garantis par l'art. 14 de la Charte que cela peut avoir été le cas antérieurement sous le régime de la common law et de textes législatifs comme le Code criminel et la Déclaration canadienne des droits. En fait, il y aura des cas où, dans l'intérêt public général, il sera tout simplement impossible de renoncer à ce droit.

[…]

[76] Lorsqu'il est possible de renoncer au droit à l'assistance d'un interprète, le seuil est très élevé. Dans Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a précisé, au nom de la Cour, que, pour être valide, la renonciation à un droit procédural d'origine législative doit être claire et sans équivoque et doit être faite en pleine connaissance des droits que la procédure vise à protéger et de l'effet de la renonciation sur ces droits. Cette norme relative à une renonciation valide a subséquemment été adoptée dans le contexte de la Charte, plus précisément à l'égard de l'al. 10b) qui garantit le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat en cas d'arrestation ou de détention: voir, par ex., R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869, le juge McLachlin, aux pp. 892 à 894. Dans le cas précis de la renonciation au droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14, j'ajouterais aux garanties existantes la condition suivante. L'accusé doit renoncer personnellement, si nécessaire à la suite d'une vérification du tribunal, par l'entremise d'un interprète, que l'accusé comprend véritablement ce qu'il fait, à moins que l'avocat de l'accusé ne connaisse la langue de ce dernier ou n'ait communiqué avec l'accusé par l'intermédiaire d'un interprète avant de se présenter devant le tribunal, et qu'il convainque ce dernier que la nature du droit et l'effet de la renonciation sur ce droit ont été expliqués à l'accusé.

[…]

(vi) Résumé des conclusions

[78] La portée du droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte, peut être énoncée dans les termes généraux suivants. La norme d'interprétation garantie par la Constitution n'en est pas une de perfection; il s'agit cependant d'une norme de continuité, de fidélité, d'impartialité, de compétence et de concomitance. L'accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue des procédures, que ce soit le français ou l'anglais, a droit, à toute étape des procédures où l'affaire progresse, à des services d'interprétation satisfaisant à cette norme fondamentale. Pour établir l'existence d'une violation de l'art. 14, la personne qui invoque le droit qu'il confère doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que non seulement elle avait besoin de cette assistance, mais que les services d'interprétation obtenus ne satisfaisaient pas à la norme fondamentale garantie, et ce, pendant que l'affaire progressait. À moins que le ministère public ne soit en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu renonciation valide et effective à ce droit, qui explique l'absence d'interprétation ou la lacune dans celle-ci, on aura établi une violation du droit à l'assistance d'un interprète, garanti par l'art. 14 de la Charte. Bien qu'il soit interdit, dans certains cas, de renoncer au droit à l'assistance d'un interprète pour des raisons d'ordre public, lorsque la renonciation est possible, le ministère public doit non seulement établir qu'elle était claire et sans équivoque et faite par quelqu'un qui connaissait et comprenait ce droit, mais encore qu'elle a été faite personnellement par l'accusé ou avec l'assurance de l'avocat de la défense que le droit et l'effet de la renonciation sur celui-ci ont été expliqués à l'accusé dans une langue qu'il connaît parfaitement.

[…]

[80]  Il s'agit en l'espèce de savoir si, pendant le procès, il y a eu violation des droits que l'art. 14 de la Charte garantissait à l'appelant. Plus précisément, le droit de l'appelant à l'assistance d'un interprète a-t-il été violé lorsque l'interprète a témoigné pour la défense et que, plutôt que de donner ses réponses en anglais et en vietnamien, il n'a offert que des résumés en vietnamien de son témoignage et n'a fourni aucune interprétation dans le cas d'un bref échange avec le juge du procès? Pour répondre à cette question, le cadre analytique conçu plus haut doit être appliqué aux faits de la présente affaire.

[…]

[82]  Puisque je suis convaincu que l'appelant ne comprenait pas et ne parlait pas l'anglais, la langue des procédures, et qu'il avait donc besoin de l'assistance d'un interprète pendant tout son procès, comme l'a conclu le juge du procès, la première étape de l'analyse consistera à déterminer s'il y a effectivement eu dérogation à la norme générale d'interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente, que garantit l'art. 14 de la Charte. À mon avis, il ne fait aucun doute que l'interprétation des procédures au cours desquelles M. Nguyen a servi de témoin était loin d'être ce qu'elle aurait dû être.

[83]  Premièrement, l'appelant n'a pas obtenu une interprétation continue de toute la preuve produite à son procès. Au contraire, les questions posées à M. Nguyen et ses réponses ont été élaguées et condensées en deux résumés d'une phrase. En outre, rien dans le dossier ne porte à croire que l'échange entre l'interprète et le juge a été traduit, même sous la forme d'un résumé. En d'autres termes, l'exigence de continuité n'a pas été respectée.

[84] Deuxièmement, l'interprétation fournie à l'appelant n'était pas fidèle. Non seulement était-elle totalement absente dans le cas de l'échange avec le juge, mais encore les résumés en une phrase qui ont été effectués n'ont pas transmis tout ce qui avait été dit. En outre, la premier résumé était incorrect du fait qu'il faisait état de quelque chose qui, en réalité, n'avait pas été dit, en ce sens que M. Nguyen a raconté à l'appelant qu'il avait témoigné que son [Traduction] « visage n'a[vait] pas changé du tout ». Or, nulle part dans le témoignage même de M. Nguyen le visage de l'appelant n'est-il mentionné.

[85] Troisièmement, bien qu'il n'y ait aucune raison de douter de l'impartialité ou de l'objectivité réelle de l'interprétation fournie par M. Nguyen, la pratique qui consiste à se servir d'un interprète à la fois comme témoin et interprète devrait être évitée, sauf dans des circonstances exceptionnelles (par ex., lorsque personne d'autre ne peut témoigner sur le point en question). Dans le rare cas où il devient nécessaire de faire jouer ce double rôle, il incombe à la cour de préciser que l'interprète n'agit plus à titre d'officier de justice et de désigner un autre interprète pour le reste des procédures. Autrement, permettre que l'interprète agisse également à titre de témoin risque de susciter une crainte raisonnable de partialité, sans compter les difficultés pratiques et logistiques que peut poser l'interprétation fournie.

[86] Enfin, le moment où l'interprétation a été fournie n'était pas satisfaisant. Elle aurait dû coïncider avec les questions posées et les réponses données. De fait, au départ, tant le juge du procès que l'avocate de la défense ont demandé à l'interprète de donner ses réponses en anglais et en vietnamien. Pourtant, ces directives ont été ignorées par M. Nguyen qui n'a pas fourni une interprétation consécutive.

[87] En résumé, l'assistance d'un interprète fournie à l'appelant au moment où l'interprète était à la barre des témoins était manifestement insuffisante. À tout le moins, elle n'était ni continue, ni fidèle, ni concomitante. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'elle ne respectait pas la norme générale d'interprétation garantie par l'art. 14 de la Charte. Il s'agit ensuite de savoir si les lacunes dans l'interprétation sont survenues pendant que l'affaire progressait. Bien que la Cour d'appel ait eu raison d'affirmer que l'assistance accordée à l'appelant ne respectait pas la [Traduction] « norme idéale », j'estime qu'elle a eu tort de ne pas reconnaître que cette lacune était importante et qu'elle a violé les droits de l'appelant garantis par l'art. 14 de la Charte.

[88]  Les lacunes dans l'interprétation n'étaient ni banales ni négligeables. En fait, elles sont survenues à un moment où les intérêts vitaux de l'appelant étaient manifestement en jeu et, par conséquent, où l'affaire progressait. Les problèmes d'interprétation sont survenus au cours de la déposition d'un témoin. Il est évident qu'un accusé a le droit de confronter tous les témoins et d'être réellement présent pendant la production de la preuve, qu'elle lui soit favorable ou non. En outre, le témoignage de M. Nguyen couvrait un sujet d'importance considérable pour l'appelant, soit la question de l'identification sur laquelle toute sa défense reposait. Les détails du témoignage de M. Nguyen concernant le poids de l'appelant étaient cruciaux. En ne recevant que des résumés en une phrase du témoignage, l'appelant n'a pas été informé du tort qui avait été fait au témoignage de M. Nguyen lors du contre-interrogatoire et pendant l'échange qu'il a eu avec le juge du procès. Les questions que le juge du procès a posées à l'interprète et les réponses qu'il a obtenues ont permis de découvrir que l'interprète n'a connu l'appelant que deux mois après l'agression alléguée. En d'autres termes, le témoignage de l'interprète n'était pas probant relativement au poids de l'accusé à l'époque de l'infraction. Par ailleurs, le premier résumé en une phrase que l'appelant a obtenu était trompeur. En disant à l'appelant qu'il avait témoigné que son visage n'avait pas changé du tout, alors qu'en fait il n'avait rien dit de tel, l'interprète a pu donner à l'appelant l'impression que son témoignage répondrait aux préoccupations relatives à la fluctuation de son poids (puisque l'identification par la plaignante reposait sur une séance d'identification au moyen de photos).

[89] Comme il n'était pas informé pleinement et promptement des propos qui étaient véritablement tenus, l'appelant n'était pas en mesure de demander à son avocate de réinterroger l'interprète ou d'appeler un autre témoin qui aurait pu témoigner sur son poids à l'époque de l'infraction alléguée. Si, par exemple, un autre témoin avait été appelé et jugé crédible, son témoignage aurait pu soulever le doute raisonnable nécessaire pour qu'il y ait acquittement. L'incertitude liée à la question de savoir ce qui aurait pu se produire si l'accusé avait bénéficié de la qualité d'interprétation à laquelle il avait droit en vertu de l'art. 14 de la Charte démontre que les tribunaux ne doivent pas se lancer dans des conjectures sur l'utilité ou l'inutilité d'une bonne interprétation. Ce qui importe, c'est que l'appelant avait besoin de l'assistance d'un interprète et qu'on lui a refusé, à un moment où l'affaire progressait manifestement, le degré d'assistanceà laquelle il avait droit et dont il est présumé avoir eu besoin pour comprendre les procédures.

[90] En toute déférence, je ne puis tout simplement convenir avec la Cour d'appel que, parce que la valeur probante du témoignage qui n'a pas été bien interprété s'est finalement révélée faible, l'appelant n'a pas été privé de son droit d'être présent ou de présenter une défense pleine et entière. Le témoignage concernant le poids de l'appelant était pertinent quant à la question fondamentale de l'affaire, celle de l'identification. Dans ses motifs de jugement, le juge du procès a analysé assez longuement la question du poids de l'appelant à l'époque où l'infraction aurait été commise, pour finalement se fonder sur la preuve d'identification du policier et de la plaignante. Si la défense avait présenté une preuve crédible que l'accusé n'était pas « gras » à l'époque de l'agression, cette preuve aurait pu susciter un doute raisonnable dans l'esprit du juge du procès. En disant a posteriori que les mauvais services d'interprétation dont a bénéficié l'appelant n'ont rien changé à l'issue de l'affaire, la Cour d'appel s'est, à mon avis, lancée dans le genre de critique après coup et de conjectures qui, ai-je indiqué, ne convient pas pour déterminer si l'art. 14 de la Charte a été violé. Peu importe que le témoignage de l'interprète ait influé ou non sur le droit de l'appelant de présenter une défense pleine et entière, ce que nous ne pouvons pas savoir avec certitude, l'appelant avait, en vertu de l'art. 14, le droit d'entendre intégralement et de façon concomitante ce qui était dit sur son poids.

[…]

[95] Pour finir, je conclus que l'appelant avait besoin d'un interprète, que l'interprétation qui lui a été fournie ne satisfaisait pas à la norme requise par l'art. 14 de la Charte et que la lacune dans l'interprétation qui a été fournie est survenue à une étape des procédures où l'affaire progressait manifestement. En outre, le ministère public ne m'a pas convaincu que l'appelant a validement et effectivement renoncé à son droit en l'espèce.

R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 1988 CanLII 107 (CSC)

[56] D'abord en ce qui a trait à la langue des tribunaux, il est établi dans l'arrêt Société des Acadiens, précité, que, bien qu'une personne ait constitutionnellement le droit de s'exprimer en français devant un tribunal au Nouveau-Brunswick aux termes du par. 19(2) de la Charte, elle n'a pas le droit d'être comprise dans cette langue. Le juge et tous les officiers de justice peuvent utiliser à leur gré le français ou l'anglais dans les communications verbales et écrites; voir également l'arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, précité, aux pp. 483 et 497. Selon mon interprétation des motifs du juge Beetz dans Société des Acadiens, l'appelant n'a pas le droit à un traducteur, à l'exception de ce qui est nécessaire pour avoir un procès équitable en common law ou en vertu des art. 7 et 14 de la Charte (p. 577). Le droit d'être compris n'est pas un droit linguistique, mais un droit qui découle des exigences de l'application régulière de la loi. Le juge Beetz, dans l'arrêt Société des Acadiens, prend soin d'employer le terme "pouvoir" pour décrire les droits linguistiques accordés à une personne. Il dit, à la p. 574: "Ils appartiennent à l'orateur, au rédacteur ou à l'auteur des actes de procédure d'un tribunal, et ils confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix" (je souligne). À la page 575, il compare ce pouvoir avec les dispositions linguistiques qui prescrivent le droit de communiquer (art. 20 de la Charte) ou d'être entendu (par. 13(1) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. 1973, chap. O-1).

[57] Appliquant ces principes à la présente affaire, il me semble que le juge du procès pourrait, sous réserve de ce que je vais dire plus loin au sujet des procès-verbaux, instruire l'instance en anglais. Il n'y a aucun élément de preuve qui indique que l'appelant avait besoin des services d'un traducteur pour comprendre les procédures, de sorte qu'il était possible de tenir un procès équitable sans offrir une traduction de l'anglais au français. Quoi qu'il en soit, ce que l'appelant a cherché à faire au cours de toutes ces procédures, c'est de faire valoir ses droits linguistiques et non le droit à un procès équitable.

[58] Toutefois, l'avocat du Mouvement de la liberté de choix a soutenu qu'on porte atteinte au principe de l'égalité dans l'usage de la langue en ayant recours aux services d'un traducteur pour se faire comprendre par le juge du procès. Il a souligné qu'une telle traduction place la personne dont les paroles doivent être traduites dans une position beaucoup moins favorable que celle qui peut être comprise directement. Toutefois, il me semble que cet argument a également été rejeté par cette Cour à la majorité dans l'arrêt Société des Acadiens. Voici ce que le juge Beetz a affirmé sur ce point, à la p. 580 :

Je ne crois pas que ma façon d'interpréter le par. 19(2) de la Charte enfreint la disposition de l'art. 16 en matière d'égalité. L'une ou l'autre langue officielle peut être employée par n'importe quelle personne devant tout tribunal du Nouveau-Brunswick ou dans toutes les affaires devant un tel tribunal et dans tous les actes de procédure qui en découlent. La garantie d'égalité des langues n'est toutefois pas une garantie que la langue officielle utilisée sera comprise par la personne à qui s'adresse la plaidoirie ou la pièce de procédure.

Cependant, avant d'en finir avec cette question d'égalité, je tiens à faire remarquer que si on devait conclure que le droit d'être compris dans la langue officielle employée devant un tribunal constitue un droit linguistique régi par la disposition en matière d'égalité de l'art. 16, on ferait un grand pas vers l'adoption d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être satisfait que par des tribunaux bilingues. Pareille exigence aurait des conséquences d'une portée incalculable et constituerait en outre un moyen étonnamment détourné et implicite de modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives à la magistrature.

Le juge Beetz, à la p. 574 de cet arrêt, et aussi aux pp. 500 et 501 de l'arrêt MacDonald, précité, a pris soin d'indiquer que le droit à l'application régulière de la loi, qui constitue la préoccupation essentielle de l'intervenant, ne devrait pas être lié aux droits linguistiques en raison de leur différence sur le plan des concepts; les lier comporterait le risque de les dénaturer tous les deux plutôt que de les renforcer l'un et l'autre.

[59] Toutefois, il y a une question concernant la traduction qui n'a pas été soulevée dans l'arrêt Société des Acadiens, mais qui est soulevée en l'espèce. Dans l'arrêt Société des Acadiens, la question était de savoir si le juge avait compris l'appelant (on a conclu que c'était le cas). Toutefois, le juge Beetz a remis à une autre occasion les questions relatives aux moyens raisonnables nécessaires pour assurer que les membres des tribunaux comprennent les procédures. De plus, il n'a pas traité de la question, qui a un certain rapport avec les questions que je viens tout juste de mentionner, de savoir si, lorsque les procédures doivent en vertu de la loi être consignées, la personne qui utilise l'une ou l'autre langue officielle a droit à ce que ses observations soient consignées dans cette langue. Cette question n'a pas non plus été soulevée dans les arrêts MacDonald, précité, ou Bilodeau c. Procureur général du Manitoba, [1986] 1 R.C.S. 449. Ces arrêts portaient essentiellement sur la question de savoir si des actes de procédure validement rédigés dans une seule des langues officielles devaient être traduits dans l'autre [page276] langue. Toutefois, comme je l'ai déjà mentionné, cette question est soulevée en l'espèce en ce qui a trait à la fois à l'inscription du plaidoyer et au témoignage de l'appelant.

[60] À mon avis, le droit ou le pouvoir de l'appelant d'utiliser le français serait gravement diminué si ses propos étaient consignés dans une autre langue. En effet, l'utilisation qu'il fait de la langue s'applique au-delà de la tribune devant laquelle il comparaît alors. Par exemple, les procédures peuvent être poursuivies en Cour d'appel où les juges peuvent, à bon droit, vouloir se référer aux termes exacts utilisés par une personne au procès, des termes que cette personne a le droit d'utiliser. En l'absence de mesures législatives valides exigeant que les déclarations de l'appelant soient consignées dans une seule langue, et aucune n'a été portée à notre attention, il me semble que l'appelant a le droit de faire consigner ces déclarations en français. Il va sans dire que sa situation est différente de celle d'une personne qui utilise une langue autre que le français ou l'anglais et dont le droit à la traduction découle uniquement des exigences de l'application régulière de la loi.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[110] Supposons qu'une personne accusée d'une infraction criminelle, au moyen d'un acte rédigé soit en français soit en anglais, ne comprend pas la langue de l'inculpation. Il va sans dire qu'on ne saurait demander à cette personne de plaider et d'être jugée relativement à l'inculpation dans ces circonstances. Ce qui va se passer en pratique, comme en droit, c'est que le juge va demander à un interprète assermenté de traduire l'inculpation dans une langue que la personne accusée peut comprendre. Mais il en est ainsi peu importe que l'accusé ne parle que l'allemand ou le cantonais et cela n'a rien à voir avec ce que représente l'art. 133 [de la Loi constitutionnelle de 1867]. Ce sont d'autres textes législatifs qui pourvoient à cet objet différent, comme par exemple ceux se rapportant aux interprètes, de même que d'autres principes de droit, dont certains sont maintenant enchâssés dans les dispositions de textes constitutionnels ou quasi constitutionnels distincts, tels l'al. 2g) de la Déclaration canadienne des droits et l'art. 14 de la Charte, qui se rapportent aussi aux interprètes. Voir par exemple: Procureur général de l’Ontario c. Reale, 1974 CanLII 23 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 624; Unterreiner v. The Queen (1980), 51 C.C.C. (2d) 373 (C. de comté Ont.); Sadjade c. La Reine, 1983 CanLII 163 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 361.

Société des Acadiens c. Association of Parents, 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[60] Le droit qu'ont les parties en common law d'être entendues et comprises par un tribunal et leur droit de comprendre ce qui se passe dans le prétoire est non pas un droit linguistique mais plutôt un aspect du droit à un procès équitable. Ce droit est d'une portée à la fois plus large et plus universelle que celle des droits linguistiques. Tout le monde en jouit, y compris les personnes qui ne parlent ni ne comprennent aucune des deux langues officielles. Il relève de la catégorie de droits que la Charte qualifie de garanties juridiques et, en fait, est protégé, du moins en partie, par des dispositions comme les art. 7 et 14 de la Charte : […]

Thibeault J.R.N.J. (Captain), R. c., 2014 CM 3022 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[11] J’interprète la situation en me fondant sur la Loi sur les langues officielles, loi fédérale qui s’applique au tribunal, qui est une cour martiale, car je crois savoir que la cour martiale est un tribunal fédéral, soit une cour fédérale dans la mesure où elle a été établie au titre d’une loi fédérale. Ainsi, les dispositions de la Loi sur les langues officielles et, de fait, la Constitution s’appliquerait à la cour martiale, surtout les articles 19, 14 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[12] J’ai examiné soigneusement divers scénarios applicables à la présente affaire.

a) Tout d’abord, dans le contexte d’un procès bilingue, le juge et le procureur de la poursuite seraient en mesure de s’exprimer dans l’une ou l’autre des deux langues officielles, étant donné qu’ils sont bilingues, et les témoins pourraient faire des dépositions dans leur propre langue, sans avoir besoin d’un interprète. L’avocat de la défense serait unilingue anglophone, les témoins témoigneraient en anglais, et, si l’accusé présentait un témoignage, il le ferait en français.

b) Se pose ensuite la question de la nécessité de recourir aux services d’un interprète, non pas pour assister l’accusé qui témoignera en français, mais plutôt pour permettre à l’avocat de la défense de comprendre le témoignage de son propre client. Cette situation se rapporte à l’interprétation de l’article 14 de la Charte. Cette disposition s’appliquetelle au cas dun avocat de la défense ayant besoin dun interprète afin de pouvoir représenter laccusé? Je me fonde principalement sur la décision rendue par le juge Godin dans l’affaire Cormier c. Fournier le 23 mai 1986 (1986 CanLII 92 [BR NB]), à la page 6. « L’article 14 ne s’applique pas à l’avocat. » La protection prévue à l’article 14 est principalement destinée à l’accusé et ne peut pas être étendue à l’avocat qui le représente. Ainsi, si j’ordonne la tenue d’un procès bilingue dans les circonstances, à mon avis, il sera impossible de fournir un interprète à l’avocat de la défense, Me Brown.

c) Si nous tenions un procès en français, comme cela a été le cas du procès initial, le juge pourrait parler et comprendre cette langue, tout comme le procureur de la poursuite, mais l’avocat de la défense ne serait pas en mesure de la comprendre ni de la parler; les témoins présenteraient leurs dépositions en anglais, et un interprète serait fourni, conformément à l’article 14 de la Charte; l’accusé pourrait témoigner dans sa propre langue, c’est à dire le français. Là encore, le problème tiendrait à l’obligation de fournir un interprète à l’avocat de la défense. La cour réagirait probablement comme dans le contexte d’un procès bilingue, soit que l’avocat, un officier de justice, comme la personne défendant l’accusé, n’aurait pas droit à un interprète.

d) Ainsi, j’aborde maintenant la troisième possibilité, qui correspond à l’affaire dont je suis saisi. J’estime que, dans le système de justice militaire, lorsqu’une accusation est portée, l’accusé doit indiquer dans quelle langue il voudrait que le procès ait lieu devant tout tribunal militaire. En l’espèce, le capitaine Thibeault a indiqué que la langue de son choix pour subir son procès est l’anglais. Par conséquent, dans le cas qui nous occupe, la tenue d’un procès en anglais signifierait là encore que le juge et les deux avocats peuvent parler et comprendre l’anglais, tout comme les témoins. Toutefois, l’accusé se retrouverait dans une position différente. La question est de savoir, au regard de l’affaire dont je suis saisi, si les services d’un interprète peuvent être fournis à l’accusé, alors qu’il est présumé qu’il comprend et parle la langue dans laquelle se déroule l’instance. En l’espèce, je dois conclure qu’il n’est pas présumé que l’accusé comprend ou parle l’anglais, qui est la langue du procès.

[13] J’adopte une approche pratique à l’égard de cette question. Je dois faire en sorte que, tout au long du déroulement de l’instance, l’accusé bénéficie d’un procès équitable ainsi que d’une défense pleine et entière en vertu de son droit garanti par l’article 7 de la Charte, et il s’agit de ma principale préoccupation. Pour comprendre la signification de ce droit, j’ai examiné l’arrêt R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, de la Cour suprême du Canada qui, même s’il repose sur des faits différents (dans l’affaire Tran, l’accusé ne pouvait parler ni le français ni l’anglais), donne à la cour des indications permettant de trouver une solution au cas qui l’occupe. L’accusé a choisi de subir son procès en anglais, et ce, pour plusieurs motifs. Premièrement, les témoignages, sauf celui de l’accusé, sont présentés en anglais. Deuxièmement, l’accusé a choisi d’être représenté par un avocat de la défense unilingue anglophone, ce qui soulève la question du choix de l’avocat. Ces droits (l’équité du procès et le choix de l’avocat) sont établis à l’article 7 de la Charte. Pour simplifier la compréhension de cette situation unique, on pourrait résumer ainsi les aspects préoccupants : l’accusé parle français, mais sa capacité de comprendre et de parler l’anglais est limitée. Je suppose que son choix d’avocat s’explique par la langue dans laquelle les témoignages sont présentés. Enfin, l’accusé souhaite témoigner en français, alors qu’il est représenté par un avocat anglophone.

[14] Les droits prévus à l’article 7 de la Charte et interprétés dans l’arrêt Tran ont un rôle à jouer en l’espèce. Le droit à l’assistance d’un interprète se rapporte à la notion de l’équité du procès et renvoie au droit de l’accusé de disposer des services d’un interprète. En l’occurrence, si je conclus qu’aux fins du procès en anglais, l’accusé a droit à un interprète quand il témoigne, dans ces circonstances particulières, j’estime qu’il ne se verra pas accorder davantage de droits que les autres parties, du fait qu’il s’agit, compte tenu du contexte très précis du cas qui nous occupe, d’un nouveau procès fondé sur les réserves exprimées par la Cour d’appel de la cour martiale quant à la capacité de l’accusé de témoigner.

[15] Il m’apparaît donc logique que le capitaine Thibeault choisisse de subir son procès en anglais, qu’il soit représenté par un avocat qui parle et qui comprend l’anglais et que les témoignages soient présentés dans cette même langue. Il a le droit, le cas échéant, de s’exprimer en français, mais il témoignera au moyen d’un interprète, de sorte que les éléments de preuve que la cour entendra et examinera seront fournis par l’intermédiaire d’un interprète. La cour peut à tout moment remettre en question la qualité de l’interprétation. Par conséquent, je pourrais éventuellement exprimer des réserves à cet égard.

[16] Cela dit, j’estime que les services d’un interprète d’expérience, dûment qualifié, auront pour effet de dissiper tout doute à ce sujet. Plus précisément, le témoignage de l’accusé sera présenté en français et traduit en anglais. Le juge des faits devra par la suite examiner ce témoignage, tel qu’il sera traduit en anglais. Je crois comprendre qu’après avoir examiné de nombreuses possibilités avec son avocat, l’accusé serait à l’aise avec ce processus. Je suis d’avis que Me Brown a été pleinement informé par son client de la langue du procès et de sa volonté de procéder de cette manière, à savoir que le juge des faits entendra et examinera son témoignage traduit.

[17] Le procès se déroulera en anglais, soit la langue choisie par l’accusé, ce qui donnera effet au droit de l’accusé à une défense pleine et entière, y compris au droit d’être représenté par l’avocat de son choix. En outre, cette démarche aura pour effet de répondre à l’une des préoccupations que j’ai soulevées, quant au fait qu’afin de pouvoir donner un témoignage suffisant, le cas échéant, l’accusé doit bien comprendre les dépositions des autres témoins.

[18] Je tiens à ce que l’accusé bénéficie de l’assistance d’un interprète, qui pourrait non seulement traduire son propre témoignage, mais aussi, par souci d’équité, s’asseoir à côté de lui pour lui traduire, au besoin, les déclarations des témoins. Je crois comprendre qu’il n’y a que de deux témoins en l’espèce, ce qui fait en sorte que l’instruction ne sera pas longue à cet égard. J’estime qu’en matière d’équité, la présence d’un interprète aux côtés du capitaine Thibeault pendant le déroulement du procès dissipera mes préoccupations quant à la capacité de celui-ci de bien comprendre ce qui se passe au cours de l’instance. De plus, le capitaine Thibeault bénéficiera des services d’un interprète lors de son témoignage, le cas échéant.

[19] En choisissant de traiter de la question de la langue de cette manière, j’ai répondu à la question de l’équité du procès et du droit de l’accusé d’être représenté par l’avocat de son choix et de choisir la langue du procès. J’estime donc que l’accusé n’aura pas davantage de droits que d’autres. Cela ne veut pas dire que, dans d’autres circonstances, j’arriverais à la même conclusion.

[20] Par conséquent, la demande de procès bilingue sera rejetée. La présente instance se déroulera en anglais, à la demande du capitaine Thibeault. L’accusé bénéficiera des services d’un interprète tout au long de l’instance, dès le commencement de l’instruction. L’interprète sera présent aux côtés du capitaine Thibeault, pour fournir ses services à la demande de celui-ci. Il n’y aura pas d’interprétation simultanée en raison des frais élevés, comme l’a souligné l’avocat de la défense. Le capitaine Thibeault comprendra pleinement ce qui se passe au cours de l’instance, et l’interprète lui fournira à tout moment une interprétation sur demande. Le déroulement de l’instance sera particulier en quelque sorte. Le capitaine Thibeault pourra m’interrompre pour demander à l’interprète de traduire ce qui a été dit. Ce sera à moi de gérer convenablement le déroulement de l’instance, mais le capitaine Thibeault pourra m’interrompre à tout moment afin de pouvoir comprendre pleinement ce qui a été dit.

[21] Étant donné que l’interprète est un officier de justice, j’ai l’intention de suivre la procédure habituelle et de lui demander de prêter serment ou de faire une déclaration solennelle avant de commencer l’instruction. Les compétences et l’expérience de l’interprète seront authentifiées, ce qui permettra une interprétation officielle si le capitaine Thibeault décide de témoigner au procès. À mon avis, c’est la meilleure façon de bénéficier d’un procès équitable dans la présente affaire et de répondre en même temps aux préoccupations soulevées par le capitaine Thibeault quant à la langue du procès. Voilà ma décision. Les responsables de l’administration de la cour se chargeront de ces exigences opérationnelles. […]

Clohosy c. R., 2013 QCCA 1742 (CanLII)

[56] Que faut-il retenir de ces enseignements [dans les jugements Tran, Shyshkin, Dow et Roy Martin] ? Les décisions précitées s'entendent pour dire que l'interprétation consécutive comporte plus d'avantages que l'interprétation simultanée. Elle permet en outre à l'accusé ou à son avocat de réagir plus rapidement et de déceler plus facilement, le cas échéant, les lacunes de l'interprétation. Elle constitue enfin, pour le moment du moins, la seule méthode permettant d'enregistrer la traduction et de la retranscrire.

[57] L'objectif poursuivi par l'alinéa 530.1g) C.cr. est d'assurer aux parties l'enregistrement complet des débats ainsi que leur interprétation. Les arrêts Dow et Martin, sous l'éclairage des conditions qui prévalent dans les différents palais de justice du Québec, affirment que l'interprétation consécutive est maintenant devenue une méthode incontournable. Quoiqu'en toute circonstance préférable à toute autre forme d'interprétation, l'interprétation consécutive est de toute façon jugée inévitable dans tous les cas où le tribunal n'est pas en mesure de garantir à l'accusé autrement que par cette méthode le respect intégral de l'alinéa 530.1g) C.cr.

[58] Le dossier ne fait pas voir que le juge s’est véritablement penché sur la question de l'opportunité de la méthode d'interprétation et de ses conséquences. En ordonnant l'interprétation simultanée au lieu de l'interprétation consécutive, le juge devait s'assurer qu'en tout temps le dossier comporterait la totalité de l'enregistrement de l'interprétation, ce qui ne s'est pas réalisé. Il s'agit ici d'une erreur qui, comme on le verra plus loin, a irrémédiablement porté atteinte aux droits linguistiques de l'appelant.

Dow c. R., 2009 QCCA 478 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[53] Sous réserve de la question de la renonciation, l’absence totale d’interprétation donne nécessairement lieu à la prise en compte de l’article 14 de la Charte canadienne et de l’arrêt R. c. Tran de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, il a été déterminé, entre autres, que l’omission de fournir à l’accusé une traduction complète de l’anglais au vietnamien des procédures dans le cadre d’un procès présidé par un juge seul a porté atteinte à ses droits prévus à l’article 14 de la Charte canadienne, et la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée.

[…]

[78] J’ajouterais également qu’il est généralement reconnu que, au moment de faire respecter la garantie linguistique offerte à l’accusé, il est préférable d’utiliser l’interprétation consécutive plutôt que l’interprétation simultanée, puisque c’est le seul moyen d’obtenir une transcription dans les deux langues […]

[…]

[86] Dans le cas de M. Dow, le dossier dont la Cour est saisie ne contient tout simplement aucun élément permettant d’étayer une conclusion selon laquelle la norme élevée mentionnée par le juge en chef Lamer, qui doit être respectée pour qu’une renonciation de ses droits prévus à l’article 530.1 du Code criminel et à l’article 14 de la Charte canadienne soit valide a été satisfaite par ses réponses affirmatives aux deux questions posées par le juge de première instance que j’ai mentionnées aux paragraphes [81] et [83]. De plus, ces réponses ne justifient pas l’absence d’interprétation devant le jury dans les trois cas décrits au paragraphe [52] ci-dessus.

[87] Cela est d’autant plus vrai ici du fait que le procureur de la Couronne n’a jamais laissé entendre, dans son mémoire ou lors de sa plaidoirie, qu’il existait une raison valable de demander à M. Dow de renoncer à l’un ou l’autre de ses droits. Quelle que puisse avoir été cette raison, elle n’avait rien à voir avec quelque souci que l’on aurait eu pour M. Dow. Il faut donc nécessairement en conclure que la demande a été faite à M. Dow pour accommoder personnellement le juge de première instance et l’avocat, ce qui est à mille lieues de ce que l’on peut concevoir comme étant une raison valable. En termes simples, le juge de première instance n’aurait jamais dû faire une telle demande à M. Dow.

[88] En outre, dans de telles circonstances, le juge de première instance exerce une influence considérable sur un accusé tel que M. Dow du simple fait du contraste entre leurs situations respectives, qui tient au rôle exercé par le juge et à la position précaire de l’accusé dont la liberté est en jeu. On ne s’étonne donc pas que quelqu’un comme M. Dow ait répondu par l’affirmative aux deux questions du juge de première instance.

[89] Quoi qu’il en soit, en l’espèce, le juge de première instance et le procureur de la Couronne se sont mépris sur la raison de la présence de l’interprète au procès d’un accusé anglophone. L’interprète n’est appelé à intervenir que lorsqu’un ou plusieurs témoins francophones témoigneront au procès. Son véritable rôle se limite à traduire, de l’anglais au français, les questions adressées par les avocats aux témoins francophones puis, du français à l’anglais, les réponses de ces derniers. La présence de l’interprète est au bénéfice des témoins francophones, de l’accusé et du jury, et non à celui du juge de première instance et du procureur de la Couronne, lesquels doivent se comporter comme s’il n’y avait aucun interprète dans la salle d’audience. C’est la seule conclusion que l’on puisse tirer du fait que l’alinéa 530.1f) du Code criminel ne fasse pas mention du juge de première instance ni du procureur de la Couronne.

[…]

[95] En ce qui concerne la conduite de l’avocate de la défense, qui équivaudrait à une approbation de ce qui s’est passé, deux commentaires sont justifiés.

[96] Premièrement, comme je l’ai déjà mentionné, cette avocate a reconnu avec franchise qu’elle ne connaissait pas l’étendue des garanties linguistiques dont jouissait M. Dow, plus particulièrement au titre de l’article 530.1 du Code criminel. Le fait qu’elle parlait français en sachant qu’aucune interprétation consécutive n’aurait lieu et qu’elle n’y avait donc aucune possibilité de transcription de l’interprétation en anglais en témoigne. Ainsi, elle n’aurait pas pu renoncer sciemment aux droits de son client par sa conduite. Je suis également persuadé que, si elle avait été au courant de ces droits, elle aurait insisté pour qu’ils soient respectés, tout comme l’a fait l’avocat de la défense dans l’arrêt Potvin.

[97] Deuxièmement, compte tenu de la nature intrinsèquement personnelle des droits linguistiques, il faudrait une certaine indication du fait que l’avocate a agi comme elle l’a fait et que M. Dow connaissait et comprenait pleinement les conséquences de cette conduite. Le dossier dont la Cour est saisie ne contient absolument aucune indication à cet égard.

IV CONCLUSION

[98] À la lumière de l’omission de respecter pleinement les droits de M. Dow, conformément à la jurisprudence d’appel applicable qui interprète l’article 530.1 du Code criminel et l’article 14 de la Charte canadienne, les dispositions réparatrices de l’alinéa 686(1)b) du Code criminel ne peuvent être appliquées.

[99] Malgré l’inapplicabilité de cet alinéa, peut-il néanmoins être affirmé que les droits de M. Dow ont été suffisamment respectés, au point que la Cour ne devrait pas intervenir? Après tout, l’omission de se conformer à certains aspects de l’article 530.1 du Code criminel et de l’article 14 de la Charte canadienne a eu lieu la plupart du temps en l’absence du jury. Une interprétation simultanée a été offerte à M. Dow lorsque des voir-dire, des arguments juridiques et des jugements interlocutoires ont eu lieu en français dans ce contexte.

[100] À mon avis, rien ne justifie de ne pas intervenir quand il est question de l’objectif des garanties linguistiques. Comme l’indique clairement la jurisprudence de cette Cour, de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour suprême du Canada, cet objectif est l’égalité réelle des membres de la majorité linguistique et de ceux de la minorité linguistique dans chaque province et territoire du Canada. De plus, l’omission de respecter les droits découlant de l’applicabilité de l’article 530 du Code criminel constitue « un tort important et non une irrégularité de procédure ».

[101] En l’espèce, l’égalité réelle signifie au moins qu’il faut affecter au procès d’un accusé qui est membre d’une des minorités linguistiques du Canada, dans une province ou un territoire du Canada, un juge de première instance et un procureur qui sont non seulement capables, mais aussi prêts à parler la langue de l’accusé pendant toute la durée du procès, comme si l’accusé était membre de la majorité linguistique de cette province ou de ce territoire. Cela signifie également qu’aucun juge de première instance de quelque province ou territoire canadien que ce soit ne doit chercher à obtenir de l’accusé qu’il renonce à ses droits ou acquiesce à une supposée renonciation de ses droits parce que cela est plus pratique pour les autres personnes qui participent au procès.

[102] Le procès de M. Dow n’avait rien du modèle d’égalité réelle requis, à un point tel que cela n’avait rien d’insignifiant.

[103] Dans de telles circonstances, la Cour aurait tort de fermer les yeux sur ce qui est arrivé à M. Dow et de se contenter d’exprimer l’espoir qu’aucun autre accusé ne subira la même chose. Il avait droit à un procès entièrement conforme à ses droits linguistiques, et c’est le genre de procès qu’il devrait maintenant avoir.

R. c. Rybak, 2008 ONCA 354 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[67] La garantie prévue à l’art. 14 sert à plusieurs fins importantes. Elle assure à une personne accusée d’un acte criminel qu’elle entendra la preuve qui pèse contre elle, et cette garantie est assortie de la pleine possibilité de répondre à ces arguments. Le droit touche l’intégrité même de l’administration de la justice au pays et est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l’apparence d’équité. Dans le même ordre d’idées, le droit dénote une affinité pour notre prétention de multiculturalisme, partiellement démontrée par l’art. 27 de la Charte (R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, [1994] A.C.S. no 16, 92 C.C.C. (3e) 218, p. 977-978 R.C.S., p. 240 C.C.C.).

Le principe qui sous-tend la garantie

[68] Les intérêts protégés par le droit à l’assistance d’un interprète garanti par l’art. 14 sont au service du principe sous-jacent de la compréhension linguistique (Tran, p. 977-978 R.C.S., p. 240 C.C.C.).

[69] Comme la présence physique et intellectuelle, la compréhension linguistique est un aspect de l’exigence prévue au par. 650(1) du Code criminel selon laquelle un accusé, autre qu’une organisation, doit « être présent au tribunal pendant tout son procès », sauf dans certaines situations exceptionnelles prévues au par. 650(2), aucune desquelles ne s’applique en l’espèce (R. c. Reale, 1973 CanLII 55 (ON CA), [1973] 3 O.R. 905, [1973] O.J. no 2111, 13 C.C.C. (2e) 345 (C.A.), p. 914 O.R., p. 354 C.C.C., confirmé dans 1974 CanLII 23 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 624, [1974] A.C.S. no 118, 22 C.C.C. (2e) 571).

[70] Le principe de la compréhension linguistique se reflète dans le libellé catégorique de l’art. 14 de la Charte et fait partie intégrante de l’exigence relative à la présence prévue au par. 650(1) du Code criminel. Dans ces circonstances, il ne devrait pas vraiment être surprenant que le degré de compréhension protégé par l’art. 14 soit, par nécessité, élevé (Tran, p. 977-978 R.C.S., p. 240 C.C.C.).

[71] Essentiellement, la garantie prévue à l’art. 14 fait en sorte qu’une partie a la même possibilité de base de comprendre et d’être comprise que si elle maîtrisait la langue des procédures. Cela dit, le principe de la compréhension linguistique ne doit pas être élevé au point où les personnes qui parlent ou comprennent difficilement la langue des procédures reçoivent ou paraissent recevoir des avantages injustes par rapport à celles qui parlent couramment la langue du tribunal. Au bout du compte, le but du droit à l’assistance d’un interprète est de mettre toutes les parties sur un pied d’égalité, pas d’accorder à certaines personnes davantage de droits qu’à d’autres (Tran, p. 978-979 R.C.S., p. 241 C.C.C.).

[…]

[81] Dans l’arrêt Tran, la Cour a désigné plusieurs critères comme étant inclusifs, mais pas exclusifs : la continuité, la fidélité, l’impartialité, la compétence et la concomitance (Tran, p. 985-986 R.C.S., p. 246 C.C.C.).

[82] Le critère de continuité garantit que l’interprétation est continue, sans pause, et qu’il ne s’agit pas de simples résumés de la preuve ou d’autres aspects des procédures. Le critère de fidélité ne requiert pas la perfection. L’interprétation suppose l’application d’une norme moins élevée que la traduction. Le critère d’impartialité garantit que l’interprétation est fournie de façon objective et sans parti pris (Tran, p. 985-988 R.C.S., p. 246-48 C.C.C.).

[83] Le critère de la compétence exige que l’interprétation soit d’assez bonne qualité pour faire en sorte que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue. Il n’existe à ce jour aucune norme généralement acceptée pour l’évaluation de la compétence, mais les interprètes doivent prêter serment ou faire une déclaration solennelle avant de commencer toute interprétation des procédures. On ordonne la tenue d’un examen des titres de compétence s’il y a des motifs légitimes de douter de la compétence d’un interprète (Tran, p. 987-990 R.C.S., p. 248-49 C.C.C.).

[84] La compétence et l’agrément ne vont pas nécessairement de pair. Comme aucune norme généralement acceptée ne permet d’évaluer la compétence d’un interprète, ni la présence ni l’absence d’agrément ne peut être considérée comme permettant de trancher la question de la compétence (Tran, p. 987-990 R.C.S., p. 248 249 C.C.C. Voir aussi : State v. Pham, 879 P.2d 321, 75 Wn. App. 626 à 326 (1994), p. 326 P.2d; R. v. Ungvari, [2003] E.W.J. no 4217, [2003] E.W.C.A. Crim. 2346 (C.A. (Crim. Div.)), au para 23; et Martins v. Texas, 2001 Tex. App. LEXIS 5096, 52 S.W.3d 459 (2001), p. 473-474 S.W.3e).

[85] L’interprétation et la procédure en question doivent être concomitantes. La méthode de prédilection pour obtenir une concomitance consiste à offrir une interprétation consécutive plutôt que simultanée.

[86] Les dérogations à la norme procédurale d’interprétation ne violent pas toutes l’art. 14. Certaines le font, d’autres pas. Une partie qui allègue une violation de l’art. 14 doit établir que la lacune dans l’interprétation avait trait aux procédures elles-mêmes et qu’elle a de fait touché aux intérêts vitaux de l’accusé, et qu’elle ne concernait pas simplement quelques question accessoire ou extrinsèque, comme une question relative au calendrier ou quelque chose de semblable (Tran, p. 990-991 R.C.S., p. 250 C.C.C.).

[…]

[94] Il incombe à l’appelant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’assistance d’un interprète fournie en l’espèce n’atteignait pas le seuil garanti par la Constitution.

[95] Même si le juge de première instance a expressément invité l’appelant à l’avertir de toute difficulté rencontrée par rapport à l’interprète ou à l’interprétation, le dossier d’instruction ne comporte absolument rien qui laisserait entrevoir de l’incompétence ou d’autres lacunes au chapitre de l’interprétation. Au contraire, quand la question de l’interprète a été soulevée pour la première fois durant les motions préalables au procès, l’appelant a appuyé la désignation de Mme Zywulko à titre d’interprète et a demandé au juge de première instance de lui assurer qu’elle allait rester tout au long du procès. Sa demande a été honorée.

[96] L’imposition d’un fardeau à une partie qui fait valoir une atteinte aux droits constitutionnels dans le but d’obtenir un redressement particulier (en l’espèce, un nouveau procès) s’assortit de l’obligation de s’acquitter du fardeau au moyen d’une certaine forme de preuve. La preuve de l’atteinte aux droits est une condition qui précède le droit à une réparation. Autrement dit, la réparation est obtenue non pas à la suite de la demande, mais seulement une fois la preuve montrée.

[97] La preuve de l’appelant consiste en de nouveaux éléments de preuve repris d’une autre procédure ultérieure. Elle montre que l’interprète fournie en l’espèce n’était pas agréée par le ministère du Procureur général (elle avait échoué deux fois à l’examen d’agrément et s’était retirée la troisième fois). Le coordonnateur des interprètes l’avait présentée, sciemment ou sans le savoir, comme étant agréée. Elle avait servi d’interprète devant les tribunaux de la région de Peel pendant une décennie. Selon un interprète agréé, Mme Zywulko comptait parmi les meilleurs interprètes disponibles, avec ou sans agrément.

[98] Dans les nouveaux éléments de preuve documentaire de l’appelant, il manque un lien entre les lacunes systémiques et relatives à l’agrément établies dans les documents présentés et l’assistance fournie par l’interprète en l’espèce : il n’y a aucun affidavit ou autre élément de preuve provenant de l’appelant ou de l’avocat au procès à ce sujet, et on ne trouve absolument rien dans le dossier d’instruction à cet égard. Rien ne vient appuyer cette allégation d’atteinte aux droits constitutionnels, ce qui serait nécessaire (Pham, para. 5 6; et Mohammadi c. R., [2006] Q.J. no 6809, 2006 QCCA, para 36).

[99] L’appelant insiste pour faire appliquer une règle de la ligne de démarcation très nette qui découle essentiellement de la croyance selon laquelle, lorsqu’un besoin est démontré à cet égard, l’offre de l’assistance d’un interprète pour la prestation d’une interprétation continue, fidèle, impartiale, compétente et concomitante est le seul moyen de s’assurer que les personnes qui ne connaissent pas suffisamment la langue ont la même possibilité que celles qui maîtrisent la langue du tribunal. Cette règle rendrait la procédure suivie en l’espèce lacunaire, d’un point de vue constitutionnel.

[100] À mon humble avis, l’arrêt Tran nous enseigne que l’interprétation offerte doit être suffisante pour garantir que la personne qui ne connaît pas suffisamment la langue a la même occasion que celle qui la maîtrise de comprendre les procédures et d’être comprise dans le cadre de celles ci. Certaines personnes ont besoin de plus d’aide que d’autres, comme dans l’arrêt Tran, pour atteindre le degré de compréhension requis. L’arrêt Tran reconnaît les écarts permissibles par rapport à sa règle générale, qui n’est pas implacable (Tran, p. 990-991 R.C.S., p. 250 C.C.C.). En l’espèce, certains mots ont posé des difficultés à l’appelant. Une méthode d’interprétation lui a été offerte, et il l’a acceptée, laquelle a compensé sa connaissance insuffisante de la langue. Il n’a formulé aucune plainte au sujet de tout élément inadéquat de l’interprétation au procès et n’a présenté dans le cadre de l’appel aucun élément de preuve indiquant une quelconque lacune.

R. c. Koaha, 2008 NUCA 1 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[15] Comme je l’ai déjà déclaré, la question n’est pas de savoir si M. Koaha avait besoin de l’assistance d’un interprète. La transcription de l’audience montre qu’au début de son témoignage, il a affirmé qu’il avait besoin que les questions de son avocat soient traduites. À partir de ce moment là, l’interprète du tribunal a commencé à assister M. Koaha. Les questions, posées en anglais par l’avocat de ce dernier, ont été traduites en inuinnaqtun par l’interprète. Les réponses formulées en inuinnaqtun par M. Koaha ont été traduites en anglais.

[16] M. Koaha fait valoir que la transcription de l’audience de détermination de la peine et celle de son contre interrogatoire sur son affidavit montrent que l’interprétation était lacunaire en l’espèce et qu’elle ne répondait pas aux normes établies par la Charte […]

[26] Le fait que M. Koaha n’a rien dit au sujet de ses difficultés liées à l’interprétation n’est pas un facteur déterminant, mais il doit être pris en compte dans l’évaluation de son allégation selon laquelle ses droits ont été enfreints, d’autant plus que la raison pour laquelle il n’a rien dit à ce moment là demeure inconnue.

[27] Dans l’arrêt R. c. Tran (précité, au para 50), la Cour suprême a commenté cette question, quoique dans un contexte légèrement différent. Dans son analyse au sujet de la façon dont les tribunaux devraient aborder l’évaluation des besoins aux fins de l’application de l’art. 14, la Cour a affirmé ce qui suit :

Bien que les tribunaux doivent se montrer sensibles aux signes qui indiquent qu'un accusé peut peut-être éprouver des difficultés linguistiques, on n'attend pas et on ne saurait attendre d'eux qu'ils lisent dans les pensées. Lorsqu'aucun indice extérieur ne laisse entrevoir une incompréhension de la part de l'accusé et que celui-ci ou son avocat (dans le cas où il est représenté) n'a pas invoqué le droit en question, cela peut jouer contre l'accusé si ce dernier, après avoir gardé le silence pendant tout le procès, soulève la question de l'interprétation pour la première fois en appel.

[28] À mon avis, ces commentaires sont également pertinents par rapport à l’évaluation de l’allégation d’une personne selon laquelle les services d’interprétation qui lui ont été fournis étaient inadéquats. Si le problème n’est pas soulevé au moment des procédures, il s’agit d’un facteur qui pourrait militer contre une conclusion selon laquelle un droit a effectivement été enfreint.

[29] Il est vrai que M. Koaha n’était pas en position de savoir, au moment des procédures, si ses réponses étaient traduites adéquatement en anglais. Toutefois, il était certainement bien placé pour savoir s’il comprenait les questions que lui traduisait l’interprète, de la même manière qu’il pouvait le dire s’il n’arrivait pas à comprendre les questions qui lui étaient posées en anglais.

[30] Je reconnais que, comme les procédures n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement audio, un examen indépendant du travail de l’interprète durant l’audience de détermination de la peine en question ne peut être effectué. Il est impossible pour M. Koaha d’entendre de nouveau ses réponses en inuinnaqtun et de vérifier par l’entremise d’un autre interprète si ces réponses ont été traduites adéquatement en anglais. Il lui est également impossible de vérifier si les questions posées en anglais par son avocat ont été bien traduites en inuinnaqtun.

[31] Il fait peu de doutes que l’enregistrement d’office de ces types de procédures constituerait une pratique préférable. Ce n’est peut être pas toujours possible pour des raisons d’ordre logistique, mais, chaque fois qu’une question liée à l’interprétation est soulevée en appel, le fait de disposer d’un dossier complet des procédures et de l’interprétation serait évidemment très utile. Si, au vu du dossier, il semblait y avoir des lacunes liées à l’interprétation, l’absence d’un dossier plus complet des procédures pourrait ne laisser d’autre choix au tribunal d’instance supérieure que de conclure qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Charte. Toutefois, dans les circonstances de l’affaire, je ne suis pas convaincu que le dossier d’instruction soulève le type de préoccupations qui rendent l’absence d’un enregistrement audio fatale.

[32] Enfin, j’aborde l’argument formulé par M. Koaha selon lequel ses droits prévus à l’article 14 ont été enfreints parce que l’interprète qui l’assistait n’était pas assermenté. M. Koaha fait valoir que ce fait, à lui seul, est un facteur permettant de trancher l’appel. Ses arguments sont fondés sur le paragraphe 62 de l’arrêt R. c. Tran (précité) :

Pour satisfaire à la norme de protection garantie par l'art. 14 de la Charte, l'interprétation doit être d'assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue.  Cela signifie à tout le moins que l'accusé a droit à un interprète compétent.  Bien que, comme le souligne Steele à la p. 238, il n'y ait eu jusqu'ici aucune norme généralement acceptée d'évaluation de la compétence, l'interprète doit au moins prêter le serment de l'interprète avant d'interpréter les procédures. S'il y a une bonne raison de douter de la compétence d'un interprète, le tribunal sera bien avisé d'examiner ses titres de compétence. [Citations omises]

[33] Ce passage laisse entendre que l’assermentation de l’interprète est une condition préalable à la conclusion selon laquelle les services offerts répondaient à la norme de protection garantie à l’article 14. Cependant, je ne suis pas persuadé que cet énoncé général devrait être interprété comme s’il créait une exigence absolue que l’interprète soit assermenté, dans tous les cas, et sans égard au contexte.

[34] Les interprètes sont utilisés régulièrement durant les divers circuits de la Cour de justice du Nunavut. Ils offrent une interprétation simultanée aux membres du public qui assistent aux audiences. Ils fournissent également, au besoin, des services d’interprétation à l’intention des accusés ou des témoins qui ont besoin d’assistance. La prestation de services d’interprétation durant les séances des tribunaux est la norme, pas l’exception. Ces interprètes ne sont pas étrangers aux tribunaux. Au contraire, ils sont pleinement intégrés dans leurs travaux quotidiens.

[35] Cette réalité saute aux yeux, d’après le dossier du cas qui nous occupe : quand M. Koaha a affirmé qu’il avait besoin d’un interprète, il n’a pas été nécessaire d’ajourner la séance afin de s’organiser pour que l’interprète se présente ou même pour que ce dernier installe l’équipement d’interprétation. L’interprète a immédiatement commencé à assister M. Koaha, et les procédures se sont poursuivies sans heurt, pratiquement sans interruption. Cela en dit fort long sur l’importante intégration du travail des interprètes dans les activités quotidiennes de la Cour de justice du Nunavut.

[36] Cela ne veut pas dire que la qualité du travail des interprètes ne peut pas être contestée au Nunavut ni que les normes servant à évaluer la qualité de l’interprétation devraient être moins élevées ici que dans toute autre juridiction. Les gens du Nunavut ont droit à la même norme de qualité d’interprétation garantie par la Constitution que n’importe qui d’autre au Canada. Toutefois, il convient de tenir compte des différences liées au contexte au moment d’évaluer si l’omission d’assermenter l’interprète, à elle seule, peut servir ou non de fondement à une conclusion selon laquelle une violation des droits prévus à l’article 14 a été établie.

[37] Cela dit, compte tenu de la fermeté du libellé de l’arrêt R. c. Tran au sujet de l’importance de l’assermentation des interprètes, il serait souhaitable que cette pratique soit mise en œuvre dans le cas de toutes les procédures où des interprètes sont utilisés, surtout s’ils assistent des témoins, des accusés ou des parties prenant part à des procédures non pénales.

[38] En conclusion, compte tenu des circonstances de l’affaire, je conclus que M. Koaha n’a pas établi que l’interprétation ne correspondait pas aux normes garanties par l’article 14 de la Charte. Dès qu’il a demandé l’assistance d’un interprète, cette aide lui a été fournie. Il n’a soulevé aucun problème au sujet de sa capacité de comprendre les questions, ou des procédures en général, à partir de ce moment-là. Le dossier d’instruction montre qu’il a répondu à un certain nombre de questions de façon réfléchie et cohérente. Les affirmations figurant dans son affidavit, selon lesquelles [TRADUCTION] « il pensait avoir compris certaines des questions » et a tenté d’y répondre, qu’[TRADUCTION] « il semble maintenant qu’il pourrait avoir fait des déductions au moment de formuler certaines des réponses » et qu’[TRADUCTION] « il pourrait ne pas avoir compris certaines des questions », ne sont pas tout simplement suffisantes, à la lumière du dossier d’instruction, pour établir une violation de ses droits prévus à l’article 14, selon la prépondérance des probabilités.

R. c. Potvin, 2004 CanLII 73250 (CA ON)

[32] S’il suffisait que le juge et le poursuivant comprennent le français sans toutefois qu’il soit nécessaire qu’ils l’utilisent pendant l’instance, il y aurait peu de distinction entre, d’une part, le droit à un procès unilingue dans la langue officielle de son choix et, d’autre part, le droit à l’assistance d’un interprète déjà prévu à l’art. 14 de la Charte. Le droit à l’assistance d’un interprète assure que l’accusé soit en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre et que, par ce fait, son procès soit équitable : voir R. c. Beaulac au para. 41. Mais, tel que noté par la Cour Suprême dans Beaulac aux paras. 25 et 41, « [les droits linguistiques] se distinguent des principes de justice fondamentale….  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. »

[33] L’interprétation plus restrictive qui est proposée par l’intimée assurerait peut-être bien que l’accusé se fasse comprendre par le poursuivant, le juge et le jury dans sa langue originale sans l’intermédiaire de la traduction. Mais, dans le contexte d’égalité linguistique, il me semble tout aussi important que l’accusé aussi puisse comprendre les paroles du juge et du poursuivant dans la langue originale employée par eux au cours de l’instance. C’est sûr que l’exigence que le juge et le procureur de la Couronne, non seulement comprennent le français, mais qu’ils l’utilisent, peut occasionner des inconvénients dans certains milieux, mais ce fait n’est pas pertinent. […]

Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 R.C.F. 85, 2001 CAF 191 (CanLII)

[5] La principale question soulevée dans le présent appel revient à se demander si le critère qui s'applique [devant la section du statut du réfugié] en ce qui concerne la renonciation au droit prévu à l'article 14, soit le droit à l'assistance d'un interprète, est celui qui a été énoncé dans l'arrêt R. c. Tran, précité, ou s'il convient d'appliquer un autre critère. […]

[17] Ces avis ont été exprimés dans le contexte du droit criminel, mais je ne puis voir pourquoi ils ne devraient pas également s'appliquer en l'espèce. Il importe de se rappeler que la section du statut [de réfugié] n'est qu'une composante du plus gros tribunal administratif au Canada. Depuis qu'elle a été créée, en 1989, la section du statut a vu sa charge de travail augmenter de façon exponentielle au point qu'en 1999-2000, elle faisait face à environ 31 000 nouvelles revendications, phénomène qui n'est apparemment pas limité au Canada. Si la plainte tardive que l'appelant a présentée au sujet de la qualité de l'interprétation était accueillie, il deviendrait encore plus difficile pour la section du statut d'accomplir les tâches importantes qui lui sont confiées lorsqu'il s'agit d'entendre les revendications et de rendre une décision en temps opportun. La section du statut doit chaque année régler un nombre croissant de revendications qui, dans bien des cas, sont présentées par des individus dont la langue maternelle n'est ni l'une ni l'autre des langues officielles du Canada. L'intérêt de l'individu en cause et celui du public exigent certainement que la revendication soit traitée le plus tôt possible. Or, il n'est pas dans l'intérêt de l'individu ni du public de retarder inutilement le processus de reconnaissance du statut de réfugié, à condition que des garanties acceptables soient fournies afin d'empêcher la violation du droit prévu à l'article 14.

[18] Comme le juge Pelletier l'a fait remarquer, si l'argument invoqué par l'appelant est exact, l'intéressé qui a des problèmes en ce qui concerne la qualité de l'interprétation fournie à l'audience ne pourrait rien faire pendant toute la durée de l'audience, mais il pourrait néanmoins contester avec succès la décision à une date ultérieure. De fait, lorsque l'intéressé décide de ne rien faire même si la qualité de l'interprétation le préoccupe, la section du statut n'est pas en mesure de savoir que l'interprétation comporte des lacunes à certains égards. L'intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l'interprétation est exacte et pour faire savoir à la section du statut, au cours de l'audience, que la question de l'exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l'empêchent de le faire.

[19] Comme je l'ai dit, compte tenu du problème qu'il avait eu à la première séance de la section du statut, l'appelant semble avoir été parfaitement au courant du droit qu'il avait d'obtenir l'assistance d'un interprète compétent. Lorsque sa conduite, au cours de la troisième séance et pendant un certain temps par la suite, est appréciée compte tenu du fait qu'il avait sans aucun doute connaissance de son droit, il est difficile d'interpréter cette conduite comme étant autre chose qu'une indication claire que la qualité de l'interprétation satisfaisait l'appelant lors de l'audience elle-même. Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n'a pas commis d'erreur en statuant que l'appelant avait renoncé au droit qu'il possédait en vertu de l'article 14 de la Charte du fait qu'il ne s'était pas opposé à la qualité de l'interprétation dès qu'il avait eu la possibilité de le faire au cours de l'audition de sa revendication.

R. c. Johal, 2001 BCCA 436 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[15] Comme dans le cas de toute atteinte à un droit prévu dans la Charte, au titre de l’art. 14, il incombe à l’accusé d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses droits ont été enfreints. Dans le cas de l’art. 14, la première exigence à laquelle l’accusé doit satisfaire est de prouver qu’il avait besoin de l’assistance d’un interprète. Il s’agit de l’exigence qui est en cause dans le présent appel.

[…]

[18] Dans l’arrêt Tran, la Cour a conclu qu’il faudrait toujours se demander « s’il se peut que l’accusé n’ait pas compris une partie des procédures en raison des difficultés qu’il éprouve avec la langue du prétoire » (p. 250). De plus, le droit à l’assistance d’un interprète ne devrait pas être refusé, sauf si « une [TRADUCTION] "preuve solide et convaincante" établit que la demande de l’accusé visant à obtenir les services d’un interprète est faite non pas de bonne foi, mais plutôt pour un motif détourné » (p. 245). En l’espèce, rien n’indique que la demande de M. Johal n’a pas été faite de bonne foi.

[19] Enfin, pour déterminer si les droits prévus à l’art. 14 de la Charte d’un accusé ont été violés, le tribunal ne devrait pas formuler d’hypothèse quant au fait que l’absence d’interprétation ou toute lacune à ce chapitre dans une situation particulière a changé en quoi que ce soit le résultat de l’affaire. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que l’accusé établisse qu’il y a eu préjudice afin de prouver qu’il y a eu atteinte à ses droits prévus à l’art. 14 […]

[20] Compte tenu des principes juridiques que j’ai mentionnés, j’aborde maintenant les circonstances donnant lieu à l’allégation de M. Johal selon laquelle il y a eu atteinte à ses droits prévus à l’art. 14 au cours du procès. À cet égard, il importe de souligner le fait que la Couronne n’allègue pas que M. Johal a renoncé à son droit à un interprète. La vraie question à trancher en l’espèce consiste plutôt à déterminer si M. Johal répondait à l’exigence relative au « besoin ».

[…]

[28] J’estime qu’il n’est ni nécessaire ni utile d’examiner les nombreux renvois à la transcription mentionnés par l’avocat de M. Johal. Je me contenterais de dire que la lecture du témoignage de M. Johal dans son ensemble indique qu’il éprouvait certaines difficultés à comprendre les questions qui lui étaient posées et à communiquer ses réponses. Même si certaines de ces difficultés pourraient être issues de la manière dont les questions avaient été formulées, je n’estime pas qu’il soit utile d’avancer des hypothèses à cet égard, parce que la question cruciale est de déterminer non pas si le tribunal ou l’avocat pouvait comprendre M. Johal, mais plutôt si ce dernier pouvait comprendre les questions qui lui étaient posées durant son témoignage et y répondre.

[29] Comme il a été souligné plus tôt, le juge de première instance avait été averti dès le début du procès de la possibilité que M. Johal puisse avoir besoin de l’assistance d’un interprète. Dans le passage cité au para 23 des présents motifs, M. Johal a clairement indiqué qu’il avait besoin de l’assistance d’un interprète, pour comprendre les questions qui lui étaient posées et pour s’assurer qu’il était en mesure de communiquer ses réponses avec exactitude. Rien ne laisse entendre ni ne permet de conclure que sa demande d’assistance était motivée par d’autres fins, par exemple, gagner du temps ou lui permettre d’inventer une réponse.

[30] À mon avis, il ressort clairement de la conclusion de l’extrait cité au para 25 des présents motifs que l’avocat de M. Johal a dissuadé ce dernier de donner suite à sa demande d’assistance, apparemment parce que l’avocat pensait que M. Johal s’était bien débrouillé sans interprète jusqu’à ce stade de la procédure. En toute déférence, une fois que M. Johal a offert une explication raisonnable concernant sa demande d’interprète, comme rien ne donnait à penser qu’il avait des intentions cachées, le fait que M. Johal a déterminé qu’il avait besoin de l’assistance d’un interprète aurait dû l’emporter. C’était à M. Johal de déterminer la nature et la portée de son besoin d’assistance, pas à son avocat. Même si ce dernier et le tribunal ont indiqué à M. Johal qu’il pouvait poursuivre sa demande d’assistance s’il avait besoin d’un interprète dans l’avenir, je suis convaincue que le signal clair qui lui a été envoyé était que l’avocat et le tribunal préféraient tous les deux qu’il poursuive sans l’assistance d’un interprète.

[31] En conséquence, je suis convaincue que M. Johal a clairement montré et communiqué son besoin à l’égard de l’assistance d’un interprète et que l’assistance demandée lui a effectivement été refusée, ce qui contrevient à l’art. 14 de la Charte. Par conséquent, j’accueille l’appel, et j’ordonne la tenue d’un nouveau procès.

Cross c. Teasdale, 1998 CanLII 13063 (CA QC)

[37] J'accepte la proposition du Procureur général du Canada à l'effet que l'art. 530.1 [du Code criminel] impose, dans un cas comme celui sous étude, l'obligation au Procureur général du Québec de choisir un substitut qui est capable et qui accepte de conduire les procédures dans la langue officielle de l'accusé. Cependant je ne retiens pas la proposition des appelants à l'effet que l'équité du procès l'exige. L'art. 14 de la Charte, qui donne droit à l'assistance d'un interprète lorsque la partie ne peut suivre les procédures parce qu'elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée, y pourvoit, comme le juge Beetz l'affirme dans l'arrêt Macdonald, au nom de la Cour à la majorité, aux p. 499 et 500.

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (ON CA)

[38] Selon moi, la dénonciation en l'espèce était conforme aux exigences des articles 530, 530.1 et au par. 841(3) du Code criminel qui représentent une progression législative vers l'égalité des langues officielles. J'ai déjà mentionné que les dispositions linguistiques de la Charte, en particulier l'art. 15 et les art. 16 à 22, n'ont aucune application en l'espèce. Cependant, la composante linguistique des garanties juridiques enchâssées dans la Charte aux art. 7 et 14 et à l'al. 11a) représente un aspect du droit à un procès équitable. Les dimensions linguistiques de ces garanties ont-elles été respectées en l'espèce par l'interprétation orale de la dénonciation? Il n'y a rien dans le mémoire qui indique que l'appelant ou son avocat ait demandé une traduction écrite de la dénonciation, laquelle lui aurait assurément été fournie par le poursuivant.

[45] Rien de moins ne suffirait pour assurer la compréhension de la dénonciation qui déclenche le procès même. Avant la progression des langues officielles à un statut égalitaire, l'art. 14 était jugé suffisant pour garantir aux accusés et aux prévenus un procès juste et équitable. La protection constitutionnelle de l'art. 14 est maintenant renforcée en ce qui a trait à la traduction d'une dénonciation dans la langue officielle du procès. L'inconvénient et la dépense sont minimes, puisque le document en question doit être interprété oralement, de toute façon, lors de l'interpellation. Cette conclusion n'est pas incompatible ou en désaccord avec les arrêts Rodrigue et Breton, précités, qui ne concernaient pas un acte introductif d'instance, et où la traduction écrite des pièces de la divulgation aurait entraîné un fardeau énorme.

R. c. Butcher, 1990 CanLII 2909 (CA QC)

[12] Si l’appelant a quelque raison de se plaindre, c’est sur l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés qu’il doit prendre appui. La disposition qu’il renferme et qui découle du principe du droit à un « procès juste et équitable » (art. 11d) de la Charte) se lit comme suit :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

[13] « Avoir droit à » veut dire pouvoir exiger que, « être en droit d’obtenir ». À mon avis, on ne peut attribuer à cette expression un sens autre que celui qui résulte logiquement des mots que le législateur a utilisés pour traduire sa pensée. Il me semble que s’il avait voulu leur donner une portée plus considérable et faire de la présence de l’interprète une exigence absolue en toutes circonstances où une partie au procès ne comprend pas la langue utilisée, il se serait servi d’un texte beaucoup plus impératif comme, par exemple, « doit être assistée d’un interprète ».

[14] Lorsqu’un droit est accordé par un texte de loi, il confère à son bénéficiaire, à son choix, la faculté de s’en prévaloir ou de ne pas l’exercer. Il peut même par sa conduite ou par son attitude être présumé y avoir renoncé.

[15] Étant donné que la règle de l’article 14 de la Charte est intimement liée à la notion de procès juste et équitable et que le juge qui le préside doit prendre les moyens requis pour qu’il le soit, je suis d’avis que, dans une circonstance où il serait évident ou éminemment probable que la partie impliquée ne comprend pas le langage utilisé, il serait de son devoir ou bien d’ordonner proprio motu qu’un interprète vienne à son aide et lui rende intelligible ce qui se dit ou, à tout le moins, qu’il attire son attention sur son droit d’en exiger un.

[…]

[17] Je conclus donc dès maintenant qu’à part cette circonstance spécifique où il apparaît clairement que l’accusé ne comprend pas la langue utilisée, il lui incombe de prendre lui-même l’initiative d’alerter la Cour sur ce fait et de requérir les moyens de lui venir en aide. S’il ne le fait pas, il doit être considéré comme ayant choisi de ne pas exercer son droit ou, dans un cas approprié, d’avoir renoncé à l’exercer.

[…]

[22] Dans l’affaire qui nous est soumise, la preuve révèle ce qui suit :

— même si toutes les conversations entre lui et son procureur se sont déroulées en anglais, l’appelant ne lui a, en aucune circonstance, indiqué qu’il ne comprenait pas le français ni ne lui a donné mandat de ne s’exprimer qu’en anglais durant le procès;

— en aucun temps n’a-t-il dévoilé au juge son ignorance totale de la langue;

— dans les occasions successives où la langue française a été utilisée, il n’est jamais intervenu pour élever une protestation quelconque ou pour réclamer qu’on lui traduise ce qui se disait;

— c’est le procureur de l’appelant qui s’est, pour la première fois au cours du procès, exprimé en français. En l’absence d’objection de sa part, le juge a eu toute raison de présumer que son client comprenait ce qu’il disait;

— l’appelant ne peut prétendre que cette utilisation d’une langue pour lui étrangère lui a causé préjudice en cette occasion puisque l’objection faite par son procureur a été maintenue par le juge et qu’il lui a été permis de s’expliquer sur un événement antérieur à celui qui faisait l’objet de l’accusation;

— immédiatement après le prononcé du jugement et de la sentence, l’appelant n’a aucunement soulevé le moyen qu’il invoque aujourd’hui, tel qu’en témoigne son procureur (interrogatoire sur affidavit, m.a. p. 74): […]

[25] Avant de conclure, je me permets le bref commentaire suivant. Dans le Québec où s’est instruit le procès et en particulier dans une ville cosmopolite comme l’est sa métropole, à une époque où de connaissance judiciaire le bilinguisme se répand de plus en plus, on ne peut exiger d’un juge qu’il se fonde uniquement sur la consonance d’un nom de famille pour décréter que celui qui le porte ne comprend qu’une langue. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Johnson ou Ryan qu’on est forcément unilingue anglais (l’histoire contemporaire prouve le contraire), comme le nom « Butcher » pourrait tout aussi bien être une déformation de « Boucher ». L’article 14 de la Charte ne doit pas être conçu comme s’appliquant in abstracto et sans tenir compte de la réalité qui existe dans le milieu où il doit être utilisé.

[26] Dans les circonstances du cas qui nous est soumis, j’estime donc que, par son attitude et ses agissements, l’appelant a démontré à tout le moins qu’il n’entendait pas exercer le droit auquel il avait accès et qu’il ne peut aujourd’hui et après coup invoquer son abstention pour obtenir le remède qu’il sollicite. Je rejetterais donc son pourvoi.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[37] Par souci de clarté, il pourrait également convenir de souligner qu’il incombe au gouvernement, pas au titre de l’art. 110 [de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest], mais en vertu du droit de l’accusé à une audience équitable, de s’assurer que ce dernier comprend ce qui se passe durant l’audience et qu’il est compris par toutes les personnes qui doivent le comprendre afin que l’audience soit équitable. Il est possible d’y arriver par des moyens comme une interprétation exacte et efficace du français à l’anglais et, au besoin, de l’anglais au français. Toutefois, il ne faudrait pas penser que le droit à une audience équitable dont jouit l’accusé qui, aux termes de l’art. 110, choisit d’utiliser le français, est plus grand que celui d’un accusé dont la langue serait, disons, l’ukrainien; la portée du droit à une audience équitable et l’obligation qu’il impose à l’État sont les mêmes pour tous les accusés, quelle que soit leur langue.

Roy c. Hackett (C.A.), 1987 CanLII 4309 (CA ON)

[33] À mon sens, la partie adverse a le droit de mettre à l'épreuve le bien fondé d'une demande à l'assistance d'un interprète par voie de contre-interrogatoire. Je suis d'avis cependant que l'on doit procéder à ce contre-interrogatoire au moment de l'objection. A ce moment, dans le cadre d'un voir dire, celui qui a soulève l'objection peut faire entendre des témoins sur la compétence linguistique du sujet sans enfreindre la règle de preuve qui défend de contredire les réponses de la personne contre-interrogée sur des questions incidentes. L'avantage du voir dire est qu'il se déroule en marge de la procédure principale. Si le juge décide d'accorder au témoin - ou à la partie qui en fait la demande - l'assistance d'un interprète, la décision est définitive, du moins en première instance, et celui qui a soulève l'objection ne peut revenir sur la question de compétence pour attaquer la crédibilité de celui qui a fait la demande en premier lieu : voir R. c. Burke (1858), 8 Cox C.C. 44 (C.C.A.) a la p. 55.

[34] Dans l'instance qui nous occupe, où toute la procédure, incluant le témoignage de l'intime, s'est déroulée en français à l'exception du témoin anglophone, on ne peut soutenir que la demande à l'assistance d'un interprète était faite dans le but d'obtenir l'avantage de considérer sa réponse pendant que l'interprète traduisait - inutilement - la question, ou dans le but de faire échouer ou de rendre plus difficile le contre- interrogatoire.

[35] En général, le juge ou le président du tribunal doit décider de la bonne foi du témoin ou de la personne qui demande un interprète avant d'accorder sa demande. Pour arriver à sa décision, cependant, il doit tenir compte du légitime désir de tout témoin de s'exprimer dans la langue qu'il possède le mieux, généralement sa langue maternelle. Il doit donc éviter d'imputer un motif ultérieur au témoin qui demande un interprète, même si le témoin a une certaine familiarité avec la langue employée et pourrait, d'une manière générale, suivre les procédures. Le juge doit, assurément, accorder une portée large et généreuse à l'interprétation de l'art. 14. Cela ne veut pas dire que le droit à l'interprète est un droit absolu et que le contre-interrogatoire portant sur la compétence linguistique de la personne qui demande cette assistance devient automatiquement oppressif et vexatoire au point de rendre illusoire l'exercice de ce droit.

[36] En l'espèce, devant le tribunal d'arbitrage, le droit à un interprète a été reconnu et accorde sans objection de la partie adverse et sans enquête préalable de la part du tribunal. Il ne s'agit pas d'un refus, comme dans R. c. Sadjade (1983), 1983 CanLII 163 (CSC), 7 C.C.C. (3d) 95 (C.S.C.) et R. c. Reale, supra. La question de compétence aurait dû être soulevée au moment de la demande d'un interprète. Le contre-interrogatoire n'aurait pas pu, à ce stade de la procédure, être jugé oppressif et vexatoire: les questions posées par la suite portaient sur l'expérience d'Yvon Roy qui aurait travaillé 14 mois à Winnipeg comme opérateur responsable d'employés anglophones et sur sa capacité de rédiger des documents techniques et administratifs en langue anglaise. Mais ce contre-interrogatoire n'a effectivement eu lieu que quelques mois plus tard. Maître Richard pour l'intime prétend que le contre-interrogatoire subséquent représente une restriction indirecte du droit garanti par la Charte et le rendrait illusoire. Ce qui aurait pour conséquence, d'après lui, de "geler" ou de "paralyser" l'exercice du droit garanti ("chilling effect").

R. c. Thim, 2015 BCSC 1677 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[10] D’autres droits prévus dans la Charte sont pertinents par rapport à la définition et à l’application de l’art. 14, notamment les droits suivants : art. 7 (vie, liberté et sécurité), art. 15 (égalité) et art. 27 (maintien du patrimoine culturel) (p. 967). En ce qui concerne l’art. 27, la préservation et l’amélioration de la société multiculturelle du Canada dépend du fait que les minorités linguistiques jouissent d’un accès véritable et concret à la justice (p. 966-967). Il faut interpréter l’article 14 en se fondant sur l’objet visé et l’appliquer en fonction de principes afin de rendre exécutoire cette garantie constitutionnelle (p. 977).

[11] L’établissement d’un manquement à l’art. 14 requiert la preuve de trois éléments (p. 979-980) : a) l’accusé avait besoin de l’assistance d’un interprète; b) les services d’interprétation fournis à l’accusé ne satisfaisaient pas à la norme garantie par la Constitution; et c) la lacune alléguée dans l’interprétation est survenue au cours des procédures, au moment où un intérêt vital de l’accusé était en cause. Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui invoque la violation. La norme de preuve est la prépondérance des probabilités. Si les trois premières conditions sont remplies, il incombe ensuite à la Couronne de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu renonciation valide et effective au droit (p. 980).

[12] En ce qui concerne le premier élément, il n’est pas difficile normalement d’établir l’existence d’un besoin (p. 979). Les juges ont la responsabilité indépendante d’assurer que ceux qui ne connaissent pas bien la langue du prétoire comprennent la procédure (p. 979). Le droit à l’assistance d’un interprète n’est ni automatique ni absolu, mais, compte tenu du fait que ce droit est élevé au rang de norme constitutionnelle, les tribunaux devraient être généreux et avoir l’esprit ouvert lorsqu’ils évaluent le besoin d’un accusé de recourir à l’assistance d’un interprète et aborder la question avec sensibilité et compréhension (p. 980 et 983).

[13] Pour ce qui est du deuxième élément, à supposer qu’il ne s’agit pas d’un cas où on a complètement refusé les services d’un interprète, la norme d’interprétation garantie par la Constitution en est une de continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance. La norme est élevée, mais pas jusqu’à la perfection (p. 979). Ces critères visent à aider les tribunaux à s’assurer que les personnes qui ont besoin de l’assistance d’un interprète comprennent et sont comprises tout autant que si elles connaissaient la langue employée dans les procédures (p. 985).

[14] En ce qui a trait au troisième élément, l’art. 14 s’étend à tous les aspects essentiels des procédures (p. 992). Le droit à l’assistance d’un interprète s’applique à toute partie des procédures qui ont des conséquences sur les droits procéduraux et substantiels des parties (p. 994). Toutefois, l’art. 14 ne s’étend pas aux aspects purement administratifs ou logistiques qui n’ont pas d’effet préjudiciable sur les procédures (p. 993).

[15] Les interprètes doivent prêter le serment de l’interprète avant de commencer à interpréter les procédures, mesure de protection conçue pour aider à assurer la compétence : Tran, p. 988; R. c. Nguyen, 2005 BCCA 221 (CanLII), au para 18; R. c. Titchener, 2013 BCCA 64 (CanLII), au para 25. En outre, s’il y a une bonne raison de douter de la compétence d’un interprète, le tribunal doit examiner les titres de compétence de ce dernier (Tran, p. 988).

[…]

[19] En résumé, le droit d’un accusé à l’assistance d’un interprète est fondamental et profondément et fermement ancré. Il est requis aux fins d’un procès équitable. Il protège la dignité de l’accusé et la légitimité du système de justice pénale. Il joue un rôle important pour ce qui est de préserver et d’améliorer la prétention du Canada d’être une société multiculturelle. Les services d’interprétation fournis à l’accusé n’ont pas besoin d’être parfaits, mais ils doivent être de grande qualité.

[…]

[62] J’estime qu’il y a un refus constant du droit conféré à l’accusé par l’art. 14 de la Charte, comme en font foi divers événements qui sont survenus dans le passé. Quand la demande d’ajournement de la Couronne a été refusée, le procès devait se poursuivre. Aucun interprète n’était présent. L’accusé n’a pas pu être convoqué devant le tribunal. Cela constitue une atteinte continue au droit prévu à l’art. 14. De surcroît, compte tenu de la genèse de l’affaire, si elle était encore ajournée, je pense qu’il serait plus probable que le contraire que d’autres violations du droit conféré à l’accusé par l’art. 14 seraient commises.

[63] J’estime également qu’il est probable que les violations soient systémiques. L’accusé soutient (et la Couronne l’admet) que la série d’omissions en l’espèce sont probablement fonction d’une lacune systémique. Je ne peux pas donner de meilleure explication concernant cette constatation, et je n’ai pas besoin de le faire. Je ne dispose pas d’un ensemble d’éléments de preuve qui me permettent de déterminer la cause précise des omissions répétées d’offrir des services d’interprétation appropriés à l’accusé et de savoir, par exemple, s’il s’agit d’une question d’insuffisance budgétaire, d’une lacune au chapitre des politiques, de problèmes liés à l’obtention des services du personnel nécessaire ou à la formation du personnel ou d’une combinaison de ces éléments. Je n’ai pas besoin d’en dire plus. Aux fins de la décision concernant l’application de cet article, il suffit que le tribunal soit en mesure de conclure que les atteintes au droit prévu à l’art. 14 sont continues et systémiques.

[64] Les fins importantes servies par ce droit ont été énoncées dans l’arrêt Tran, à la page 977 :

1. D'abord et avant tout, il garantit que l’accusé entend la preuve qui pèse contre lui et a pleinement l'occasion d'y répondre.

2. Le droit est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l'apparence d'équité; ainsi, il touche l'intégrité même de l'administration de la justice criminelle au Canada.

3. Le droit est intimement lié à notre prétention d'être une société multiculturelle, exprimée en partie à l'art. 27 de la Charte.

[65] Il est très évident pour tout observateur que l’administration de l’affaire a été tout sauf ordonnée. Toutefois, la plupart des observateurs doivent recevoir un autre message clair : les tribunaux n’ont pas pris au sérieux l’exigence constitutionnelle de fournir à l’accusé l’assistance d’un interprète. Il est certainement important pour la Cour à ce moment-ci de se dissocier de manière efficace de cette perception pernicieuse. (En déclarant ainsi mon opinion, je reconnais que les personnes assez rares qui connaissent bien le partage des pouvoirs prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 pourraient recevoir le message plus nuancé selon lequel des représentants du procureur général de la Colombie-Britannique – contrairement aux juges qui président – n’ont pas pris cette exigence constitutionnelle au sérieux.)

R. c. Odones, 2012 QCCS 7080 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[45] La Cour statue que l’arrêt R. c. Tran (précité) n’étend pas la signification habituelle du terme « procédures » aux interrogatoires policiers. Les critères décrits dans Tran permettant d’assurer le respect de l’article 14 de la Charte sont limités aux procès ou aux instances judiciaires.

[46] Les interrogatoires policiers ne comportent aucun volet judiciaire; l’interrogatoire de l’accusé Odones ne fait pas exception.

[47] L’acceptation de l’argument de l’accusé selon lequel l’interrogatoire d’un suspect par des policiers est une « procédure », ce qui déclencherait l’application de l’article 14, aurait des conséquences considérables qui s’entendraient au-delà d’une salle d’interrogatoire dans un poste de police.

[48] Imaginez une situation où des policiers, dans la rue, s’adressent à un suspect ou à une personne qui en deviendra un plus tard, ou bien une situation où des policiers arrêtent un suspect et tiennent une conversation dans le véhicule de police. Cette interaction constituerait-elle une « procédure » au sens de l’article 14? Est ce que toute discussion devrait être mise en attente, notamment dans des circonstances urgentes? Les critères établis dans l’arrêt Tran devraient-ils s’appliquer si un interprète était présent?

[49] La Cour est d’avis que l’administration de la justice est mieux servie si, dans les situations où des problèmes linguistiques surviennent et où un interprète est appelé, l’interprète prête assistance et fournit ses services, au besoin ou sur demande. La confiance du public en l’administration de la justice pénale serait maintenue si le poids de toute déclaration faite par un accusé dans ces situations devait être évalué par le juge des faits.

[50] Il vaut mieux pour la protection du public qu’on n’impose pas de lourdes procédures conçues pour les salles d’audience aux discussions qui ont lieu en première ligne, dans la rue, dans des situations où les droits d’une personne sont déjà protégés par une multitude de garanties constitutionnelles.

[51] Un examen de la jurisprudence mentionnée et une simple lecture de l’article 14 indiquent clairement que cette disposition s’applique aux procédures comportant un volet judiciaire. Dans ce contexte, l’existence du droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre de toutes « procédures » et des règles établies dans l’arrêt Tran permet de s’assurer que l’accusé comprend ce qui se passe durant l’audience et qu’il est compris par le tribunal; voir MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, p. 499-500.

[…]

[53] La Cour est d’avis que l’interrogatoire d’un suspect par un enquêteur de police, qu’il ait lieu dans la rue, dans un véhicule de police ou dans une station de police, ne constitue pas une « procédure » est n’est pas visé aux fins de l’article 14.

R. c. Dutt, 2011 ONSC 3329 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[52] Il est bien connu que l’interprétation judiciaire, de la langue source vers la langue cible, n’est pratiquement jamais parfaite, et ce, pour de nombreuses raisons, notamment les difficultés inhérentes au transfert linguistique et la perspective toujours présente de l’erreur humaine naturelle liée à la compréhension et à la concentration. Par conséquent, une personne qui ne parle pas l’une des langues officielles du Canada est généralement désavantagée d’une certaine manière du point de vue de la compréhension linguistique, plus ou moins, quand elle participe à une instance judiciaire, même si elle bénéficie de l’assistance d’un interprète compétent requise par l’art. 14 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[53] Il est donc fondamentalement crucial que les tribunaux qui souhaitent éviter toute erreur judiciaire n’aggravent pas les désavantages existants en procédant autrement qu’en ayant recours à des interprètes judiciaires pleinement qualifiés qui sont compétents, reposés et qui n’ont aucune distraction pendant leur travail.

[54] Nos tribunaux comprennent que le droit prévu à l’art. 14 de la Charte garantissant l’assistance d’un interprète compétent à l’accusé dans le cadre de procédures criminelles n’exige pas en soi le recours à un interprète certifié ou agréé : R. c. Rybak (2008), 2008 ONCA 354 (CanLII), 233 C.C.C. (3e) 58 (Ont. C.A.), au para 84 (autorisation d’appel refusée, [2008] C.S.C.R. no 311 (QL)); R. c. R. (A.L.) (1999), 1999 CanLII 5081 (MB CA), 141 C.C.C. (3e) 151 (Man. C.A.), p. 156 (révisé selon des critères différents, [2001] 11 W.W.R. 413 (C.S.C.)). Par conséquent, les termes « qualifié » ou « compétent » ne sont pas nécessairement synonymes des termes « certifié » ou « agréé ». Cela dit, comme la salle d’audience n’est pas un laboratoire de linguistique et qu’un juge de première instance unilingue n’est pas qualifié pour faire passer des tests de compétence linguistique ou d’interprétation, et sans qu’il se contente simplement d’admettre la compétence autoproclamée d’un interprète, il lui faut nécessairement compter sur une certaine norme de compétence objective. Naturellement, la position par défaut du tribunal est donc souvent de se fier de façon importante, quoique non-exclusivement, à ce qu’il espère être l’agrément externe digne de confiance d’un interprète.

[55] En règle générale, un tribunal de première instance procède à un voir-dire pour établir les compétences de tout interprète judiciaire présenté par le ministère du Procureur général, même si la personne en question est présentée comme certifiée ou agréée. Dans son rôle quasi judiciaire de poursuite dans des affaires pénales, la Division du droit criminel de ce ministère reconnaît l’importance de cette étape procédurale : le Practice Memorandum #1 du 23 avril 2010 de la Division intitulé « Competency and Accreditation of Court Interpreters » est en partie ainsi libellé :

[TRADUCTION]

[...] dans toutes les instances où un interprète est requis, le procureur de la Couronne devrait demander à l’officier de justice qui préside l’audience s’il juge qu’il est nécessaire que le tribunal mène une enquête visant à déterminer si un interprète est compétent pour interpréter l’instance, sans égard au fait que l’interprète est agréé ou non.

[56] Le tribunal étudie la nature de l’agrément et en particulier s’il est fondé sur des épreuves objectivement valides servant à évaluer les compétences linguistiques et d’interprétation. En outre, le tribunal tient compte de l’expérience de l’interprète en ce qui a trait à des facteurs comme les modes d’interprétation requis, la durée prévue de la procédure, la nature technique du sujet, toute question de dialecte et, dans certains cas, les résultats de l’examen de certification de l’interprète. Concernant le dernier élément, et en guise d’exemple, un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire afin de procéder à une interprétation consécutive si, à l’examen du CCV [Collège communautaire de Vancouver], l’interprète pleinement agréé a obtenu une note de 71 % seulement au volet de l’examen relatif à l’interprétation simultanée.

[57] De plus, au-delà de la question de l’étiquette ministérielle d’interprète « pleinement agréé », qui pourrait être attribuée à une personne qui n’a pas obtenu jusqu’à 30 % de la note possible pour chacun des trois modes d’interprétation, les éléments de preuve dans le voir-dire révèlent que le tribunal doit tenir compte d’autres questions.

[…]

[114] L’omission de fournir deux interprètes judiciaires qualifiés parlant l’hindi/anglais, l’arrivée tardive d’un interprète à l’audience, les négociations de couloir au sujet de la rémunération d’un interprète et le fait que le tribunal et les parties se sont vu fournir des renseignements incomplets sur certains aspects des enquêtes sur la compétence des interprètes sont tous des éléments qui ont influé sur l’achèvement en temps opportun du procès. Nous pouvons assurément faire bien mieux, 29 ans après la création du droit prévu à l’art. 14 de la Charte, et 17 ans après que l’arrêt Tran ait été rendu.

[115] Même s’il ne faudrait pas sous-estimer les difficultés et les défis liés au respect de l’art. 14 de la Charte par le gouvernement, il est évident que la transition de la province vers un système d’interprétation judiciaire de calibre mondial durera longtemps et sera marquée par un débat concernant la validité objective de certaines approches adoptées à l’égard de l’agrément sous le régime du « nouveau modèle ».

[116] La réduction systémique de la compréhension linguistique des accusés au criminel dans le cadre de procédures en première instance ne peut pas être tolérée dans une démocratie civilisée. Toutes les personnes qui comprennent le droit prévu à l’art. 14 de la Charte croient qu’il est essentiel que les accusés ne parlant pas l’anglais qui subissent un procès criminel ne soient pas considérés comme des citoyens sans importance constitutionnelle devant se satisfaire de l’assistance d’un interprète d’une qualité limitée à ce qui est disponible au lieu d’une qualité conforme aux normes minimales exigées dans la Charte.

McCullock Finney c. Canada (Attorney General), 2009 QCCS 4646 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[88] Dans l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick (précité), la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’un plaideur avait le droit d’intenter un procès civil devant un juge qui peut comprendre les observations faites dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada. Ce droit a été qualifié de droit fondamental, et non de simple droit linguistique. Toutefois, en l’espèce, la situation est différente : seul le coût des services de traduction ou d’interprétation est en litige, pas la question de savoir si ces services devraient être accessibles au plaignant. Ils le sont, et personne ne conteste ce fait.

[89] L’accès à la justice est une chose. La question des coûts que suppose l’accès au système judiciaire en est une autre. Dans une situation non criminelle ou pénale, aucun principe ni aucune règle juridiques ne permettraient à la Cour d’imposer à un ordre de gouvernement l’obligation d’assumer les coûts liés aux services de traduction ou d’interprétation en tant que principe général.

[90] Cette situation n’est pas unique au Québec. Dans l’arrêt Marshall c. Gorge Vale Golf Club, il a été statué que la Cour suprême de la Colombie Britannique n’avait aucun pouvoir lui permettant d’ordonner au gouvernement provincial de fournir des services de transcription gratuits à un plaideur sourd dans une affaire civile. Le droit à l’assistance d’un interprète prévu à l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés n’a pas créé d’obligation pour la Couronne de payer pour les services d’un interprète. […]

R. c. Sidhu, 2005 CanLII 42491 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[277] L’équité fondamentale et l’égalité de l’accès aux tribunaux pour les personnes appartenant à une minorité linguistique exigent une interprétation qui tient compte du but visé par le droit prévu à l’art. 14 de la Charte. « Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues » : La Reine c. Beaulac (1999), 1999 CanLII 684 (CSC), 134 C.C.C. (3e) 481 (C.S.C.), au para. 41. Alors que l’objectif « du droit à l'assistance d'un interprète est d'accorder à tous des chances égales et non pas d'accorder à certaines personnes plus de droits qu'à d'autres », une « société multiculturelle ne peut être préservée et favorisée que si ceux qui s'expriment en d'autres langues que le français et l'anglais ont » pleinement accès au système judiciaire : La Reine c. Tran (précité, aux p. 239-241).

[278] Le droit prévu à l’art. 14 de la Charte est complémenté par le mandat constitutionnel de fournir plus que de vaines paroles relativement à l’art. 27, « selon lequel toute interprétation de la Charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens » : La Reine c. Tran (précité, p. 239-240). Aux États Unis, il a été observé que : « dans ce pays où de nombreuses langues sont parlées, l’insensibilité au handicap linguistique invalidant d’un nouvel arrivant sur son sol est particulièrement inappropriée » United States v. Si (précité, p. 1042); United States v. Negron (précité, p. 390).

[279] La garantie constitutionnelle de l’assistance d’un interprète suppose l’application d’un certain nombre de facteurs importants qui sont inhérents à un accès véritable et concret à la justice :

(1) Le refus de l’assistance d’un interprète prive essentiellement le défendeur de son droit constitutionnel prévu dans la loi et la common law d’être présent à tous les égards à son procès, de comprendre la question à trancher et d’y répondre ainsi que de comprendre toutes les procédures qui auront une incidence sur ses intérêts vitaux :

[TRADUCTION]

[…] du fait qu'il a été privé de l'assistance d'un interprète pendant l'exposé du juge du procès, l'accusé n'était pas présent pendant cette partie des procédures […] Nous estimons qu'il n'était pas plus présent que s'il avait été inconscient à la suite d'un infarctus ou d'un accident cérébrovasculaire, et qu'on lui a effectivement refusé toute présence utile tout comme s'il avait été expulsé de la salle d'audience pendant cette partie des procédures.

(R. c. Petrovic (1984), 1984 CanLII 2003 (ON CA), 13 C.C.C. (3e) 416 (Ont. C.A.), p. 424.)

Voir aussi : La Reine c. Tran (précité, p. 229-230, 236 et 239-240).

(2) Pour qu’une audition soit équitable, la partie qui éprouve des difficultés avec la langue des procédures doit non seulement comprendre les procédures, mais aussi être comprise : Tran c. La Reine (précité, p. 229).

(3) L’exclusion de l’accusé, en tout ou en partie, d’une procédure criminelle en raison d’une non-conformité avec la pleine protection prévue à l’art. 14 de la Charte compromet l’apparence d’équité des procédures et laisse à l’accusé un sentiment justifiable d’injustice et de respect réduit à l’égard de l’administration de la justice : La Reine c. Tran (précité, p. 236 237 et 240).

(4) Un accusé privé d’une interprétation répondant aux normes établies nécessaires à la tenue d’un procès équitable « peu[t] difficilement être considérés comme étant sur un pied d’égalité ou dans une position égale relativement à l’application du droit pénal par rapport aux autres personnes qui sont soumises à son processus » : R. c. Reale (1974), 1973 CanLII 55 (ON CA), 13 C.C.C. (2e) 345 (Ont. C.A.), p. 348-349 (conf. par (1974), 1974 CanLII 23 (CSC), 22 C.C.C. (2e) 571 (C.S.C.), p. 572-573).

(5) Le refus de l’assistance d’un interprète compétent affecte « l’intégrité du processus de recherche des faits et la puissance du système accusatoire » : United States v. Negron (précité, p. 389).

(6) L’assistance d’un interprète rend le défendeur « suffisamment en mesure de consulter son avocat avec un degré raisonnable de compréhension rationnelle » : United States v. Cirrincione, 780 F.2d 620, 633 (7th Cir. 1985); United States v. Johnson, 248 F.3d 655, 661 (7th Cir. 2001); La Reine c. Tran (précité, p. 261).

(7) Le respect de l’article 14 de la Charte donne la capacité de « témoigner d’une manière nuancée touchant l’“équité” même du procès » : R. c. Cheba, [1993] S.J. no 17 (QL) (C.A.), au para 3.

(c) La norme d’interprétation judiciaire garantie par la Constitution

[280] L’article 14 de la Charte « garantit sans réserve le droit à l'assistance d'un interprète » : La Reine c. Tran (précité, p. 254). La Constitution elle-même ne décrit pas la norme minimale qu’elle garantit relativement à l’assistance d’un interprète. L’« équité fondamentale » exige que l’objectif soit la compréhension linguistique des procédures. Le degré de compréhension sera « nécessairement élevé » et, comme il est mentionné dans Tran, à la p. 240, devra s’efforcer de fournir au bénéficiaire de l’assistance le degré de compréhension dont il jouirait s’il pouvait comprendre et parler l’une des langues officielles du pays.

[281] La norme « fondamentale » exige que l’interprétation réponde à un degré acceptable à des critères de continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance; une « lacune » ou un écart important lié à l’une ou l’autre de ces caractéristiques dans le cadre des procédures faisant progresser l’affaire ou mettant en cause « un intérêt vital » de l’accusé constitue une menace d’atteinte au droit prévu à l’art. 14 de la Charte, sans égard au préjudice subi : La Reine c. Tran (précité, p. 242 et 253-254).

[282] Les critères énoncés dans l’arrêt Tran peuvent être résumés ainsi :

(1) Selon le critère de continuité, les pauses et les interruptions « ne doivent être ni encouragées ni permises » (p. 246-247).

(2) Le critère de fidélité exige que « l'interprétation […], autant que possible, repren[ne] chaque mot et chaque idée » et ne soit pas un simple résumé. Comme l’interprétation linguistique est « fondamentalement une activité humaine » et qu’il arrive occasionnellement que des obstacles nuisent au transfert exact du sens d’une langue à une autre, l’interprète doit tout de même s’efforcer d’être fidèle. Les résumés ou les condensés ne sont pas acceptables (p. 247-248 et 259).

(3) Le critère d’impartialité exige que « l'interprétation, en particulier dans un contexte criminel, [soit] objective et impartiale » (p. 248).

(4) Il y a un « droit à un interprète compétent », même s’il n’existe « aucune norme généralement acceptée d'évaluation de la compétence ». L’assermentation de l’interprète et l’examen par le tribunal de ses titres de compétence facilitent le respect de cet aspect du droit prévu à l’art. 14 de la Charte (p. 248-249).

(5) Il est essentiel que l’interprétation soit concomitante. « [M]ême si l'interprétation consécutive double en fait le temps nécessaire au déroulement des procédures, elle comporte de nombreux avantages par rapport à l'interprétation simultanée » (p. 249 250).

[…]

[291] L’élément essentiel est de savoir si les lacunes au chapitre de l’assistance d’un interprète qualifié « ont rendu le procès fondamentalement inéquitable » : United States v. Bell (précité), p. 463; United States v. Sanchez, 928 F.2d 1450, 1455 (6th Cir. 1991); United States v. Tapia, 631 F.2d 1207, 1210 (5th Cir. 1980).

[…]

[298] Aucun droit à un interprète agréé n’est prévu dans la Constitution; toutefois, il existe un droit à l’assistance d’un interprète compétent. Par conséquent, la question essentielle consiste à déterminer non pas si l’interprète judiciaire a reçu une « formation officielle », mais si l’interprète est « qualifié » pour exercer avec compétence les fonctions consistant à fournir une interprétation continue, fidèle, impartiale, et concomitante : R. c. R. (A.L.), (précité), p. 155-156. Si un interprète agréé est présenté au tribunal, il est présumé être qualifié et avoir respecté les normes externes établies objectivement d’un processus d’agrément censé être valide.

[…]

[309] Dans son article intitulé « Language Bias In The Criminal Justice System » (précité) p. 368-369, 376, et 380-382, David J. Heller fait valoir les arguments suivants principalement en ce qui concerne les tribunaux de l’Ontario :

[TRADUCTION]

(1) Les interprètes agréés sont soumis à des épreuves minimes, et il n’y a, dans les faits, aucune exigence en matière de formation. Il existe un besoin d’un plus grand nombre de formations et de formations plus spécialisées. Les compressions budgétaires ont eu une incidence sur la formation : « La plupart des interprètes ont déclaré que, en majeure partie, ils avaient appris leur profession “en cours d’emploi”. »

(2) La plupart des avocats agissent en croyant que les interprètes fournis par les tribunaux sont compétents.

(3) Il n’existe aucune mise à l’épreuve systémique de la compétence des interprètes judiciaires.

(4) L’examen d’agrément des interprètes de l’Ontario, qui n’est pas défini par des normes législatives, est une épreuve courte et simpliste.

(5) Parfois, le ministère du Procureur général de l’Ontario a recours à des interprètes non agréés : « La compétence des interprètes varie grandement. »

(6) Les « tribunaux ne disposent d’aucun moyen systémique de reconnaître une interprétation médiocre ».

[…]

[333] Il ne fait aucun doute que la région de Peel et les autres régions de l’Ontario comptent des interprètes dévoués et hautement compétents. Malheureusement, compte tenu de la confiance réduite à l'égard du processus d’agrément et du recours répandu et non déclaré à des interprètes judiciaires non agréés dans cette province, lequel est maintenant documenté, il est devenu difficile de déterminer qui sont ces professionnels.

[334] L’indifférence irresponsable de la Division des services aux tribunaux à l’égard du droit prévu à l’art. 14 de la Charte a donné lieu à l’annulation du procès dans l’affaire Sidhu. Il est statistiquement inévitable qu’il existe des cas d’erreurs judiciaires qui n’ont pas encore été découverts.

[335] En ce qui concerne les conclusions procédurales découlant du dossier dans le présent appel :

[…]

(10) Occasionnellement, le droit prévu à l’art. 14 de la Charte ne peut être respecté que par le recours aux services de deux interprètes judiciaires (para 264 et 266-267, ci-dessus).

(11) Un plaideur qui se représente seul ne peut pas renoncer à la protection de l’art. 14 de la Charte. Un défendeur représenté par un avocat peut renoncer expressément à ce droit. Le tribunal conserve un pouvoir discrétionnaire prépondérant de rejeter la renonciation (para 349 359, ci-desous).

[…]

[352] Un accusé qui se représente lui-même ne peut pas renoncer à son droit prévu à l’art. 14 de la Charte; s’il est représenté par un avocat, le droit doit être respecté, à moins que l’avocat « n'exprime la volonté de ne pas se prévaloir de ces services et que le juge soit d'avis que l'accusé comprend essentiellement la nature de la preuve qui sera produite contre lui » (souligné dans l’original) : La Reine c. Tran (précité), p. 230.

[353] Le seuil à atteindre pour pouvoir renoncer au droit prévu à l’art. 14 de la Charte « est très élevé » et s’assortit d’une enquête judiciaire, interprétée pour l’accusé, incluant le respect des critères suivants pour s’assurer que l’accusé « a personnellement compris la portée de son droit à l'assistance d'un interprète et ce à quoi il renonçait » :

(1) une pleine connaissance des droits que la garantie d’assistance d’un interprète vise à protéger;

(2) l’effet ou les conséquences qu’aurait la renonciation sur ces droits;

(3) une renonciation claire et sans équivoque demandée personnellement par l’accusé.

(La Reine c. Tran (précité), p. 255-256 et 263). Le tribunal conserve en tout temps le pouvoir discrétionnaire de rejeter une renonciation, même si les éléments constitutifs d’une renonciation valide sont présents.

[354] Le seuil à atteindre afin de pouvoir renoncer au droit prévu à l’art. 14 de la Charte « est très élevé », et l’avocat du défendeur « ne peut pas y renoncer pour son client » s’il est seul à en faire la demande : R. c. Johal (précité), au para 26; United States v. Osuna, 189 F.3d 1289, 1294 (10th Cir. 1999); United States v. Tapia (précité), p. 1209. Le tribunal a lui-même l’obligation de veiller à ce qu’« aucune injustice ne soit commise » par un accusé qui a l’intention d’abandonner la pleine protection conférée par l’art. 14 de la Charte dans le simple but de gagner du temps ou d’éviter un inconvénient, ou bien qu’il prévoit « l’exerce[r] avec insouciance » : La Reine c. Tran (précité), p. 231.

[355] Même s’il est attendu qu’en tant qu’officier de justice, l’avocat de la défense discutera adéquatement avec son client du besoin de recourir à un interprète, de la norme minimale prévue par la Constitution et de la nécessité de le faire savoir si cette norme n’est pas atteinte, le tribunal en tant que tel n’est pas obligé de donner à l’accusé des directives concernant ces éléments :

Il importe de signaler que ni le texte de l'art. 14 de la Charte ni le fondement historicojuridique du droit ne contraint les tribunaux à informer tous les accusés qui comparaissent devant eux de l'existence du droit à l'assistance d'un interprète.  De même, les tribunaux ne sont pas tenus d'examiner systématiquement la capacité de tout accusé de comprendre la langue des procédures.  En même temps, rien n'oblige absolument l'accusé à faire valoir ou à invoquer formellement le droit en cause pour en jouir.  Il en est ainsi du fait que les tribunaux ont la responsabilité indépendante d'assurer l'équité de leurs procédures et leur conformité avec les principes de justice naturelle et, par conséquent, de protéger le droit de l'accusé à l'assistance d'un interprète, peu importe qu'il ait vraiment été revendiqué formellement.

(La Reine c. Tran (précité) p. 243)

[356] Les cas flagrants où l’interprète résume les paroles prononcées, est embrouillé ou hésite sont faciles à repérer. Les lacunes subtiles, les interprétations inexactes et les mots manquants, même s’ils sont peu nombreux à passer sous le radar, risquent d’entraîner une condamnation injustifiée. Il faut faire attention avant d’affirmer qu’un défendeur assisté d’un interprète devrait avoir détecté les lacunes au chapitre des compétences d’un interprète et s’en être plaint. Si le défendeur ne parle pas anglais, il est incapable de déterminer si l’interprétation dans sa langue maternelle est le reflet véritable de ce que les anglophones disent dans la salle d’audience. Des interprétations grossières ou déconcertantes dans la langue du défendeur pourraient, parfois, être perçues comme tenant à des difficultés survenant naturellement dans le transfert linguistique, plutôt que comme dénotant des erreurs ou des lacunes au chapitre du rendement. Si la déclaration d’un témoin est présentée dans une troisième langue (ni en anglais ni dans la langue de l’accusé), encore une fois, le défendeur n’a aucun point de repère pour évaluer la qualité de l’interprétation.

[357] L’expérience montre qu’à Brampton, où les avocats parlent l’anglais/le pendjabi, et dans de très nombreuses affaires américaines publiées, où les avocats parlaient anglais/espagnol, c’est souvent l’avocat bilingue, pas l’accusé, qui découvre les lacunes au chapitre de l’interprétation.

[358] Une personne qui ne parle pas anglais pourrait bien avoir vécu la différence linguistique comme « une source de division » suscitant « une réaction de la part des autres », y compris « des réactions de distanciation et d’aliénation […] découlant trop souvent […] d’une hostilité raciale » : Hernandez c. Ne York, 500 U.S. 352, 371 (1991). Un accusé ayant fait cette expérience, qui a l’impression d’avoir beaucoup de chance de bénéficier dans la salle d’audience d’une personne pour le soutenir qui parle sa langue dans quelque mesure que ce soit, sera souvent réticent à revendiquer que le système judiciaire respecte ses droits linguistiques personnels.

[359] La Couronne assume le fardeau d’établir « qu'il y a eu renonciation valide et effective au droit, ce qui explique la lacune dans l'interprétation ou l'absence d'interprétation qui a été démontrée » : La Reine c. Tran (précité) p. 242.

R. c. Ansary, 2001 BCSC 1333 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[66] L’article 14 de la Charte prévoit que la partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète. Toutefois, l’article n’étend pas précisément ce droit à l’étape préalable au procès des procédures criminelles. À mon avis, cependant, le droit fondamental à un procès équitable protégé par l’art. 7 de la Charte exige que l’incidence de toute difficulté linguistique à laquelle un accusé fait face soit prise en compte si l’État cherche à présenter au procès des éléments de preuve prenant la forme de déclarations incriminantes faites par l’accusé à l’étape de l’enquête.

[…]

[70] À l’étape de l’enquête d’une procédure criminelle, le rôle des policiers est bien sûr entièrement différent de celui du tribunal dans le cadre de procédures judiciaires, et, dans cette mesure, les questions au titre de l’art. 14 de la Charte ne seront abordées que si on cherche plus tard à présenter dans le cadre de procédures criminelles des déclarations faites ou des actes commis par un accusé. Il en découle que les policiers, au moment d’exercer leur responsabilité de déterminer la capacité d’un témoin ou d’un accusé de comprendre la langue de l’enquête, doivent tenir compte du fait qu’une déclaration de culpabilité ou d’innocence n’est pas encore en jeu.

[71] Il me semble que l’interprétation large et axée sur l’objectif de l’art. 14 prévue par l’arrêt Tran (précité) exige la prise en compte de l’étape de l’enquête durant laquelle des difficultés surviennent sur le plan des communications. À mon avis, à mesure que le péril auquel la personne fait face augmente, l’obligation des policiers de s’assurer que les communications sont comprises augmente également, s’il est prévu que des éléments de preuve qu’on a obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même seront présentés au procès.

[…]

[81] En l’espèce, en plus de l’iniquité qui découle du fait que l’accusé n’a pas obtenu la possibilité de donner une explication complète en bénéficiant de l’assistance d’un interprète, il y a aussi le fait qu’à bien des égards, les conversations enregistrées sont pratiquement inintelligibles en raison des difficultés linguistiques éprouvées par M. Ansary.

[82] Ainsi, c’est l’interprétation par les agents de police de ce qu’ils croyaient que M. Ansary leur avait dit lorsqu’ils ont reformulé ses réponses qui devient la déclaration la plus intelligible. Toutefois, la question à trancher demeure celle de savoir si les agents ont pleinement compris M. Ansary et s’ils ont reformulé adéquatement ses propos. Si les enregistrements étaient admis en preuve, le jury, au lieu de participer à une recherche de la vérité, serait inévitablement amené à déterminer si M. Ansary a vraiment compris la question, si les policiers ont vraiment compris ses réponses et si M. Ansary avait réellement « besoin » d’un interprète.

[83] Il s’agit précisément du type d’enquête qu’un juge ne devrait pas entreprendre au moment de déterminer si un accusé a « besoin » d’un interprète à son procès, au titre de l’art. 14 de la Charte : voir Tran (précité) et Johal (précité). Il serait anormal qu’en tant que juge des faits, en l’espèce, le jury soit invité à participer à cette enquête, dans une situation où j’ai déterminé que l’accusé a besoin de l’assistance d’un interprète à son procès et y a droit. Au mieux, le jury serait détourné de sa tâche, et, au pire, l’accusé subirait un préjudice grave causé par ses difficultés linguistiques.

[84] Je suis également convaincu que l’aveu concernant tout geste posé par M. Ansary devant le juge de paix constituerait une atteinte non seulement à ses droits prévus à l’art. 7 de la Charte, mais aussi à son droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre de procédures judiciaires prévu à l’art. 14. Dans l’arrêt R. c. Huy Duc Tran, [1999] B.C.J. no 2208, 1999 BCCA 535 (CanLII), le juge Finch (alors juge d’appel) a déterminé qu’une procédure devant un juge de paix est une procédure judiciaire. Ainsi, l’art. 14 de la Charte est directement applicable, et les policiers ou le juge de paix auraient dû donner suite aux demandes faites par M. Ansary afin d’obtenir l’assistance d’un interprète. Les éléments de preuve ne peuvent pas être sauvegardés par le par. 24(2), puisque leur admission aurait une incidence néfaste sur l’équité du procès et déprécierait l’administration de la justice.

Wyllie c. Wyllie, 1987 CanLII 2877 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] Les décisions rendues avant l’entrée en vigueur de la Charte donnent à penser que, dans le cadre de procédures civiles, il ne convient pas qu’une telle ordonnance soit rendue : voir Hartley et autres c. Fuld et autres, [1965] 1 W.L.R. 1336; Brochu c. Tanguay (1982), 1982 CanLII 2344 (SK QB), 20 Sask. R. 119, 29 R.F.L. (2e) 462. L’article 14 s’applique à une partie à toute procédure. Il n’est pas possible d’interpréter ce libellé de manière à limiter l’application de l’article aux procédures criminelles; en effet, les termes « partie » et « procédure » indiquent l’intention qu’il soit appliqué aux procédures civiles. Toutefois, aucune affaire n’a été citée dans laquelle il a été ainsi appliqué.

[4] L’article 14 n’est pas une déclaration claire et sans ambiguïté selon laquelle, dans les circonstances appropriées, un plaideur dans une affaire civile a droit à une ordonnance contraignant la Cour à payer les honoraires de l’interprète. Une interprétation possible serait qu’il codifie simplement le droit d’une personne sourde à l’assistance d’un interprète au procès, droit qu’il semble inconcevable qu’un tribunal ait pu un jour refuser. Voir Re Roy et autres et Hackett et autres (1985), 31 A.C.W.S. (2e) 279, affaire dans laquelle cette approche a été adoptée.

[…]

[8] La question qui se pose ensuite est : la promulgation de la Charte, et plus particulièrement de l’art. 14, a-t-elle créé le droit pour un plaideur dans une instance civile de faire payer les honoraires de son interprète par la Couronne?

[9] Je suis d’avis qu’au titre de l’art. 14 de la Charte, un plaideur dans une instance civile a « droit à l’assistance d’un interprète ». Je suis également d’avis que le plaideur ayant besoin des services d’un interprète a pour responsabilité initiale de payer les honoraires de cet interprète; par conséquent, je refuse l’ordonnance demandée par le plaignant.

[10] La question qui demeure sans réponse consiste à déterminer si, dans une instance civile, le tribunal ou la Couronne a l’obligation de payer les honoraires d’un interprète, une fois que le tribunal est convaincu que le plaideur ayant besoin d’un interprète est incapable de payer les honoraires nécessaires. Le libellé de l’art. 14 est clair et sans équivoque, et il se pourrait bien qu’un tribunal rende une telle ordonnance fondée sur l’indigence.

Labrie c. Machineries Kraft du Québec inc., [1983] J.Q. no 464, [1984] C.S. 263 (CS QC) [hyperlien non disponible]

[112] Comme cet article [l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés] s'applique dans toutes les procédures, y compris les procédures civiles, le Tribunal a acquiescé à la demande de la partie.

[113] Qui cependant doit supporter les frais de l'interprète, la partie perdante ou la partie qui a requis les services de l'interprète, en l'occurrence, le demandeur?

[114] L'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés ne dispose pas des coûts.

[…]

[130] Dans la présente affaire, le défendeur avait le droit de s'exprimer en anglais, selon l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le demandeur avait le droit de comprendre son témoignage, selon l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le procureur du demandeur se devait donc de poser la question en français pour que le demandeur comprenne. Le rôle de l'interprète devenait essentiel pour traduire la question en anglais au témoin, qui avait droit de comprendre cette question avant d'y répondre. La traduction de sa réponse, donnée en anglais, devait ensuite être traduite pour tenir compte du droit du demandeur. Le rôle de l'interprète fut donc essentiel à chaque étape.

[131] L'article 305 C.P. [Code de procédure civile du Québec] ne distingue pas en ce qui a trait à la langue dans laquelle sont requis les frais de l'interprète. Il n'y a donc pas de raison de le réserver aux cas où la langue n'est pas une des langues officielles du Tribunal.

[132] Mais il y a plus. Deux droit constitutionnels de caractère égal sont en présence, celui de la partie demanderesse et celui du témoin de la défenderesse. Il n'y a pas d'autre choix : les frais de l'interprète suivent le sort de la cause.

[133] Il appartient au juge dans chaque cas de décider de la nécessité de l’interprète, comme l’a établi la Cour d’Appel dans l’affaire Ferncraft citée plus haut.  Que ces frais suivent le sort de la cause devrait prévenir les abus possibles, puisque chaque partie a intérêt à minimiser les frais d’une cause, n’étant jamais certaine de l’issue du débat.

[134] Ce jugement ne doit s'interpréter comme étant particulier au Québec à cause de l'article 305 C.P. En l'absence d'une législation spécifique ou d'une directive gouvernementale déclarant que les frais sont absorbés par le pouvoir public la présence de deux droits linguistiques constitutionnels et égaux ne peut amener d'autre conséquence que celle suivant laquelle les frais de l'interprète suivent le sort de la cause.

R. c. Ashini, 2015 CanLII 3045 (NL PC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[182] Elle [l’avocate de l’accusé] a également mentionné le fait, et il s’agit d’un fait, que le tribunal est souvent incapable de fournir un interprète autochtone aux fins des procédures judiciaires visant des délinquants sous garde. Cela entraîne des retards dans la tenue de telles procédures en établissement. Je souligne que cette situation est particulièrement vraie en ce qui concerne les interprètes maîtrisant l’innu aimun. Le tribunal ne peut souvent pas du tout fournir d’interprète maîtrisant cette langue et, très souvent, est incapable de fournir un interprète qui connaît moindrement le dialecte des Innus de Mushuau de Natuashish, quand l’accusé vient de cette collectivité. Bien entendu, la présence d’un interprète ne garantit pas nécessairement sa compétence. Le tribunal a pris très peu de mesures pour assurer la formation, la supervision et l’évaluation des interprètes, sans compter l’interaction appropriée entre les interprètes, les avocats, les greffiers et les juges. Il s’agit d’atteintes claires au droit d’un citoyen à l’assistance d’un interprète (l’art. 14 de la Charte) établi dans l’arrêt R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, dans la décision R. c. Sidhu, [2005] CanLII 42491 (ONSC) et dans d’autres affaires.

Voir également :

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rottiers, 1995 CanLII 4003 (SK CA)

Hatzidoyannakis c. R., 2005 QCCA 326 (CanLII)

R. c. Tsang, 1985 CanLII 667 (C.A. B.C.) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Petrovic (1984), 1984 CanLII 2003 (ON CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Adeagbo, 2016 CanLII 89402 (NL SCTD) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Dutt, 2011 ONSC 5358 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Yoon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 193 (CanLII)

Sherpa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 267 (CanLII)

Iantbelidze c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2002 CFPI 932 (CanLII)

R. c. Xu, 2000 ABQB 982 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Le, [2000] O.J. No. 246 (C.S.J. Ont.) [hyperlien non disponible]

R. c. Chagnon, [1995] J.Q. no. 2242 (C.S. Qué) [hyperlien non disponible]

R. c. Valencia, 1998 CanLII 14761 (ON SC) [décision disponible en anglais seulement]

Garcia c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1993] A.C.F. no 1451, 70 F.T.R. 211 (CF PI) [hyperlien non disponible]

R. c. R.T., 2016 QCCQ 689 (CanLII)

R. c. Hunlin, [1994] B.C.J. No. 1733 (CP CB) [hyperlien non disponible]

Ictensev c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1988] O.J. No. 1842, 43 C.R.R. 147 (CS ON) [hyperlien non disponible]

R. c. K.M., 2016 ONSC 5638 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Douglas and Bryan, 2014 ONSC 2573 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Canada (Attorney General) on behalf of the United States of America c. Muhammad‘Isa, 2012 ABQB 641 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Dunsford, 2010 SKQB 164 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 861 (CanLII)

Caron c. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), 2007 ABQB 525 (CanLII)

Caron c. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), 2007 ABQB 200 (CanLII)

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’art. 14 de la Charte canadienne et des enjeux de compréhension linguistique.

 

Droits à l’égalité (article 15)

15. (1) Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (2) Programmes de promotion sociale

15. (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : MAI 2017]

Annotations

Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238, 2005 CSC 15 (CanLII)

[1] Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à apprécier le droit constitutionnel à l’enseignement dans la langue de la minorité en fonction du droit à l’égalité. Les appelants prétendent que la Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C-11, qui n’offre l’accès à l’école anglaise au Québec qu’aux enfants ayant reçu ou recevant un enseignement en anglais au Canada ou à ceux dont les parents ont fait leurs études primaires en anglais au Canada, établit une distinction entre les enfants qui satisfont à ces conditions et la majorité des enfants francophones du Québec, qui n’y satisfont pas. Les appelants font valoir qu’il résulte de cette distinction une atteinte au droit à l’égalité garanti par les art. 10 et 12 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C-12.  De soutenir les appelants, l’égalité exige que tous les enfants du Québec aient accès à l’école publique anglaise.

[2] S’il était retenu, cet argument des appelants aurait pour effet pratique de retrancher de la Constitution le compromis soigneusement formulé à l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui est inacceptable.  Comme notre Cour l’a affirmé à de nombreuses occasions, il n’existe aucune hiérarchie des dispositions constitutionnelles, et les garanties d’égalité ne peuvent donc pas servir à invalider d’autres droits conférés expressément par la Constitution.  Toutes les parties de la Constitution doivent être interprétées globalement.  On ne saurait donc affirmer que, par la mise en œuvre de l’art. 23, le législateur québécois a violé le par. 15(1) de la Charte canadienne ou les art. 10 et 12 de la Charte québécoise.  Le pourvoi doit donc être rejeté.

[…]

[10] La situation des appelants n’est pas différente de celle de la majorité des résidents du Québec qui reçoivent ou ont reçu leur enseignement en français aux niveaux primaire et secondaire.  Ils prétendent néanmoins que les catégories de titulaires de droits établies par la Charte de la langue française sont discriminatoires et devraient être modifiées pour leur permettre de faire instruire leurs enfants en anglais au Québec.  En tant que membres de la majorité francophone au Québec, ils tentent de se prévaloir du droit à l’égalité pour bénéficier d’un droit qui n’est garanti au Québec qu’à la minorité anglophone.

[…]

[12] Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne n’énonce pas expressément la langue comme motif de distinction illicite.  Cependant, nous souscrivons aux observations suivantes de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Reference re Use of French in Criminal Proceedings in Saskatchewan (1987), 1987 CanLII 204 (SK CA), 36 C.C.C. (3d) 353, p. 373 :

[traduction] À notre avis, la présence dans la Charte des dispositions relatives à la langue des art. 16 à 20, ou la suppression du mot ‘langue’ dans une version antérieure du par. 15(1), n’ont pas non plus nécessairement pour effet d’exclure de la portée de l’art. 15 la forme de distinction en cause.

Dans Québec (Procureure générale) c. Entreprises W.F.H. Ltée, [2000] R.J.Q. 1222, p. 1250, la Cour supérieure du Québec a conclu que la « langu[e] maternell[e] » était un motif de distinction analogue.  Il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse de ce point en l’espèce, parce que la question principale n’est pas le contenu des droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne.  Toutefois, à supposer que les appelants puissent soutenir que le par. 15(1) de la Charte canadienne s’applique à eux, la question au cœur du présent pourvoi est le rapport entre les droits à l’égalité que garantissent tant la Charte canadienne que la Charte québécoise et les garanties positives concernant la langue qui sont accordées aux minorités par la Constitution du Canada et la Charte de la langue française.

[…]

[16] Les appelants dénaturent l’objet de l’art. 73 de la Charte de la langue française lorsqu’ils font valoir que [traduction] « [l’]objet et l’effet déclarés des dispositions de la CLF consistent en premier lieu à distinguer des catégories entières d’enfants relativement à l’admissibilité à un service public, et ensuite à les exclure » (mémoire des appelants, par. 48 (souligné dans l’original)).  L’article 73 n’a pas pour objet d’« exclure », mais plutôt de mettre en œuvre l’obligation constitutionnelle positive qui incombe à toutes les provinces d’offrir à leur minorité linguistique l’enseignement dans la langue de cette minorité.  C’est sous cet angle qu’il convient d’examiner le présent pourvoi.

[…]

C. Le droit à l’égalité n’est pas opposable à l’art. 23 de la Charte canadienne

[21] […] Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’art. 23 pourrait aussi être considéré non pas comme une « exception » aux garanties d’égalité, mais comme leur concrétisation dans le cas des minorités linguistiques, pour leur offrir un enseignement adapté à leur situation et à leurs besoins particuliers et équivalent à l’enseignement offert à la majorité (Arsenault-Cameron, par. 31).

[22] En l’espèce, les appelants tentent précisément de faire ce que l’arrêt Mahe a déclaré illégal, soit de recourir aux droits à l’égalité pour modifier les catégories de titulaires de droits visés à l’art. 23.  Cette tentative a été rejetée dans l’arrêt Mahe, bien que dans des circonstances différentes, et elle devrait de nouveau être rejetée en l’espèce.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[20] L’article 23 établit un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires anglophones ou francophones.  Dans l’arrêt Mahe, p. 369, la Cour a reconnu que ce statut spécial créerait des inégalités entre groupes linguistiques.  Voir également l’arrêt Adler c. Ontario, 1996 CanLII 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, par. 32.  En particulier, les anglophones du Québec et les francophones des territoires et des autres provinces jouiraient de droits refusés à d’autres groupes linguistiques.  L’article 23 a été qualifié d’exception aux art. 15 et 27 de la Charte canadienne; il est plutôt un exemple des moyens de réaliser l’égalité réelle dans le contexte particulier des communautés linguistiques minoritaires. […]

Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, 1997 CanLII 327 (CSC)

[54] Notre Cour a souligné que le par. 15(1) vise deux objectifs distincts mais connexes.  Premièrement, il exprime un engagement -- profondément enraciné dans notre culture sociale, politique et juridique -- envers l’égalité et la dignité de tous les êtres humains.  Comme le faisait observer le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, à la p. 171, favoriser l’objet du par. 15(1) « emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération ».  Deuxièmement, ce paragraphe concrétise le désir de remédier à la discrimination dont « sont victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans social, politique ou juridique dans notre société » ou de les protéger contre toute forme de discrimination; voir R. c. Turpin, 1989 CanLII 98 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1296, à la p. 1333 (le juge Wilson); voir aussi Beverley McLachlin, « The Evolution of Equality » (1996), 54 Advocate 559, à la p. 564. Quoique notre Cour ait confirmé qu’il n’était pas nécessaire de démontrer l’appartenance à un groupe traditionnellement défavorisé pour établir l’existence d’une atteinte au par. 15(1), le fait qu’un texte de loi établisse une distinction fondée sur ce motif constitue un indice important de discrimination: voir Miron c. Trudel, 1995 CanLII 97 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 418, au par. 15 (le juge Gonthier), et aux par. 148 et 149 (le juge McLachlin), et Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 513, aux par. 59 à 61 (le juge L’HeureuxDubé).

[…]

[57] Les personnes atteintes de surdité n’échappent pas à cette situation difficile générale.  Même si bon nombre d’entre elles rejettent l’idée que la surdité est une déficience et se disent membres d’une communauté distincte, possédant son langage et sa culture propres, cela ne justifie pas leur exclusion forcée des possibilités et services conçus pour les entendants et disponibles à ces derniers.  Pour bien des entendants, la perception dominante qu’ils ont de la surdité est celle du silence.  Cette perception a perpétué l’ignorance des besoins des personnes atteintes de surdité et a résulté en une société qui est en majeure partie organisée comme si tous pouvaient entendre; voir, de façon générale, Oliver Sacks, Des yeux pour entendre: voyage au pays des sourds (1990).  Il n’est donc pas étonnant que le désavantage que subissent les personnes atteintes de surdité découle dans une large mesure d’obstacles à la communication avec les entendants.

[…]

[60] La seule question à trancher en l’espèce est donc de savoir si les appelants ont droit au « même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination » aux termes du par. 15(1) de la Charte.  À première vue, le régime d’assurance‑maladie de la Colombie‑Britannique s’applique d’une manière égale aux entendants et aux personnes atteintes de surdité.  Il ne fait pas de « distinction » explicite fondée sur la déficience en accordant un traitement différent aux personnes atteintes de surdité.  Tant ces dernières que les entendants ont le droit de recevoir certains services médicaux gratuitement.  Les appelants prétendent néanmoins que l’absence de financement pour les services d’interprètes gestuels les empêche de bénéficier du régime établi par la loi dans la même mesure que les entendants.  Autrement dit, ils invoquent la discrimination découlant d’« effets préjudiciables ».

[61] Notre Cour a statué de façon constante que le par. 15(1) de la Charte protège contre ce type de discrimination.  Dans Andrews, précité, le juge McIntyre a conclu que des lois apparemment neutres pouvaient être discriminatoires.  « Il faut cependant reconnaître dès le départ », a‑t‑il fait remarquer, à la p. 164, « . . . que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités »; voir aussi Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 347.  Le paragraphe 15(1), a statué la Cour, vise à assurer une certaine égalité matérielle et non simplement formelle.

[62] Comme corollaire de ce principe, notre Cour a aussi conclu que l’existence d’un but ou d’une intention discriminatoire n’était pas une condition nécessaire à l’existence d’une atteinte au par. 15(1); voir Andrews, aux pp. 173 et 174, et Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1993 CanLII 75 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 519, aux pp. 544 à 549 (le juge en chef Lamer); voir aussi Commission ontarienne des droits de la personne c. SimpsonsSears Ltd., 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 547.  Il n’est pas nécessaire qu’une distinction établie par la loi soit motivée par le désir de défavoriser un individu ou un groupe pour constituer une atteinte au par. 15(1).  Il suffit que l’effet de la loi prive une personne de l’égalité de protection ou de bénéfice de la loi.  Comme l’a dit le juge McIntyre dans Andrews, à la p. 165, « [p]our s’approcher de l’idéal d’une égalité complète et entière devant la loi et dans la loi [. . .], la principale considération doit être l’effet de la loi sur l’individu ou le groupe concerné ».  En cela, notre Cour a emprunté une voie différente de celle de la Cour suprême des États-Unis, qui exige la preuve d’une intention discriminatoire pour fonder une violation de l’égalité de protection garantie par le Quatorzième amendement à la Constitution; voir Washington, Mayor of Washington, D.C. c. Davis, 426 U.S. 229 (1976), Village of Arlington Heights c. Metropolitan Housing Development Corp., 429 U.S. 252 (1977), et Personnel Administrator of Massachusetts c. Feeney, 442 U.S. 256 (1979).

[…]

[71] S’il y a des situations où les personnes atteintes de surdité ne peuvent pas communiquer efficacement avec leur médecin sans interprète, comment peut-on affirmer qu’ils reçoivent des soins médicaux de même qualité que les entendants?  Pour les entendants, les communications ne constituent pas un service distinct.  Ces derniers disposent en tout temps d’un moyen de communication efficace et gratuit, qui fait partie de tous les services de santé qu’ils reçoivent.  Pour recevoir des soins de même qualité, les personnes atteintes de surdité doivent supporter le fardeau du coût du moyen de communication avec les professionnels de la santé, malgré le fait que le système soit censé enlever toute importance à la capacité de payer.  Lorsqu’elle est nécessaire à l’efficacité des communications, l’interprétation gestuelle ne devrait donc pas être considérée comme un service « connexe ».  Au contraire, elle est le moyen qui permet aux personnes atteintes de surdité de recevoir la même qualité de soins médicaux que les entendants.

[…]

[80] Je suis donc d’avis que le fait pour la commission des services médicaux et les hôpitaux de ne pas fournir de services d’interprétation gestuelle lorsque ces services sont nécessaires pour permettre des communications efficaces constitue une violation à première vue des droits garantis aux personnes atteintes de surdité par le par. 15(1).  Cette omission prive ces personnes de l’égalité de bénéfice de la loi et crée de la discrimination à leur endroit par comparaison avec les entendants.

[…]

[88] Toutefois, les intimés soutiennent qu’il n’est pas possible de faire de distinction utile entre la situation des personnes atteintes de surdité et celle des autres personnes qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles.  Si on les oblige à fournir des interprètes aux premières, d’affirmer les intimés, ils devront aussi en fournir aux secondes, ce qui augmentera de façon marquée le coût du programme et nuira sérieusement à la viabilité financière du régime de soins de santé.  Dans ce contexte, disentils, le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure qu’ils portaient le moins possible atteinte aux droits des personnes atteintes de surdité.

[89] À mon sens, cet argument relève entièrement de la spéculation.  Il n’est aucunement évident que les personnes atteintes de surdité et celles qui ne parlent pas l’une ou l’autre des langues officielles sont dans une situation analogue, que ce soit sur le plan du statut constitutionnel ou de l’accès pratique à des soins de santé adéquats.  Du point de vue du patient, il n’y a pas vraiment de différence entre le langage gestuel et le langage parlé s’il lui est impossible de communiquer avec le médecin.  Toutefois, du point de vue des obligations de l’État, il peut très bien exister une différence.  En l’espèce, les seules dispositions constitutionnelles pertinentes sont le par. 15(1) et l’article premier de la Charte.  Par contraste, dans une affaire concernant la prestation de services d’interprètes médicaux pour des entendants, l’analyse serait plus compliquée.  En pareil cas, il serait nécessaire d’étudier l’interaction entre le par. 15(1) et les autres dispositions de la Constitution, en particulier celles touchant les obligations des gouvernements en matière linguistique.  De plus, les intimés n’ont produit aucun élément de preuve sur le champ d’application éventuel ou le coût d’un programme d’interprétation médicale pour les entendants.  Il est possible que la nature et l’étendue des mesures d’accommodement raisonnables requises pour les entendants en vertu de l’article premier diffèrent de celles requises dans le cas des personnes atteintes de surdité.  Par conséquent, toute action relative à la prestation d’un tel programme, qu’elle soit fondée sur l’origine nationale ou la langue en tant que motif analogue, serait examinée selon des paramètres constitutionnels nettement différents de ceux applicables à une action fondée sur la déficience.

Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, 1993 CanLII 119 (CSC)

Question (c)(i) : Les articles 23 et 15 de la Charte accordent-ils un droit de gestion ou de contrôle se rattachant aux droits prévus à l'article 23 concernant l'instruction en langue française et les établissements d'enseignement de la minorité linguistique?

[30] Cette question a été tranchée en grande partie dans l'arrêt Mahe. L'intimé admet que la décision rendue par la Cour d'appel à la majorité est maintenant inapplicable et il demande une ordonnance accueillant le pourvoi sans dépens. Le principal point demeurant en litige est de savoir avec quelle précision notre Cour devrait fixer les paramètres de la gestion et du contrôle de l'instruction et des établissements requis en vertu de l'art. 23 de la Charte.

[31] En ce qui concerne les autres droits garantis par la Charte, notre Cour, dans l'arrêt Mahe, a examiné l'argument selon lequel l'art. 23 devrait s'interpréter en fonction des art. 15 et 27 et a conclu (à la p. 369) :

En effet, l'art. 23 établit un code complet régissant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et d'une méthode d'évaluation qui lui sont propres. De toute évidence, l'art. 23 renferme une notion d'égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada. À part cela, toutefois, cet article constitue d'abord et avant tout une exception aux dispositions des art. 15 et 27 en ce qu'il accorde à ces groupes, anglophone et francophone, un statut spécial par rapport à tous les autres groupes linguistiques au Canada.

Je ne vois aucun motif de nous écarter de cette position. Il s'ensuit donc que la conclusion du juge en chef Monnin relativement à l'application des art. 15 et 23 est, avec égards, incorrecte.

Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, 1990 CanLII 133 (CSC)

[45] […] Bien qu'il soit souvent utile de tenir compte de l'interrelation de divers articles de la Charte, je ne crois pas, aux fins de l'interprétation de l'art. 23, qu'on ait avantage à se référer à l'art. 15 ou à l'art. 27 dans le présent contexte. En effet, l'art. 23 établit un code complet régissant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et d'une méthode d'évaluation qui lui sont propres. De toute évidence, l'art. 23 renferme une notion d'égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada. À part cela, toutefois, cet article constitue d'abord et avant tout une exception aux dispositions des art. 15 et 27 en ce qu'il accorde à ces groupes, anglophone et francophone, un statut spécial par rapport à tous les autres groupes linguistiques au Canada. Comme le fait observer le procureur général de l'Ontario, il serait déplacé d'invoquer un principe d'égalité destiné à s'appliquer universellement à « tous » pour interpréter une disposition qui accorde des droits particuliers à un groupe déterminé.

Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

[36] Il nous reste à déterminer si l'art. 57 est contraire à l'art. 15 et à l'article premier de la Charte canadienne. L'article 15 de la Charte canadienne a été invoqué par l'appelante seulement devant cette Cour, bien que le procureur général du Québec ait accepté que des questions constitutionnelles soient énoncées et que l'art. 15 soit en cause. Néanmoins, nous ne bénéficions pas de motifs de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure qui interprètent l'application de l'art. 15 à l'art. 57. Cette Cour n'a pas encore rendu de jugement interprétant le sens de l'art. 15. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner la question de savoir si l'art. 57 porte atteinte, à première vue, à l'art. 15. Nous avons déjà conclu qu'il portait atteinte à première vue à l'al. 2b). La seule question restant à trancher est de savoir si l'application de l'article premier serait différente s'il y avait une violation prima facie de l'art. 15 en l'espèce. Plus précisément, la question devient celle de savoir si le critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, et énoncé de nouveau par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713, entraînerait un résultat différent en l'espèce si la violation prima facie dont il est question constituait une atteinte aux droits que garantit l'art. 15. Nous avons déjà décidé que l'exigence de l'usage concurrent du français a un lien rationnel avec la préoccupation urgente et réelle de l'Assemblée nationale d'assurer que le visage linguistique du Québec reflète la prédominance du français. Cette exigence porte-t-elle atteinte le moins possible au droit à l'égalité devant la loi et au droit à l'égalité de bénéfice et de protection égale de la loi, indépendamment de toute discrimination? Est-elle conçue de manière à ne pas empiéter sur ce droit au point que la réduction des droits l'emporte sur l'objectif législatif? En veillant à ce que les non-francophones puissent rédiger des formulaires de demandes d'emploi, des bons de commandes, des factures, des reçus et des quittances dans la langue de leur choix, de pair avec le français, l'art. 57 interprété conjointement avec l'art. 89, crée, tout au plus, une atteinte minimale aux droits à l'égalité. Bien que, comme l'appelante l'a soutenu, l'exigence de l'usage concurrent du français puisse créer un fardeau additionnel pour les marchands et les commerçants non francophones, il n'y a rien qui porte atteinte à leur capacité d'utiliser également une autre langue. Par conséquent, notre conclusion concernant l'application de l'article premier demeure même si, à première vue, la violation en cause de la Charte canadienne est une violation de l'art. 15.

[37] Puisque, à notre avis, il n'a pas été porté atteinte aux garanties d'égalité énoncées à l'art. 15 de la Charte canadienne et à l'art. 10 de la Charte québécoise, il n'est pas nécessaire de déterminer en l'espèce si les personnes morales bénéficient directement de leur protection. Il n'est pas nécessaire non plus de décider si la compagnie appelante était autorisée à contester l'art. 57 au motif qu'il était incompatible avec l'art. 15 de la Charte canadienne.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[31] La « langue » n’est pas un motif de discrimination en vertu du paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(1) pourrait seulement s’appliquer si la « langue » était un motif de discrimination analogue. La Cour suprême a décrit l’approche permettant de déterminer si un prétendu motif de discrimination est « analogue », notamment dans Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 RCS 513; Law, précité; et M. c. H., précité, au paragraphe 63.

[32] Ni dans la décision en appel, ni dans Deveau, la cour d’appel en matière de poursuites sommaires n’a déterminé si la « langue » est un motif analogue au sens du paragraphe 15(1).

[33] Les tribunaux d’appel ont mainte fois affirmé que la « langue » n’est pas un motif analogue au sens du paragraphe 15(1). La raison en est que les articles 16 à 23 de la Charte traitent précisément des droits linguistiques. Si la « langue » était aussi visée de manière générale par le paragraphe 15(1), alors la portée des dispositions protectrices prévue aux articles 16 à 23 aurait peu de sens. Voir : Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 208 D.L.R. (4th) 577 (OCA) aux paragraphes 621-622; MacDonnell c. Fédération de Franco-Colombiens (1986), 1986 CanLII 927 (BC CA), 31 D.L.R. (4th) 296 (BCCA); R. c. Paquette (1987), 1987 ABCA 228 (CanLII), 46 D.L.R. (4th) 81 (ACA); Ringuette c. Canada (Procureur général) (1987), 53 Nfld. & P.E.I.R. 126 (LSS); R. c. Simard, (1995) 27 O.R. (3rd) 116 (CAO) aux paragraphes 126 et 131; R. c. Crête, (1994) 64 O.A.C. 399 (OCS); Seaway Trust c. Kilderkin Investments Limited (1986), 1986 CanLII 2580 (ON SC), 29 D.L.R. (4th) 456 (OHCJ); R. c. Rodrigue (1994), 1994 CanLII 5249 (YK SC), 91 C.C.C. (3rd) 455 (YSC) aux pages 472 à 474, appel rejeté pour des motifs de compétence, (1995), 95 C.C.C. (3rd) 129 (YTCA), demande de pourvoi refusée par la Cour suprême du Canada, [1995] 3 S.C.R. vii.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[4] L'appelante a été déclarée coupable d'avoir enfreint l'art. 58 de la Charte de la langue française du Québec, L.R.Q., chap. C-11, qui exige la nette prédominance du français dans l'affichage commercial bilingue, et condamnée à payer l'amende minimale prévue par l'art. 205 de la même loi.  Elle demande à la Cour de déclarer ces articles invalides et inopérants, au motif que l'art. 58 enfreint son droit à la liberté d'expression garanti par les art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés  et par l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., chap. C-12, ainsi que son droit à l'égalité garanti par l'art. 15 de la Charte canadienne et par l'art. 10 de la Charte québécoise.

[…]

[91] Ses réponses me paraissent exactes. Il est clair que l'art. 58 [de la Charte de la langue française]  impose une différence de traitement entre un francophone et une personne de langue maternelle différente.  En effet, un francophone peut se contenter de faire sa publicité exclusivement dans sa langue maternelle, alors qu'une personne d'une autre langue doit ajouter au texte dans sa langue une version française nettement prédominante.  Cependant, l'arrêt Law établit clairement qu'une différence de traitement n'est pas nécessairement synonyme de discrimination prohibée.  Tel qu'établi par le par. 83 de l'arrêt Law, la première question que se posera le tribunal dans chaque affaire sera de savoir si une atteinte à la dignité humaine a été démontrée, compte tenu des contextes historique, social, politique et juridique dans lesquels l'allégation est formulée.

[92] Il est reconnu dans Ford, à la p. 778, que la politique linguistique sous-tendant la Charte de la langue française poursuit un objectif important et légitime.  Cet objectif est décrit au préambule : assurer la qualité et le rayonnement de la langue française.  À la p. 777 de Ford, la Cour suprême affirme que les documents mis en preuve établissent amplement l'importance de l'objectif législatif de la Charte de la langue française et le fait qu'elle est destinée à répondre à un besoin urgent et réel.

[93] Le commerçant non francophone est libre de donner la forme et le contenu qu'il veut à sa publicité.  Il lui est seulement enjoint d'y ajouter une version française nettement prédominante.  Comme le juge de la Cour supérieure, je ne vois aucune atteinte à sa dignité et aucune discrimination.

Westmount (ville de) c. Québec (Procureur général), 2001 CanLII 13655 (CA QC)

[149] Il est loin d'être certain que l'on puisse recourir à l'article 15 de la Charte canadienne pour soutenir la protection des droits linguistiques prévus par la Constitution.  Comme nous l'avons déjà signalé, les droits linguistiques ne sauraient être confondus avec les garanties fondamentales de la Charte.  La Cour suprême a d'ailleurs clairement indiqué qu'il n'était pas approprié de recourir aux articles 15 et 27 pour déterminer l'étendue des droits linguistiques.

[150] Par le biais de l'article 15, une partie de la minorité anglophone de Montréal revendique le droit de contrôler un gouvernement local, doté d'un ensemble de pouvoirs et de compétences que le législateur ne pourrait modifier sans son consentement.  Ces droits seraient conférés aux communautés locales qui se distinguent par leur langue, leur culture et leur religion.  Ce faisant, comme le souligne l'intimé dans sa plaidoirie, les appelants réclament un droit collectif qui imposerait une obligation positive à l'État alors que la protection accordée par l'article 15 est essentiellement de nature individuelle.

[151] Néanmoins, même en acceptant d'examiner la question sous l'angle proposé par les appelants, leurs prétentions doivent, là encore, être rejetées.

[…]

[161] De toute façon, il n'est même pas nécessaire de disposer de cette question puisque, même si les appelants pouvaient satisfaire au premier critère élaboré dans l'arrêt Law, ils ne peuvent manifestement pas le faire quant au deuxième (soit la distinction fondée sur un motif analogue).  Or, si les trois critères de cet arrêt sont distincts, ils restent néanmoins cumulatifs.

[162] Les appelants ont tort de prétendre que la différence de traitement alléguée découle de la langue, alors qu'en réalité, elle découle tout simplement de leur lieu de résidence, motif qui n'est pas analogue au sens de l'article 15.

[…]

[169] Force est donc de conclure que la différence de traitement plaidée par les appelants n'est pas fondée sur un motif énuméré ou analogue de l'article 15 de la Charte canadienne et donc qu'il n'y a aucune atteinte au droit à l'égalité prévu par cet article.

Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 2001 CanLII 21164 (ON CA)

[96] Montfort a porté en appel incident le rejet, par la Cour divisionnaire, de son argument selon lequel les directives de la Commission violent son droit à l’égalité protégé par l’art. 15 de la Charte.  Cet argument n’a pas été présenté oralement à l’audition, mais il fait l’objet d’un développement complet dans le mémoire de Montfort.  À notre avis, la Cour divisionnaire a correctement statué en rejetant cet argument au motif, énoncé à la p. 79, que « l’article 15 de la Charte ne peut être utilisé comme porte de sortie pour améliorer les droits linguistiques au-delà de ce qui est prévu dans d’autres dispositions de la Charte ».  Même en admettant, sans en décider, que les intimés satisfont par ailleurs au critère relatif à une violation de l’art. 15, nous convenons avec la Cour divisionnaire que, à la lumière des dispositions très précises et détaillées des art. 16 à 23 de la Charte concernant le statut spécial du français et de l’anglais, toute différence de traitement envers les francophones qui résulterait des directives de la Commission ne serait pas fondée sur un motif énuméré ou analogue.  Comme le déclare la Cour divisionnaire à la p. 80 : « L’article 15 en soi ne peut donc pas être invoqué pour ajouter des droits linguistiques que la Charte n’a pas déjà accordé expressément ». 

[…]

[101] Il a été statué dans d’autres contextes que lorsque la Constitution accorde des droits spéciaux à des groupes spéciaux, ces garanties spécifiques doivent être respectées, et d’autres droits prévus par la Charte ne peuvent servir à étendre ou à restreindre les droits ainsi accordés.  Dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, précité, le juge Wilson écrit aux pp. 1196 et 1197 que même si le traitement spécial accordé à la minorité religieuse par l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867  « s’accorde mal avec le concept de l’égalité enchâssé dans la Charte », l’art. 15 ne peut servir ni à rendre inopérants les droits spécifiques du groupe protégé, ni à étendre ces droits à d’autres groupes religieux.  Cette position a été confirmée dans Adler c. Ontario, 1996 CanLII 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, où la Cour suprême rejette la réclamation d’un financement pour les services de santé d’écoles confessionnelles non visées par l’art. 93, fondé sur le droit à la liberté de religion prévu à l’al. 2a) et le droit à l’égalité prévu à l’art. 15.

[102] Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter l’appel incident de Montfort quant à la conclusion du jugement de première instance concernant l’art. 15.

Gingras c. Canada, [1994] 2 R.C.F. 734, 1994 CanLII 3475 (CAF)

[60] En ce qui a trait à l’allégation de discrimination, elle est si ténue qu’elle ne mérite pas qu’on s’y arrête.  L’intimé n’a pas dit de quelle sorte de discrimination il s’agissait et il n’a présenté aucune preuve autre que des statistiques superficielles et non étayées.  S’agirait-il de discrimination fondée sur la langue, que la demande devrait vraisemblablement être rejetée, la langue n’étant pas l’un des motifs décrits à l’article 15; il m’apparaît en effet peu probable qu’une personne puisse, par le biais d’une soi-disant discrimination fondée sur l’usage de l’une des deux langues officielles, obtenir davantage en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte que ce à quoi elle a droit en vertu des garanties linguistiques définies aux articles 16 à 22.  Et si discrimination il y avait, ce ne serait pas une discrimination fondée sur la langue, ni même à la rigueur sur l’origine nationale ou ethnique, mais une discrimination fondée sur le fait que des employés bilingues exercent des fonctions administratives, et d’autres, des fonctions de nature policière.  Il n’y a pas là, à prime abord, matière à intervention en vertu de la Charte.  Quoi qu’il en soit, l’absence de preuves sérieuses de discrimination est telle que le recours fondé sur la Charte est en l’espèce manifestement frivole. 

[61] L'intimé, en sa qualité d'ancien membre de la GRC, avait droit à ce que la prime [au bilinguisme] lui fût versée par le SCRS du 16 juillet 1984 au 5 mars 1985, mais pas au-delà.

R. c. Crete (1994), 64 O.A.C. 399, [1993] O.J. No. 1525 (CA ON) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] L’appelant s’est limité à présenter des arguments portant sur le paragraphe 15(1) de la Charte et affirme qu’il a été l’objet de discrimination en recevant un avis rédigé en anglais qu’il n’était pas en mesure de lire car il est francophone. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une question de langue; l’argument repose sur le fait que les avis de cette nature doivent pouvoir être lus et compris par tous les destinataires. Les personnes analphabètes, ou unilingues peu importe la multitude de langues en usage ici, outre l’anglais, doivent faire davantage de démarches que les anglophones lorsqu’ils reçoivent un document de cette nature. Toutefois, cette différence est loin de la discrimination envisagée à l’article 15 : Andrews c. Law Society of B.C. (1989), 56 D.L.R. (4) 1. Tous les documents du gouvernement seront inévitablement illisibles par certains groupes de personnes. Ce serait banaliser l’article 15 que de déclarer que tous ces documents sont discriminatoires et de forcer l’appelant à avoir recours à l’article premier en vue de tout justifier sauf ceux qui ont un effet à l’égard des unilingues francophones.

Headley c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1987] 2 C.F. 235 (C.A.) [hyperlien non disponible]

[14] Les faits sont simples. L'employeur a annoncé un concours interne pour le poste de "commis à la réception et aux entrevues, niveau CR-4" au Centre d'immigration du Canada de Toronto Ouest. La requérante a été éliminée à la présélection pour son manque de connaissance suffisante d'au moins l'une des six langues (le vietnamien, le chinois, le polonais, le portugais, l'italien ou l'espagnol) dont l'employeur avait exigé la pratique dans l'énoncé des qualités requises pour ce poste.

[15] On ne conteste pas que, dans son évaluation même des candidats, le comité de sélection a pleinement respecté le principe du mérite prévu à l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32] ("la Loi") et que la requérante ne se plaint pas du traitement accordé aux autres candidats. L'allégation selon laquelle elle n'a pas été traitée avec égalité se rapporte essentiellement aux deux autres titulaires qui occupent un poste de commis à la réception et aux entrevues, de niveau CR-4, au Centre d'immigration du Canada de Toronto Ouest et dont aucun n'est tenu de posséder une bonne connaissance de l'une quelconque des six langues susmentionnées. De fait, l'un parle allemand en plus de l'anglais; l'autre, qui occupe un poste désigné bilingue impératif, parle vietnamien et chinois en plus de l'anglais et du français. Cependant, le Comité a établi que l'on n'avait exigé de ces deux titulaires que la pratique de l'anglais dans le premier cas, et celle des deux langues officielles dans le second.

[…]

[17] La requérante soutient qu'elle a été privée du droit à l'égalité et du droit à la même protection et au même bénéfice de la loi que lui garantit l'article 15 puisque, dans sa demande d'emploi pour le poste de niveau CR-4, on lui a imposé une exigence linguistique à laquelle n'ont pas été assujettis et ne le sont toujours pas les deux titulaires actuels du poste en cause.

[…]

[24] Plus précisément, je conclus que la limite interne que représente la "discrimination" doit exister dans tous les cas, mais le législateur a déjà établi que les distinctions défavorables fondées sur les motifs énumérés constituent de la discrimination, alors que le plaignant doit prouver qu'elle existe dans les autres cas. Dans tous les cas, cependant, la discrimination ne doit pas être négligeable. Ainsi donc, bien que ce ne soit pas le cas au niveau conceptuel, cette analyse ressemble à la distinction établie par les tribunaux américains entre le contrôle strict et le contrôle minimal. Je crois que, au Canada, la distinction ne vient pas des tribunaux mais de la Constitution elle-même.

[25] La Constitution elle-même, je crois, impose cette distinction entre les motifs qui sont énumérés et ceux qui ne le sont pas. Le fait notamment que le législateur ait énoncé comme motifs de discrimination les principales réalités naturelles et immuables propres aux êtres humains--la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion (qui n'est pas tout à fait, il est vrai, une réalité naturelle et immuable), et le sexe--peut seulement signifier, à mon sens, qu'il appartient aux gouvernements de justifier les distinctions défavorables importantes fondées sur ces catégories en invoquant l'article 1, plutôt qu'aux plaignants de prouver qu'il y a contravention de l'article 15. En somme, certains motifs de distinction sont, par présomption, si défavorables qu'ils sont considérés comme discriminatoires en soi.

[26] Dans la présente affaire, la requérante a présenté au début une théorie de la langue et de l'ethnie qui était fondée sur le sang et aurait assimilé l'exigence linguistique préférentielle en question à un traitement préférentiel accordé aux groupes nationaux ou ethniques qui parlent habituellement les six langues concernées. Il n'a pas été fait état de ce moyen mal inspiré pendant la plaidoirie.

[27] La requérante a donc dû prouver qu'il y avait eu discrimination fondée sur la langue, sans pouvoir recourir à un motif de discrimination énuméré. Elle n'a pas réussi à apporter la preuve qui lui incombait. Le droit de la direction d'établir les qualités requises pour les postes de la Fonction publique est considéré comme "inhérent", du moins depuis la décision rendue par le juge en chef Jackett de cette Cour dans l'affaire Bauer c. Le comité d'appel de la Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.), à la page 630. […]

[…]

[30] Si le critère de la discrimination repose en l'espèce sur le fondement rationnel de l'exigence linguistique imposée par la direction, ainsi que le soutient la requérante elle-même, qui invoque aussi la jurisprudence américaine (quoiqu'elle ait bien pu se fonder sur le critère énoncé par le juge McIntyre dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, à la page 406), ce critère a été respecté, comme le démontre la décision du Comité.

Ringuette c. Canada (Attorney General), 1987 CanLII 3953 (NL CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[pp. 520-521] En ce qui a trait à la province de Terre-Neuve, vu les conclusions de fait du juge de première instance, que nous avons déjà évoquées, on ne peut certainement pas sérieusement affirmer que le défaut d’avoir proclamé l’entrée en vigueur de la partie X1V.1 [du Code criminel] à Terre-Neuve constitue une violation ou une abrogation des droits constitutionnels de l'appelant(e) en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, et en particulier de l’article 15 de cette Loi.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[71] Le procureur général a affirmé (i) que le paragraphe 15(1) porte seulement sur les distinctions ou les classifications fondées sur les motifs énumérés (la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques), dont chacun concerne des caractéristiques personnelles non pertinentes au regard du droit, ou sur d’autres motifs tellement semblables qu’ils doivent être visés par le concept de « discrimination » du paragraphe; (ii) que la distinction entre un francophone accusé en Saskatchewan et son homologue dans les provinces où la Partie XVI.I du Code [criminel] est en vigueur est fondée sur la « langue officielle » ou le « lieu de la procédure », dont aucun ne constitue un motif énuméré (la « langue » est un motif expressément exclu), et aucun n’est lié aux motifs énumérés puisqu’aucun ne concerne une caractéristique personnelle non pertinente; et (iii) que ces raisons à elles-seules suffisent à affirmer que la situation exposée dans la question va au-delà de la portée de l’article 15.

[72] À notre humble avis, cet argument est sans fondement. Pour commencer, la liste des motifs de discrimination présentée au paragraphe 15(1) n’est pas exhaustive; le libellé est très clair en ce sens. Nous ne pensons pas non plus que la règle d’interprétation ejusdem generis est appropriée en l’espèce. Ce principe et d’autres semblables ont évolué dans le contexte de l’interprétation des lois, dont le but est de découvrir l’intention du législateur. L’interprétation de la Charte est une question tout à fait différente : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 S.C.R. 145 aux pages 156 et 157, [1984] 6 W.W.R. 577 (sub nom. Directeur des enquêtes et recherches de la direction des enquêtes sur les coalitions c. Southam Inc.), 33 Alta. L.R. (2d) 193, 41 C.R. (3d) 97, 27 B.L.R. 297, 14 C.C.C. (3d) 97, 11 D.L.R. (4th) 641, 9 C.R.R. 355, 2 C.P.R. (3d) 1, 84 D.T.C. 6467, 55 A.R. 291, 55 N.R. 241; R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité. Par conséquent, ces outils d’interprétation (qui ne sont que ça et n’imposent pas de conclusions à tirer) n’ont pas la même valeur en ce qui concerne l’interprétation de la Charte puisqu’ils s’appliquent uniquement à l’interprétation des lois. En outre, comme il a été énoncé dans l’arrêt Big M Drug Mart, l’interprétation des dispositions de la Charte doit être libérale plutôt que formaliste.

[73] Cela ne signifie par que l’énumération de certains motifs et l’absence d’autres sont totalement inutiles – le fondement d’une distinction peut très bien permettre de déterminer si la distinction peut être justifiée et faciliter cette détermination, mais il s’agit d’une tout autre question – nous sommes toutefois d’avis que le paragraphe 15(1) ne doit pas être interprété de la manière étroite proposée.

[74] Il est donc sans importance que « langue officielle » ou « lieu de la procédure » (en supposant qu’aucun de ces éléments n’est le fondement de la distinction en cause) ne figure pas dans les motifs énumérés, ni que les motifs énumérés puissent avoir un genre ou un caractère commun que ne possède pas une « langue officielle » ou un « lieu de procédure ». À notre avis, la présence dans la Charte des dispositions relatives à la langue des articles 16 à 20, ou la suppression du mot « langue » dans une version antérieure du paragraphe 15(1), n’ont pas non plus nécessairement pour effet d’exclure de la portée de l’article 15 la forme de distinction en cause.

[...]

[109] En supposant, aux fins de l’examen de la question en cause, que la nature, la portée et l’aspect de la forme d’égalité devant la loi qui nous intéresse nous commandent de déterminer si les mesures dénoncées offrent un traitement analogue, la réponse se doit d’être négative. Un francophone accusé en Saskatchewan n’a pas le droit, selon les lois fédérales, contrairement à son homologue au Manitoba ou en Ontario par exemple, d’être jugé dans sa propre langue officielle; on ne peut donc pas dire que ces mesures permettent de traiter de façon analogue les individus qui se trouvent dans une situation analogue.

[110] Nous n’aurions pas non plus à trancher l’affaire [c’est-à-dire lorsque l’énoncé introductif du paragraphe 15(1) ne prévoit pas, en combinaison avec l’article 1 et le paragraphe 24(1), de recours et de droits individuels] si un accusé francophone en Saskatchewan jouissait des mêmes protections ou avantages que son homologue ailleurs au pays. Bien que ces concepts englobent sans nul doute davantage, nous sommes d’avis que l’un ou l’autre des concepts d’égalité au regard des protections et des avantages prévus par la loi est suffisamment vaste dans ce cas pour englober la condition en cause.

[111] Par conséquent, la situation exposée dans la question comporte une forme d’inégalité visée au paragraphe 15(1), et la non-proclamation en Saskatchewan a certes pour effet d’annuler ou d’entraver l’exercice du droit constitutionnel à l’égalité devant la loi par une personne francophone accusée en Saskatchewan.

[112] Nous n’avons donc aucune difficulté à conclure qu’il y a, dans les circonstances, violation des droits prévus au paragraphe 15(1) d’un francophone en Saskatchewan, et que ce dernier a droit, à moins que l’article 1 fournisse une justification pour cette situation, de s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation convenable et juste aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte.

McDonnell c. Fed. des Franco-Colombiens, 1986 CanLII 927 (BC CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[7] En faisant référence à « la Loi », il désigne la loi adoptée par le Parlement britannique en 1731 qui exige que toutes les instances judiciaires se déroulent en anglais. Les tribunaux ont statué que cette loi était en vigueur en Colombie-Britannique, mais je n’ai pas l’intention d’aborder la question puisque les arguments qui s’y rapportent concernent également le paragraphe 4(2) [des Règles de la Cour suprême de la Colombie Britannique]. Il soutient également que le juge en chambre a commis une erreur en concluant que le paragraphe 4(2) a généralement le même objet que les règles (à savoir la résolution équitable sur le fond de chaque instance, de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse), parce que le paragraphe a un objet beaucoup plus étroit, à savoir la compréhensibilité et la commodité pour les juges, les avocats et les plaideurs. Il soutient que le fait de permettre à une personne dont la langue maternelle est le français de déposer les actes de procédure en français servirait cet objet au lieu d’y nuire. Il fait valoir qu’invoquer les critères de discrimination énoncés par ce tribunal dans Andrews c. Law Society et énoncés par le juge Macfarlane dans Rebic c. Collver Prov. J. (1986), 1986 CanLII 1052 (BC CA), 2 B.C.L.R. (2d) 364, [1986] 4 W.W.R. 401 (C.A.), R. 4(2) est clairement discriminatoire et ne peut être justifié en vertu de l’article 1 de la Charte.

[8] Par ailleurs, l’avocat représentant le procureur général, s’appuyant sur le principe de l’interprétation des lois voulant que la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre, soutient que les articles 16 à 22 épuisent la question des droits linguistiques; que rien dans ces articles n’empêche la Colombie Britannique d’adopter le paragraphe 4(2) des Règles; et que, par conséquent, la Fédération ne peut invoquer l’article 15. Il prétend également que les jugements majoritaires de la Cour suprême dans les arrêts MacDonald et Société des Acadiens réfutent clairement les arguments et les prétentions du procureur de la partie adverse.

[9] De manière générale, je suis d’accord avec les observations du procureur général. [...]

[10] J’aborde tout d’abord le rôle de l’article 15, intitulé « Droits à l’égalité ». Il garantit le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, et précise plusieurs formes de discrimination. Tout en affirmant que certaines formes de discrimination ne sont pas exhaustives, ce tribunal a souligné dans Andrews c. Law Society qu’un tribunal doit interpréter l’article 15 en lien avec les autres articles de la Charte et a mis en garde contre la décision d’accorder la primauté à l’article 15. En rendant le jugement du tribunal, la juge McLachlin a déclaré à la page 50 :

Aucun article ne doit être considéré comme primordial ou englobant toutes les autres dispositions. Toutefois, cela pourrait arriver avec l’article 15 s’il était interprété comme étant violé à la suite de distinction ou de discrimination. L’article 15, comme le 14e Amendement à la Constitution des États-Unis, éclipserait les autres dispositions de la Charte et deviendrait la question centrale de presque toutes les contestations fondées sur la Charte. Les lois qui ne violent pas d’autres libertés ou droits fondamentaux seront presque toujours (si l’on se fie à l’expérience des États-Unis) présumées violer l’article 15 parce que la législature a procédé à une classification ou ne l’a pas fait. Même si la législation ne viole pas d’autres dispositions, il faudra toujours forcer le barrage des articles 15 et 1. À mon avis, cela ne peut avoir été l’intention des auteurs de la Charte.

[...]

[18] L’article 15 offre une garantie contre la discrimination et constitue une garantie juridique. Même s’il est possible que l’article 15 s’étende à la discrimination fondée essentiellement sur la langue, nous ne sommes pas certains qu’il couvre le concept de « langue officielle ». Compte tenu des dispositions contenues aux articles 16 à 22 de la Charte et des autres articles concernant les langues, et à la lumière des arrêts rendus à la majorité dans les affaires MacDonald et Société des Acadiens, je ne crois pas que le concept de « langue officielle » relève de l’article 15.

[19] En raison de cette conclusion, il est inutile d’examiner l’article 15. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

Sojourner c. Conseil de la justice administrative, 2016 QCCS 3743 (CanLII)

[10] Autre particularité de l'audience, celle-ci a procédé dans les deux langues, la Régisseure s'adressant à Madame Sojourner en anglais et au représentant du propriétaire en français. Il faut noter qu'en aucun temps pendant l'audience, Madame Sojourner n'a indiqué qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait ni n'a requis la présence d'un interprète ou une traduction de ce qui avait été dit en français. Il n'a pas non plus été référé à sa race ou à son orientation sexuelle.

[…]

[56] La notion de discrimination qui se retrouve à l'art. 15 de la Charte canadienne, également invoqué par Madame Sojourner, dans la mesure où elle serait ici applicable, requiert également la preuve d'une atteinte de nature à créer un désavantage par la perpétuation d'un préjugé ou l'application de stéréotypes.

[57] […] Les éléments en lien avec la langue devraient également faire l'objet d'une analyse. Si le Comité était convaincu, par exemple, que les propos tenus dans les deux langues ont permis à tous de comprendre l'essentiel de ce qui se passait même sans traduction systématique du français à l'anglais et de l'anglais au français, il pourrait s'agir là d'un élément pertinent. Si les autres arguments présentés ne reposaient sur aucun fait, du moins aucun fait objectif, il aurait été bienvenu de l'indiquer.

156158 Canada inc. c. Québec (Attorney General), 2016 QCCS 1676 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[65] Les appelants ont également affirmé que la loi empiète sur leur droit à l’égalité en violation de l’article 15 de la Charte canadienne et de l’article 10 de la Charte québécoise :

3.1 Le jugement de la Cour du Québec

[66] Le juge de première instance a résumé l’analyse de la Cour suprême du Canada concernant l’égalité des droits dans les arrêts Ford et Devine.

[67] Dans Ford, la Cour suprême, ayant décidé que la loi constituait une violation de la liberté d’expression, n’a pas abordé la question de l’égalité.

[68] En revanche, dans Devine, ayant conclu que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, la Cour suprême a abordé la question de l’égalité. Elle a conclu que l’analyse de l’article 1 était également applicable à l’article 15 de la Charte canadienne, c’est-à-dire que si la loi était une limite raisonnable à la liberté d’expression, elle est également une limite raisonnable aux dispositions relatives à l’égalité. En ce qui concerne l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a décidé que le droit à l’égalité devait être lié à un autre droit ou liberté, dans ce cas, la liberté d’expression. Étant donné que la Cour suprême avait déjà conclu que la restriction du droit à la liberté d’expression était justifiable, elle a tiré la même conclusion à l’égard du droit à l’égalité.

[69] En l’espèce, après avoir appliqué le même principe et conclu que la violation de la liberté d’expression était justifiable en vertu de l’article premier de la Charte canadienne et des articles 3 et 9.1 de la Charte québécoise, le juge de première instance a rejeté la contestation fondée sur l’égalité.

[70] Néanmoins, le juge Mascia a poursuivi en examinant la possible violation des droits à l’égalité, tout comme l’a fait la Cour d’appel dans Entreprises W.H.F.

[71] Le jugement Entreprises W.H.F. a été rendu en 2001 au moyen de l’analyse des droits à l’égalité énoncée par la Cour suprême dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration).

[72] En l’espèce, le juge de première instance a analysé les évolutions jurisprudentielles sur les droits à l’égalité depuis 2001 et les a appliquées à la preuve entendue. Plus précisément, il a utilisé le critère élaboré plus tard dans R. c. Kapp :

• La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

• La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[73] Le juge de première instance a répondu à la première question par l’affirmative : la langue n’est pas un motif de discrimination énuméré à l’article 15 de la Charte canadienne, mais elle peut être considérée comme un motif analogue, surtout qu’elle figure parmi les motifs énumérés à l’article 10 de la Charte québécoise.

[74] Le juge de première instance a répondu à la deuxième question par la négative. Il a conclu que la loi ne violait pas les droits à l’égalité parce que la distinction n’a pas créé de désavantage en perpétuant des préjudices et des stéréotypes :

[257] […] Rien dans l’objectif déclaré de la loi – la protection et la promotion de la langue française – n’a pour effet de perpétuer un désavantage ou un stéréotype. En faisant la promotion du français au moyen de dispositions sur l’affichage, la loi ne favorise pas le préjudice ou une image négative de la communauté anglophone. Le commerçant anglophone est autorisé à faire de la publicité dans sa propre langue; la seule contrainte ou obligation imposée par la loi est d’inclure dans son enseigne commerciale une version en français nettement prédominante – ou, lorsqu’il est question de catalogues, de brochures et de dépliants commerciaux (article 52 [de la Charte de la langue française]), il doit produire une version en français à tout le moins équivalente à celle en anglais. Ce fardeau supplémentaire ne perpétue pas un stéréotype dégradant.

[75] Le juge de première instance a estimé que la preuve ne justifiait pas un changement par rapport au précédent dans Entreprises W.H.F., même en appliquant la plus récente jurisprudence.

3.2 Le motif d’appel

[76] Les appelants sont en désaccord avec le juge de première instance parce qu’ils estiment que la Charte de la langue française porte atteinte à leur dignité humaine en leur demandant d’utiliser le français de manière juxtaposée ou nettement prédominante dans la publicité, l’emballage et les autres publications. Si la population francophone peut faire de la publicité en français seulement, la population anglophone devrait être autorisée à faire de la publicité uniquement en anglais.

[77] La Cour n’a relevé aucune erreur dans l’analyse exhaustive réalisée par le juge de première instance du droit et de l’application des principes de droit aux faits en cause. Rien dans la Charte de la langue française, que l’on analyse l’objet ou l’effet des dispositions, ne porte atteinte à la dignité humaine de la population anglophone. Quoi qu’il en soit, même s’il y avait une violation des droits à l’égalité, elle serait justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne, comme il a été décidé dans la discussion sur la liberté d’expression.

[78] En ce qui concerne la violation de la Charte québécoise, le droit à l’égalité doit être lié à un autre droit ou liberté, en l’espèce la liberté d’expression, et la Cour a déjà conclu que la restriction imposée dans la Charte de la langue française constitue une limite justifiable à la liberté d’expression.

[79] Ce motif d’appel est rejeté.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Voir également le jugement de première instance : Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie's), 2015 QCCQ 354 (CanLII).

R. c. Ejigu, 2016 BCSC 1487 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[179] Toutefois, je suis bien plus troublé par la preuve concernant l’effet des difficultés linguistiques et culturelles découlant de l’origine ethnique de Mme Ejigu en tant que membre d’une minorité culturelle sur sa capacité à satisfaire son fardeau de la preuve qui lui est imposée aux termes des paragraphes 16(2) et (3) du Code criminel pour présenter une défense de NRCTM [non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux].

[180] La preuve des trois psychiatres dont j’ai parlée soulève de graves préoccupations sur la capacité d’un psychiatre qui ne parle pas l’amharique à comprendre pleinement l’état mental de Mme Ejigu au moment de l’homicide de Mme Hagos, en raison des problèmes linguistiques et culturels que chacun d’eux a relevés.

[181] Toutefois, la question n’est pas de savoir s’il est plus difficile pour Mme Ejigu que les autres personnes accusées d’une infraction criminelle grave de surmonter ces difficultés pour satisfaire le lourd fardeau de la preuve permettant de présenter une défense de NRCTM.

[182] La question est de savoir si la lourde charge de la preuve a un effet disproportionné sur elle en tant que membre d’une minorité ethnique qui doit interagir avec les premiers intervenants, les professionnels de la santé, les avocats et la Cour par l’entremise d’un interprète.

[183] Les questions soulevées par Mme Ejigu ne sont pas rares dans une société multiculturelle. Les tribunaux au Canada sont régulièrement confrontés aux défis liés à l’évaluation d’une preuve qui ne peut être reçue que par l’entremise d’un interprète.

[184] Il peut souvent être difficile pour l’avocat ou le tribunal de comprendre pleinement les différences culturelles, lesquels risquent de ne pas en tenir compte du fait qu’ils ne sont pas nécessairement dans une position pour cerner l’importance de ces différences culturelles dans l’évaluation de la preuve.

[185] Le fait que les différences linguistiques et culturelles peuvent nuire à la capacité d’un justiciable de présenter sa cause dans une instance civile ou d’établir le fondement d’une défense lors d’instances criminelles engendre en soi la nécessité de procéder à un examen au regard du paragraphe 15(1) de la Charte.

[186] Il y a violation présumée du paragraphe 15(1) de la Charte uniquement lorsqu’une disposition législative a un effet disproportionné sur un requérant (ou un accusé dans le contexte du droit criminel) du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue.

[187] À mon avis, il est évident que la difficulté subie par un justiciable pour surmonter les obstacles linguistiques et culturels généralisés va s’accroître avec le fardeau de la preuve qu’il doit satisfaire pour avoir gain de cause.

[188] Cette difficulté croissante ne découle toutefois pas des effets disproportionnés subis par Mme Ejigu en tant que membre d’un groupe ethnique et linguistique distinct.

[189] Mme Ejigu ou d’autres personnes dans cette situation qui partagent les mêmes caractéristiques peuvent, en raison de leurs limites linguistiques et différences culturelles, être désavantagées pour rencontrer le fardeau de la preuve prescrit par la loi.

[190] Le fait qu’un tel désavantage peut s’accentuer avec un lourd fardeau, comme c’est le cas des dispositions relatives à la NRCTM, ne survient pas parce que la loi cible directement ou indirectement ces personnes en tant que membres d’un groupe énuméré ou analogue protégé par la Charte en aggravant leur fardeau en tant que membres d’un tel groupe. Cette situation survient en raison de l’augmentation du fardeau sur les accusés qui cherchent à présenter une défense de NRCTM.

[...]

[194] Bien que les difficultés linguistiques et les particularités culturelles de Mme Ejigu puissent accroître davantage le fardeau de la preuve en vertu de l’article 16 du Code comparativement à un autre accusé, je suis convaincu que cette difficulté accrue ne place pas cette situation personnelle en violation des droits prévus au paragraphe 15(1) de la Charte.

[195] Si le tribunal en décidait autrement, il remettrait en question l’équité de pratiquement tous les procès criminels au Canada où l’accusé fait face à des limites linguistiques ou des particularités culturelles.

[196] Les arguments de Mme Ejigu concernant la violation présumée de ses droits garantis au paragraphe 15(1) de la Charte, laquelle découle des obstacles linguistiques et culturels qu’elle doit surmonter pour rencontrer le fardeau de la preuve qui lui incombe aux termes de l’article 16 du Code, ne tiennent pas non plus, car la preuve à l’appui de ces arguments n’établit pas de manière suffisante une telle violation.

[...]

[206] En résumé, je crois que bien que la charge qui incombe à Mme Ejigu puisse être difficile à satisfaire, ni le paragraphe 15(1) de la Charte ni les principes fondamentaux de l’équité du procès soutiennent l’octroi d’un remède constitutionnel en raison des difficultés linguistiques et des particularités culturelles qui lui sont propres.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[990] Il a été très peu question des raisons pour lesquelles les allégations fondées sur l’article 15 sont rarement justifiées. Il semble que le fait qu’une norme plus élevée soit imposée aux gouvernements n’explique pas la rareté des cas où le droit à l’égalité a été justifié aux termes de l’article premier. Au contraire, ces cas se sont avérés particulièrement difficiles à justifier d’après les faits en cause en raison des intérêts humains fondamentaux qui sont concernés et des intérêts concurrents en jeu.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Lavigne c. Quebec (Attorney General), 2000 CanLII 30033 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[27] Le requérant soutient également que la décision administrative de l’intimé de ne pas assigner un avocat parlant anglais est discriminatoire en application de l’article 10 de la Charte québécoise et de l’article 15 de la Charte canadienne. Sa requête ne précise pas les droits qui pourraient être lésés par cette décision, mais d’après les plaidoiries de M. Lavigne, nous concluons qu’il croit être victime de discrimination en raison de la langue dans l’exercice de sa liberté d’expression.

 

[...]

 

[31] En outre, si l’article 15 de la Charte canadienne s’applique en l’espèce, une conclusion que rejette la Cour, il faudrait effectuer l’analyse proposée par la Cour suprême dans Law et répondre aux questions suivantes :

La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement?

La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoires sur la dignité fondamentale de la personne?

[32] Il est impossible de conclure que le français et l’anglais ont un statut différent. Leur égalité est garantie par article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et la Cour a déjà conclu que ces droits linguistiques ont été respectés en se fondant notamment sur les paroles de l’honorable Jean Beetz dans Société des Acadiens :

La garantie d’égalité des langues n’est toutefois pas une garantie que la langue officielle utilisée sera comprise par la personne à qui s’adresse la plaidoirie ou la pièce de procédure.

[33] Une personne parlant une langue autre qu’une des langues officielles du Canada ne peut valablement soutenir devant les tribunaux qu’elle est victime de discrimination parce qu’elle ne peut s’exprimer dans sa propre langue. L’article 15 de la Charte canadienne n’élargit pas les droits linguistiques reconnus dans l’article 133.

[34] M. Lavigne ferait-il l’objet d’une différence de traitement sous le régime de la loi parce que les services d’un interprète sont nécessaires pour assurer la protection de ses droits linguistiques? La Cour suprême a répondu à cette question par la négative dans Mercure en se fondant sur l’opinion de la majorité dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[36] […] À mon avis, le fait que le requérant ne puisse pas obtenir une version française de la preuve divulguée ne constitue pas une violation de l'art. 15: en effet, l'art. 15 ne saurait servir de fondement à un droit linguistique judiciaire en faveur de l'usage de l'une ou l'autre des deux langues officielles, tout particulièrement lorsque l'on considère le contenu spécifique et limité de l'art. 19 de la Charte qui s'adresse précisément aux droits dont jouissent les langues officielles dans l'arène judiciaire. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

Commission des Ecoles Fransaskoises Inc. et al. c. Saskatchewan, 1988 CanLII 5128 (SK QB) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[45] Un dernier argument invoqué au nom des demandeurs émane du paragraphe 15(1) de la Charte. Il est dit qu’il y a violation des dispositions relatives à l’égalité de ce paragraphe parce que les enfants des parents titulaires des droits visés à l’article 23 ne reçoivent pas les mêmes services éducatifs offerts à la majorité. À mon avis, le paragraphe 15(1) n’a pas d’application pratique dans le contexte de la présente instance. La question en l’espèce est de savoir si les parents titulaires des droits visés à l’article 23 résidant en Saskatchewan bénéficient pleinement de l’ensemble des droits garantis. Dans l’affirmative, aucune question relative au paragraphe 15(1) ne se pose. Dans la négative, les réparations découleraient d’une violation de l’article 23 et non du paragraphe 15(1).

Cockburn c. YMCAs Across Southwestern Ontario, 2017 HRTO 267 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[3] Le Tribunal a conclu que l’intimé n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard du demandeur, qui est sourd, lorsqu’il a refusé de lui fournir un interprète en langage gestuel américain à ses frais pour une réunion entre le demandeur et le coordinateur du bien-être du YMCA. La réunion avait pour but de discuter d’un plan d’exercice modifié pour le demandeur à la suite d’une chirurgie à l’épaule.

[...]

[21] Dans l’affaire Eldridge, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si l’absence de financement de la part du gouvernement de la Colombie-Britannique pour fournir des interprètes gestuels aux personnes malentendantes recevant des soins médicaux violait le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a conclu que lorsque l’interprétation gestuelle était nécessaire pour assurer une communication efficace afin d’accéder aux services de soins de santé, le refus de financer ces services constituait une violation de la Charte.

[22] Le demandeur soutient que les efforts qu’il a déployés pour rencontrer le coordonnateur du bien-être de l’intimé afin de discuter d’un plan d’exercice modifié revenaient à accéder à des services de santé.

[23] La décision dans Eldridge concerne l’application de la Charte à une entité gouvernementale et le droit des personnes malentendantes à un interprète lorsqu’elles accèdent à des services fournis par cette entité. Je ne crois pas que cette décision soutient la thèse voulant que des droits et des obligations similaires prévus par la Charte s’appliquent aux organisations privées comme le YMCA.

[24] En outre, il est important de souligner que la décision dans Eldridge ne garantit pas un droit absolu aux services d’interprétation gestuelle. Comme indiqué au paragraphe 82 de cette décision, la Cour a affirmé :

Cela ne veut pas dire que l’interprétation gestuelle doit être fournie dans tous les cas où un patient reçoit des soins de santé.  La norme des « communications efficaces » est une norme souple, qui tient compte de facteurs tels que la complexité et l’importance de l’information à communiquer, le contexte dans lequel les communications auront lieu et le nombre de participants; voir 28 C.F.R. § 35.160 (1997).  Toutefois, dans le cas des personnes atteintes de surdité dont la capacité de lire et d’écrire est limitée, il est probablement juste de supposer que l’interprétation gestuelle sera requise dans la plupart des cas […]

[25] Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience du Tribunal qui laisse entendre que la capacité de lire et d’écrire du demandeur était limitée. Au contraire, selon les conclusions relatives à la preuve tirées dans la décision du Tribunal, le demandeur était en mesure de communiquer efficacement par écrit, comme en témoignent les communications écrites antérieures avec l’intimé.

[26] En tout respect, je suis en désaccord avec la proposition voulant que la requête du demandeur pour rencontrer un coordonnateur du mieux-être revenait à accéder à des soins services de soins de santé. Le YMCA n’est pas un fournisseur de soins de santé. Le rôle du coordonnateur du bien-être est d’aider les clients à atteindre leurs objectifs en matière d’exercice. Ils ne sont pas des professionnels de la santé.

Voir également :

Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, 1993 CanLII 119 (CSC)

R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, 1989 CanLII 98 (CSC)

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90, 1988 CanLII 51 (CSC)

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (ON CA)

Paquette c. Canada, 1987 ABCA 228 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Poulin c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1132 (CanLII)

Berezoutskaia c. British Columbia Human Rights Tribunal, 2005 BCSC 1170 (CanLII) [decision disponible en anglais seulement]

R. c. Pare, 1986 CanLII 1189 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Tremblay, 1985 CanLII 2711 (SK QB)

R. c. Breton (1995), 28 W.C.B (2nd) 525 (YK TC) [hyperlien non disponible]

Fretz c. BDO Canada LLP, 2015 HRTO 194 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Ndem c. General Accident Assurance Co. of Canada, [2000] O.F.S.C.I.D. No. 83 [hyperlien non disponible]

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions traitant de l’art. 15 de la Charte canadienne et des enjeux linguistiques.

 

Langues officielles du Canada (articles 16 à 22)

16. (1) Langues officielles du Canada

16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

16. (2) Langues officielles du Nouveau-Brunswick

16. (2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. 

16. (3) Progression vers l'égalité

16. (3) (3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Généralités

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[22] La Loi sur les langues officielles de 1988 et l’art. 530.1 du Code criminel, introduit comme modification connexe par l’art. 94 de cette loi, illustrent la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte; voir Simard, précité, à la p. 105.  Le principe de la progression n’épuise toutefois pas l’art. 16 qui reconnaît officiellement le principe de l’égalité des deux langues officielles du Canada.  Il ne limite pas la portée de l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles.  L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique.  En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable.  Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.  Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada.  Le Parlement et les législatures provinciales le savaient quand ils ont réagi à la trilogie (Débats de la Chambre des communes, vol. IX, 1re sess., 33e lég., 6 mai 1986, à la p. 12999) et ont reconnu que les dispositions de 1988 seraient promulguées par des mécanismes de transition, accompagnés d’une aide financière qui permettrait de fournir les services institutionnels nécessaires.

[…]

[24] […] L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. […]

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[123] Tel que mentionné au paragraphe 60, les lois sur les langues officielles sont interprétées selon les principes consacrés par la Charte. Le principe fondamental est la protection des minorités : voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 56 O.R. (3d) 505, 208 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 125 (C.A.) (« Lalonde ») et Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12 (CanLII), 161 C.R.R. (2d) 331, au paragraphe 53 (« Halotier »). La juge de première instance a appliqué les principes issus de la jurisprudence sur les droits linguistiques, notamment Beaulac dans lequel la Cour suprême a confirmé, au paragraphe 22, que l’égalité réelle est la norme applicable. Nous sommes d’accord avec le CLOC [Commissaire aux langues officielles du Canada] pour dire que l’égalité réelle est le résultat visé par le législateur en adoptant l’article 16 de la Charte et les articles 4 et 5 de la LLO. Par conséquent, l’emploi par la juge de première instance de l’expression « obligations de résultat », était pertinent et étayé par Beaulac.

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

[19] Notre Cour a conclu dans MacKenzie qu’un manquement à l’article 530 du Code [criminel] ne violait ni l’article 15 ni l’article 16 de la Charte. La langue ne constitue, ni une catégorie énumérée à l’article 15, ni un motif analogue de discrimination.  L’article 16 ne s’applique qu’aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », institutions dont la Cour provinciale de la NouvelleÉcosse ne fait pas partie. Les garanties linguistiques du paragraphe 16(1) de la Charte ne s’appliquent pas aux procédures engagées en Cour provinciale et son paragraphe 16(3) ne constitutionnalise pas l’article 530 du Code.  Rien ne sert de répéter l’analyse ici. Pour les motifs donnés dans MacKenzie, ce moyen de l’appel du ministère public est accueilli. Il n’y a pas eu violation des droits constitutionnels de Mlle Schneider.

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[69] Comme on peut le constater, les juges de la Cour suprême se sont surtout attardés, avant l’arrêt Beaulac, à dégager des principes d’interprétation applicables à l’art. 16 de la Charte et à son objet mais ont vraiment peu discuté du contenu et de la portée de cette disposition. Par ailleurs, il faut reconnaître que ces mêmes questions visant d’abord l’égalité des langues officielles déclarée à l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles du Canada, S.R.C. 1970, c. O-2, qui serait l’ancêtre de l’art. 16, et ensuite visant la portée de l’art. 16 lui-même, ont fait l’objet d’un débat animé où ont pris part plusieurs auteurs d’ouvrages ou d’articles de doctrine. On a débattu deux thèses principales, à savoir les dispositions de l’art. 16 sont-elles déclaratoires ou mandatoires? Ont-elles un contenu autonome qui ferait naître en lui-même un droit à un redressement pour le motif que l’égalité n’est pas atteinte, et imposent-elles des obligations aux gouvernements? Compte tenu du tournant jurisprudentiel marqué dans l’arrêt Beaulac, il ne me paraît pas nécessaire de reprendre ce débat. (Voir B. Pelletier, Bilan des droits linguistiques au Canada (1995) 55 : 4 R. du B. 611; Tremblay, Les droits linguistiques dans Beaudoin et Tarnopolsky (éd.) Charte canadienne des droits et libertés (1982), Montréal, Wilson & Lafleur, 559; A. Braën, Les droits linguistiques dans M. Bastarache (éd.), Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986; et M. Bastarache, Le principe d’égalité des langues officielles dans M. Bastarache (éd) Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986, 519 (particulièrement à la page 524.) À mon sens, la Cour suprême a répondu à la plupart de ces questions en donnant un contenu au principe de l’égalité prévu à l’art. 16, l’égalité réelle devenant la norme constitutionnelle applicable, et en reconnaissant l’effet contraignant de cette disposition selon lequel les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent des obligations pour l’État.

R. c. Larcher (19 septembre 2002), Ontario (C.S. Ont.) J. Lalonde [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

L’article 16 de la Charte ne s’applique pas à l’obligation de divulgation de la Couronne, étant donné que cette obligation est issue de la common law et n’est pas le résultat d’une intervention du législateur. Je suis d’accord avec l’avocat de la Couronne pour dire que les droits à l’égalité linguistique protégés par l’article 16 doivent être interprétés en fonction de l’intention du législateur et non en s’appuyant sur les principes de la common law [...]

Annotations – Paragraphe 16(1)

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[24] […]  L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné.  L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi.  Ce principe d’égalité réelle a une signification.  Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État; voir McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 412; Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1038; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 73; Mahe, précité, à la p. 365. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.  Cela dit, il faut noter que la présente affaire ne porte pas sur la possibilité que des droits linguistiques d’origine constitutionnelle soient en conflit avec des droits particuliers prévus par la loi.

R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 1988 CanLII 107 (CSC)

[44] Si on peut dire que la législation en matière de droits de la personne est fondamentale ou quasi constitutionnelle, c'est au moins tout aussi vrai de la loi [Loi sur la Saskatchewan, S.C. 1905] dont il est question en l'espèce; elle a été enchâssée pendant de nombreuses années dans la mesure où les habitants de cette région auxquels elle s'appliquait étaient concernés, puisqu'elle ne pouvait être supprimée non pas par l'assemblée législative locale, mais seulement par le Parlement qui, faut-il le rappeler, avait refusé de le faire. Elle faisait partie du droit fondamental d'une vaste région de ce pays depuis les premiers jours de la fondation de la nation et elle est enracinée dans une réalité profondément délicate reconnue dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui, parmi nos valeurs constitutionnelles fondamentales, établit que le français et l'anglais sont les langues officielles de ce pays (par. 16(1)).

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[18] M. Yamba est d’avis que lorsque le droit à un procès en français au Canada, prévu à l’article 530 du Code criminel, est combiné à ceux établis à l’article 16 de la Charte en matière de langues officielles, il constitue alors un droit constitutionnel. M. Yamba soutient que la conclusion du ministre selon laquelle l’accès aux services d’un traducteur agréé répondra aux préoccupations soulevées concernant l’équité des procès aux États-Unis ne prend pas « dûment en considération » les droits linguistiques de M. Yamba au Canada.

[...]

[21] D’abord, il est loin d’être clair que le droit à un procès dans l’une de nos deux langues officielles, garanti par l’article 530 du Code criminel, est l’équivalent d’un droit constitutionnel. Même si en application du paragraphe 16(1) de la Charte, l’anglais et le français sont les « langues officielles du Canada », le droit d’employer l’une ou l’autre lors de procédures judiciaires s’applique seulement aux tribunaux du Nouveau Brunswick et à ceux établis par le Parlement (article 19 de la Charte). Dans R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII), 181 C.C.C. (3d) 485, demande de pourvoi refusée [2005] 1 R.C.S. xii, le tribunal a soutenu qu’une violation des droits énoncés à l’article 530 ne donne pas droit à une réparation constitutionnelle. Le juge Fichaud a affirmé ce qui suit :

[60] L’article 530 doit faire l’objet d’une interprétation téléologique large en raison de son statut quasi constitutionnel. Mais l’article 530 n’est pas une disposition qui a été enchâssée dans la Charte. Sa violation n’a pas pour effet de donner ouverture à un recours sous le paragraphe 24(1) de la Charte.

Voir aussi : R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII), au paragraphe 19, 192 C.C.C. (3d) 1, demande de pourvoi refusée [2005] 2 R.C.S. xi.

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[39] En bref, le paragraphe 16(1) de la Charte correspond aux articles 4 et 5 de la LLO [Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest]. Vraisemblablement, si la LLO comporte deux dispositions alors que la Charte n’en compte qu’une, c’est à cause du libellé restrictif de l’article 5 de la LLO : « dans la mesure et de la manière prévues par la présente loi ». Cette expression permet à la LLO de traiter les langues autochtones différemment du français et de l’anglais.

[…]

[123] Tel que mentionné au paragraphe 60, les lois sur les langues officielles sont interprétées selon les principes consacrés par la Charte. Le principe fondamental est la protection des minorités : voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 2001 CanLII 21164 (ON CA), 56 O.R. (3d) 505, 208 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 125 (C.A.) (« Lalonde ») et Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12 (CanLII), 161 C.R.R. (2d) 331, au paragraphe 53 (« Halotier »). La juge de première instance a appliqué les principes issus de la jurisprudence sur les droits linguistiques, notamment Beaulac dans lequel la Cour suprême a confirmé, au paragraphe 22, que l’égalité réelle est la norme applicable. Nous sommes d’accord avec le CLOC [commissaire aux langues officielles du Canada] pour dire que l’égalité réelle est le résultat visé par le législateur en adoptant l’article 16 de la Charte et les articles 4 et 5 de la LLO. Par conséquent, l’emploi par la juge de première instance de l’expression « obligations de résultat », était pertinent et étayé par Beaulac.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[42] Le paragraphe 16(1) s’applique uniquement aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ».

[43] La Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse n’est pas une institution du Parlement. Elle est établie par l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, comme il a été mentionné plus haut. Le fait que la Cour provinciale applique les dispositions du Code criminel ne change en rien cette conclusion. La Cour provinciale applique également des lois en vertu desquelles des infractions sont commises à l’échelle provinciale.

[...]

[46] La mention expresse des institutions du Nouveau-Brunswick au paragraphe 16(2) confirme que les institutions provinciales sont exclues des « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada » dont il est question au paragraphe 16(1) : voir Moncton (Ville) c. Charlebois, [2001] A.N.-B. no 480 (QL) [NBCA], au paragraphe 59. Il n’y a aucune référence aux institutions de la Nouvelle-Écosse dans la Constitution équivalant à celle qui figure au paragraphe 16(2).

[...]

[48] Le juge Bastarache a déclaré [dans Beaulac] que le paragraphe 16(1) confirme l’égalité réelle des « droits linguistiques constitutionnels ». Les droits ainsi garantis par le paragraphe 16(1) s’appliquent aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ». La Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse ne fait pas partie de ces institutions.

[49] À mon avis, les garanties linguistiques offertes au paragraphe 16(1) ne s’appliquaient pas à l’interpellation ni au procès de Mme MacKenzie devant la Cour provinciale. Il n’y a pas eu violation du paragraphe 16(1).

Canada (Procureur général) c. Viola, [1990] A.C.F. No. 1052, [1991] 1 C.F. 373 (CAF) [hyperlien non disponible]

La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. […]

Ringuette c. Canada (Attorney General), 1987 CanLII 3953 (NL CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[31] L’importance des droits relatifs au français et à l’anglais au Canada ne fait aucun doute. Le régime législatif adopté pour mettre en œuvre progressivement ces droits linguistiques dans le cadre de toute procédure criminelle dans les provinces du Canada, tel qu’il est énoncé à la partie XIV.1 du Code criminel et à l’article 6 de la Loi de 1985 modifiant le droit pénal, permet de promouvoir l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais au Canada et constitue le type de programme envisagé, et même encouragé, en vertu du paragraphe 16(3) de la Charte : [...]  

Association des Gens de l'Air du Québec Inc. c. Lang, [1978] 2 C.F. 371 (CAF) [hyperlien non disponible]

[11] Les appelants prétendent que l'Ordonnance [sur les normes et méthodes des communications aéronautiques] du ministre des Transports est illégale en ce qu'elle contrevient à la Loi sur les langues officielles [de 1969] entrée en vigueur le 7 septembre 1969. L'essentiel de leur argumentation sur ce point peut être facilement résumé. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles proclame que le français et l'anglais jouissent d'un statut égal au Canada; l'Ordonnance contredit ce principe puisqu'elle prohibe l'usage du français en certains cas et ne prohibe pas l'usage de l'anglais. Les deux langues ne jouissent pas d'un statut égal, disent les appelants, s'il est permis de parler l'une alors qu'on ne peut utiliser l'autre sans commettre une offense pénale.

[…]

[14] La notion de "langue officielle" est assez imprécise. Elle se réfère à la langue utilisée par l'administration dans ses relations avec le public. Dire que l'anglais et le français sont langues officielles, c'est tout simplement affirmer que ces deux langues sont celles qui sont normalement utilisées dans les communications entre l'État et les citoyens. L'Ordonnance attaquée, à mon avis, ne contredit pas la première partie de l'article 2 de la Loi sur les langues officielles parce que, comme je l'ai déjà dit, une langue peut être officielle dans un pays même si, pour des motifs de sécurité, son usage est prohibé en certaines circonstances exceptionnelles.

[15] […] A ce sujet, il faut remarquer que l'égalité proclamée par l'article 2 ne peut être une égalité absolue qui supposerait nécessairement, entre autres choses, que les deux langues soient utilisées aussi fréquemment l'une que l'autre. Cette égalité est, à mon sens, une égalité relative qui exige seulement que les deux langues soient, dans des circonstances identiques, traitées de même façon. Si, comme certains le prétendent, il était plus dangereux d'utiliser le français que l'anglais dans les communications aériennes au Canada et au Québec, il me semble que l'on pourrait, sans contredire le principe d'égalité consacré par l'article 2, prohiber l'usage du français dans ce genre de communications. Car, le fait qu'il soit plus dangereux de parler français qu'anglais dans l'air serait une circonstance qui autoriserait à traiter les deux langues de façons différentes. Pour ces raisons, je ne pense pas que l'Ordonnance attaquée, du seul fait qu'elle interdise l'usage du français et permette l'usage de l'anglais, contrevienne à l'article 2 de la Loi sur les langues officielles.

[16] […] Je ne peux croire que le Parlement, en proclamant l'égalité du français et de l'anglais "dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada", ait entendu limiter le pouvoir du ministre des Transports d'édicter les règlements qu'il jugeait nécessaires pour assurer la sécurité de la navigation aérienne.

Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[79] Il m’apparaît clair également qu’un accès égal aux services dans les deux langues officielles signifie justement un traitement égal.  Pour les fins de la minorité francophone qui circule dans la région d’Amherst, le protocole mis en place par la GRC et décrit par le sergent-major Hastey me paraît tout à fait insatisfaisant.  Un automobiliste ne devrait pas avoir à se déplacer ni à communiquer par téléphone ou par radio lorsqu’il souhaite s’adresser en français à un membre de la GRC.  Un service qui laisse à désirer ne répond absolument pas aux objectifs de la LLO énoncés à son article 2, et va à l’encontre de l’article 16 de la Charte qui reconnaît l’égalité des deux langues officielles.

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

[68] La présente affaire se résume ainsi.  Le gouvernement fédéral a délégué au gouvernement de l’Ontario, par entente verbale, ses pouvoirs découlant de la LC [Loi sur les contraventions].  Ce faisant, le gouvernement fédéral n’a pas prévu de clause garantissant les droits linguistiques des contrevenants poursuivis en vertu de la LC.  Auparavant, les droits linguistiques étaient protégés par les articles 530 et 530.1 du Code criminel et l’article 16 de la Charte en ce qui concerne l’aspect « judiciaire » des poursuites et par la partie IV de la LLO [Loi sur les langues officielles] et l’article 20 de la Charte en ce qui concerne l’aspect « administratif » ou « extra-judiciaire » des poursuites. 

[112] […] La partie défenderesse est tenue, en vertu de la Charte, de s’assurer que les droits linguistiques sont respectés.  Avant l’adoption de la LC, la partie défenderesse était tenue de maintenir l’égalité en ce qui concerne les droits linguistiques garantis par la Charte et prévus à la LLO et au Code criminel.  Ce n’et pas en adoptant une loi, transférant l’administration de certaines poursuites aux provinces, que la partie défenderesse pourra limiter les droits linguistiques constitutionnels.  Dans la mesure où la partie défenderesse ne respecte pas les droits garantis dans la Charte lors de l’adoption et de l’application de la LC, elle viole la Charte. […]

[151] Quant au traitement judiciaire des poursuites relatives aux contraventions fédérales, avant les modifications apportées à la LC, les garanties linguistiques prévues à l’article 16 de la Charte étaient assurées par l’application des articles 530 et 530.1 du Code criminel.

Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898 (CF PI)

[122] Compte tenu de la constitutionnalisation des droits linguistiques par les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte, des modifications apportées à la Loi sur les langues officielles et des indications données récemment par la Cour suprême dans l'arrêt Beaulac c. La Reine, précité, relativement aux principes applicables à l'interprétation de la portée et de l'application des droits linguistiques, je crois que la décision rendue par le juge Dickson dans l'affaire Kelso c. La Reine, précitée, n'est pas déterminante quant à la question de savoir si, sous le régime législatif et constitutionnel actuel, M. Schreiber a droit à une déclaration portant qu'il a été porté atteinte à ses droits. En particulier, au moment du prononcé de l'arrêt Kelso c. La Reine, précité, les droits linguistiques en cause n'étaient pas protégés par la Constitution et la Loi sur les langues officielles ne contenait aucune disposition analogue à l'article 82 qui établit la primauté de certaines parties de la Loi, dont les parties IV et V concernant les communications avec le public et la prestation de services ainsi que la langue de travail, sur toute autre disposition législative ou réglementaire incompatible. […] De plus, sa décision a été rendue avant la proclamation de la Charte, dont les paragraphes 16(1) et 20 (1) ont garanti l'égalité du français et de l'anglais comme langues officielles du Canada et le droit du public l'emploi de l'une ou l'autre langue pour communiquer avec les institutions fédérales ou pour en recevoir les services. Dans ces circonstances, les modifications législatives et constitutionnelles effectuées après le prononcé de l'arrêt Kelso c. La Reine, précité, sont importantes et rendent, selon moi, désuète la démarche interprétative adoptée par le juge Dickson.

[…]

[125] Sur le plan constitutionnel, les droits linguistiques constitutionnalisés dans les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte entrent en jeu en l'espèce. Quant à la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques en cause sont le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services, prévu par l'article 21, et celui conféré par l'article 34, selon lequel le français et l'anglais sont les langues de travail dans les institutions fédérales et le personnel a le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles conformément à la partie V. Les droits linguistiques prévus dans les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles font écho à ceux garantis par les paragraphes 20(1) et 16(1) de la Charte, respectivement. Les obligations correspondantes imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 de la Loi sur les langues officielles sont aussi pertinentes. 

NOTA – Cette décision a été confirmée en appel : Schreiber c. Canada, 2000 CanLII 16703 (CAF).

St-Jean c. La Reine et le Commissaire du Yukon, [1986] Y.J. No. 76, [1987] N.W.T.R. 118 (C.S. Yukon) [hyperlien non disponible]

Les auteurs des paragraphes 16(1) et 18(1) de la Charte, ainsi que du paragraphe 19(1), ne peuvent pas avoir voulu appliquer ces dispositions au territoire du Yukon, à son gouvernement ou à sa législature, et le silence délibéré de la Charte à cet égard doit être respecté. De plus, l'article 30 de la Charte va jusqu'à rendre le Yukon égal aux autres provinces afin que soient exécutoires dans le territoire du Yukon les articles de la Charte qui s'appliquent à toutes les provinces du Canada, même lorsque les droits linguistiques ne sont pas en jeu. 

Voir également :

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (CanLII)

McDonnell c. Fed. des Franco-Colombiens, 1986 CanLII 927 (BC CA) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Poulin c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1132 (CanLII)

Annotations – Paragraphe 16(2)

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII)

[13] Dans son préambule, la LLO [Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick] proclame que les objets de la Loi sont expressément liés aux garanties et aux obligations linguistiques consacrées dans la Constitution canadienne.  Personne ne conteste que la LLO est la réponse législative de la province aux obligations que la Charte lui impose en matière de bilinguisme institutionnel au NouveauBrunswick.  Pour en faciliter la consultation, je reproduis ici les dispositions de la Charte relatives aux langues officielles qui visent expressément la province du NouveauBrunswick : […]

[15] Le juge Bastarache estime qu’il aurait été préférable, en l’espèce, que la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick « adopte une attitude positive et vérifie s’il était nécessaire de limiter la portée du terme nouvellement défini à la lumière des difficultés soulevées par la façon dont la LLO est rédigée » (par. 32 (je souligne)).  Je ne suis pas d’accord.  Premièrement, il convient de souligner que l’arrêt Charlebois c. Moncton portait sur le para. 18(2) de la Charte; partant, la conclusion de la cour selon laquelle les municipalités sont des « institutions » pour l’application du para. 16(2) est une opinion incidente.  Notre Cour n’a jamais tranché la question de savoir si les municipalités sont des institutions au sens du para. 16(2), cette question n’est pas soulevée dans le présent pourvoi et je n’exprime aucune opinion sur la justesse de cette interprétation. Deuxièmement, il convient aussi de noter que les obligations constitutionnelles de la province, même selon la définition qu’en donne l’arrêt Charlebois c. Moncton, ne commandent pas une seule solution précise.  Comme l’a si bien fait remarquer la cour dans l’extrait précité, la province dispose d’une marge de manœuvre.  La LLO actuelle représente la réponse législative de la province à ses obligations constitutionnelles.  Il n’y a pas lieu de court-circuiter l’analyse au moyen d’une présomption générale de conformité à la Charte.  Le juge Daigle a donc eu parfaitement raison de poursuivre l’analyse.  Cela nous ramène à la question d’interprétation législative qui nous occupe : quelle approche la province du Nouveau-Brunswick a-t-elle adoptée à l’égard de ses municipalités pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles?

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[16] Comme nous l’avons vu, l’appelant conteste la validité de l’arrêté municipal Z-4 de la ville de Moncton au motif que le Conseil municipal n’a pas satisfait à l’obligation constitutionnelle que lui impose le par. 18(2) de la Charte d’adopter, d’imprimer et de publier ses arrêtés dans les deux langues officielles de la province. Il invoque les par. 16(2) et 18(2) ainsi que l’art. 16.1 de la Charte et soutient que l’omission de la part de la ville de Moncton de satisfaire à cette obligation constitutionnelle ne peut qu’entraîner l’invalidité de l’arrêté municipal Z-4.

[17] C’est la première fois que cette Cour est appelée à interpréter les droits linguistiques prévus aux par. 16(2) et 18(2) et à l’art. 16.1 de la Charte. À l’exception du droit à l’instruction dans la langue de la minorité garanti à l’art. 23 de la Charte, les droits linguistiques ont rarement fait l’objet d’une interprétation judiciaire. La question de l’invalidité que soulève l’appelant en l’espèce commande l’examen du contenu et de la portée des droits linguistiques invoqués, notamment le sens qu’il convient de donner au par. 18(2) et la définition des objets plus larges des droits qui découlent du par. 16(2) et de l’art. 16.1 de la Charte.

[…]

[62] On ne peut comprendre la portée des garanties linguistiques prévues dans la Charte sans tenir compte du principe fondamental qui concrétise à la fois la politique linguistique mise en œuvre au Nouveau-Brunswick, et l’engagement du gouvernement envers le bilinguisme et le biculturalisme. Le principe constitutionnel de l’égalité des langues officielles et de l’égalité des deux communautés de langue officielle et de leur droit à des institutions distinctes constitue la clef de voûte sur laquelle repose le régime de garanties linguistiques au Nouveau-Brunswick.

[63] En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. En dernier lieu, le par. 16.1(1) déclare, d’une part, l’égalité de statut, de droits et de privilèges des communautés linguistiques francophone et anglophone, et d’autre part, le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Le paragraphe 16.1(2) reconnaît le rôle de la Législature et du gouvernement de la province de protéger et de promouvoir l’égalité de statut, de droits et de privilèges mentionnés au paragraphe 16.1(1). En somme, cet article constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, précitée. L’égalité prévue à l’art. 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le par. 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du par. 16(2), cette disposition comporte donc des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes.

[64] Avant d’évaluer davantage le contenu et la portée de ces dispositions, il est utile d’examiner l’interprétation qu’a reçue dans les arrêts antérieurs de la Cour suprême le principe de l’égalité des langues officielles prévu à l’art. 16 de la Charte. Il importe de se rappeler que l’appelant invoque en l’espèce le principe de l’égalité des langues officielles prévue au par. 16(2) en tout premier lieu pour favoriser une interprétation large et généreuse de l’expression « lois de la Législature » utilisée au par. 18(2), mais également pour imposer au gouvernement provincial l’obligation de légiférer afin de donner plein effet à l’obligation qu’ont les municipalités en matière d’adoption et de publication bilingue des arrêtés municipaux.

[…]

[69] Comme on peut le constater, les juges de la Cour suprême se sont surtout attardés, avant l’arrêt Beaulac, à dégager des principes d’interprétation applicables à l’art. 16 de la Charte et à son objet mais ont vraiment peu discuté du contenu et de la portée de cette disposition. Par ailleurs, il faut reconnaître que ces mêmes questions visant d’abord l’égalité des langues officielles déclarée à l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles du Canada, S.R.C. 1970, c. O-2, qui serait l’ancêtre de l’art. 16, et ensuite visant la portée de l’art. 16 lui-même, ont fait l’objet d’un débat animé où ont pris part plusieurs auteurs d’ouvrages ou d’articles de doctrine. On a débattu deux thèses principales, à savoir les dispositions de l’art. 16 sont-elles déclaratoires ou mandatoires? Ont-elles un contenu autonome qui ferait naître en lui-même un droit à un redressement pour le motif que l’égalité n’est pas atteinte, et imposent-elles des obligations aux gouvernements? Compte tenu du tournant jurisprudentiel marqué dans l’arrêt Beaulac, il ne me paraît pas nécessaire de reprendre ce débat. (Voir B. Pelletier, Bilan des droits linguistiques au Canada (1995) 55 : 4 R. du B. 611; Tremblay, Les droits linguistiques dans Beaudoin et Tarnopolsky (éd.) Charte canadienne des droits et libertés (1982), Montréal, Wilson & Lafleur, 559; A. Braën, Les droits linguistiques dans M. Bastarache (éd.), Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986; et M. Bastarache, Le principe d’égalité des langues officielles dans M. Bastarache (éd) Les droits linguistiques au Canada, Yvon Blais, Montréal, 1986, 519 (particulièrement à la page 524.) À mon sens, la Cour suprême a répondu à la plupart de ces questions en donnant un contenu au principe de l’égalité prévu à l’art. 16, l’égalité réelle devenant la norme constitutionnelle applicable, et en reconnaissant l’effet contraignant de cette disposition selon lequel les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent des obligations pour l’État.

[…]

[76] De l’analyse qui précède de l’arrêt Beaulac et de ses répercussions sur certaines conclusions énoncées dans le jugement majoritaire dans l’arrêt Société des Acadiens, on peut en dégager les principales observations qui suivent. D’abord, l’égalité n’a pas un sens restreint en matière linguistique. Le principe de l’égalité inscrit au par. 16(2) doit recevoir son sens véritable, c’est-à-dire l’égalité réelle est la norme applicable. Par égalité réelle, on entend que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leurs (sic) mise en œuvre et créent en conséquence des obligations pour le gouvernement.

[77] En second lieu, la Cour suprême, en réexaminant certaines conclusions énoncées dans l’arrêt Société des Acadiens, a atténué considérablement le principe de retenue judiciaire qui devait être exercé du seul fait que les droits linguistiques seraient issus de compromis politiques en affirmant que l’existence de tels compromis n’a aucune incidence sur l’étendue de ces droits. En outre, la Cour a carrément désavoué et rejeté l’idée que le par. 16(3) limite la portée de l’égalité inscrite au par. 16(2) parce qu’il énonce la notion d’un avancement vers l’égalité des langues officielles qui se réalise par le processus législatif. Enfin, la Cour suprême écarte expressément la notion que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation restrictive si on voulait prêter à l’arrêt Société des Acadiens une telle autorité. La Cour établit au contraire une règle d’interprétation portant que les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.

[…]

[105] Dans l’affaire R. c. Gautreau (1990), 101 R.N.-B. (2e) 1, infirmée en appel pour d’autres motifs, le juge en chef Richard de la Cour du Banc de la Reine conclut que le service de police de la province était une institution au sens des par. 16(2) et 20(2) de la Charte. Il s’est appuyé sur un passage d’un article des auteurs Foucher et Snow dans lequel ceux-ci proposent une approche et des critères pour déterminer si une entité quelconque est une institution de la législature ou du gouvernement au sens du par. 16(2). Parmi ces critères, ils retiennent que l’entité doit être « une créature de l’État et doive son existence même à une loi publique » et « que le facteur prépondérant demeure la source juridique de ses pouvoirs ». (Voir : Le régime juridique des langues dans l’administration publique au Nouveau-Brunswick (1983), 24 C. de D. 81.) À mon avis, les critères proposés par ces auteurs rejoignent essentiellement ceux retenus par le juge La Forest dans l’arrêt Godbout.

[106] De l’analyse qui précède, je conclus que les municipalités du Nouveau-Brunswick sont assujetties à la Charte et qu’en conséquence, les actes de la ville de Moncton, en l’occurrence son omission de respecter l’obligation prévue au par. 18(2), peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Bref, les municipalités au Nouveau-Brunswick sont des créatures de la province, exercent des pouvoirs gouvernementaux qui leur sont conférés par la législature ou le gouvernement, et tirent tous leurs pouvoirs de la loi. Elles doivent aussi agir dans les limites de leur loi habilitante et leurs fonctions sont clairement gouvernementales.

[107] Par l’application de ces mêmes critères qui visent à identifier les structures ou fonctions des entités gouvernementales au sens de l’al. 32(1)b) à l’expression « institutions de la législature et du gouvernement » utilisée au par. 16(2), j’estime que ces mêmes paramètres permettent d’établir la portée de cette dernière expression. D’après une interprétation large et généreuse fondée sur l’objet visé du par. 16(2), je conclus, pour les motifs déjà exposés, que les municipalités sont des « institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick » au sens du par. 16(2) de la Charte.

NOTA – Voir les commentaires de la Cour suprême du Canada dans Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII) au para 15 au sujet de cette décision.

International Association of Fire Fighters (IAFF), Local 999 c. Moncton (City), 2017 CanLII 20335 (NB LA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[119] L’avocat de l’employeur a consacré une bonne partie de son argumentation à l’assertion selon laquelle la Ville, qui est une corporation municipale, est une « institution » au sens du paragraphe 16(2) de la Charte et qu’elle est donc tenue d’appliquer cette disposition. La compétence d’un conseil d’arbitrage pour ce qui est d’examiner de telles questions n’est plus mise en doute depuis la décision rendue dans Weber c. Ontario Hydro, 1995 CanLII 108 (CSC), [1995] 2 RCS 929 (voir aussi Brown & Beatty, paragraphe 2:2051).

[...]

[121] S’il est établi que la Ville est liée par le paragraphe 16(2), sera-t-elle alors tenue d’offrir des services dans les deux langues officielles, en application du paragraphe 20(2) de la Charte? Cette disposition prévoit ce qui suit :

20(2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services. [Nos soulignements]

[122] Pour offrir de tels services linguistiques, la Ville doit exiger, de façon réaliste, que certains employés soient bilingues. L’employeur est d’ailleurs d’avis que les adjoints aux agents de prévention des incendies doivent être bilingues; en fait, tous les employés de première ligne du service des incendies de Moncton devraient l’être.

[...]

[129] La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a établi une distinction en ce qui a trait à l’interprétation du terme « institution », faite dans Mowat, dans la décision qu’elle a rendue en 2007 dans l’affaire R. c. McGraw, 2007 NBCA 11 (CanLII), 312 R.N.-B. (2e) 142, dans laquelle la Cour a indiqué que l’état du droit sur cette question n’était pas concluant.

[130] Il est reconnu que dans les cas où un tribunal dispose d’une compétence partagée pour interpréter les lois, y compris la Charte, les décisions judiciaires rendues antérieurement concernant le sens de ces lois ou d’autres énoncés de droit applicables sont reconnues comme devant être appliquées obligatoirement (voir Brown & Beatty, paragraphe 1:3000). La difficulté rencontrée par le conseil d’arbitrage en ce qui concerne les observations de l’employeur est que l’interprétation du terme « institution », au sens utilisé dans la Charte, a été considérée comme étant un obiter dictum dans les décisions judiciaires rendues ultérieurement au même échelon ou à un échelon supérieur. Le juge Daigle, dans l’arrêt Saint John, avait la possibilité d’expliquer les observations qu’il a faites dans Mowat, mais il a abordé la question d’un autre point de vue.

[131] Par conséquent, le conseil d’arbitrage estime que l’interprétation selon laquelle les municipalités sont effectivement des institutions au sein du paragraphe 16(2) de la Charte n’est pas une interprétation d’application obligatoire reconnue par les tribunaux du Nouveau-Brunswick. En outre, il conclut qu’il n’est pas raisonnable de présumer que toutes les municipalités du Nouveau-Brunswick, quelle que soit leur composition linguistique, sont actuellement tenues d’offrir les services municipaux dans les deux langues officielles, en vertu des dispositions de la Charte. Cette décision ne l’oblige assurément pas à exclure le service des incendies de Moncton ou encore ses services de prévention des incendies.

[132] Nous adoptons les observations de la juge Charron, qui précise qu’à l’heure actuelle, la province du Nouveau-Brunswick doit se tourner vers la Loi sur les langues officielles pour connaître ses obligations constitutionnelles. L’exclusion de ces éléments de la théorie de l’employeur fondée sur la Charte rend non exécutoire le principe dérivé selon lequel la Ville est tenue de fournir des services dans les deux langues à ses résidents, en vertu du paragraphe 16(2) ou du paragraphe 20(2) de la Charte. [...]

Voir également :

Charlebois c. Town of Riverview et Procureur Général du Nouveau-Brunswick, 2015 NBCA 45 (CanLII)

Charlebois c. Town of Riverview, 2014 CanLII 68479 (CA NB)

Charlebois c. Moncton (Ville), 2000 CanLII 26893 (CA NB)

Annotations – Paragraphe 16(3)

Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, [2013] 2 R.C.S. 774, 2013 CSC 42 (CanLII)

[55] Enfin, les appelants demandent à la Cour de se prononcer sur l’impact en l’espèce des valeurs de la Charte et des principes constitutionnels.  Selon eux, l’existence de la Charte fait en sorte qu’une loi, y compris une loi reçue, doit être interprétée conformément aux valeurs qui sous-tendent la Charte.  La Cour a évidemment souligné à maintes reprises le rôle des valeurs de la Charte dans l’évolution de la common law et dans l’interprétation des lois : SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., 1986 CanLII 5 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 573; R. c. Zundel, 1992 CanLII 75 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 731; R. c. National Post, 2010 CSC 16 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 477.  La Charte établit expressément que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada : art. 16.  La Cour a reconnu également l’importance des minorités linguistiques au Canada : Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 79. 

[56] Par contre, la Charte reconnaît aussi que le Canada est une fédération et que toutes les provinces participent à la défense et à la promotion des langues officielles du pays.  C’est ce qui ressort des art. 16 à 20, qui exigent le bilinguisme au sein du gouvernement, au Parlement et dans les tribunaux fédéraux, ainsi que dans la province du Nouveau-Brunswick.  La Charte n’oblige aucune province, sauf le Nouveau-Brunswick, à assurer le déroulement des instances judiciaires dans les deux langues officielles.  De plus, le par. 16(3) dispose que les législatures peuvent prendre des mesures pour promouvoir l’usage du français et de l’anglais.  Je suis donc d’avis que, même si elle reconnaît l’importance des droits linguistiques, la Charte reconnaît par ailleurs l’importance du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces.  Le fédéralisme fait partie des principes qui sous-tendent la Constitution : Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 55-60.  Il n’est donc pas contraire aux valeurs de la Charte que la législature de la Colombie-Britannique décide que les instances judiciaires se déroulent uniquement en langue anglaise dans cette province.

[57] Cela dit, comme le par. 16(3) de la Charte établit expressément que les législatures provinciales peuvent favoriser la progression vers l’égalité de statut du français et de l’anglais, la législature de la Colombie-Britannique pourrait très bien adopter une loi similaire à celle proposée en 1971 afin que les instances civiles puissent se dérouler en langue française.  Nul doute qu’une telle loi serait de nature à promouvoir les valeurs consacrées au par. 16(3) de la Charte, lequel permet l’adoption de mesures législatives de nature à accroître l’égalité des langues officielles, mais ne confère pas — comme l’a déjà dit la Cour — de droits à cet égard.  Or, puisque la législature de la Colombie-Britannique n’a pas adopté pareilles mesures législatives, la Cour ne peut lui en imposer une.

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 1999 CanLII 684 (CSC)

[22] La Loi sur les langues officielles de 1988 et l’art. 530.1 du Code criminel, introduit comme modification connexe par l’art. 94 de cette loi, illustrent la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte; voir Simard, précité, à la p. 105.  Le principe de la progression n’épuise toutefois pas l’art. 16 qui reconnaît officiellement le principe de l’égalité des deux langues officielles du Canada.  Il ne limite pas la portée de l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles.  L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique.  En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable.  Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien.  Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada.  Le Parlement et les législatures provinciales le savaient quand ils ont réagi à la trilogie (Débats de la Chambre des communes, vol. IX, 1re sess., 33e lég., 6 mai 1986, à la p. 12999) et ont reconnu que les dispositions de 1988 seraient promulguées par des mécanismes de transition, accompagnés d’une aide financière qui permettrait de fournir les services institutionnels nécessaires.

[…]

[24] Même si les droits linguistiques constitutionnels découlent d’un compromis politique, ceci n’est pas une caractéristique qui s’applique uniquement à ces droits.  A. Riddell, dans « À la recherche du temps perdu: la Cour suprême et l’interprétation des droits linguistiques constitutionnels dans les années 80 » (1988), 29 C. de D. 829, à la p. 846, souligne que l’adoption des art. 7 et 15 de la Charte résulte aussi d’un compromis politique et soutient, à la p. 848, que l’histoire constitutionnelle du Canada ne fournit aucune raison de penser qu’un tel compromis politique exige une interprétation restrictive des garanties constitutionnelles.  Je conviens que l’existence d’un compromis politique n’a aucune incidence sur l’étendue des droits linguistiques.  L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée.  Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné.  L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. […] 

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[68] Je crois qu'il est exact d’affirmer que l’art. 16 de la Charte contient un principe d'avancement ou de progression vers l'égalité de statut ou d'usage des deux langues officielles.  Je considère toutefois qu'il est très significatif que ce principe de progression soit lié au processus législatif mentionné au para. 16(3) où se trouve consacrée la règle énoncée dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] R.C.S. 182.  Comme le processus législatif est, à la différence du processus judiciaire, un processus politique, il se prête particulièrement bien à l'avancement des droits fondés sur un compromis politique (p. 579).

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[104] Ce système incomplet mais précis [de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867] représente un minimum constitutionnel résultant d’un compromis historique intervenu entre les fondateurs quand ils se sont entendus sur les modalités de l’union fédérale. […] C’est un système qui, du fait qu’il constitue un minimum constitutionnel, et non un maximum, peut être complété par des lois fédérales et provinciales, comme on l’a conclu dans l’arrêt Jones. […] 

Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, 1974 CanLII 164 (CSC)

[p. 195] Le par. (1) de l’art. 91 mis à part, il n’y a aucune limitation expresse du pouvoir législatif du gouvernement fédéral d’étendre le champ de l’emploi privilégié ou obligatoire de l’anglais et du français dans les institutions ou les activités qui relèvent du contrôle législatif fédéral. Il ne s’y trouve non plus aucune limitation nécessairement implicite puisqu’il n’y a rien d’inconciliable ou d’incompatible avec l’art. 133, dans son rapport avec le Parlement du Canada et les tribunaux fédéraux, à améliorer la situation des deux langues au-delà de leur emploi privilégié ou obligatoire prévu à l’art. 133. La diminution par le Parlement de la protection donnée par l’art. 133 est une chose; cela requiert un amendement constitutionnel. C’est toute autre chose que d’étendre cette protection au-delà de ses limites actuelles.

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[51] Le paragraphe 16(3) codifie le « principe de progression » énoncé dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182. Dans Jones, le juge en chef Laskin, s’exprimant au nom de la Cour, a précisé aux pages 189 et 190 que la compétence non attribuée « pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », en vertu du préambule de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, autorisait le Parlement à promulguer des lois sur les langues officielles afin de promouvoir l’usage de l’anglais et du français au sein des institutions fédérales.

[...]

[55] Le paragraphe 16(3) rend intra vires les lois du Parlement ou de toute législature provinciale qui favorisent la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Il n’inscrit pas de telles lois dans la Constitution ni ne les introduit dans la Charte. Le non-respect de ces lois ne permet pas d’invoquer le paragraphe 24(1) de la Charte.

[...]

[57] À mon avis, le paragraphe 16(3) de la Charte n’a pas conféré de statut constitutionnel à l’article 530 du Code criminel. La violation de cet article, en l’espèce, ne constituait donc pas une violation du paragraphe 16(3) de la Charte.

Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 2001 CanLII 21164 (CA ON)

[89]  La Charte envisage que non seulement le Parlement, mais aussi les législatures des provinces peuvent favoriser la progression vers l’égalité de statut du français et de l’anglais :

16(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.

Le paragraphe 16(3) s’applique à l’Ontario

Deuxième question : Le paragraphe 16(3) de la Charte protège-t-il le statut de Montfort à titre d’institution francophone?

[90] Montfort fait sien un argument fondé sur le par. 16(3) de la Charte, proposé par deux intervenants, la Commissaire aux langues officielles du Canada et La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.  Ils prétendent qu’une fois que la province a fait de Montfort une institution homogène francophone, le par. 16(3) la revêt d’une protection constitutionnelle, limitant les droits de l’Ontario de modifier ou de réduire ce statut.  Le paragraphe 16(3) exprime un objectif constitutionnel : faire progresser l’égalité réelle des deux langues officielles du Canada.  On prétend que ce but sera atteint par l’application du principe dit d’« encliquetage ».  On affirme que lorsque l’Ontario fait avancer d’un cran l’égalité concrète du français, le par. 16(3) joue le rôle d’un cliquet qui bloque ce progrès au niveau d’un droit constitutionnel, empêchant tout retour en arrière.  Même si elles ne sont pas requises sur le plan constitutionnel, les mesures provinciales faisant progresser l’égalité linguistique répondent à une aspiration exprimée dans la Constitution.  Une fois accomplis, les progrès vers l’égalité linguistique concrète bénéficient d’une protection constitutionnelle, et le retrait d’un gain doit être convenablement justifié.  On soutient que cette interprétation du par. 16(3) se fonde sur le principe, développé ci-dessous, voulant que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation large et libérale.  On invoque aussi le principe constitutionnel non écrit de respect et de protection des minorités comme outils d’interprétation.

[…]

[92] Nous ne sommes pas convaincus que le par. 16(3) comprend un principe d' « encliquetage », qui conférerait une protection constitutionnelle aux mesures prises pour faire progresser l'égalité linguistique. Le paragraphe 16(3) repose sur le principe établi dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, selon lequel la Constitution garantit un "plancher" et non un "plafond"; il traduit l'aspiration d'une recherche de l'égalité concrète. Cette aspiration exprimée par le par. 16(3) revêt de l'importance pour interpréter la loi. Il nous semble cependant indéniable que l'effet de cette disposition est de protéger, et non pas de constitutionnaliser, les mesures prises pour faire avancer l'égalité linguistique. La portée juridique effective du par. 16(3) en est déterminée et limitée par les premiers mots: "La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures". Le paragraphe 16(3) n'est pas attributif de droit. Il s'agit plutôt d'une disposition destinée à prévenir toute contestation d'une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l'art. 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d'un palier de gouvernement. Voir André Tremblay et Michel Bastarache, "Les droits linguistiques", dans Gérald-A. Beaudoin et Ed Ratushny, dirs., Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd. (1989), à la p. 746:

Par cette disposition, on a vraisemblablement voulu s'assurer que le pouvoir de privilégier le français et l'anglais dans la législation ne puisse être contesté en vertu des normes anti-discriminatoires contenues à l'article 15 de la Charte. Le paragraphe 16(3) pourrait ainsi prévenir l'invalidation de mesures d'accès à l'égalité des langues officielles.

[93] Selon nous, le principe d’« encliquetage » n’est pas non plus étayé par la jurisprudence.  Le passage extrait de l’arrêt Société des Acadiens se trouve dans une opinion dissidente centrée sur le par. 19(2) et sur les obligations spécifiques que les art. 16 à 20 de la Charte imposent au Nouveau-Brunswick.

[94] Cet argument part de l’hypothèse que le gouvernement n’avait aucune obligation de créer Montfort.  Notre Cour a déjà statué dans un autre contexte qu’en l’absence d’un droit constitutionnel qui oblige le gouvernement à agir, il n’existe aucun droit constitutionnel à la préservation d’une mesure prise volontairement, même si cette mesure s’accorde avec les valeurs prônées par la Charte ou favorise ces valeurs.  Dans Ferrel c. Ontario (A.G.) (1998), 1998 CanLII 6274 (ON CA), 42 O.R. (3d) 97 (C.A.), une affaire portant sur l’abrogation d’une loi visant à combattre la discrimination institutionnelle dans l’emploi, le juge en chef adjoint Morden écrit ce qui suit, aux pp. 110 et 111 :

[TRADUCTION] S’il n’y a, au départ, aucune obligation constitutionnelle d’édicter la Loi de 1993, je crois alors qu’implicitement, en ce qui concerne les exigences constitutionnelles, la Législature est libre de remettre la législation de la province dans l’état où elle se trouvait avant l’adoption de la Loi de 1993, sans avoir à justifier l’abrogation de la loi en vertu de l’art. 1 de la Charte.

[…]

Il serait pour le moins étonnant, à mon avis, qu’une initiative législative comme la Loi de 1993, entraînant des coûts et la mise sur pied d’une structure administrative, ait pour effet, une fois promulguée, d’acquérir un statut immuable dans le droit de la province, susceptible uniquement d’élargissement et impossible à modifier ou à réviser sans justification aux termes de l’art. 1.

[95] En résumé, Montfort est un hôpital public qui procure des services en français.  Le paragraphe 16(3) de la Charte n’accorde pas à Montfort un statut constitutionnel, parce qu’il ne s’agit pas d’une disposition attributive de droit.  Étant donné que Montfort n’est pas constitutionnellement protégé par le par. 16(3), l’Ontario peut, sous réserve de ce qui suit, modifier le statut de Montfort en tant qu’hôpital communautaire sans contrevenir au par. 16(3).

[…]

[129] La L.S.F. [Loi sur les services en français] est un exemple d'utilisation, par la législature provinciale de l'Ontario, du par. 16(3), pour enrichir les droits linguistiques garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte pour faire progresser l'égalité de statut ou d'emploi du français. L'aspiration exprimée par le par. 16(3) - faire progresser le français vers une égalité effective avec l'anglais en Ontario - est d'une grande importance pour interpréter la L.S.F.

[…]

[140] Outre l'aspiration exprimée par le par. 16(3), le principe du respect et de la protection de la minorité francophone en Ontario, et l'interprétation large et téléologique que doivent recevoir les droits linguistiques, les principes généraux d'interprétation des lois s'appliquent également. [...]

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[63] En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. […] 

[…]

[77] En second lieu, [dans l’arrêt Beaulac] la Cour suprême, en réexaminant certaines conclusions énoncées dans l’arrêt Société des Acadiens, a atténué considérablement le principe de retenue judiciaire qui devait être exercé du seul fait que les droits linguistiques seraient issus de compromis politiques en affirmant que l’existence de tels compromis n’a aucune incidence sur l’étendue de ces droits. En outre, la Cour a carrément désavoué et rejeté l’idée que le par. 16(3) limite la portée de l’égalité inscrite au par. 16(2) parce qu’il énonce la notion d’un avancement vers l’égalité des langues officielles qui se réalise par le processus législatif. Enfin, la Cour suprême écarte expressément la notion que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation restrictive si on voulait prêter à l’arrêt Société des Acadiens une telle autorité. La Cour établit au contraire une règle d’interprétation portant que les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.

Westmount (Ville de) c. Québec (Procureur Général du), 2001 CanLII 13655 (CA QC)

[211] Celle-ci [la Commissaire aux langues officielles] plaide que la Loi 171 a pour effet de réduire les droits de la minorité anglophone et, de ce fait, contrevient à l'article 16(3) de la Charte canadienne qui cristallise les droits linguistiques des communautés minoritaires.

[212] Le procureur général intimé réplique que l'article 16(3) de la Charte canadienne ne crée pas de droit linguistique autonome et constitue, tout au plus, une invitation à améliorer le bilinguisme institutionnel dans les provinces autres que le Nouveau-Brunswick.  D'ailleurs, à l'audience, l'avocat de la Commissaire a reconnu que l'article 16(3) de la Charte canadienne ne permettait pas de créer un nouveau droit linguistique, mais avait seulement pour objet de protéger ceux qui avaient déjà concédé.

[213] En l'espèce, les villes qui détenaient « un statut bilingue » sont transformées en « arrondissements bilingues ».  La Loi 170 prévoit expressément que ce statut ne pourra leur être retiré si ce n'est à leur demande.

[214] Les appelants font voir que les villes « anglophones » offraient des services beaucoup plus étendus que ceux expressément autorisés par l'article 29.1 et les autres dispositions de la Charte de la langue française, ce qui est exact.  Par contre, la Loi 171 ne modifie aucunement leur situation juridique, puisque les arrondissements bilingues conservent les mêmes droits et privilèges qui appartenaient auparavant aux villes bilingues ou dites « anglophones » aux termes de la Charte de la langue française.

[215] Les appelants se plaignent qu'il sera plus facile de retirer le statut de ville bilingue dans l'avenir.  Il s'agit là d'une allégation qui n'est aucunement soutenue par la preuve.  En outre, si le gouvernement agissait ainsi, il serait alors possible de faire valoir les prétentions que la Commissaire soutient présentement.

[216] La situation juridique des villes appelantes demeure donc inchangée au chapitre des droits linguistiques, puisque la Charte de la langue française continue de régir l'usage de la langue française et de la langue anglaise dans les institutions municipales. On nous permettra ici d'ouvrir une parenthèse pour rappeler qu'il en est de même de l'article 1 de la Loi 170 qui a fait l'objet de vives critiques de la part des appelants.  Cet article déclare que Montréal est une ville de langue française.  Or, ce texte purement déclaratoire n'ajoute, ni ne retranche rien aux règles déjà établies par la Charte de la langue française, ce qui a d'ailleurs fait écrire au premier juge qu'il était superflu et inutilement « provocateur ».  Quoi qu'il en soit, on ne saurait en conclure, comme le plaident certains des appelants, que cet article démontre que le gouvernement ne recherche pas vraiment la réforme des structures municipales, mais poursuit un but inavoué, celui de priver la communauté anglophone de ses institutions.

[217] En conséquence, nous sommes d'avis, sous la réserve déjà exprimée relativement au locus standi de la Commissaire aux langues officielles que son argumentation au fond doit être rejetée mais, dans les circonstances, sans frais.

R. c. Simard, 1995 CanLII 1422 (CA ON)

[15] Ces articles [les articles 530 et 530.1 du Code criminel] constituent une illustration du principe de progression vers l'égalité de statut ou d'usage des deux langues officielles conformément à l’art. 16(3) de la Charte selon lequel le Parlement et les législatures ont le pouvoir de favoriser une telle progression.  Ils vont bien au-delà des exigences linguistiques minimales des dispositions constitutionnelles,  en reconnaissant le droit des accusés d'avoir un juge, un jury et un procureur qui parlent la langue officielle de l'accusé.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[pp. 26-27] Par conséquent, dans l’ensemble, nous sommes d’avis que la meilleure vision de l’affaire est celle-ci : le Parlement et les assemblées législatives possèdent indubitablement le pouvoir, en vertu du paragraphe 16(3), de définir des droits en matière de langues officielles qui vont au-delà de ceux enchâssés dans la Charte, mais ce faisant, ni l’un ni l’autre n’est libéré de l’obligation, aux termes du paragraphe 16(3), de respecter les libertés et les droits fondamentaux énoncés ailleurs dans la Charte. Bien entendu, cette dispense dont ils pourraient bénéficier en application des articles 1 et 33 constitue, en soi, une tout autre question, bien qu’il soit possible d’ajouter que ces articles existent dans le but d’éliminer certains obstacles à la promotion des langues officielles qui, eu égard à l’article 15 plus particulièrement, pourraient autrement se dresser.

Nous en venons donc à la conclusion que le Parlement avait la compétence voulue pour promulguer la Loi modifiant le droit pénal, en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, en dépit du fait que cette loi eût pour objet, notamment, de promouvoir le statut ou l’usage du français au-delà des obligations imposées par la Charte aux articles 16 à 20, mais qu’à tous les égards, la Loi demeure assujettie aux autres dispositions de la Charte, y compris à l’article 15.

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[31] Le paragraphe 16(3) formalise le principe d’avancement ou de progression vers l’égalité, du statut ou d’usage des deux langues officielles du Canada. Cette disposition met à l’abri d’éventuelles contestations des mesures gouvernementales qui pourraient autrement être jugées contraires au par.15(1). Les articles 16 et 20, comme les autres dispositions affirmant l’existence de droits linguistiques, ne sont pas sujet à l’application de la clause de dérogation inscrite à l’article 33. Cela veut dire que ni le Parlement ni la législature du Nouveau-Brunswick ne peuvent se soustraire à ces dispositions.

R. c. Pare, 1986 CanLII 1189 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[27] J'ai déjà conclu que la partie X1V.1 du Code criminel constituait un ensemble de dispositions législatives favorisant l'égalité de statut ou d'usage de l'anglais et du français au Canada, et j'ai, par conséquent, conclu que le paragraphe 16(3) de la Charte, considéré avec les autres dispositions linguistiques de la Charte et de la Loi constitutionnelle de 1982, rendait l'article 15 de la Charte inapplicable dans des circonstances comme celles-ci.

[28] La conclusion à laquelle je suis arrivé est appuyée par les jugements du juge Beetz et du juge d'appel Craig. Ces jugements confirment qu'il vaut mieux laisser la promotion des droits linguistiques au soin du législateur, lequel est mieux placé pour voir au développement des droits politiques que les tribunaux. Ils font remarquer en particulier que ce principe est reflété au paragraphe 16(3) qui lie la promotion des droits linguistiques au processus législatif. En soi, ce raisonnement indique qu'après avoir correctement identifié qu'un ensemble des dispositions législatives favorisait l'égalité de statut ou d'usage des deux langues officielles, on doit conclure que le paragraphe 16(3) établit que ces dispositions ne peuvent contrevenir aux dispositions de l'article 15 de la Charte. Si tel n'était pas le cas et que le paragraphe 16(3) ne mettait pas ces dispositions à l'abri des autres dispositions de la Charte, le résultat serait de décourager le Parlement de prendre des mesures destinées à faire appliquer progressivement les droits linguistiques dans l'ensemble du Canada, une approche qui semble réaliste étant donné la nature des droits en question et la répartition de la population de langue minoritaire dans l'ensemble du pays.

R. c. Gaudet, 2009 NBPC 8 (CanLII)

[18] Comme je l’ai indiqué précédemment,  l’accusation en vertu de l’article 253(b), à laquelle M. Gaudet fait face, est une poursuite engagée sous le régime du Code criminel du Canada.  Par conséquent, le recours appliqué par le Juge en chef Drapeau dans l’affaire McGraw n’est pas disponible dans la présente affaire.  Est-ce que je peux dans les circonstances faire appel aux dispositions du par. 20(2) et par conséquent aux recours prévus au par. 24(2) de la Charte pour remédier à la violation du par. 31(1) dans la présente affaire?  A mon avis, pour ce faire, il faut déterminer si le par. 20(2) de la Charte impose  implicitement l’obligation d’informer expressément prévue au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles et si le par. 16(3) de la Charte a donné un caractère constitutionnel à cette dernière disposition

[…]

[23]  À la lumière de ce qui précède, il serait pour le moins paradoxal que les autorités gouvernementales aient plus ou moins d'obligation selon que la poursuite est faite en vertu d'une loi provinciale ou en vertu du Code criminel ou, à l'opposé, que l'administré ait plus ou moins de droit selon qu'il a enfreint une loi provinciale ou une loi fédérale. A mon avis un tel résultat va à l’encontre du fondement même des droits linguistiques et d’une interprétation libérale des lois régissant ces droits.  La conclusion que  le par 20(2) de la Charte impose implicitement l’obligation d’informer expressément prévue au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles et que le paragraphe 16(3) a donné un caractère constitutionnel à cette dernière disposition est la conclusion qui respecte une interprétation libérale des droits linguistiques et le fondement même de ces droits.

Voir également :

R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, 2008 CSC 41 (CanLII)

Galganov c. Russell (Township), 2012 ONCA 409 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276, 2004 CAF 263 (CanLII)

R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII)

City of Toronto c. Braganza, 2011 ONCJ 657 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC), l’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280

 

16.1. (1) Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick

16.1. (1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

16.1. (2) Rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick

16.1. (2) (2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraph (1) est confirmé. (83.1)

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Paragraphe 16.1(1)

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74

[13] Dans son préambule, la LLO [Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick] proclame que les objets de la Loi sont expressément liés aux garanties et aux obligations linguistiques consacrées dans la Constitution canadienne.  Personne ne conteste que la LLO est la réponse législative de la province aux obligations que la Charte lui impose en matière de bilinguisme institutionnel au NouveauBrunswick.  Pour en faciliter la consultation, je reproduis ici les dispositions de la Charte relatives aux langues officielles qui visent expressément la province du NouveauBrunswick : […]

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

La portée du paragraphe 16(2) et de l’article 16.1 de la Charte

[62] On ne peut comprendre la portée des garanties linguistiques prévues dans la Charte sans tenir compte du principe fondamental qui concrétise à la fois la politique linguistique mise en œuvre au Nouveau-Brunswick, et l’engagement du gouvernement envers le bilinguisme et le biculturalisme. Le principe constitutionnel de l’égalité des langues officielles et de l’égalité des deux communautés de langue officielle et de leur droit à des institutions distinctes constitue la clef de voûte sur laquelle repose le régime de garanties linguistiques au Nouveau-Brunswick.

[63] En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. En dernier lieu, le par. 16.1(1) déclare, d’une part, l’égalité de statut, de droits et de privilèges des communautés linguistiques francophone et anglophone, et d’autre part, le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Le paragraphe 16.1(2) reconnaît le rôle de la Législature et du gouvernement de la province de protéger et de promouvoir l’égalité de statut, de droits et de privilèges mentionnés au paragraphe 16.1(1). En somme, cet article constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, précitée. L’égalité prévue à l’art. 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le par. 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du par. 16(2), cette disposition comporte donc des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes.

[…]

La portée de l’article 16.1 de la Charte

[78] Enfin, il reste à considérer la portée de l’art. 16.1. Au même titre que le par. 16(2), le principe de l’égalité des deux communautés francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick inscrit à l’art. 16.1 de la Charte constitue un indice révélateur de l’objet des garanties linguistiques et une source d’inspiration dans l’interprétation des autres dispositions de la Charte, y compris le par. 18(2). En décidant en 1993 d’inscrire dans la Charte le principe de l’égalité des deux communautés comme caractéristique fondamentale de la province, le constituant avait l’intention de démontrer son engagement envers la réalisation de l’égalité des communautés linguistiques officielles. Cette disposition réaffirme et concrétise l’engagement que le législateur de cette province avait pris en 1981 en adoptant la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. (Voir Journal des débats de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, session de 1992, le 4 décembre 1992, aux pages 4708 à 4721.)

[79] Comme je l’ai déjà signalé, l’art. 16.1 comporte, contrairement au par. 16(2), un volet collectif et communautaire puisqu’il vise l’égalité des communautés. Également, il reconnaît expressément le rôle de la législature et du gouvernement de protéger et promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. En cela, il constitue un ensemble unique de dispositions constitutionnelles tout à fait particulier au Nouveau-Brunswick et lui réserve une place distincte au sein des provinces canadiennes.

[80] À mon avis, l’interprétation de l’art. 16.1 est liée à celle du par. 16(2) et les conclusions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac quant à la nature et la portée du principe de l’égalité sont applicables à l’art. 16.1. Son objet me paraît clair. Compte tenu des droits différents qui découlent de la dimension collective de l’égalité garantie, son objet est similaire à celui que les tribunaux ont donné à l’art. 16. Cette disposition vise à maintenir les deux langues officielles, ainsi que les cultures qu’elles représentent, et à favoriser l’épanouissement et le développement des deux communautés linguistiques officielles. Elle est de nature réparatrice et entraîne des conséquences concrètes. Elle impose au gouvernement provincial l’obligation de prendre des mesures positives destinées à assurer que la communauté de langue officielle minoritaire ait un statut et des droits et privilèges égaux à ceux de la communauté de langue officielle majoritaire. L’obligation imposée au gouvernement découle à la fois de la nature réparatrice du par. 16.1(1), compte tenu des inégalités passées qui n’ont pas été redressées, et de l’engagement constitutionnel du gouvernement de protéger et de promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. Le principe de l’égalité des deux communautés linguistiques est une notion dynamique. Elle implique une intervention du gouvernement provincial qui exige comme mesure minimale l’égalité de traitement des deux communautés mais, dans certaines circonstances où cela s’avérait nécessaire pour atteindre l’égalité, un traitement différent en faveur d’une minorité linguistique afin de réaliser la dimension collective autant qu’individuelle d’une réelle égalité de statut. Cette dernière exigence s’inspire du fondement même du principe de l’égalité.

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[30] L’article 16.1 de la Charte, adopté en 1993, reconnaît l’égalité de statut, de droits et de privilèges de la communauté linguistique française et de la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick et il témoigne de l’engagement du constituant envers l’égalité des communautés de langue officielle. Il est un précieux indice de l’objet même des garanties linguistiques ainsi qu’une aide à l’interprétation des autres dispositions de la Charte.        

Small et Ryan c. Nouveau-Brunswick (Ministre de l’Éducation), 2008 NBBR 201 (CanLII)

Contestation fondée sur la Charte

[3] Les requérants soutiennent que la décision du Ministre porte atteinte à leurs droits garantis par les articles 16 (Langues officielles), 16.1 (Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick) et 23 (Droits à l’instruction dans la langue de la minorité) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[4] La Cour suprême du Canada a clairement énoncé ce qui suit à l’égard du paragraphe 23(2) de la Charte :

[…] [I]l serait contraire à l’objet de la disposition d’assimiler les programmes d’immersion à l’enseignement dans la langue de la minorité.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 201, au par. 50; voir également Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 15 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 238, aux par. 28 à 34.

[5] À mon avis, le programme d'immersion précoce en français pour les anglophones du Nouveau-Brunswick, qui parlent la langue de la majorité dans la province, n'est donc pas protégé par la disposition de la Charte qui porte sur les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que le libellé général des articles 16 et 16.1 de la Charte, qui portent sur le bilinguisme et les communautés linguistiques, offre un fondement en droit pour contester la décision du ministre de l'Éducation à l'égard du programme d'immersion précoce en français.

Annotations – Paragraphe 16.1(2)

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[63]  En effet, le par. 16(2) constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges de l’anglais et du français quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le par. 16(3) précise que la Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement du Canada et des législatures des provinces d’adopter des mesures pour favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais. Même si cette disposition n’impose aucune obligation positive au Parlement canadien ou aux provinces, elle reconnaît toutefois la possibilité pour le législateur de créer des droits linguistiques autres que ceux inscrits dans la Charte. En dernier lieu, le par. 16.1(1) déclare, d’une part, l’égalité de statut, de droits et de privilèges des communautés linguistiques francophone et anglophone, et d’autre part, le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Le paragraphe 16.1(2) reconnaît le rôle de la Législature et du gouvernement de la province de protéger et de promouvoir l’égalité de statut, de droits et de privilèges mentionnés au paragraphe 16.1(1). En somme, cet article constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, précitée. L’égalité prévue à l’art. 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le par. 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du par. 16(2), cette disposition comporte donc des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes.

[…]

La portée de l’article 16.1 de la Charte

[78] Enfin, il reste à considérer la portée de l’art. 16.1. Au même titre que le par. 16(2), le principe de l’égalité des deux communautés francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick inscrit à l’art. 16.1 de la Charte constitue un indice révélateur de l’objet des garanties linguistiques et une source d’inspiration dans l’interprétation des autres dispositions de la Charte, y compris le par. 18(2). En décidant en 1993 d’inscrire dans la Charte le principe de l’égalité des deux communautés comme caractéristique fondamentale de la province, le constituant avait l’intention de démontrer son engagement envers la réalisation de l’égalité des communautés linguistiques officielles. Cette disposition réaffirme et concrétise l’engagement que le législateur de cette province avait pris en 1981 en adoptant la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. (Voir Journal des débats de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, session de 1992, le 4 décembre 1992, aux pages 4708 à 4721.)

[79] Comme je l’ai déjà signalé, l’art. 16.1 comporte, contrairement au par. 16(2), un volet collectif et communautaire puisqu’il vise l’égalité des communautés. Également, il reconnaît expressément le rôle de la législature et du gouvernement de protéger et promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. En cela, il constitue un ensemble unique de dispositions constitutionnelles tout à fait particulier au Nouveau-Brunswick et lui réserve une place distincte au sein des provinces canadiennes.

[80] À mon avis, l’interprétation de l’art. 16.1 est liée à celle du par. 16(2) et les conclusions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac quant à la nature et la portée du principe de l’égalité sont applicables à l’art. 16.1. Son objet me paraît clair. Compte tenu des droits différents qui découlent de la dimension collective de l’égalité garantie, son objet est similaire à celui que les tribunaux ont donné à l’art. 16. Cette disposition vise à maintenir les deux langues officielles, ainsi que les cultures qu’elles représentent, et à favoriser l’épanouissement et le développement des deux communautés linguistiques officielles. Elle est de nature réparatrice et entraîne des conséquences concrètes. Elle impose au gouvernement provincial l’obligation de prendre des mesures positives destinées à assurer que la communauté de langue officielle minoritaire ait un statut et des droits et privilèges égaux à ceux de la communauté de langue officielle majoritaire. L’obligation imposée au gouvernement découle à la fois de la nature réparatrice du par. 16.1(1), compte tenu des inégalités passées qui n’ont pas été redressées, et de l’engagement constitutionnel du gouvernement de protéger et de promouvoir l’égalité des communautés linguistiques officielles. Le principe de l’égalité des deux communautés linguistiques est une notion dynamique. Elle implique une intervention du gouvernement provincial qui exige comme mesure minimale l’égalité de traitement des deux communautés mais, dans certaines circonstances où cela s’avérait nécessaire pour atteindre l’égalité, un traitement différent en faveur d’une minorité linguistique afin de réaliser la dimension collective autant qu’individuelle d’une réelle égalité de statut. Cette dernière exigence s’inspire du fondement même du principe de l’égalité.

[…]

[115] Par ailleurs, le par. 16.1(2) de la Charte prévoit explicitement que c’est « [le] rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir » le statut, les droits et les privilèges égaux des deux communautés linguistiques officielles. Cette disposition comporte, à l’instar de l’art. 23 de la Charte, une dimension collective et impose au gouvernement l’obligation d’intervenir de façon positive pour assurer le respect et l’application réelle de ces garanties linguistiques. En outre, l’art. 3 de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, dont les principes ont été enchâssés à l’art. 16.1 de la Charte, est plus explicite quant à l’engagement du gouvernement et énonce que le gouvernement « dans les mesures législatives qu’il propose, dans la répartition des ressources publiques et dans ses politiques et programmes, encourage, par des mesures positives, le développement culturel, économique, éducationnel et social des communautés linguistiques officielles ».

[116] Cette disposition confirme, sur le plan législatif, l’obligation positive d’agir pour le gouvernement provincial. Par ses engagements législatifs et constitutionnels, le Nouveau-Brunswick a accepté qu’il est de son devoir de prendre toutes les mesures favorables au maintien et au développement des communautés de langue officielle. Il reconnaît ainsi que les deux langues et les deux cultures véhiculées par ces communautés constituent l’héritage commun de tous les néo-brunswickois et qu’elles doivent trouver un climat propice à leur développement. (Voir : Gouvernement du Nouveau-Brunswick, Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick, précité, à la p. 427.)

Voir également :

Sonier c. Ambulance Nouveau-Brunswick Inc., 2016 NBBR 218 (CanLII)

 

17. (1) Travaux du Parlement

17. (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.

17. (2) Travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick

17. (2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

NOTA – Voir la jurisprudence portant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

Annotations – Généralités

New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, 1993 CanLII 153 (CSC)

[75] On peut dire la même chose des art. 17 et 18 de la Charte.  L'article 17, qui mentionne le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats, utilise le mot Parlement, et le par. 17(2), qui mentionne le même droit au sein de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, utilise le terme « Législature du Nouveau-Brunswick ».  L'article 18 utilise les mêmes mots concernant les « lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux » du Parlement et de la Législature du Nouveau-Brunswick. L'article 17 utilise le terme « Législature » pour désigner l'Assemblée, tandis que l'art. 18 utilise le mot « Législature » pour désigner à la fois la législature proprement dite (c'est-à-dire l'organisme qui adopte des lois) et l'Assemblée (l'organisme qui dresse des « comptes rendus » et des « procès-verbaux »).

[76] Si ces exemples montrent que l'emploi n'est pas tout à fait uniforme, ils ne dérogent en rien à la règle générale selon laquelle le terme « législature », à l'art. 32 [de la Charte], désigne l'organisme qui légifère. Il faut noter que le terme « législature » ne possède pas un sens unique applicable à la fois à l'art. 33, d'une part, et aux art. 5, 17 et 18, d'autre part. En fait, aucune interprétation unique du terme « législature » ne peut être utilisée avec une précision absolue à l'art. 18 lui-même. À l'article 33, le mot « législature » désigne clairement l'organisme ayant la capacité de légiférer, alors qu'aux art. 5 et 17 le contexte démontre clairement que c'est l'Assemblée elle-même qui est visée.  L'article 18 mentionne les « lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux » de la législature.  Mais, à vrai dire, la « législature » adopte des « lois », tandis que l'Assemblée dresse des « comptes rendus » et des « procès-verbaux ».  Ce manque d'uniformité n'est pas étonnant compte tenu de la nature de ces documents et particulièrement de leur tentative d'énoncer assez succinctement des concepts qui sont historiquement lourds de sens.  Il fait également ressortir la nécessité, dans l'interprétation de ces dispositions, de prêter une attention toute particulière aux considérations contextuelles et à celles relatives à l'objet visé, qui sont déjà soulignées dans les présents motifs.

[77] À cet égard, il faut garder à l'esprit, en ce qui concerne les art. 5, 17 et 18 de la Charte, des considérations historiques et structurales particulières.  Ces articles sont le prolongement des dispositions originales de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Quant à l'art. 5, il s'inspire de  l'art. 20 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, maintenant abrogé.  Cet article prévoyait la tenue d'une session du Parlement du Canada et, par conséquent, l'emploi de l'expression « Parlement du Canada » était évidemment utile en raison de l'obligation d'inclure à la fois le Sénat et la Chambre des communes.  L'emploi des mots « session » et « séance » dans cet article traduisait aussi très clairement l'intention du législateur de ne mentionner que la Chambre et le Sénat, bien que le terme utilisé, soit « Parlement », n'était pas à strictement parler juste.

[78] Quant aux art. 17 et 18, ils s'inspirent de l'art. 133 initial qui, fait plutôt intéressant, prévoyait que « [d]ans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif », et que « [l]es lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues ».  L'article original établissait une nette distinction entre les « travaux de la Chambre» et les «lois adoptées par la législature », clarté qui ne se retrouve pas dans les mises à jour.

[79] Les articles 5, 17 et 18 figurent dans les parties de la Charte qui sont exclues de l'application des dispositions dérogatoires de l'art. 33 de la Charte.  Cela donne à penser qu'ils ne font pas partie de la même catégorie que les droits contenus aux art. 2 et 7 à 15 et peut expliquer, sinon entièrement excuser, le manque d'uniformité entre la formulation de ces articles et celle d'autres articles de la Charte et de la Loi constitutionnelle en général.

[80] En résumé, la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel donnent fortement à penser que le terme « législature » utilisé à l'art. 32 désigne en général l'organisme ayant la capacité de légiférer et non pas ses parties composantes prises individuellement. Le contexte particulier de certaines dispositions de la Charte, notamment les art. 5, 17 et 18, commande un sens différent. Toutefois, en l'espèce, il s'agit de savoir si les droits garantis par l'art. 2 de la Charte s'appliquent à l'assemblée législative et je conclus qu'une interprétation juste de l'art. 32 permet nettement de répondre par la négative.

Annotations – Paragraphe 17(1)

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[50] Sous réserve de variantes stylistiques mineures, les termes des art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés clairement et délibérément à la version anglaise de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont une version française n'a pas encore été adoptée conformément à l'art. 55 de la Loi constitutionnelle de 1982. J'estime en conséquence qu'on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l'interprétation donnée à l'art. 133, qui porte :

133. Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux du Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.

Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

[51] Le texte quelque peu condensé et complexe de l'art. 133 a été abrégé et simplifié dans les art. 17 à 19 de la Charte, comme il convient au style d'un véritable document constitutionnel. Ainsi, la partie pertinente de l'art. 133 ("dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux ... ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage") est devenue "Chacun a le droit d'employer ... dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux ... et dans tous les actes de procédure qui en découlent". Or, j'estime que ce changement de pure forme ne revêt aucune importance particulière.

[…]

[53] À mon sens, les droits que garantit le par. 19(2) de la Charte sont de même nature et portée que ceux garantis par l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui concerne les tribunaux du Canada et ceux du Québec. Comme le conclut la Cour à la majorité, aux pp. 498 à 501 de l'arrêt MacDonald, il s'agit essentiellement de droits linguistiques qui n'ont aucun rapport avec les exigences de justice naturelle et qui ne doivent pas être confondus avec celles-ci. Ces droits linguistiques sont les mêmes que ceux qui sont garantis par l'art. 17 de la Charte relativement aux débats du Parlement. Ils appartiennent à l'orateur, au rédacteur ou à l'auteur des actes de procédure d'un tribunal, et ils confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix. En outre, ni l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l'art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l'art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l'être.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[60] Le juge en chef adjoint Hugessen fait remarquer à juste titre, dans l'affaire Walsh, que les termes essentiels de l'art. 133 sont les mêmes en ce qui concerne la langue des débats parlementaires et la langue des procédures judiciaires, et qu'ils doivent donc recevoir la même interprétation. Il est clair que les droits garantis dans les débats parlementaires sont ceux de l'orateur uniquement. Ses auditeurs ne sauraient avoir le droit qu'on leur parle dans la langue de leur choix sans, par le fait même, porter atteinte au droit de l'orateur d'utiliser la langue de son choix et faire perdre tout leur sens à ces dispositions constitutionnelles. De même, il se pourrait que l'orateur soit unilingue et il lui serait alors impossible de s'adresser à ses auditeurs dans la langue de leur choix. En outre, il pourrait arriver que les auditeurs expriment des choix différents, ce qui rendrait ainsi impossible d'accommoder chacun d'eux. Le recours à des interprètes ou à la traduction simultanée qui, de toute façon, n'a rien à voir avec l'art. 133, ne satisferait pas à l'essentiel de l'argument de l'appelant, savoir qu'il a le droit à ce que la personne même ou l'organisme qui prétend s'adresser à lui, le fasse dans la langue de son choix.

[…]

[67] La seule obligation de faire que je puis déceler dans l'art. 133 est celle qui est imposée aux chambres du Parlement du Canada et de la législature du Québec d'employer les deux langues, anglaise et française, dans les registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, ainsi que celle de légiférer dans ces deux langues, c'est-à-dire d'adopter, d'imprimer et de publier les lois fédérales et provinciales dans les deux langues: Blaikie, no 1, à la p. 1022. Dans l'arrêt Forest v. Registrar of Court of Appeal of Manitoba, [1977] 5 W.W.R. 347, à la p. 355, le juge en chef Freedman du Manitoba semble avoir laissé entendre que l'art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba imposait l'obligation d'assurer à la législature la traduction simultanée des débats parlementaires mais, avec égards pour l'opinion contraire, je ne puis voir, ni dans l'une ni dans l'autre disposition, l'imposition d'une telle obligation.

[68] L'article 133 impose aussi à tous une obligation de ne pas faire, celle de ne pas enfreindre les droits linguistiques que confère l'article au chapitre de la langue des débats parlementaires et des procédures judiciaires. Ce sont là des droits garantis par la Constitution et il serait illégal, par exemple, d'expulser un député de la Chambre des communes ou de l'Assemblée nationale du Québec parce qu'il a fait usage du français ou de l'anglais dans les débats ou, pour un juge d'un tribunal québécois ou fédéral, d'interdire l'usage de l'une ou l'autre langue dans son prétoire. Mais cette obligation n'est pas l'obligation de faire qu'invoque l'appelant.

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

[38] Le paragraphe 4(1) de la Loi [sur les langues officielles] reprend le droit qui a d’abord été consacré par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et proclamé à nouveau par le paragraphe 17(1) de la Charte. Aux termes de ces trois dispositions, toute personne qui participe aux travaux parlementaires a le droit d’« employer » (to use) l’anglais ou le français. Le paragraphe 4(1) de la Loi et le paragraphe 17(1) de la Charte créent un régime d’unilinguisme au choix de l’intéressé, qui ne peut être contraint par le Parlement à s’exprimer, oralement ou par écrit, dans une langue autre que celle qu’il choisit (voir MacDonald c. Ville de Montréal et autres, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483).

[39] Cependant, dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, comme le paragraphe 20(1) de la Charte et l’article 25 de la Loi, le législateur a opté pour le terme « communiquer » (to communicate). Je suis d’avis que cela était délibéré.

[40] Le terme « communiquer » suppose une interaction, des actions bilatérales entre les parties. Le verbe « employer » n’englobe pas une telle interaction. Ce droit est unilatéral : on a le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue officielle de son choix. En l’espèce, M. Knopf a fait connaître son opinion sur des sujets précis intéressant le Comité et il a déposé ses documents. Là s’arrête le droit qu’il peut invoquer en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi.

[41] À mon sens, le paragraphe 4(1) de la Loi n’oblige pas le Comité à diffuser à ses membres des documents dans une des langues officielles. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi, l’appelant a seulement le droit de s’adresser au Comité dans la langue de son choix. Lorsque ce droit a été exercé, cette disposition n’oblige pas le Comité à agir de telle ou telle manière relativement aux renseignements qui lui ont été présentés verbalement ou par écrit.

[42] La juge Layden-Stevenson a correctement conclu que la diffusion de documents n’était pas visée par le paragraphe 4(1) de la Loi. Le droit d’employer la langue officielle de son choix ne comprend pas le droit d’imposer au Comité la diffusion immédiate et la lecture de documents déposés par le témoin à l’appui de sa déposition. C’est bien évidemment au Comité qu’il revient de décider quoi faire des renseignements présentés par le témoin, et à quel moment. Je conclus donc qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits linguistiques de l’appelant.

Annotations – Paragraphe 17(2)

Jones c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1975] 2 R.C.S. 182, 1974 CanLII 164 (CSC)

[15] Les mots mêmes de l'art. 133 indiquent qu'il n'est l'expression que d'une préoccupation limitée en matière de droits linguistiques; et il a été, selon moi, décrit à bon droit comme donnant à toute personne un droit constitutionnel de se servir de l'anglais ou du français dans les débats législatifs des chambres du Parlement du Canada et de la législature de Québec et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux fédéraux et les tribunaux du Québec, ou émanant d'eux, et comme imposant l'obligation d'employer la langue anglaise et la langue française dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs des chambres du Parlement du Canada et de la législature de Québec ainsi que dans l'impression et la publication des lois du Parlement du Canada et de la législature de Québec. Rien ne permet d'interpréter cette disposition, dont la portée est limitée ainsi aux chambres du Parlement du Canada et de la législature du Québec et à leurs lois ainsi qu'aux tribunaux fédéraux et aux tribunaux du Québec, comme fixant en définitive pour le Canada, le Québec et toutes les autres provinces, de façon finale et législativement inaltérable, les limites de l'usage privilégié ou obligatoire du français et de l'anglais dans les procédures, institutions et communications publiques. Textuellement, l'art. 133 prévoit une protection spéciale de l'usage de l'anglais et du français; il n'y a, dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, aucune autre disposition se rapportant au Parlement du Canada (le par. (1) de l'art. 91 mis à part) qui traite de la langue comme matière législative ou autre chose. Je suis incapable de comprendre la prétention selon laquelle l'extension législative de l'usage public, privilégié ou requis, de l'anglais et du français serait une violation de l'art. 133 lorsqu'elle ne va pas à l'encontre de la protection spéciale que l'article prescrit. À cet égard, je me réfère particulièrement au par. (4) de l'art. 11 de la Loi sur les langues officielles, déjà cité.

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[40] Divers arrêts de la Cour suprême du Canada reconnaissent explicitement, sous réserve de variantes stylistiques mineures, la similitude des dispositions constitutionnelles contenues dans l’art. 133 de la Loi constitutionnelle 1867, l’art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et dans les articles 17, 18 et 19 de la Charte. Dans l’arrêt Société des Acadiens, le juge Beetz a fait remarquer que les art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés à la version anglaise de l’article 133. Et il conclut à la p. 573 : « J’estime en conséquence qu’on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l’interprétation donnée à l’art. 133... » En ce qui concerne la similitude entre les articles 23 et 133, voir les arrêts Renvoi manitobain no 1, aux pp. 743-44, et le Renvoi manitobain no 2, à la page 220.

[41] Comme je l’ai déjà indiqué, les intimés et l’intervenante, la province du Nouveau-Brunswick, ont fondé la thèse qu’ils ont défendue devant nous, d’une part, sur la conclusion prononcée dans Blaikie no 2 que les arrêtés municipaux ne sont pas compris dans l’expression « lois de la législature » et, d’autre part, sur le principe énoncé dans l’arrêt Société des Acadiens qui veut qu’en raison de la similitude du par. 18(2) (en l’espèce) et de l’art. 133, l’on ne saurait à bon droit trancher cette affaire portant sur ces dispositions sans tenir compte de l’interprétation donnée à l’art. 133, en l’occurrence celle donnée dans l’arrêt Blaikie no 2.

[42] Cette thèse est celle à laquelle le juge de première instance a clairement souscrit aux par. 12, 14 et 17 de ses motifs de jugement. Après avoir cité les passages pertinents des arrêts Société des Acadiens et Blaikie no 2, il a conclu qu’il devait tenir compte de l’interprétation déjà donnée dans l’affaire Blaikie no 2. D’après lui, cette interprétation était déterminante et scellait l’issue du litige qui lui était soumis au regard du par. 18(2) de la Charte.

[43] Si cette thèse se résume à dire que dès lors qu’un tribunal doit trancher une question qui porte sur l’interprétation des articles 17, 18 et 19 de la Charte il doit souscrire à l’interprétation déjà donnée à l’art. 133, il est évident qu’une telle approche irait à l’encontre des principes d’interprétation des droits linguistiques énoncés dans l’arrêt Beaulac, précité.

[…]

[47] À la lumière de ces déclarations visant les principes d’interprétation des droits constitutionnels et à la lumière des récentes décisions de la Cour suprême dans les affaires Beaulac et Arsenault-Cameron, précitées, j’estime que le principe énoncé par le juge Beetz dans l’arrêt Société des Acadiens selon lequel l’on doit tenir compte de l’interprétation donnée aux garanties linguistiques prévues à l’art. 133 ne peut vouloir dire que l’on peut passer outre à l’analyse fondée sur l’objet des droits établie dans la jurisprudence déjà citée. Comme l’a déclaré la Cour suprême, « l’accent mis sur le contexte historique de la langue et de la culture indique qu’il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province ». (Voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la page 851.) Par conséquent, j’estime que la décision dans l’arrêt Blaikie no 2, tout en servant de guide pour l’interprétation des par. 17(2), 18(2) et 19(2) de la Charte, doit être abordée avec prudence par les tribunaux de cette province.

[…]

[61] Comme je l’ai déjà indiqué, le par. 18(2) a pour effet de créer un régime de bilinguisme obligatoire visant les lois adoptées par la législature, les règlements pris par le gouvernement ainsi que les règles de pratique devant les tribunaux. Par ailleurs, l'effet conjugué d'une partie du par. 18(2) et du par. 17(2) est de créer une forme de bilinguisme parlementaire pour la législature du Nouveau-Brunswick qui comporte deux éléments distincts. D'une part, le par. 18(2) prescrit que les archives, comptes rendus et procès verbaux doivent être publiés dans les deux langues officielles, et d'autre part, le par. 17(2) prévoit un bilinguisme facultatif des débats et travaux de la législature au cours desquels chacun a le choix d'utiliser l'anglais ou le français. Ces deux aspects du bilinguisme parlementaire ne sont pas en cause en l'espèce.

[…]

[84] Dans cette même Loi [sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969], l’art. 12 (maintenant l’art. 11 du chap. O-1, L.R.N.-B. 1973) prévoit que « [t]out conseil municipal peut déclarer par résolution que l’une ou l’autre des langues officielles ou les deux peuvent être utilisées dans toute délibération ou à toute réunion de ce conseil ».

[85] Comme l’ont fait remarquer les auteurs du rapport « Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick », 1982, à la page 371, il existe une divergence entre les deux versions de cet article, la version française étant la plus restrictive. La version anglaise parle de l’utilisation d’une langue (ou les deux) “with regard to any matter or in any proceeding of such council”. La version française prévoit l’utilisation « dans toute délibération ou à toute réunion de ce conseil ». L’expression “with regard to any matter” (visant toute chose) est de toute évidence plus large que la version qui prévoit uniquement l’utilisation dans toute délibération du conseil. Si l’on adopte la version anglaise, il est possible de conclure que les arrêtés municipaux seraient compris dans l’expression “with regard to any matter”. Puisque l’art. 11 de la loi actuelle prévoit un bilinguisme facultatif, au choix du conseil municipal, et non la publication bilingue des arrêtés municipaux, cette disposition pourrait être jugée en conflit avec l’obligation constitutionnelle d’un bilinguisme législatif prévu au par. 18(2). Son invalidité pourrait ainsi être soulevée. Aux fins du présent appel, il ne me paraît pas nécessaire de trancher cette ambiguïté parce que même dans sa version la plus large, cet article n’a pour effet que d’imposer un bilinguisme législatif facultatif, ce qui est nettement insuffisant au regard du par. 18(2).  Par ailleurs, sans faire une analyse de l'interprétation croisée que requiert l'examen des deux versions de la loi, il suffira de dire qu'à mon avis, cette disposition est le parallèle du par. 17(2) de la Charte qui prévoit un bilinguisme facultatif dans les débats et travaux de la législature du Nouveau-Brunswick. De la même façon, l'art. 11 de la loi actuelle prévoit un bilinguisme facultatif aux délibérations et séances d'un conseil municipal. Cette disposition ne contredit donc en rien l'obligation qui pourrait exister en vertu du par. 18(2) de l'adoption et publication des arrêtés municipaux dans les deux langues officielles.

Cormier c. Fournier, 1986 CanLII 92 (BR NB)

[17] Le paragraphe 17(2) de la Charte, qui régit l'usage des deux langues à l'Assemblée Législative du Nouveau-Brunswick, dispose comme suit :

"Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux de la Legislature du Nouveau-Brunswick."

[18] C'est par la traduction simultanée que la Législature du Nouveau-Brunswick se conforme à ce paragraphe de la Charte. C'est par ce même moyen que le tribunal entend se conformer non seulement à la Charte mais aussi au paragraphe 13(1) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

NOTA  – Cette décision a été confirmée en appel : Fournier c. Cormier, 1987 CanLII 110 (CA NB) [décision disponible en anglais seulement].

 

18. (1) Documents parlementaires

18. (1) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

18. (2) Documents de la Législature du Nouveau-Brunswick

18. (2)  Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

NOTA – Voir la jurisprudence portant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba

Annotations – Généralités

New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, 1993 CanLII 153 (CSC)

[75] On peut dire la même chose des art. 17 et 18 de la Charte.  L'article 17, qui mentionne le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats, utilise le mot Parlement, et le par. 17(2), qui mentionne le même droit au sein de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, utilise le terme « Législature du Nouveau-Brunswick ».  L'article 18 utilise les mêmes mots concernant les « lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux » du Parlement et de la Législature du Nouveau-Brunswick. L'article 17 utilise le terme « Législature » pour désigner l'Assemblée, tandis que l'art. 18 utilise le mot « Législature » pour désigner à la fois la législature proprement dite (c'est-à-dire l'organisme qui adopte des lois) et l'Assemblée (l'organisme qui dresse des « comptes rendus » et des « procès-verbaux »).

[76] Si ces exemples montrent que l'emploi n'est pas tout à fait uniforme, ils ne dérogent en rien à la règle générale selon laquelle le terme « législature », à l'art. 32, désigne l'organisme qui légifère.  Il faut noter que le terme « législature » ne possède pas un sens unique applicable à la fois à l'art. 33, d'une part, et aux art. 5, 17 et 18, d'autre part.  En fait, aucune interprétation unique du terme « législature » ne peut être utilisée avec une précision absolue à l'art. 18 lui-même.  À l'article 33, le mot « législature » désigne clairement l'organisme ayant la capacité de légiférer, alors qu'aux art. 5 et 17 le contexte démontre clairement que c'est l'Assemblée elle-même qui est visée.  L'article 18 mentionne les «lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux » de la législature.  Mais, à vrai dire, la « législature » adopte des « lois », tandis que l'Assemblée dresse des « comptes rendus » et des « procès-verbaux ».  Ce manque d'uniformité n'est pas étonnant compte tenu de la nature de ces documents et particulièrement de leur tentative d'énoncer assez succinctement des concepts qui sont historiquement lourds de sens.  Il fait également ressortir la nécessité, dans l'interprétation de ces dispositions, de prêter une attention toute particulière aux considérations contextuelles et à celles relatives à l'objet visé, qui sont déjà soulignées dans les présents motifs.

[77] À cet égard, il faut garder à l'esprit, en ce qui concerne les art. 5, 17 et 18 de la Charte, des considérations historiques et structurales particulières.  Ces articles sont le prolongement des dispositions originales de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867.  Quant à l'art. 5, il s'inspire de l'art. 20 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, maintenant abrogé.  Cet article prévoyait la tenue d'une session du Parlement du Canada et, par conséquent, l'emploi de l'expression « Parlement du Canada » était évidemment utile en raison de l'obligation d'inclure à la fois le Sénat et la Chambre des communes.  L'emploi des mots « session » et « séance » dans cet article traduisait aussi très clairement l'intention du législateur de ne mentionner que la Chambre et le Sénat, bien que le terme utilisé, soit « Parlement », n'était pas à strictement parler juste.

[78] Quant aux art. 17 et 18, ils s'inspirent de l'art. 133 initial qui, fait plutôt intéressant, prévoyait que « [d]ans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif », et que « [l]es lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues ».  L'article original établissait une nette distinction entre les « travaux de la Chambre» et les «lois adoptées par la législature », clarté qui ne se retrouve pas dans les mises à jour.

[79] Les articles 5, 17 et 18 figurent dans les parties de la Charte qui sont exclues de l'application des dispositions dérogatoires de l'art. 33 de la Charte.  Cela donne à penser qu'ils ne font pas partie de la même catégorie que les droits contenus aux art. 2 et 7 à 15 et peut expliquer, sinon entièrement excuser, le manque d'uniformité entre la formulation de ces articles et celle d'autres articles de la Charte et de la Loi constitutionnelle en général.

[80] En résumé, la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel donnent fortement à penser que le terme « législature » utilisé à l'art. 32 désigne en général l'organisme ayant la capacité de légiférer et non pas ses parties composantes prises individuellement.  Le contexte particulier de certaines dispositions de la Charte, notamment les art. 5, 17 et 18, commande un sens différent.  Toutefois, en l'espèce, il s'agit de savoir si les droits garantis par l'art. 2 de la Charte s'appliquent à l'assemblée législative et je conclus qu'une interprétation juste de l'art. 32 permet nettement de répondre par la négative.

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[50] Sous réserve de variantes stylistiques mineures, les termes des art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés clairement et délibérément à la version anglaise de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont une version française n'a pas encore été adoptée conformément à l'art. 55 de la Loi constitutionnelle de 1982. J'estime en conséquence qu'on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l'interprétation donnée à l'art. 133, qui porte :

133.  Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux du Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.

Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

[51] Le texte quelque peu condensé et complexe de l'art. 133 a été abrégé et simplifié dans les art. 17 à 19 de la Charte, comme il convient au style d'un véritable document constitutionnel. Ainsi, la partie pertinente de l'art. 133 ("dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux ... ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage") est devenue "Chacun a le droit d'employer ... dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux ... et dans tous les actes de procédure qui en découlent". Or, j'estime que ce changement de pure forme ne revêt aucune importance particulière.

Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12 (CanLII)

[48] À mon avis, l’objet de la Loi sur les langues est d’engager le Yukon au bilinguisme officiel. En plus d’être évident à partir de l’historique de la loi, cet objet est explicite dans l’article premier qui énonce que le Yukon accepte que « le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada », fixe comme objet « la réalisation de l’égalité de statut du français et de l’anglais au Yukon » et souhaite « étendre la reconnaissance du français et accroître la prestation des services en français au Yukon ». Bien que la Loi sur le Yukon ne déclare pas le français comme une langue officielle du Yukon, son impact dans les sphères législatives, judiciaires et du gouvernement central est le même. 

[49] L’indicateur définitif et peut-être le plus solide du but et de l’objet de la Loi sur les langues est son identité virtuelle avec la formulation des garanties consacrées par les art. 16 à 22 de la Charte. […]

[…]

[63] Parce que l’Assemblée législative a choisi d’utiliser la formulation de l’art. 4 de la Loi sur les langues qui suit l’art. 18 dans la Charte, l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Société des Acadiens, précité à 573), l’art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, ainsi que l’art. 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, j’estime qu’elle devrait être interprétée comme imposant la même obligation au gouvernement du Yukon : Voir  Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, à la p. 744 et l’arrêt Mercure, précité à la p. 273. À mon avis, les textes, y compris une législation subordonnée ainsi que les règles de procédure établies par les juges, doivent être publiés dans les deux langues.

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[40] Divers arrêts de la Cour suprême du Canada reconnaissent explicitement, sous réserve de variantes stylistiques mineures, la similitude des dispositions constitutionnelles contenues dans l’art. 133 de la Loi constitutionnelle 1867, l’art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et dans les articles 17, 18 et 19 de la Charte. Dans l’arrêt Société des Acadiens, le juge Beetz a fait remarquer que les art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés à la version anglaise de l’article 133. Et il conclut à la p. 573 : « J’estime en conséquence qu’on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l’interprétation donnée à l’art. 133. ...» En ce qui concerne la similitude entre les articles 23 et 133, voir les arrêts Renvoi manitobain no 1, aux pp. 743-44, et le Renvoimanitobain no 2, à la page 220.

Ashely c. Marlow Group Private Portfolio Management Inc., 2006 CanLII 31307 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[39] [...] L’article 18 de la Charte des droits et libertés prévoit que les versions en français et en anglais d’une loi fédérale ont également force de loi. Par conséquent, le tribunal doit examiner les deux pour déterminer l’intention du législateur. Chaque version fait partie du contexte dans lequel l’autre doit être lue. Le tribunal doit donc trouver une interprétation commune pour les deux versions ayant également force de loi..

Annotations – Paragraphe 18(1)

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[272] La LLO emploie en anglais les mêmes termes que l’article 133 de la Loi constitutionelle de 1867, tandis que la version française de l’article 133 est légèrement différente puisqu’on y emploie le terme « journaux » au lieu de « compte-rendus ». La terminologie du paragraphe 18(1) de la Charte est la même que celle de la LLO, exception faite du terme « statutes » au paragraphe 18(1) de la Charte, plutôt qu’« Acts of the Legislature » à l’article 7 de la LLO. Aucune jurisprudence pertinente ne permet pour le moment d’interpréter le paragraphe 18(1) de la Charte. Comme l’a souligné la juge de première instance, la Cour d’appel du Manitoba a conclu que les termes « records and journals » employés à l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict., chap. 3 (Canada), semblable à l’article 133 de la Loi constitutionelle de 1867, englobent le Journal des débats : Forest c. Manitoba (Registrar of Court of Appeal) (1977), 1977 CanLII 1635 (MB CA), 77 D.L.R. (3d) 445, [1977] 5 W.W.R. 347 (C.A. Man.). Toutefois, la décision ne comporte aucune analyse de ce passage qui constitue une remarque incidente. Bien que la Cour suprême se soit déjà penchée sur l’article 133 de la Loi constitutionelle de 1867, elle ne s’est pas prononcée sur l’interprétation des termes « records and journals » : Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba.

Voir également :

The King c. Dubois, [1935] S.C.R. 378, 1935 CanLII 1 (SCC) [décision disponible en anglais seulement]

Canada (Attorney General) c. Goguen, 1989 CanLII 158 (CA NB) [décision disponible en anglais seulement]

Canada c. Aquarius Computer & Peripherals Ltd., [1989] O.J. No. 1935 (CS ON) [hyperlien non disponible]

Annotations – Paragraphe 18(2)

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII)

[14] Dans l’affaire Charlebois c. Moncton, M. Charlebois, le même justiciable qu’en l’espèce, contestait la validité d’un arrêté municipal pris en anglais seulement.  La question soumise à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick était de savoir si le par. 18(2) de la Charte visait les arrêtés municipaux.  Conformément à une interprétation réparatrice et téléologique des garanties linguistiques de la Charte, la cour a décidé qu’il convenait d’appliquer aux arrêtés municipaux l’obligation constitutionnelle de la province du Nouveau-Brunswick d’adopter ses lois en français et en anglais.  En analysant cette question, la cour s’est également dite d’avis que les municipalités sont des « institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick » au sens du par. 16(2) de la Charte.  À titre de réparation, la cour a déclaré invalides les arrêtés unilingues, mais a suspendu l’effet de la déclaration d’invalidité pour une période d’un an afin de permettre à la Ville de Moncton et au gouvernement du Nouveau-Brunswick de satisfaire aux obligations constitutionnelles énoncées dans ses motifs de jugement.  Elle a aussi donné certaines indications sur la façon dont la province pouvait choisir de respecter ses obligations. […] 

[15] Le juge Bastarache estime qu’il aurait été préférable, en l’espèce, que la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick « adopte une attitude positive et vérifie s’il était nécessaire de limiter la portée du terme nouvellement défini à la lumière des difficultés soulevées par la façon dont la LLO est rédigée » (par. 32 (je souligne)).  Je ne suis pas d’accord.  Premièrement, il convient de souligner que l’arrêt Charlebois c. Moncton portait sur le par. 18(2) de la Charte; partant, la conclusion de la cour selon laquelle les municipalités sont des « institutions » pour l’application du par. 16(2) est une opinion incidente.  Notre Cour n’a jamais tranché la question de savoir si les municipalités sont des institutions au sens du par. 16(2), cette question n’est pas soulevée dans le présent pourvoi et je n’exprime aucune opinion sur la justesse de cette interprétation.  Deuxièmement, il convient aussi de noter que les obligations constitutionnelles de la province, même selon la définition qu’en donne l’arrêt Charlebois c. Moncton, ne commandent pas une seule solution précise.  Comme l’a si bien fait remarquer la cour dans l’extrait précité, la province dispose d’une marge de manœuvre.  La LLO actuelle représente la réponse législative de la province à ses obligations constitutionnelles.  Il n’y a pas lieu de courtcircuiter l’analyse au moyen d’une présomption générale de conformité à la Charte.  Le juge Daigle a donc eu parfaitement raison de poursuivre l’analyse.  Cela nous ramène à la question d’interprétation législative qui nous occupe : quelle approche la province du Nouveau-Brunswick a-t-elle adoptée à l’égard de ses municipalités pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles?

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[2] L’appelant invoque à l’appui de sa prétention les para. 16(2) et 18(2) ainsi que l’art. 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés.  Plus particulièrement, il soutient que l’expression « lois de la Législature » utilisée au para. 18(2) comprend les arrêtés municipaux et que cette disposition impose l’obligation aux municipalités de la province d’adopter leurs arrêtés dans les deux langues officielles. D’après lui, compte tenu du pourcentage important de francophones qui habitent dans cette municipalité, cette obligation s’applique à la ville de Moncton. Il demande à cette Cour de déclarer l’invalidité de l’arrêté municipal et de l’ordonnance qu’il conteste.

[…]

B. Interprétation du paragraphe 18(2) de la Charte

[32] Le paragraphe 18(2) de la Charte prévoit que les « lois » de la Législature du Nouveau-Brunswick doivent être imprimées et publiées en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi. L’appelant s’appuie sur cette garantie constitutionnelle pour conclure qu’elle impose aux municipalités l’obligation d’adopter, d’imprimer et de publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles.

[33] La question est donc de savoir si l’expression « lois de la Législature » inclut les arrêtés municipaux. Si oui, les municipalités seront alors soumises à l’obligation constitutionnelle prévue au paragraphe 18(2). Comme nous le verrons, la Cour suprême du Canada a déjà répondu par la négative à une question similaire qui lui avait été soumise dans l’affaire Blaikie no 2 dans le cadre de l’interprétation des droits linguistiques prévus à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. La question sera donc de savoir si cette réponse est concluante en l’espèce au sens du par. 18(2), compte tenu des contextes historiques et des objectifs différents de l’adoption de ces garanties juridiques.

[…]

[37] Pour répondre à la question de savoir si le sens donné au terme « lois » dans les arrêts Blaikie no 1 et Blaikie no 2 est déterminant quant au sens que doit recevoir le même terme utilisé au par. 18(2), il est nécessaire d’examiner soigneusement les motifs et le raisonnement qui ont conduit la Cour suprême à cette conclusion. La Cour suprême a jugé que l’obligation découlant du terme « lois » utilisé à l’art. 133 s’étend à la législation déléguée car « il est évident que ce serait tronquer l’obligation imposée »  par l’art. 133 que de ne pas tenir compte de la législation déléguée. « Il s’agit d’un cas où le plus englobe le moins. » (Blaikie no 1, page 1027.) Plus tard, la Cour suprême a précisé dans Blaikie no 2, à la p. 329, que « [c]’est parce que dans notre régime constitutionnel, les mesures édictées par le gouvernement doivent être assimilées aux mesures adoptées par la Législature qu’elles sont régies par l’art. 133 ».

[38] Quant aux règles de pratique des tribunaux judiciaires, la Cour suprême a conclu que l’obligation au bilinguisme découle non pas de leur nature législative, mais de leur caractère judiciaire. Les règles de pratique, de par leur objet, sont donc assujetties à l’article 133. Même si l’art. 133 ne les mentionne pas expressément, de conclure la Cour, « les rédacteurs ont dû penser qu’en toute logique, elles étaient nécessairement visées par l’article ». (Voir Blaikie no 2, à la page 332.)

[39] À la différence des motifs qui justifient d’élargir le sens du terme « lois » à la législation déléguée et aux règles de pratique, il est évident que la Cour suprême a fondé sa conclusion que les règlements municipaux n’étaient pas compris dans le terme « lois » sur le contexte historique qui existait à l’époque de l’adoption de l’art. 133 en 1867. D’après le raisonnement de la Cour, les règlements municipaux, même s’ils sont des « mesures législatives », constituent une catégorie distincte et indépendante de mesures législatives qui émanent d’un troisième niveau de gouvernement, c’est-à-dire les municipalités. Or, celles-ci existaient bien avant la Confédération et la Législature du Bas Canada avait expressément réglementé la langue qui pouvait être utilisée dans les règlements municipaux. La Cour cite plusieurs exemples de législation en ce sens. Ainsi, les municipalités et la réglementation municipale étant manifestement présentes à l’esprit du constituant en 1867, le fait que les règlements municipaux ne soient pas mentionnés à l’art. 133 ne peut être un oubli mais au contraire est révélateur de l’intention du constituant de les exclure. De toute évidence, le contexte historique que décrit la Cour suprême vise la situation particulière des municipalités au Québec avant 1867 telle qu’elle aurait été perçue par le constituant à l’époque de l’adoption de l’article 133. (Blaikie no 2, aux pages 321-25.)

[…]

[47] À la lumière de ces déclarations visant les principes d’interprétation des droits constitutionnels et à la lumière des récentes décisions de la Cour suprême dans les affaires Beaulac et Arsenault-Cameron, précitées, j’estime que le principe énoncé par le juge Beetz dans l’arrêt Société des Acadiens selon lequel l’on doit tenir compte de l’interprétation donnée aux garanties linguistiques prévues à l’art. 133 ne peut vouloir dire que l’on peut passer outre à l’analyse fondée sur l’objet des droits établie dans la jurisprudence citée. Comme l’a déclaré la Cour suprême, « l’accent mis sur le contexte historique de la langue et de la culture indique qu’il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province ». (Voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la page 851.) Par conséquent, j’estime que la décision dans l’arrêt Blaikie No 2, tout en servant de guide pour l’interprétation des para. 17(2), 18(2) et 19(2) de la Charte, doit être abordée avec prudence par les tribunaux de cette province.

[48] En l’espèce, il saute aux yeux que le contexte historique et législatif de l’adoption en 1982 du par. 18(2) de la Charte est différent de celui qui prévalait à l’époque de la Confédération lors de l’adoption de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. J’estime donc qu’il y a lieu en l’espèce d’interpréter le par. 18(2) selon l’analyse établie dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité. La partie du par. 18(2) de la Charte qui nous intéresse en l’espèce a pour effet de rendre obligatoire l’impression et la publication des « lois de la Législature du Nouveau-Brunswick » dans les deux langues officielles, les deux versions ayant également force de loi. Il convient d’ajouter ici que la Cour suprême a déjà déclaré que si la Constitution exige que les « lois » doivent être imprimées et publiées dans les deux langues, il est implicite qu’elles doivent être adoptées dans les deux langues, d’autant qu’un texte ne devient « loi » que s’il est adopté. Cette exigence d’adoption dans les deux langues est donc implicite selon le texte du paragraphe 18(2). (Voir Blaikie no 1, à la page 1022.)

[…]

(i)  Les objets plus larges de la Charte

[50] Ayant précisé l’effet de la garantie linguistique prévue au par. 18(2), il s’agit maintenant de déterminer sa portée selon une interprétation large et dynamique fondée sur l’objet de cette garantie. En premier lieu, il faut examiner les objectifs plus larges de la Charte elle-même. […]

(ii) Le sens et l’objet des autres droits prévus dans la Charte

[59] La seconde composante de l’analyse des droits linguistiques prévus au par. 18(2) concerne le sens et l’objet des autres libertés et droits particuliers qui se rattachent selon le texte de la Charte. Le paragraphe 18(2) fait partie d’un ensemble de dispositions de la Charte qui inscrivent dans la Constitution depuis 1982 le concept de la dualité linguistique et la notion de l’égalité des langues officielles pour le Canada et le Nouveau-Brunswick. En effet, les par. 16(2) à 20(2), qui visent spécifiquement les institutions du Nouveau-Brunswick alors que les par. 16(1) à 20(1) visent les institutions fédérales, ont pour effet d’assurer la protection des droits linguistiques dans un bon nombre d’institutions publiques telles que les institutions législatives, les tribunaux et les bureaux des institutions de la législature et du gouvernement. Ces dispositions consacrent donc les garanties linguistiques des citoyens à l’égard du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ce sont des droits linguistiques individuels qui sont garantis autant aux francophones qu’aux anglophones. L’instauration d’un bilinguisme institutionnel qui résulte de l’effet conjugué de ces dispositions est d’ailleurs complétée dans cette province par  l’art. 23 de la Charte qui garantit à l’échelle nationale le droit à l’instruction dans la langue de la minorité.

[60] D’après les principes d’interprétation déjà examinés, les dispositions de la Charte que je viens de mentionner qui établissent un régime de garanties linguistiques applicable au Nouveau-Brunswick doivent être lues en corrélation pour déterminer le sens et l’objet du par. 18(2) de la Charte. Par conséquent, cette disposition n’existe pas en vase clos et il y a lieu d’examiner l’interaction des autres dispositions qui s’y rattachent.

[61] Comme je l’ai déjà indiqué, le par. 18(2) a pour effet de créer un régime de bilinguisme obligatoire visant les lois adoptées par la législature, les règlements pris par le gouvernement ainsi que les règles de pratique devant les tribunaux. Par ailleurs, l’effet conjugué d’une partie du par. 18(2) et du par. 17(2) est de créer une forme de bilinguisme parlementaire pour la législature du Nouveau-Brunswick qui comporte deux éléments distincts. D’une part, le par. 18(2) prescrit que les archives, comptes rendus et procès verbaux doivent être publiés dans les deux langues officielles, et d’autre part, le par. 17(2) prévoit un bilinguisme facultatif des débats et travaux de la législature au cours desquels chacun a le choix d’utiliser l’anglais ou le français. Ces deux aspects du bilinguisme parlementaire ne sont pas en cause en l’espèce.

[…]

(iii) Les termes choisis pour énoncer le droit prévu au paragraphe 18(2) de la Charte

[81] Après l’examen des objectifs plus larges de la Charte et des objets des autres garanties linguistiques qui y sont inscrites, le troisième et dernier élément de l’analyse fondée sur l’objet d’un droit établie dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, exige que cette Cour détermine si le terme choisi pour énoncer le droit prévu au par. 18(2) est compatible avec les objets de la Charte et des autres garanties linguistiques qui ont été identifiés dans l’analyse qui précède.

[82] En l’espèce, les termes utilisés au par. 18(2) sont « lois de la Législature ». Ce paragraphe exige que celles-ci soient imprimées et publiées en anglais et en français. Il constitutionalise donc le droit à l’adoption, l’impression et la publication dans les deux langues officielles des lois du Nouveau-Brunswick. J’ai déjà mentionné que la Cour suprême avait élargi le sens du terme « lois » dans l’arrêt Blaikie no 2 pour comprendre les règlements pris par le gouvernement du Québec et les règles de pratique des tribunaux, mais non les règlements municipaux. Dans cette affaire, la Cour a reconnu que les règlements municipaux sont des « mesures législatives », mais compte tenu de l’historique particulier de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ils ne pouvaient être compris dans l’expression « lois de la Législature ». Comme nous le verrons plus loin, le contexte historique et législatif du par. 18(2) est très différent de celui de 1867 que la Cour suprême a pris en considération. La question qu’il faut trancher maintenant est de savoir si le terme « lois » peut concorder avec les objets des garanties linguistiques déjà examinés.

[83] Avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 1969, aucune loi n’exigeait que les lois de la province soient publiées en anglais et en français. Trois dispositions de la loi (L.N.-B. 1969, ch. 14), notamment le par. 6(1) et les art. 7 et 8, visent les versions bilingues des lois. Bref, ces dispositions prévoient que les projets de loi, le prochain recueil de lois révisées et les lois adoptées par la suite doivent être imprimés dans les langues officielles. Ce sont là les seules dispositions visant la publication bilingue des lois avant l’adoption du par. 18(2) de la Charte. À ma connaissance, ces dispositions n’ont jamais été interprétées par les tribunaux.

[84] Dans cette même Loi, l’art. 12 (maintenant l’art. 11 du chap. O-1, L.R.N.-B. 1973) prévoit que « [t]out conseil municipal peut déclarer par résolution que l’une ou l’autre des langues officielles ou les deux peuvent être utilisées dans toute délibération ou à toute réunion de ce conseil ».

[85] Comme l’ont fait remarquer les auteurs du rapport « Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick », 1982, à la page 371, il existe une divergence entre les deux versions de cet article, la version française étant la plus restrictive. La version anglaise parle de l’utilisation d’une langue (ou les deux) “with regard to any matter or in any proceeding of such council”. La version française prévoit l’utilisation « dans toute délibération ou à toute réunion de ce conseil ». L’expression “with regard to any matter” (visant toute chose) est de toute évidence plus large que la version qui prévoit uniquement l’utilisation dans toute délibération du conseil. Si l’on adopte la version anglaise, il est possible de conclure que les arrêtés municipaux seraient compris dans l’expression “with regard to any matter”. Puisque l’art. 11 de la loi actuelle prévoit un bilinguisme facultatif, au choix du conseil municipal, et non la publication bilingue des arrêtés municipaux, cette disposition pourrait être jugée en conflit avec l’obligation constitutionnelle d’un bilinguisme législatif prévu au par. 18(2). Son invalidité pourrait ainsi être soulevée. Aux fins du présent appel, il ne me paraît pas nécessaire de trancher cette ambiguïté parce que même dans sa version la plus large, cet article n’a pour effet que d’imposer un bilinguisme législatif facultatif, ce qui est nettement insuffisant au regard du par. 18(2). Par ailleurs, sans faire une analyse de l’interprétation croisée que requiert l’examen des deux versions de la loi, il suffira de dire qu’à mon avis, cette disposition est le parallèle du par. 17(2) de la Charte qui prévoit un bilinguisme facultatif dans les débats et travaux de la législature du Nouveau-Brunswick. De la même façon, l’art. 11 de la loi actuelle prévoit un bilinguisme facultatif aux délibérations et séances d’un conseil municipal. Cette disposition ne contredit donc en rien l’obligation qui pourrait exister en vertu du par. 18(2) de l’adoption et publication des arrêtés municipaux dans les deux langues officielles.

[86] Dans le Renvoi manitobain no2, la Cour suprême s’est penchée sur la question de savoir si divers décrets et textes adoptés par le gouvernement manitobain étaient de « nature législative ». Pour répondre à cette question, elle a établi un certain nombre de critères permettant de distinguer les textes législatifs des autres types de textes. Bref, il s’agit d’appliquer, de façon non cumulative, des critères visant la forme, le contenu et l’effet d’un texte. Ainsi, aux pp. 224-25 et 233, il a été déterminé qu’un texte de « nature législative » comprend une règle de conduite qui s’applique à un nombre indéterminé de personnes et qui a force de loi, c’est-à-dire, qu’elle doit être unilatérale et doit avoir un effet juridique obligatoire.

[87] De toute évidence, un règlement municipal est de « nature législative » puisqu’il satisfait aux critères énoncés dans l’arrêt précité.  Comme nous le verrons plus loin dans la jurisprudence traitant de l’application de la Charte aux municipalités, celles-ci ont le pouvoir d’établir des règles de droit qui ont force de loi et de les faire respecter dans les limites d’un territoire déterminé.  On peut donc conclure que les arrêtés municipaux sont des textes législatifs qui peuvent être compris dans l’expression « lois de la législature ». 

[88] Il reste à déterminer si l’expression « lois de la Législature » utilisée au par. 18(2) comprend les arrêtés municipaux. Pour interpréter cette garantie linguistique, il est nécessaire, selon les principes d’interprétation établis dans l’arrêt Beaulac, que le par. 18(2) soit interprété en fonction de son objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Nouveau-Brunswick.

[89] Pour conclure, il y a lieu de remettre en question, à la lumière de l’analyse qui précède, l’interprétation limitative donnée antérieurement à l’expression « lois de la Législature » utilisée à l’art.133. Cela revient à trancher la question de savoir si cette interprétation est concluante en l’espèce. On se souviendra que l’on avait refusé d’étendre cette expression aux arrêtés municipaux pour le motif que, compte tenu du contexte historique, cette disposition reflétait un compromis politique

[90] J’estime que le contexte historique de l’adoption de l’art.  133 en 1867 est foncièrement différent de celui qui existait en 1982 lors de l’adoption du par. 18(2) de la Charte. En ce qui concerne le contexte historique de 1867, il faut se rappeler que le champ d’application de l’art. 133 était restreint aux institutions fédérales et à celles de la province de Québec. L’article 133 avait pour but d’imposer des garanties linguistiques minimales et de préserver le statu quo préconfédéral. Il s’agit d’un « minimum constitutionnel résultant d’un compromis historique intervenu entre les fondateurs quand ils se sont entendus sur les modalités de l’union fédérale ». (Voir MacDonald c. Ville de Montréal, à la page 496; Blaikie no 1, aux pages 1025-26; et Jones c. Le procureur général du Nouveau-Brunswick, aux pages 192-93.) Dans l’arrêt Renvoi manitobain no 2, à la page 222, la Cour suprême a résumé le « minimum constitutionnel » de l’art. 133 en ces termes : « Dans cette détermination de la portée de l’art. 23 [de la Loi de 1870 sur le Manitoba], il est important de replacer l’article dans son contexte historique. À l’instar des art. 93 et 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, il exprime un compromis politique. Il s’agit non pas d’une garantie globale destinée à assurer l’égalité linguistique complète [...]. »

[91] Pour déterminer le sens du para. 18(2), il est aussi important de replacer cette disposition dans son contexte historique et législatif, celui de l’inscription en 1982 des garanties linguistiques dans la Charte.  À mon avis, ce contexte exprime, pour emprunter les mots du juge en chef Lamer dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), une « dynamique linguistique particulière » au Nouveau-Brunswick. À cet égard, lejuge en chef avait observé, à la p. 851, « le contexte historique de la langue et de la culture indique qu’il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts [...] ».

[92] Le point de départ du fondement historique du par. 18(2) se situe avant l’adoption en 1969 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick pour aboutir à la constitutionalisation de droits linguistiques dans la Charte en 1982 et 1993. […] C’est sur le fondement de l’évolution de l’histoire législative et politique de cette province et en reconnaissance du patrimoine culturel des deux communautés de langue officielle dans la province que les représentants élus ont cru bon de constitutionnaliser ces garanties linguistiques en enchâssant dans la Charte les par. 16(2) à 20(2) en 1982 et l’art. 16.1 en 1993.

[93] À la lumière des décisions récentes de la Cour suprême déjà examinées visant les objectifs plus larges de la Charte et les objets des dispositions du para. 16(2) et de l’art. 16.1, lesquelles n’ont pas d’équivalent dans la Loi constitutionnelle de 1867, j’estime que le contexte historique et législatif de l’adoption du para. 18(2) reflète une dynamique linguistique beaucoup plus féconde que celle qui aurait pu inspirer les rédacteurs de l’art. 133 à l’époque de la Confédération. Le principe de l’égalité de statut réelle des langues officielles et des deux communautés linguistiques officielles inscrit aux art. 16 et 16.1 et le corollaire que les droits linguistiques qui en découlent exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent des obligations pour le gouvernement n’ont rien à voir avec les garanties linguistiques minimales prévues à l’art. 133. Même si le droit garanti au par. 18(2) de la Charte résulte d’un compromis politique qui serait survenu en 1982, au nom de la population en général, entre les représentants élus de cette province, la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Beaulac que l’existence d’un compromis politique n’a aucune incidence sur l’étendue du droit linguistique qui en découle. Par ailleurs, comme l’a déclaré le juge Wilson dans l’arrêt Renvoi relatif au projet de loi 30, précité, à la p. 1176, il est loisible à la Cour « d’insuffler la vie à un compromis clairement exprimé ». À mon sens, l’interprétation donnée à l’expression « lois de la Législature » dans l’affaire Blaikie no 2 n’est pas concluante dans la présente affaire. 

[94] L’objet du para. 18(2) est clair.  Il vise à assurer aux anglophones et aux francophones l’accès égal aux lois de cette province.  Cette disposition n’a pas été adoptée et inscrite dans la Charte dans l’abstrait.  Le constituant avait évidemment à l’esprit l’historique de l’unilinguisme législatif qui avait existé au Nouveau-Brunswick jusqu’à 1969 et les lacunes qui persistaient. Il a voulu remédier aux déficiences du dispositif linguistique en constitutionnalisant un régime de bilinguisme législatif obligatoire assorti des sanctions prévues au par. 24(1) de la Charte ou au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le caractère réparateur de cette disposition est l’un des objectifs des droits linguistiques garantis dans la Charte.

[95] […] Compte tenu de l’objet exprimé du droit linguistique prévu au par. 18(2), de l’exigence de l’égalité réelle de statut des langues officielles et des deux communautés linguistiques officielles, et de la nature réparatrice de cette disposition, j’estime que ne pas inclure les arrêtés municipaux dans l’expression « lois de la Législature » utilisée au par. 18(2) irait à l’encontre du maintien et de l’épanouissement des collectivités de langue officielle. En privant les membres de la communauté linguistique minoritaire d’un accès égal, cela empêcherait l’objectif d’égalité réelle d’être atteint. En outre, cette conclusion est appuyée par le principe directeur du respect des droits des minorités énoncé dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, précité. La Cour suprême a déclaré que ce principe sous-tend notre ordre constitutionnel et continue d’influencer l’application et l’interprétation de notre Constitution.

[96] En interprétant le para. 18(2) en fonction de son objet et de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle, j’estime qu’il y a lieu d’élargir le sens du terme « lois » utilisé au para. 18(2) de sorte qu’il englobe les arrêtés municipaux.  À mon sens, toute autre interprétation ferait échec aux objets réparateurs de ce droit linguistique et serait incompatible avec une interprétation large et dynamique fondée sur l’objet de ce droit.

[…]

[106] De l’analyse qui précède, je conclus que les municipalités du Nouveau-Brunswick sont assujetties à la Charte et qu’en conséquence, les actes de la ville de Moncton, en l’occurrence son omission de respecter l’obligation prévue au par. 18(2), peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Bref, les municipalités au Nouveau-Brunswick sont des créatures de la province, exercent des pouvoirs gouvernementaux qui leur sont conférés par la législature ou le gouvernement, et tirent tous leurs pouvoirs de la loi. Elles doivent aussi agir dans les limites de leur loi habilitante et leurs fonctions sont clairement gouvernementales.

[…]

[127] Dans le contexte de la présente affaire, je crois qu’une déclaration d’invalidité assortie d’une suspension temporaire de l’effet de la déclaration laisse à la ville de Moncton et au gouvernement provincial la souplesse nécessaire pour élaborer une solution appropriée qui garantira que les droits de l’appelant prévus au par. 18(2) se concrétiseront. À cet égard, cette Cour doit se garder d’intervenir dans le domaine législatif et d’imposer des normes au législateur. Il est évident que le gouvernement dispose d’un choix de moyens institutionnels pour remplir ses obligations. Par exemple, l’enquête exhaustive du groupe d’étude sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick (le rapport Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick, aux pp. 337-84) fait état de la composition démographique et linguistique des municipalités du Nouveau-Brunswick. Ce rapport reconnaît qu’une approche possible qui respecterait l’obligation constitutionnelle du principe de l’égalité des langues officielles pourrait comprendre une politique linguistique où les services municipaux seraient accessibles dans les deux langues officielles seulement où le nombre le justifierait. Il s’agit d’une approche quantitative où certaines municipalités seraient déclarées bilingues en fonction d’un pourcentage de leur population qui compterait une minorité de l’une des deux langues officielles. Le pourcentage reste à être déterminé par le législateur.

[128] Il y a lieu de rappeler à cet égard que l’article premier de la Charte permet d’apporter des restrictions aux droits qui y sont garantis dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette limitation générale permet au législateur d’atteindre l’équilibre ou un compromis entre l’exercice d’un droit garanti et la sauvegarde d’un intérêt supérieur de la société. Par contre, même si certaines limites imposées à l’exercice du droit garanti au par. 18(2) pourraient être justifiées, cette disposition crée une obligation au bilinguisme législatif qui ne saurait être limitée en faveur d’un unilinguisme ou d’un bilinguisme laissé au choix des conseils municipaux. Cela reviendrait à nier le droit linguistique constitutionnel garanti au par. 18(2). Également l’obligation au bilinguisme s’étend implicitement au processus d’adoption des arrêtés municipaux.

[…]

[132] En définitive, je conclus, pour les motifs précédemment exposés, que la ville de Moncton, une municipalité qui compte une importante minorité francophone, n’a pas satisfait à l’obligation constitutionnelle prévue au par. 18(2) de la Charte en omettant d’adopter, d’imprimer et de publier ses arrêtés municipaux, y compris l’arrêté municipal Z-4, dans les deux langues officielles du Nouveau-Brunswick.

[133]  Je conclus également que l’omission de la ville de Moncton constitue une violation du par. 18(2) de la Charte.  En pareil cas, cette omission entraîne l’invalidité de tous les arrêtés municipaux unilingues de la ville de Moncton. J’estime que la réparation convenable et juste en vertu du par. 52(1) est une déclaration d’invalidité de ces arrêtés municipaux. Il y a lieu, cependant, de suspendre l’effet de la déclaration d’invalidité pendant un délai d’une année à compter de la date du présent jugement afin de permettre à la ville de Moncton et au gouvernement du Nouveau-Brunswick de satisfaire aux obligations constitutionnelles que j’ai exposées dans ces motifs.

R. c. Butler, 2002 NBQB 325 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[180] Les paragraphes 16(2), 18(2) et 20(2) ainsi que le paragraphe 19(2) révèlent clairement l’intention des rédacteurs de la Charte de consacrer dans la Constitution la dualité linguistique du Nouveau Brunswick. Il ressort d’une comparaison du paragraphe 20(2) avec le paragraphe 20(1) que les attentes, pour ce qui est de la réalisation de l’objet de bilinguisme dans la fonction publique du Nouveau Brunswick, sont plus importantes que ce qui a été réalisé de façon générale dans la fonction publique fédérale.

Voir également :

Town of Riverview c. Charlebois, 2014 NBBR 154 (CanLII)

 

19. (1) Procédures devant les tribunaux établis par le Parlement

19. (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent.

19. (2) Procédures devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick

19. (2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : MAI 2017]

NOTA – Voir la jurisprudence portant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

Annotations – Généralités

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[40] Divers arrêts de la Cour suprême du Canada reconnaissent explicitement, sous réserve de variantes stylistiques mineures, la similitude des dispositions constitutionnelles contenues dans l’art. 133 de la Loi constitutionnelle 1867, l’art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et dans les articles 17, 18 et 19 de la Charte. Dans l’arrêt Société des Acadiens, le juge Beetz a fait remarquer que les art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés à la version anglaise de l’article 133. Et il conclut à la p. 573 : « J’estime en conséquence qu’on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l’interprétation donnée à l’art. 133. ... » En ce qui concerne la similitude entre les articles 23 et 133, voir les arrêts Renvoi manitobain no 1, aux pp. 743-44, et le Renvoi manitobain no 2, à la page 220.

[…]

[43] Si cette thèse se résume à dire que dès lors qu’un tribunal doit trancher une question qui porte sur l’interprétation des articles 17, 18 et 19 de la Charte il doit souscrire à l’interprétation déjà donnée à l’art. 133, il est évident qu’une telle approche irait à l’encontre des principes d’interprétation des droits linguistiques énoncés dans l’arrêt Beaulac, précité.

[44] À cet égard, il est important de se rappeler les propos du juge en chef Dickson qui, dissident sur la question de la constitutionnalité, a fait remarquer dans l’arrêt Société des Acadiens, à la p. 561, que malgré la similitude de l’art. 133 et du par. 19(2) « nous avons affaire à des dispositions constitutionnelles différentes adoptées dans des contextes différents. À mon avis, l’interprétation donnée à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’est nullement déterminante en ce qui concerne celle que doivent recevoir les dispositions de la Charte ».

[45] Tout aussi importants sont les commentaires suivants du juge Dickson qui exprimait le même point de vue dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la page 343 :

... il est certain que la Charte canadienne des droits et libertés ne fait pas que « reconnaître et déclarer » l’existence de droits déjà existants dont l’étendue était délimitée par la législation en vigueur au moment de son enchâssement dans la Constitution. Le texte de la Charte est impératif. Elle évite de parler de droits existants ou de droits qui continuent d’exister ... .

[46] Enfin, dans l’arrêt R. c. Therens, 1985 CanLII 29 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 613, la Cour suprême a statué, à la p. 638, que nonobstant la similitude qui existe entre la formulation de l’art. 2c) de la Déclaration canadienne des droits et celle de l’art. 10 de la Charte, la prémisse portant qu’il faut présumer que les rédacteurs de la Charte ont voulu que les mots utilisés dans la Charte reçoivent le sens que leur donnait la jurisprudence à l’époque de son adoption « n’est pas un guide fiable quant à la façon de l’interpréter et de l’appliquer. De par sa nature même, une charte constitutionnelle des droits et libertés doit être rédigée en termes généraux susceptibles d’évolution et d’adaptation par les tribunaux ».

[47] À la lumière de ces déclarations visant les principes d’interprétation des droits constitutionnels et à la lumière des récentes décisions de la Cour suprême dans les affaires Beaulac et Arsenault-Cameron, précitées, j’estime que le principe énoncé par le juge Beetz dans l’arrêt Société des Acadiens selon lequel l’on doit tenir compte de l’interprétation donnée aux garanties linguistiques prévues à l’art. 133 ne peut vouloir dire que l’on peut passer outre à l’analyse fondée sur l’objet des droits établie dans la jurisprudence déjà citée. Comme l’a déclaré la Cour suprême, « l’accent mis sur le contexte historique de la langue et de la culture indique qu’il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province ». (Voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la page 851.) Par conséquent, j’estime que la décision dans l’arrêt Blaikie no 2, tout en servant de guide pour l’interprétation des par. 17(2), 18(2) et 19(2) de la Charte, doit être abordée avec prudence par les tribunaux de cette province.

Ochapowace Indian Band c. Saskatchewan (Minister of Justice), 2004 SKQB 486 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[9] Ni le cri ni le saulteaux ne sont des langues protégées constitutionnellement en vertu de l’article 19 de la Charte. Mais même si ces langues étaient protégées, un témoin ou une partie témoignant dans l’une ou l’autre de ces langues n’aurait néanmoins pas le droit constitutionnel d’être compris sans traduction. Le juge Beetz l’a énoncé très clairement dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch, 1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549, aux pages 574 et 575, où il déclare :

Ces droits linguistiques sont les mêmes que ceux qui sont garantis par l'art. 17 de la Charte relativement aux débats du Parlement. Ils appartiennent à l'orateur, au rédacteur ou à l'auteur des actes de procédure d'un tribunal, et ils confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix. En outre, ni l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l'art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l'art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l'être. [Non souligné dans l'original] [p. 574 et 575]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté : Ochapowace First Nation v. Canada (National Revenue), 2007 SKCA 88 (CanLII) [disponible en anglais seulement].

R. c. Deveaux, 1999 CanLII 3182 (NS SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[p. 6] Le fait que le juge de première instance a omis d’informer l’appelant conformément au paragraphe 530(3) du Code criminel constitue une violation des droits de l’appelant en vertu des articles 15, 16 et 19 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Cormier c. Fournier, 1986 CanLII 92 (NB BR)

[7] L'article 19 de la Charte ne peut être invoqué à l'appui du droit à l'interprète car cette question est traitée de façon distincte à l'article 14 :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Annotations – Paragraphe 19(1)

R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 1988 CanLII 107 (CSC)

[97] On a déjà répondu en principe à la sixième question dans l'éventualité où l'on conclurait à l'application de l'art. 110 de l'Acte des territoires du Nord-Ouest en Saskatchewan. Cette Cour, dans l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549, a conclu (aux pp. 574 et 575) que "ni l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l'art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l'art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l'être" (le juge Beetz). Ce raisonnement relatif à l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et à l'art. 19 de la Charte s'applique également à l'art. 110 de l'Acte des territoires du Nord-Ouest s'il est maintenant en vigueur comme le prétend l'appelant.

Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. c. Mazraani, 2017 CAF 80 (CanLII)

[8] Il est bien établi que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’elles ont un statut et des droits et privilèges égaux devant les tribunaux constitués par une loi fédérale, dont la CCI [Cour canadienne de l’impôt]. Partant, la Constitution accorde à toute personne, qu’elle comparaisse devant une cour fédérale ou y dépose des actes de procédure, le droit de le faire dans la langue officielle de son choix (Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), art. 133, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5). Ce droit constitutionnel est également repris et confirmé aux articles 16 et 19 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui figure à la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[9] La Cour suprême dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483, rappelle que le droit que la Constitution reconnaît d’employer la langue officielle de son choix devant les cours de justice visées par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 doit être interprété largement comme celui « des justiciables, des avocats, des témoins, des juges et autres officiers de justice ».

[10] Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais.  Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[…]

[18] Dès lors que l’avocat, Me Turgeon, a indiqué que le témoin, M. Michaud, voulait faire sa déposition en français et qu’une des parties, soit M. Mazraani, avait besoin des services d’un interprète, il incombait au juge de lever la séance pour obtenir des services d’interprétation. Il était obligé de respecter le choix de M. Michaud, qui voulait témoigner en français, de même que la demande de M. Mazraani, qui avait besoin des services d’un interprète (LLO, par. 15(1) et (2)).

[19] Or, le juge a plutôt accordé une pause pour permettre à Me Turgeon de trouver un compromis. Me Turgeon a proposé que M. Michaud témoigne en anglais, mais qu’il lui soit permis de s’exprimer en français au sujet des questions techniques, et que ces déclarations soient traduites vers l’anglais. Le juge a accepté ce compromis « pragmatique ». Il a ainsi manqué à son obligation expresse de faire en sorte que les témoins soient entendus dans la langue officielle de leur choix.

[…]

[21] Pendant l’instruction de l’affaire par la CCI [Cour canadienne de l’impôt], Me Turgeon et d’autres témoins ont été traités de manière semblable et se sont vus privés de leur droit de s’exprimer en français en raison de leur maîtrise de l’anglais (voir, par exemple, transcription, vol. 2, p. 555 (Mme Lambert) et transcription, vol. 4, p. 1256 et 1336-1337 (Me Turgeon)). Le juge a traité chaque demande visant à s’exprimer dans la langue officielle de leur choix comme une demande d’accommodement, plutôt que comme l’exercice de leurs droits protégés en matière de langues officielles.

[22] Dans chaque cas, le juge a incité l’avocat et les témoins à employer l’anglais. Tout au long de l’instruction, il a favorisé l’anglais au détriment du français, car M. Mazraani maîtrise peu le français. De ce fait, les droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins ont été enfreints. Le juge a exercé une subtile pression sur Me Turgeon et les témoins les invitant à renoncer à leur droit de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix, en l’occurrence le français (Chiasson c. Chiasson, [1999] A.N.-B. no 621 (C.A.)(QL)). M. Mazraani fait valoir que personne n’a obligé les témoins et Me Turgeon à s’exprimer en anglais et qu’Industrielle Alliance invoque les droits linguistiques à des fins purement stratégiques. Or, la transcription des débats n’étaye tout simplement pas cette conclusion.

[23] En outre, selon M. Mazraani, il ne saurait y avoir préjudice lorsqu’une personne peut s’exprimer dans les deux langues officielles. Un tel argument n’est pas fondé. La Constitution reconnaît à toute personne qui comparaît devant une cour fédérale le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, peu importe qu’elle soit bilingue ou non. Autrement dit, être bilingue ne prive pas une personne du droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix (Beaulac, par. 45).

[24] De plus, malgré les efforts déployés par le juge pour inciter les témoins à faire leur déposition en anglais et comme certains d’entre eux avaient du mal à s’exprimer en anglais, une partie importante des témoignages s’est déroulée en français. Soulignons celui d’Éric Leclerc, fait en grande partie en français (voir, par exemple, transcription, vol. 4, p. 1206-1207, 1222, 1228, 1266, 1323-1324 et 1332). Si le juge a traduit en anglais à l’intention de M. Mazraani certaines déclarations faites en français par des témoins, de nombreux échanges sont demeurés dans la langue originale. Parfois, M. Mazraani affirmait ne pas comprendre ce qui se passait et disait « il faut que je comprenne » (transcription, vol. 4, p. 1249 et 1320). Comme ce dernier avait demandé l’assistance d’un interprète si des témoignages devaient se dérouler en français, que des témoins et Me Turgeon se sont adressés au juge en français et que leurs propos ont été peu ou pas traduits, les droits de M. Mazraani en matière de langues officielles ont été enfreints (mémoire des faits et du droit du ministre, par. 59).

[…]

[26] En fin de compte, les efforts du juge qui visait à se montrer « pragmatique » pour éviter de lever la séance et d’obtenir des services d’interprétation ont donné lieu à la violation non seulement des droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins, mais également de ceux de M. Mazraani. Il n’était tout simplement pas loisible au juge de transiger sur les droits en matière de langues officielles de tous les participants à l’instance. En ne s’acquittant pas de son obligation de veiller à la protection des droits en matière de langues officielles en l’espèce, le juge a causé la violation de ces droits, mais également des retards qui auraient pu être évités s’il avait levé la séance et obtenu des services d’interprétation, comme il le fallait. Le pragmatisme ne l’emporte pas sur l’obligation de respecter les droits en matière de langues officielles de tous au cours de l’instruction des instances judiciaires.

Yamba c. Canada (Minister of Justice), 2016 BCCA 219 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[21] D’abord, il est loin d’être clair que le droit à un procès dans l’une de nos deux langues officielles, garanti par l’article 530 du Code criminel, est l’équivalent d’un droit constitutionnel. Même si en application du paragraphe 16(1) de la Charte, l’anglais et le français sont les « langues officielles du Canada », le droit d’employer l’une ou l’autre lors de procédures judiciaires s’applique seulement aux tribunaux du Nouveau Brunswick et à ceux établis par le Parlement (article 19 de la Charte). Dans R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII), 181 C.C.C. (3d) 485, autorisation d’interjeter appel refusée [2005] 1 R.C.S. xii, le tribunal a soutenu qu’une violation des droits énoncés à l’article 530 ne donne pas droit à une réparation constitutionnelle. Le juge Fichaud a affirmé ce qui suit :

[60] L’article 530 doit faire l’objet d’une interprétation téléologique large en raison de son statut quasi constitutionnel. Mais l’article 530 n’est pas une disposition qui a été enchâssée dans la Charte. Sa violation n’a pas pour effet de donner ouverture à un recours sous le paragraphe 24(1) de la Charte.

Voir aussi : R. c. Schneider, 2004 NSCA 151 (CanLII) au paragraphe 19, 192 C.C.C. (3d) 1, autorisation d’interjeter appel refusée [2005] 2 R.C.S. xi.

R. c. T.D.M., 2008 YKCA 16 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[26] La version anglaise de l’article 5 [de la Loi sur les langues, L.R.Y. 2002, c. 133] utilise l’expression « may be used », qui pourrait être interprétée comme étant facultative. Toutefois, lu conjointement avec la version française – « chacun a le droit d’employer » – il est clair que la législature a voulu conférer, entre autres choses, un « droit » de témoigner dans la langue officielle de son choix. Bien que dans Kilrich Industries Ltd., la juge Huddart n’aborde pas l’interprétation des lois bilingues, il est évident qu’elle a conclu que l’article 5 de la Loi sur les langues confère certains droits concernant l’emploi de l’anglais et du français : paragraphes 71 et 72. Il convient également de souligner que les mots employés dans les deux versions de l’article 5 sont identiques à ceux employés dans l’article 19 de la Charte, lequel traite du droit d’employer l’anglais et le français dans les tribunaux établis par le Parlement et ceux du Nouveau-Brunswick.

Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12 (CanLII)

[35] L’article 5 [de la Loi sur les langues] traite des instances et des actes de procédure à la cour et est semblable à la formulation de l’art. 19 de la Charte :

5  Either English or French may be used by any person in, or in any pleading in or process issuing from, any court established by the Legislative Assembly.

5  Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par l’Assemblée législative et dans tous les actes de procédure qui en découlent.

[…]

[71] Ensuite, l’appelant affirme que l’article 5 de la Loi sur les langues impose des obligations positives au gouvernement de communiquer avec M. Halotier et de le comprendre dans l’une des deux langues officielles. L’article 5 prévoit que « chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis »  la Cour suprême du Yukon – une cour établie par  l’Assemblée législative dans la Loi sur la Cour suprême, L.R.Y. 2002, c. 211.

[72] La considération de certains des droits revendiqués est simple. Le droit de déposer des documents au greffe en français et le droit d’utiliser le français dans les communications orales ou écrites avec le greffe découlent naturellement de l’interprétation de l’art. 5 de la Loi sur les langues. Quand une audience est tenue par la loi d’être enregistrée, une personne utilisant le français ou l’anglais a le droit d’avoir ses paroles enregistrées dans cette langue (voir l’arrêt Mercure, précité aux pp. 275 et 276). Il en découle que chaque procès-verbal de telle audience devrait inclure les témoignages dans la langue (si en français ou en anglais) dans laquelle ils ont été présentés. Sinon, comme l’a mentionné le juge La Forest dans l’arrêt Mercure, le droit d’utiliser la langue de son choix serait vraiment tronqué, surtout si les instances se poursuivent à la Cour d’appel. Et en accord avec mon opinion sur l’art. 4, pour que le droit d’utiliser l’anglais ou le français durant une audience soit signifiant, la cour doit rendre ses règles (y compris les formulaires et les pratiques) disponibles au public de qualité équivalente en français et en anglais.

[73] Les autres droits revendiqués par l’appelant sont plus difficiles à analyser, particulièrement ceux impliquant une obligation positive de la cour, comme l’obligation de fournir un juge, un greffier ou auxiliaire de la justice, ou un interprète bilingue.  Bien que ces services puissent être souhaitables, je ne suis pas convaincue que l’art. 5 impose une obligation de les fournir.

[…]

[75] L’avocat pour l’appelant a reconnu que ses revendications sont incompatibles avec les arrêts Société des Acadiens et MacDonald, précités, mais suggère que ces décisions ont été dépassées par des décisions plus récentes, particulièrement l’arrêt Beaulac, précité, et que dans l’approche téléologique aux droits linguistiques, les obligations positives devraient être imposées comme nécessaires pour donner signifiance à son droit prévu par la loi d’utiliser le français dans les affaires judiciaires. L’appelant a aussi mentionné que cette interprétation de l’art. 5 reconnaît non seulement ses droits linguistiques, mais également les aspirations de croissance et de développement de la communauté francophone du Yukon.

[76] Je ne suis pas prête, d’après le dossier de cette affaire, à essayer de distinguer les décisions considérées de la Cour suprême du Canada. De plus, il existe de bonnes raisons pour soutenir l’avis que l’art. 19 de la Charte et l’art. 5 de la Loi sur les langues imposent peu d’obligations positives à la cour ou au gouvernement. 

[77] Premièrement, l’art. 6 de la Loi sur les langues, comme les dispositions parallèles de l’art. 20 de la Charte, prévoit que « le public a, au Yukon, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec … l’administration centrale des institutions de l’Assemblée législative ou du gouvernement du Yukon ou pour en recevoir les services » et qu’il a « le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions » quand certaines conditions qualitatives ou numériques sont satisfaites. Quoi que je sois consciente que cette disposition ne détermine pas la portée de l’art. 5, elle offre un bon soutien pour une interprétation plus restreinte que ce qui est suggérée par l’appelant. Même chose pour l’absence d’une disposition comparable à celle trouvée dans d’autres textes législatifs qui abordent particulièrement les aptitudes linguistiques d’un juge : (Voir le par. 19(2) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick; l’art. 16 de la Loi sur les langues officielles fédérale; et l’art. 530 du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46).

[78] Deuxièmement, l’article 5 de la Loi sur les langues, comme l’art. 19 de la Charte, utilise le terme présumé non-directif « peut ». Ce terme n’évoque pas normalement une obligation positive d’agir et contraste avec le « sont » impératif utilisé à l’art. 4 : (Voir le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité à la p. 742).

[79] Une troisième raison pour rejeter une interprétation exigeant un juge ou un interprète bilingue, ou imposant d’autres obligations positives est qu’une telle interprétation peut avoir des implications constitutionnelles comme l’a suggéré le juge Beetz dans l’arrêt Société des Acadiens, quand il a expliqué (opinion majoritaire) à la p. 580 :

Avant d'en finir avec cette question d'égalité, je tiens à faire remarquer que si on devait conclure que le droit d'être compris dans la langue officielle employée devant un tribunal constitue un droit linguistique régi par la disposition en matière d'égalité de l'art. 16, on ferait un grand pas vers l'adoption d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être satisfait que par des tribunaux bilingues.  Pareille exigence aurait des conséquences d'une portée incalculable et constituerait en outre un moyen étonnamment détourné et implicite de modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives à la magistrature.

[80] Presque inévitablement, l’implication d’interpréter l’art. 5 comme incluant les obligations positives serait de préempter un examen constitutionnel et l’occasion pour le gouvernement de justifier sa décision selon l’article 1 de la Charte –  le sujet de la mise en garde de la juge Charron dans l’arrêt Charlebois, précité.

[81] Un dernier motif pour rejeter une interprétation plus large de l’art. 5 est que les tribunaux ont explicitement reconnu que le droit de parler et d’être compris est protégé par les obligations de justice naturelle et le droit à un procès équitable. L’explication présentée par le juge Bastarache au par. 41 de l’arrêt Beaulac est particulièrement importante pour le Yukon :

Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l’accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s’y faire comprendre.  Toutefois, ce droit est déjà garanti par l’art. 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l’assistance d’un interprète.  Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues.  Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts.  Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais. Notre Cour a déjà tenté d’éliminer cette confusion à plusieurs occasions. Ainsi, dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, précité, le juge Beetz dit, aux pp. 500 et 501 :

Ce serait une erreur que de rattacher les exigences de la justice naturelle aux droits linguistiques [. . .] ou vice versa, ou de relier un genre de droit à un autre [. . .] Ces deux genres de droits sont différents sur le plan des concepts. [. . .] Les lier, c’est risquer de les dénaturer tous les deux, plutôt que de les renforcer l’un et l’autre.

[82] Sur ce point, on peut se référer également aux récents motifs dissidents du juge Bastarache dans l’arrêt Charlebois, précité, où il a écrit (au par. 54) :

Bien que le statut quasi constitutionnel de la LLO commande une interprétation téléologique et libérale, rien ne justifie de prêter au législateur l’intention d’élargir la définition des termes utilisés afin de respecter le par. 16(3) de la Charte.  Au contraire, tout porte à croire que le législateur était conscient de la différence entre les droits linguistiques et le droit à un procès équitable, et de celle, mentionnée plus haut dans les présents motifs, entre l’emploi de la langue officielle d’une personne dans les plaidoiries, d’une part, et dans les communications avec les bureaux du gouvernement visées au par. 20(1) de la Charte, d’autre part. …

[83] En résumé, comme je le perçois, le droit aux services de greffe en français et en anglais doit être considéré en vertu de l’art. 6 de la Loi sur les langues. Le droit d’être compris directement ou par un interprète, et le droit à un procès-verbal qui comprend l’interprétation des voix originales en français ou en anglais sont laissés à la discrétion du juge du procès qui a l’obligation de présider une audience équitable, en considérant entièrement les droits de chaque personne, dans une cour du Yukon, de s’exprimer et de produire des documents en français ou en anglais ainsi que les autres droits garantis par la Charte, y compris le droit à un interprète à l’art. 14, et le besoin de donner un « sens véritable » au principe d’égalité que le juge Bastarache a noté dans l’arrêt Beaulac (au par. 22).

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[36] Le paragraphe 19(1) s’applique uniquement aux tribunaux « établis par le Parlement ». Il est similaire à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui stipule que « dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, » de l’anglais ou du français. Les mots « les tribunaux du Canada » à l’article 133 ont été interprétés comme s’appliquant uniquement aux tribunaux établis par une loi fédérale : Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, page 193, par le juge en chef Laskin; Procureur général du Québec c. Blaikie, [1979] 2 R.C.S. 1016, pages 1025 et 1026 et 1028 à 1030; Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 S.C.R. 549, pages 561 et 574.

[37] Hogg, dans Constitutional Law of Canada (feuilles mobiles, vol. 2) au paragraphe 53.5(A), affirme ce qui suit :

En ce qui concerne les tribunaux, l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule que « dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, » de l’anglais ou du français. Les parties à un litige peuvent ainsi employer le français ou l’anglais dans les tribunaux fédéraux et ceux du Québec. L’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba impose une exigence similaire aux tribunaux du Manitoba. L’article 19(2) de la Charte des droits impose une exigence semblable aux tribunaux du Nouveau-Brunswick. Les tribunaux des sept autres provinces ne sont pas soumis à une telle obligation constitutionnelle. [non souligné dans l’original]

[38] La Cour provinciale qui a convoqué et jugé Mme MacKenzie n’est pas « établi[e] par le Parlement ». Il est établi en vertu de la Provincial Court Act, R.S.N.S. 1989, c. 238, modifiée, paragraphe 2A(1) :

[TRADUCTION] Il est par les présentes établi un tribunal d’archives appelé la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse.

[39] Il n’y a pas eu violation de l’article 19 de la Charte.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 1629 [hyperlien non disponible]

[6] Le paragraphe 19(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, prévoit que chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent. La Cour fédérale est un tribunal établi par le Parlement. Ce droit comprend au minimum le droit de s'exprimer et de présenter des conclusions écrites dans la langue de son choix. Il comprend le droit d'être compris par le juge ou les juges qui instruisent l'affaire. Cependant, cette garantie d'égalité linguistique n'est pas une garantie que la langue officielle employée par tel ou tel plaideur sera comprise par la personne à qui s'adresse la procédure engagée. C'est un droit qui découle des principes de justice naturelle et du paragraphe 15(2) de la Loi sur les langues officielles.

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 [hyperlien non disponible]

[11] Cette conclusion, qui découle par ailleurs du libellé clair et non équivoque de l'article 18, est tout à fait compatible avec les garanties linguistiques liées à l'utilisation de l'une ou l'autre des langues officielles dans les instances judiciaires. L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et le paragraphe 19(1) de la Charte garantissent tous deux le droit d'une partie d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles dans les instances introduites devant tout tribunal constitué par le Parlement. Comme l'a dit le juge Beetz dans l'arrêt Société des Acadiens c. Association de parents, [1986] 1 R.C.S. 549, p. 574, ces deux garanties :

(...) confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix.

[12] Dans l'affaire MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, le juge Beetz a également dit ce qui suit à la page 483 :

(...) les droits linguistiques alors garantis sont ceux des justiciables, des avocats, des témoins, des juges et autres officiers de justice qui prennent effectivement la parole, et non ceux des parties ou autres personnes à qui l'on s'adresse; et ce sont ceux des rédacteurs et des auteurs des actes et pièces de procédure, et non ceux de leurs destinataires ou de leurs lecteurs.

[14] J'ajouterais également que l'interprétation de la Loi sur les langues officielles de façon à forcer Sa Majesté à présenter sa preuve dans la langue officielle choisie par l'autre partie irait à l'encontre des droits des témoins, qui ont eux aussi le droit de témoigner dans la langue officielle de leur choix selon l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l'article 19 de la Charte. Ce droit est réitéré et renforcé par le paragraphe 15(1) de la Loi sur les langues officielles et il semble évident que le législateur n'aurait pas donné aux témoins le droit de témoigner dans la langue officielle de leur choix tout en permettant au même moment aux parties d'exiger la présentation de ce témoignage dans la langue officielle de leur choix.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[28] Au paragraphe 13 de son mémoire, le requérant invoque à l'appui de ses prétentions les art. 21 et 24 de la Loi sur les langues officielles, précitée, ainsi que l'al. 9 d) du Reglement sur les lanques officielles - communications avec le public et prestation des services (Gazette du Canada, Partie II, Vol. 126, N0 l, DORS/92-48). Il convient de noter que les art. 21 et 24 de la Loi sur les lanques officielles font partie de la partie IV de cette loi qui traite des services et communications avec le public et qui découle directement du par. 20(1) de la Charte canadienne, par opposition à la partie III de cette même loi qui traite de l'administration de la justice et qui découle du par. 19(1) de la Charte canadienne. Ces deux types de dispositions ont des champs d'application distincts puisque le par. 19(1) de la Charte et la partie III de la Loi sur les langues officielles visent les plaidoiries et actes de procédure des institutions fédérales dans le cadre d'instances judiciaires, alors que le par. 20(1) de la Charte et la partie IV et son règlement visent plutôt les communications à l'extérieur du prétoire. Cette distinction ressort d'ailleurs des propos suivants du juge Beetz de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Société des Acadiens, précitée, aux pp. 574-575 :

"En outre, ni l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l'art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l'art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l'être.

Mon opinion est étayée par la différence dans la rédaction de l'art. 20 de la Charte. Dans cette disposition, la Charte accorde expressément le droit d'employer l'une ou l'autre langue officielle pour communiquer avec certains bureaux des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada et avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ce droit de communiquer dans l'une ou l'autre langue suppose aussi le droit d'être entendu ou compris dans ces langues." (je souligne)

[29] Conséquemment, la divulgation de la preuve dans le cadre d'une instance judiciaire n'est pas visée par le par. 20(1) de la Charte ni par la partie IV de la Loi sur les langues officielles et son règlement, parce que la structure même des art. 16 à 20 de la Charte démontre que chacun de ces articles régit un domaine distinct et étanche des activités parlementaires, gouvernementales et judiciaires. Il serait conséquemment inopportun d'instaurer des vases communicants entre ces dispositions. En effet, si le par. 20(1) était réputé s'appliquer aux communications dans un contexte judiciaire, la Cour suprême en serait venu à une décision fort différente dans l'affaire Société des Acadiens, précitée. […]

NOTA – L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

R. c. St-Jean, (1988) 2 Y.R. 116, [1986] Y.J. No. 76 (C.S.T.Y.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[25] Les auteurs des paragraphes 16(1) et 18(1) de la Charte, ainsi que du paragraphe 19(1), ne peuvent pas avoir voulu appliquer ces dispositions au territoire du Yukon, à son gouvernement ou à sa législature, et le silence délibéré de la Charte à cet égard doit être respecté. De plus, l’article 30 de la Charte va jusqu’à rendre le Yukon égal aux autres provinces afin que soient exécutoires dans le territoire du Yukon les articles de la Charte qui s’appliquent à toutes les provinces du Canada, même lorsque les droits linguistiques ne sont pas applicables.

[...]

[28] Je ne crois pas que les paragraphes 17(1), 18(1) et 19(1) de la Charte confèrent de droits supplémentaires qui seraient pertinents aux fins de l’espèce, en ce qui concerne le Parlement du Canada et les tribunaux établis par ce dernier, au-delà de ceux déjà énoncés à l’article 133 de la Loi constitutionnelle. En ce qui concerne l’article 16(1) de la Charte, je conclus que le Commissaire en conseil, pour les motifs déjà présentés, ne constitue pas une institution du gouvernement ou du Parlement du Canada au sens de la Charte. Relativement aux institutions du Parlement du Canada, je souligne qu’à mon avis, il s’agit d’une catégorie restrictive dont il est encore plus évident que le Commissaire en conseil ne fait pas partie.

[...]

[30] Je crois que la contravention est, dans les faits, une plaidoirie devant un tribunal du Yukon ou une pièce de procédure émanant de celui-ci, et les tribunaux du Yukon ne sont manifestement pas des tribunaux établis par le Parlement et ne sont pas visés par le paragraphe 19(1) de la Charte, mais plutôt des tribunaux établis par le Commissaire en conseil. Toutefois, même s’ils étaient des tribunaux visés par le paragraphe 19(1) de la Charte, la contravention serait valide dans tous les cas, en vertu des décisions dans Bilodeau et MacDonald.

[31] Troisièmement, même si la Charte s’était appliquée, je ne pense pas que l’intention des rédacteurs du paragraphe 20(1) de la Charte était d’inclure une contravention ou une sommation, pour une infraction commise aux règlements de la circulation, dans la portée des droits décrits en l’espèce, notamment le droit de toute personne de communiquer avec une institution du gouvernement ou du Parlement ou d’en recevoir des services. Selon moi, ce paragraphe envisage la prestation de services à la demande d’une personne, ou souhaitée par elle, ou pour son bénéfice, et ces communications ne visent pas des plaidoiries ou des actes de procédure déposés en cour ou délivrés par une cour, puisque ceux-ci sont déjà couverts par l’article 19 de la Charte et par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. En l’espèce, il n’est pas question de services rendus à l’appelant, et il n’est pas non plus question du droit de l’appelant de communiquer en français, ou de recevoir des réponses en français, à supposer qu’un tel droit existe. Par conséquent, je ne crois pas qu’en l’espèce, la délivrance d’une contravention en anglais uniquement a violé les droits de l’appelant garantis aux termes de l’article 20 de la Charte.

Thibeault J.R.N.J. (Captain), R. c., 2014 CM 3022 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[10] Tout au long de l’instance concernant la présente demande, j’ai exprimé souvent des réserves dans des situations qui ont donné lieu à de nombreux échanges avec les deux avocats qui avaient des opinions différentes sur cette question fondamentale en matière de procédure. Tout d’abord, le capitaine Thibeault a affirmé dans sa demande que l’article 530 du Code criminel s’appliquait aux procédures de la cour martiale. Je ne suis pas d’accord. J’estime que ni la disposition invoquée ni d’autres dispositions du Code criminel concernant la langue du procès ne s’appliquent en l’espèce.

[11] À mon avis, c’est la Loi sur les langues officielles qui s’applique en l’espèce, loi fédérale qui régit les procédures du présent tribunal, soit une cour martiale, parce qu’il s’agit d’un office fédéral, au sens d’une cour fédérale établie en vertu d’une loi fédérale. Par conséquent, la cour martiale est régie par les dispositions de la Loi sur les langues officielles auxquelles s’ajoutent celles de la Constitution, notamment les articles 19, 14 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Voir également :

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

Ewonde c. Canada, 2017 CAF 112 (CanLII)

Noiseux c. Belval, 1999 CanLII 13667 (CA QC) [décision disponible en anglais seulement]

Cross c. Teasdale, 1998 CanLII 13063 (CA QC)

Beaudoin c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1993] A.C.F. no 505 [hyperlien non disponible]

Annotations – Paragraphe 19(2)

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 1986 CanLII 66 (CSC)

[45] Voici la question constitutionnelle formulée par le Juge en chef :

Le paragraphe 19(2) de la Charte canadienne des droits et libertés confère-t-il à une partie qui plaide devant un tribunal du Nouveau-Brunswick le droit d'être entendue par un tribunal dont un ou tous les membres sont en mesure de comprendre les procédures, la preuve et les plaidoiries, écrites et orales, indépendamment de la langue officielle utilisée par les parties?

[46] Cette question concerne le contenu du droit constitutionnel d'employer le français ou l'anglais devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick : ce droit comporte-t-il celui d'être entendu et compris par le tribunal indépendamment de la langue officielle utilisée?

[…]

[49] Le paragraphe 19(2) de la Charte doit s'interpréter dans le contexte de la partie de la Charte qui s'intitule "Langues officielles du Canada" et qui est composée des art. 16 à 22 : […]

[50] Sous réserve de variantes stylistiques mineures, les termes des art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés clairement et délibérément à la version anglaise de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont une version française n'a pas encore été adoptée conformément à l'art. 55 de la Loi constitutionnelle de 1982. J'estime en conséquence qu'on ne saurait à bon droit trancher cette affaire sans tenir compte de l'interprétation donnée à l'art. 133, qui porte :

133. Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux du Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.

Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

[51] Le texte quelque peu condensé et complexe de l'art. 133 a été abrégé et simplifié dans les art. 17 à 19 de la Charte, comme il convient au style d'un véritable document constitutionnel. Ainsi, la partie pertinente de l'art. 133 ("dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux ... ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage") est devenue "Chacun a le droit d'employer ... dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux ... et dans tous les actes de procédure qui en découlent". Or, j'estime que ce changement de pure forme ne revêt aucune importance particulière.

[52] Je suis en outre d'avis que le par. 19(2) de la Charte, pas plus que l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, n'établit pas deux règles distinctes, une pour la langue que chacun peut utiliser dans les débats devant les tribunaux et une autre pour les langues pouvant être utilisées dans les actes de procédure. Un acte de procédure doit émaner de quelqu'un, c'est-à-dire d'une personne dont les droits linguistiques sont ainsi protégés de la même manière et dans la même mesure que l'est le droit d'un plaideur ou de tout autre participant de s'exprimer en cour dans la langue officielle de son choix. L'une et l'autre dispositions constitutionnelles ne prévoient qu'une seule règle de fond qui s'applique aussi bien aux actes de procédure qu'aux débats devant les tribunaux, et je ne fais ici que paraphraser ce qu'on a déjà dit à ce sujet dans l'arrêt MacDonald, dans les motifs de la majorité, à la p. 484.

[53] À mon sens, les droits que garantit le par. 19(2) de la Charte sont de même nature et portée que ceux garantis par l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui concerne les tribunaux du Canada et ceux du Québec. Comme le conclut la Cour à la majorité, aux pp. 498 à 501 de l'arrêt MacDonald, il s'agit essentiellement de droits linguistiques qui n'ont aucun rapport avec les exigences de justice naturelle et qui ne doivent pas être confondus avec cellesci. Ces droits linguistiques sont les mêmes que ceux qui sont garantis par l'art. 17 de la Charte relativement aux débats du Parlement. Ils appartiennent à l'orateur, au rédacteur ou à l'auteur des actes de procédure d'un tribunal, et ils confèrent à l'orateur ou au rédacteur le pouvoir, consacré dans la Constitution, de parler ou d'écrire dans la langue officielle de leur choix. En outre, ni l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l'art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l'art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l'être.

[…]

[56] Là encore, le par. 13(1) de la Loi [sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick], à la différence de la Charte, confère expressément le droit d'être entendu dans la langue officielle de son choix. Ceux qui ont rédigé le par. 19(2) de la Charte et qui y ont donné leur approbation auraient facilement pu adopter les termes du par. 13(1) de la Loi sur les langues officielles du NouveauBrunswick plutôt que ceux de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Leur omission de le faire indique clairement qu'ils ont voulu obtenir un effet différent, savoir celui de l'art. 133. Or, si le peuple de la province du Nouveau Brunswick était consentant à ce qu'une disposition comme le par. 13(1) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick fasse partie du droit applicable dans cette province, il n'admettait pas pour autant qu'elle soit enchâssée dans la Constitution. Je crois donc qu'il faut se garder de le lui imposer sous le couvert d'une interprétation constitutionnelle.

[…]

[58] Ce système a pris encore plus d'ampleur dans la Charte avec l'ajout du NouveauBrunswick au Québec -- et au Manitoba -- et avec l'adoption de nouvelles dispositions comme l'art. 20. J'estime cependant que dans la mesure où le modèle de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 a été délibérément suivi, ce qui est le cas du par. 19(2), la même interprétation s'impose.

[…]

[72] Je ne crois pas que ma façon d'interpréter le par. 19(2) de la Charte enfreint la disposition de l'art. 16 en matière d'égalité. L'une ou l'autre langue officielle peut être employée par n'importe quelle personne devant tout tribunal du Nouveau-Brunswick ou dans toutes les affaires devant un tel tribunal et dans tous les actes de procédure qui en découlent. La garantie d'égalité des langues n'est toutefois pas une garantie que la langue officielle utilisée sera comprise par la personne à qui s'adresse la plaidoirie ou la pièce de procédure.

[73] Cependant, avant d'en finir avec cette question d'égalité, je tiens à faire remarquer que si on devait conclure que le droit d'être compris dans la langue officielle employée devant un tribunal constitue un droit linguistique régi par la disposition en matière d'égalité de l'art. 16, on ferait un grand pas vers l'adoption d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être satisfait que par des tribunaux bilingues. Pareille exigence aurait des conséquences d'une portée incalculable et constituerait en outre un moyen étonnamment détourné et implicite de modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives à la magistrature.

[74] Je conclus sans aucune hésitation que les principes de justice naturelle ainsi que le par. 13(1) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick confèrent à une partie qui plaide devant un tribunal du Nouveau-Brunswick le droit d'être entendue par un tribunal dont un ou tous les membres sont en mesure de comprendre les procédures, la preuve et les plaidoiries, écrites et orales, indépendamment de la langue officielle utilisée par les parties.

[75] Avec égards cependant, j'estime qu'aucun droit de ce genre ne peut découler du par. 19(2) de la Charte.

[76] Je suis d'avis de répondre à la question constitutionnelle de la manière suivante:

Une partie qui plaide devant un tribunal du Nouveau-Brunswick a le droit d'être entendue par un tribunal dont un ou tous les membres sont, par des moyens raisonnables, en mesure de comprendre les procédures, la preuve et les plaidoiries, écrites et orales, indépendamment de la langue officielle utilisée par les parties; ce droit découle toutefois des principes de justice naturelle et du par. 13(1) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et non pas du par. 19(2) de la Charte.

Bujold c. R., 2011 NBCA 24 (CanLII)

[8] Il va sans dire qu’il ne suffit pas que le substitut du procureur général soit capable de parler la langue officielle de l’accusé; le mandat qui lui est confié oblige le substitut à parler la langue officielle que précise toute ordonnance rendue en vertu de l’article 530. Enfin, s’il est vrai que le par. 19(2) de la Charte reconnait le droit personnel à chacun d’employer l’une ou l’autre des langues officielles devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick, le substitut renonce à ce droit lorsqu’il accepte d’agir au nom du procureur général dans le cadre d’une procédure qui tombe sous le coup d’une ordonnance rendue conformément à l’article 530.

Chiasson c. Chiasson, [1999] A.N.-B. no 621 (CA NB) [hyperlien non disponible]

[4] Au Nouveau-Brunswick, seule province au Canada avec deux langues officielles, le jugement de la cour doit forcément être infirmé lorsqu'une partie, ayant indiqué sa volonté d'être entendue dans une langue officielle, renonce à ce droit à cause de la réaction hostile du juge. La faculté d'employer l'une ou l'autre langue officielle est un droit et non un privilège. Il s'agit d'un droit fondamental qui n'est pas tributaire du droit à un procès équitable en tant que tel. Voir R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, aux pages 799 et 800, paragraphes 45 à 47.

[5] À notre avis, les juges devraient s'abstenir de toute conduite susceptible de dissuader une personne qui comparaît ou témoigne dans une procédure devant le tribunal de s'exprimer dans la langue officielle de son choix. En fait, il incombe aux juges de faire preuve du plus grand respect pour le choix que fait toute personne à cet égard.

Ville de Saint-Jean c. Charlebois et 042504 NB INC (25 février 2004), Saint-Jean, no 04939902 (CP NB) juge Vautour [hyperlien non disponible]

[p. 15] [L]e paragraphe 19(2) de la Charte ne laisse planer aucun doute que M. Charlebois avait le droit d’utiliser la langue française lors de sa première comparution devant la Cour provinciale.  S’il en fût empêché par le juge, il s’agit d’une violation de ses droits garantis par ce paragraphe. (p. 5) Il ne relève pas uniquement de la responsabilité du juge d’aviser le défendeur de ses droits linguistiques.  Le procureur pour la poursuite qui représente l’état lors de cette comparution avait le devoir d’informer le juge de ces dispositions afin qu’il puisse s’acquitter de ses obligations en tant que gardien de la constitution. 

Voir également :

Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74 (CanLII)

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

 

20. (1) Communications entre les administrés et les institutions fédérales

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a)  l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante; 

b)  l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau. 

20. (2) Communications entre les administrés et les institutions du Nouveau-Brunswick

20. (2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : MARS 2017]

Annotations – Paragraphe 20(1)

Desrochers c. Canada (Industrie), [2009] 1 R.C.S. 194, 2009 CSC 8

[2] Il est acquis dans le présent pourvoi que les droits réclamés sont de source constitutionnelle puisque les dispositions pertinentes de la LLO mettent en œuvre le droit constitutionnel du public d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 773).  La question constitutionnelle formulée par la juge en chef est la suivante :

Le paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et la partie IV de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31, interprétés à la lumière du principe de l’égalité énoncé au par. 16(1) de la Charte, obligent-ils Industrie Canada à fournir des services qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles?

[3] D’un commun accord, les parties conviennent, à juste titre à mon avis, que les dispositions mentionnées dans la question constitutionnelle comportent l’obligation constitutionnelle de mettre à la disposition du public des services « qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles ».  La réponse à la question constitutionnelle est donc clairement affirmative.  La question en litige en l’espèce concerne plutôt la portée de cette notion de « services de qualité égale ».

[…]

[51] Il me paraît clair que les intimés ont raison de dire que le principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services gouvernementaux, selon le par. 20(1) de la Charte et la partie IV de la LLO, donne une garantie par rapport aux services  offerts par l’institution fédérale.  Par contre, il n’est pas tout à fait juste de dire que l’égalité linguistique en matière de prestation de services ne peut comprendre l’accès à des services dont le contenu est distinct.  Selon la nature du service en question, il se peut que l’élaboration et la mise en œuvre de services identiques pour chacune des communautés linguistiques ne permettent pas de réaliser l’égalité réelle.  Le contenu du principe de l’égalité linguistique en matière de services gouvernementaux n’est pas nécessairement uniforme.  Il doit être défini en tenant compte de la nature du service en question et de son objet.  Considérons le programme de développement économique communautaire en l’espèce.

[…]

[54] Vu la nature du service offert en l’espèce, je ne partage donc pas l’opinion du juge Létourneau que le principe de l’égalité linguistique ne confère pas un droit à « un accès à des services égaux de développement économique régional » (par. 33), ou encore que les intimés n’étaient pas tenus en vertu de la partie IV de la LLO, de « prendre les mesures nécessaires pour que les francophones soient considérés comme des partenaires égaux avec les anglophones » (par. 38) dans la définition et la prestation des services de développement économique.  Il me paraît ici, soit dit en tout respect, que le juge Létourneau n’a pas tenu compte pleinement de la nature du programme en question et de ses objectifs lorsqu’il a ainsi défini la portée des obligations découlant de la garantie d’égalité linguistique.  Ce qui compte, c’est que les services offerts soient de qualité égale dans les deux langues.  L’analyse est forcément comparative. Ainsi, dans la mesure où Simcoe Nord, conformément aux objectifs des programmes, faisait des efforts pour toucher la communauté linguistique majoritaire et l’engager dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes, il lui incombait d’en faire autant pour la communauté linguistique minoritaire.

[55] Il est important, cependant, d’apporter deux précisions quant à la portée du principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services.  Premièrement, les obligations qui découlent de la partie IV de la LLO ne requièrent pas que les services gouvernementaux atteignent un seuil minimal de qualité ou qu’ils répondent effectivement aux besoins en cause de chaque communauté de langue officielle.  Il se peut que les services soient de qualité égale dans les deux langues, mais inadéquats, ou même de mauvaise qualité, et qu’ils ne satisfassent pas aux besoins de l’une ou l’autre communauté linguistique en matière de développement économique communautaire.  Une lacune à cet égard tiendrait peut-être à un manquement aux obligations imposées par la LMI [Loi sur le ministère de l’Industrie], comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale en l’espèce.  Ou encore, comme semblait le croire la Commissaire, il pourrait s’agir d’un manquement à des obligations découlant de la partie VII.  Je reviendrai sur ce point.

[56] Deuxièmement, le principe de l’égalité linguistique en matière de prestation de services ne signifie pas non plus qu’il doive y avoir égalité de résultats pour chacune des deux communautés linguistiques.  Il se peut qu’une inégalité de résultats constitue un indice valable d’une inégalité dans la qualité des services offerts à chacune des communautés linguistiques.  Par contre, les résultats d’un programme de développement économique communautaire destiné à l’une ou l’autre collectivité de langue officielle peuvent être tributaires d’un grand nombre de facteurs, parfois difficiles à cerner exactement.

Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549

[20] Les articles 16 à 22 de la Charte ont pour effet d'enchâsser la notion de deux langues officielles pour le Canada. Ils assurent la protection des droits linguistiques dans un bon nombre d'institutions publiques telles que les corps législatifs, les tribunaux, les bureaux du gouvernement et les écoles. […]

[21] À mon avis, l'expression "les institutions ... du gouvernement" englobe les corps judiciaires ou les tribunaux: voir Tremblay, "Les droits linguistiques" dans la Charte canadienne des droits et libertés (1982), 559, à la p. 576, Beaudoin et Tarnopolsky (éd.) Bien que l'importance précise de l'art. 16 soit débattue dans la doctrine, il constitue à tout le moins un indice très révélateur de l'objet des garanties linguistiques de la Charte. En adoptant ces garanties constitutionnelles spéciales dans la Charte, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Nouveau‑Brunswick ont démontré leur engagement à réaliser le bilinguisme officiel dans leurs ressorts respectifs. Peu importe qu'il soit visionnaire, qu'il soit déclaratoire ou qu'il participe d'une disposition de fond, l'art. 16 est un outil important dans l'interprétation des autres dispositions linguistiques de la Charte, y compris le par. 19(2).

[…]

[54] Mon opinion est étayée par la différence dans la rédaction de l'art. 20 de la Charte. Dans cette disposition, la Charte accorde expressément le droit d'employer l'une ou l'autre langue officielle pour communiquer avec certains bureaux des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada et avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ce droit de communiquer dans l'une ou l'autre langue suppose aussi le droit d'être entendu ou compris dans ces langues.

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[40] Comme le paragraphe 18(1) de la Charte (qui porte sur les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement), le paragraphe 7(1) de la LLO [des Territoires du Nord-Ouest] exige que les lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès-verbaux de l’Assemblée législative soient imprimés en français et en anglais. Comme le paragraphe 20(1) de la Charte, qui porte sur les communications avec les institutions fédérales et la réception de services, le paragraphe 11(1) de la LLO donne le droit d’employer le français ou l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions gouvernementales ou tout autre bureau de ces institutions lorsque cela fait l’objet d’une demande importante ou que cela se justifie par la vocation du bureau.

[…]

[141] La jurisprudence est contradictoire sur la question de savoir si l'offre active s'inscrit dans les droits linguistiques conférés par la loi. Dans R. c. Haché (1993), 139 N.B.R. (2d) 81, 23 W.C.B (2d) 12 (C.A), où un policier n'avait pas formulé en français à l'accusé la mise en garde relative à la Charte, la cour a examiné la question de savoir si l'accusé a le droit d'être informé de ses droits linguistiques alors qu'il fait l'objet d'une enquête policière. Les juges de la majorité ont conclu que l'offre active n'était pas obligatoire. Le juge Rice a indiqué que l'offre active n'était pas expressément prévue par la Charte. Le juge Angers, dissident, a conclu que l'offre active faisait partie de l'obligation imposée au gouvernement par le paragraphe 20(2) de la Charte. D'autre part, selon l'arrêt R. c. Gautreau (1989), 101 N.B.R. (2d) 1, [1989] N.B.J no 1005 (B.R.) (QL) (infirmé en appel pour un autre motif (1990), 109 N.B.R (2d) 54, 60 C.C.C. (3d) 332 (C.A.), autorisation d'appel à la C.S.C. rejetée [1991] 3 R.C.S. viii), dès lors que la loi a conféré l'égalité à l'emploi des deux langues, l'offre active est obligatoire. Dans l'arrêt Gautreau, la cour s'est également penchée sur les droits garantis par le paragraphe 20(2) de la Charte à un automobiliste inculpé au regard de la langue utilisée par le policier et dans la contravention au code de la route.

[…]

[339] Plusieurs mois après l’audition du présent pourvoi, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15 (CanLII), [2008] A.C.S. no 15 (« Paulin »). Au paragraphe 2, elle indique avoir été « appelée à déterminer si, en acceptant par contrat d’offrir des services de police dans la province, la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »), une institution fédérale, est liée par le régime linguistique plus généreux du Nouveau-Brunswick ou si elle n’est tenue de respecter que les normes fédérales en matière de langues officielles ». La Cour suprême a conclu que, comme la GRC était habilitée par le législateur du Nouveau-Brunswick à administrer la justice dans la province, elle exerçait le rôle d’une « institutio[n] de la législature ou du gouvernement » du Nouveau-Brunswick au sens du paragraphe 20(2) de la Charte, et elle était donc tenue de respecter cette disposition et de fournir des services en français et en anglais au public du Nouveau-Brunswick conformément aux conditions plus exigeantes de la province du Nouveau-Brunswick par comparaison à celles du gouvernement fédéral suivant le paragraphe 20(1) de la Charte.

[…]

[341] À notre avis, l’arrêt Paulin n’est pas pertinent pour les questions en litige en l’espèce. L’une des questions fondamentales en litige dans le pourvoi incident consiste à déterminer si la juge de première instance a commis une erreur en refusant de se pencher sur l’application de la Charte alors que la LLO contient les mêmes droits et recours que les dispositions similaires de la Charte et alors que le GDC [gouvernement du Canada] n’est pas responsable des violations de la LLO. Dans Paulin, il s’agissait de déterminer si la GRC était une institution du Nouveau-Brunswick tenue de se conformer au paragraphe 20(2) de la Charte. Comme nous confirmons la décision de la juge de première instance de ne pas trancher la question de la Charte, la question soulevée par Paulin n’est point pertinente. Tel que mentionné au paragraphe 329, le résultat serait exactement le même en application de la Charte que suivant la LLO. Ce n’était pas le cas dans l’affaire Paulin.

Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308 (CanLII)

[38] Le paragraphe 4(1) de la Loi [sur les langues officielles] reprend le droit qui a d’abord été consacré par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et proclamé à nouveau par le paragraphe 17(1) de la Charte. Aux termes de ces trois dispositions, toute personne qui participe aux travaux parlementaires a le droit d’« employer » (to use) l’anglais ou le français. Le paragraphe 4(1) de la Loi et le paragraphe 17(1) de la Charte créent un régime d’unilinguisme au choix de l’intéressé, qui ne peut être contraint par le Parlement à s’exprimer, oralement ou par écrit, dans une langue autre que celle qu’il choisit (voir MacDonald c. Ville de Montréal et autres, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483).

[39] Cependant, dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, comme le paragraphe 20(1) de la Charte et l’article 25 de la Loi, le législateur a opté pour le terme « communiquer » (to communicate). Je suis d’avis que cela était délibéré.

[40] Le terme « communiquer » suppose une interaction, des actions bilatérales entre les parties. Le verbe « employer » n’englobe pas une telle interaction. Ce droit est unilatéral : on a le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue officielle de son choix. En l’espèce, M. Knopf a fait connaître son opinion sur des sujets précis intéressant le Comité et il a déposé ses documents. Là s’arrête le droit qu’il peut invoquer en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi.

R. c. Simard, [1995] O.J. No. 4975, 27 O.R. (3d) 97 (CA ON)

[20] Je suis d'accord avec le juge McDonald dans l'affaire R. c. Rodrigue, précitée, que les art. 16(1) à 20(1) de la Charte relèvent du principe général d'égalité de statut des langues officielles au sein des institutions fédérales et des communications non-judiciaires. Ces articles se rapportent à des domaines distincts et étanches des activités parlementaires, judiciaires et gouvernementales de l'Etat fédéral. Il en est de même avec la Loi sur les langues officielles de 1988, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e supp.), parties III et IV, qui s'appliquent aux tribunaux fédéraux. La dénonciation en l'espèce est de nature judiciaire et l'art. 20(1) n'a aucune application à son égard, puisqu'il ne s'agit pas d'une activité de l'Etat fédéral.

St-Onge c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [1992] 3 C.F. 287, [1992] A.C.F. no 567 (CAF) [hyperlien non disponible]

[23] Il nous apparaît important de noter que l'article 22 de la Loi [sur les langues officielles] est essentiellement la reproduction de l'alinéa 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui invite la Cour à l'interpréter de la même manière que serait interprétée cette disposition de la Charte.

Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 (CanLII)

[38] La LLO comporte plusieurs parties, dont la partie IV sur les communications avec le public et le droit d’être servi par les institutions fédérales dans la langue officielle de son choix et la partie V sur la langue de travail et l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles dans les institutions du gouvernement du Canada. Chacune de ces parties a un ancrage constitutionnel, soit l’article 20 de la Charte pour la langue de service et le paragraphe 16(1) de la Charte pour la langue de travail (Schreiber c Canada, [1999] ACF no 1576 [Schreiber] au para 125; voir aussi Jennifer Klink et al, « Le droit à la prestation des services dans les langues officielles » dans Michel Bastarache et Michel Doucet, dir, Les droits linguistiques au Canada, 3e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014 aux pp 523-24).

Voir également : Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291 (CanLII)

Abbasi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 288 (CanLII)

[14] Eu égard aux langues officielles du Canada et au droit que confère le paragraphe 20(1) de recevoir des services dans l’une ou l’autre de ces langues, l’avocat du demandeur soutient que la Loi sur les langues officielles étant [traduction] « un document quasi constitutionnel qui non seulement reflète mais établit l’exigence constitutionnelle en matière de bilinguisme », les articles 21 à 24 de cette loi exigent que les affaires des institutions fédérales ne soient menées qu’en anglais ou en français (transcription de l’audience, le 20 janvier 2010, p. 10) :

[…]

B. Conclusion

[16] Le paragraphe 20(1) de la Charte confère à tout membre du public au Canada le droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec les institutions fédérales ou pour en recevoir les services. Comme le confirme l’arrêt Lavigne, ce droit crée une obligation pour les institutions fédérales et leur impose des exigences pratiques pour y satisfaire. Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur que ce concept fondé sur les droits ne limite en rien le pouvoir des institutions fédérales d’offrir des services en des langues autres que l’anglais et le français aux membres du public qui ne souhaitent pas se prévaloir du droit que leur confère le paragraphe 20(1) de la Charte et désirent de fait traiter dans n’importe quelle autre langue dans laquelle un fonctionnaire est capable de communiquer efficacement sans l’aide d’un interprète. C’est ce qu’a fait valoir le juge Pinard dans la décision Toma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 779 (CanLII), [2006] A.C.F. no 1000, au paragraphe 33, alors qu’un agent des visas avait mené une entrevue en arabe sans recourir aux services d’un interprète :

Si l'agent parle la langue du demandeur - ce qui est le cas en l'espèce - il serait en effet étrange que l'agent utilise un interprète. Il n'est pas nécessaire de le faire. L'option qu'il vaut mieux choisir, comme le recommande le Guide [Guide de l'immigration, Traitement des demandes à l'étranger OP 5], est d'effectuer l'entrevue dans la langue du demandeur.

Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (CanLII)

[8] Il convient de souligner qu'à titre de société d'État et à titre d'« institution fédérale » à laquelle la LLO s'applique, VIA a l'obligation constitutionnelle ou quasi constitutionnelle de voir à ce que les voyageurs puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec elle et en recevoir les services à son siège social, dans les bureaux régionaux, les gares ferroviaires et les trains où il y a une « demande importante », ainsi que lorsque la « vocation du bureau » justifie l'emploi des deux langues officielles. Cette obligation découle directement du paragraphe 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch. 11 (la Charte), ainsi que des articles 23 et 24 de la LLO, qui figurent à la partie IV de cette loi.

[…]

[76] Pour en revenir à la nature des droits conférés au public par la partie IV de la LLO, il faut comprendre que le droit de communiquer, qui est déjà garanti par l'article 20 de la Charte, emporte le droit d'être entendu et d'être compris par l'institution dans l'une ou l'autre des langues officielles. De plus, le concept de « services » publics, qui est également garanti par l'article 20 de la Charte, est plus large que le concept de « communications ». L'utilisation de l'interprétation simultanée ou de l'interprétation consécutive est irréaliste dans le cas de communications de vive voix et elle diminue la qualité du service. Par conséquent, il n'est possible d'être servi dans la langue officielle de son choix dans les cas visés par la loi que si des fonctionnaires bilingues sont présents. Un respect de pure forme ne répond pas à la lettre et à l'esprit des dispositions de la partie IV de la LLO, qui exigent une « offre active ». Voir Nicole Vaz et Pierre Foucher, Les droits linguistiques au Canada, 2e édition, compilé par Michel Bastarache (Les Éditions Yvon Blais, 2004), chapitre 4.

[…]

[98] Ce qui constitue, en vertu de la Charte ou de la LLO, une « demande importante », ou la question de savoir dans quelles circonstances il est raisonnable, en raison de la « vocation du bureau », de dispenser des services bilingues, fait l'objet d'interprétations divergentes. Des critères réglementaires procurent une plus grande certitude et une plus grande uniformité dans l'application de ces concepts mal définis. À cette fin, les règlements établis par le gouverneur en conseil en vertu de la partie IV de la LLO énumèrent des cas précis où les gares ferroviaires ou les trajets sont « réputés » satisfaire aux critères de la « demande importante » ou de la « vocation du bureau » (articles 7, 9, 11 et 12). Par conséquent, les règlements établissent une présomption légale facilitant la preuve que les critères prévus dans la Charte ou dans la LLO sont satisfaits. Il s'agit de leur objet fondamental, mais ils ne sont pas exhaustifs et ils ne devraient pas être interprétés et appliqués de façon rigoureuse. En effet, la Cour doit accepter que ni les règlements ni Burolis ne peuvent l'emporter sur la LLO ou la Charte, ou restreindre la LLO ou la Charte, et qu'ils doivent toujours être interprétés et appliqués d'une manière conforme aux objectifs généraux du préambule de la LLO et refléter les valeurs fondamentales de la Charte et de la politique canadienne en matière de bilinguisme.

Voir également : Seesahai c. Via Rail Canada, 2009 CF 859 (CanLII), Collins c. Via Rail Canada, 2009 CF 860 (CanLII), Bonner c. Via Rail Canada, 2009 CF 857 (CanLII), Temple c. Via Rail Canada Inc., [2010] 4 RCF 80, 2009 CF 858 (CanLII)

Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[4] Pour les motifs du jugement énoncés ci-après, je conclus que le Règlement [Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48] est incompatible avec le paragraphe 20(1) de la Charte puisqu'il viole le droit du public de communiquer dans la langue officielle de son choix avec une institution fédérale lorsque l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante. Je conclus aussi que la violation n'est pas justifiée aux termes de l'article premier de la Charte.

[…]

[9] La défenderesse soumet que la sommation ne peut être assimilée à un service ou à une communication, aux termes de la partie IV de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la LLO) ou du paragraphe 20(1) de la Charte. Dans les arrêts MacDonald c. Ville de Montréal et autres, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460 et Bilodeau c. Manitoba (Procureur général), 1986 CanLII 64 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 449, la Cour suprême du Canada a établi que le défaut de produire une sommation dans les deux langues ne constitue pas une atteinte aux droits linguistiques garantis par la Charte.

[10] Le litige dont la Cour est maintenant saisie, même s'il tire son origine de ces faits, est tout autre. L'enjeu n'est plus la sommation et la déclaration de culpabilité du demandeur pour excès de vitesse. Il s'agit plutôt de décider si les droits du demandeur, en tant que francophone, ont été violés du fait qu'il n'a pas reçu de services en français et qu'il n'a pu communiquer en français lorsqu'il s'est adressé à un membre de la GRC qui patrouillait l'autoroute 104 près d'Amherst, contrairement au droit garanti à l'article 20 de la Charte. […]

[16] La Charte, à l'article 16, garantit l'égalité des deux langues officielles au Canada et, à l'article 20, consacre le droit du public de s'adresser à l'administration centrale de toute institution fédérale dans la langue officielle de son choix. Le même droit existe à l'égard de tout autre bureau de l'institution fédérale, où qu'il se situe au Canada, pourvu que l'emploi de la langue officielle par la population minoritaire fasse l'objet d'une demande importante ou que son emploi soit justifié par la vocation du bureau. La LLO reprend les termes de la Charte, ce qui lui confère un statut particulier, comme l'a souligné le juge Décary au nom d'une Cour unanime dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), à la page 386 :

[…]

[19] Le Règlement, adopté sous le régime de la LLO, établit le détail des différentes circonstances où il existe une « demande importante » et définit la « vocation du bureau ». M. Ricciardi, conseiller principal, Division des politiques de la Direction des langues officielles (auparavant relevant du Secrétariat du trésor, maintenant partie de l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique), a témoigné de l'élaboration du Règlement, à laquelle il a participé. Son témoignage montre bien à quel point certaines décisions sont prises de façon politique. On ne peut les qualifier d'arbitraires, parce qu'il est clair qu'elles ont été réfléchies et qu'elles tiennent compte de bon nombre de contraintes.

[…]

[21] Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question ces décisions, qui reflètent à la fois la volonté de se conformer aux dispositions de la Charte et de la LLO et la nécessité d'appliquer une certaine rationalité à l'offre de services bilingues dans un pays où les deux langues ne coexistent pas toujours dans une même région. Toutefois, si l'application de ces décisions, même politiques, a pour effet de violer des droits garantis par la Charte, la Cour a le devoir d'intervenir (Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 2001 FCT 239 (CanLII), 35 Admin. L.R. (3d) 46 (C.F. 1re inst.)). Il s'agit donc de déterminer si le Règlement tel qu'il est rédigé porte atteinte aux droits garantis par la Charte et la LLO.

[…] 

[25] Lorsqu'une demande importante est établie, il est clair que le gouvernement a le devoir d'agir. Dans l'affaire R. c. Saulnier (1989), 90 N.S.R. (2d) 77 (C. Co.), un pêcheur avait été déclaré coupable d'avoir excédé son quota de pêche. Le juge siégeant en appel de cette déclaration de culpabilité l'a annulée, parce que le quota avait été modifié alors que le pêcheur était en mer et que les avis de modification du quota n'avaient été diffusés à la radio maritime qu'en anglais. Le pêcheur était francophone, et bien qu'il n'ait eu apparemment aucune difficulté à comprendre l'anglais, là n'était pas le problème, selon le juge, le pêcheur avait le droit d'être informé dans sa langue des modifications apportées au quota :

[traduction] Il est sans importance que l'appelant comprenne l'anglais ou que son procès ait eu lieu en anglais. Sa première langue, la langue de son choix, la langue dans laquelle il communique avec les autres pêcheurs est le français. C'est sa langue maternelle, selon la définition qu'en donne la Loi sur les langues officielles. La Charte garantit son droit d'utiliser cette langue.

[…]

[34] Il est admis par les parties dans la présente affaire que la GRC, lorsqu'elle patrouille les routes de la Nouvelle-Écosse ou qu'elle répond à un appel d'un citoyen, est une institution fédérale qui offre des services au public. Les parties admettent également qu'à ce titre, elle est liée par les dispositions de la LLO et de la Charte sur le droit des Canadiens et Canadiennes, et du public en général, de communiquer avec les institutions fédérales et de recevoir des services dans l'une des deux langues officielles, selon leur choix.

[…]

[43] Le sergent Hastey nous a parlé du protocole mis en place par la GRC pour répondre aux besoins des voyageurs francophones. J'aimerais souligner à quel point ce service d'appoint est limité, tout bien intentionné qu'il soit. Il arrive, témoigne le sergent Hastey, qu'un agent unilingue anglais rencontre quelqu'un qui ne parle que français. Pour ces personnes, des efforts sont déployés pour permettre la communication en français par radio à un [traduction] « agent bilingue qui est sur les ondes » . À mon avis, cela ne suffit absolument pas pour permettre à la GRC de s'acquitter des obligations imposées par la Charte et la LLO afin que tout membre du public ait le droit de s'adresser à une institution fédérale dans la langue officielle de son choix.

[…]

[49] Il est donc clair que le Règlement comporte une lacune. Il ne comporte aucune disposition qui tienne compte des besoins, malgré une « demande importante », du public en situation de minorité linguistique qui se déplace en véhicule automobile. Je suis d'avis que le Règlement est incompatible avec le paragraphe 20(1) de la Charte, parce qu'il brime le droit des administrés à la communication dans la langue officielle de leur choix avec une institution fédérale, alors qu'il existe une demande importante. Par le fait même, le Règlement ne satisfait pas aux exigences des articles 22 et 23 de la LLO, le premier qui prévoit la possibilité pour le public de communiquer avec un bureau d'une institution fédérale dans la langue officielle de son choix, là où il existe une « demande importante », le second prévoyant des services aux voyageurs dans la langue officielle de leur choix, si l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

[…]

[80] J'accueille en partie la demande dans la présente action. Je déclare le sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO, incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte en ce que le droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec une institution du gouvernement du Canada ne peut uniquement dépendre du pourcentage de francophones dans la subdivision de recensement mais doit aussi tenir compte du nombre de francophones qui font ou pourraient faire appel aux services de cette institution, comme l'illustre la situation en l'espèce sur l'autoroute 104 à Amherst, en Nouvelle-Écosse. J'estime raisonnable d'accorder 18 mois à la gouverneure en conseil pour remédier au problème identifié dans le Règlement.

R. c. Doucet, 2003 NSSCF 256 (CanLII)

[31] À mon avis, les membres de la G.R.C. ne perdent pas leur statut fédéral quand ils agissent sous contrat avec une province ou qu’ils font respecter les lois provinciales. C’est leur mandat en vertu de la Loi sur la G.R.C. et ils ne font que le remplir. Donc, c’est encore un service d’une institution fédérale. Le paragraphe 20 (1) de la Loi sur la G.R.C. supporte cette conclusion :

20 (1) “Avec l’agrément du gouverneur en conseil, le ministre peut conclure, avec le gouvernement d’une province, des arrangements pour l’utilisation de la gendarmerie, ou d’un élément de celle-ci, en vue de l’administration de la justice dans la province et de mise en œuvre des lois qui y sont en vigeur (sic).”

[32] À mon avis, un contrat avec une province ne change rien à l’égard du statut de la G.R.C. Elle demeure une institution fédérale. Juger autrement permettrait à la G.R.C. d’éviter ses obligations linguistiques envers les citoyens, telles que garanties par la Charte. Cela ne s’accorderait certainement pas avec l’objet des droits linguistiques constitutionnels. Le juge Bastarache s’est prononcé sur cette question dans R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768 quand il stipule au paragraphe 25 :

“Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, a la p. 850.”

[33] Il n’est pas permis aux institutions fédérales d’éviter leurs responsabilités linguistiques constitutionnelles par l’entremise de contrats ou d’autres arrangements qui transférent ou délèguent certaines de leurs fonctions. Cela est énoncé dans l’arrêt Canada (Commissaire aux Langues Officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), [2001] c.F.P.I. 239, aux paragraphes 182 et 183 :

“[182] Je n’ai donc pas d’hésitation à conclure que les mesures prises par la partie défenderesse en application de la LC et les ententes intervenues entre la partie défenderesse et le gouvernement de l’Ontario et les ententes municipales subséquentes ne protègent pas adéquatement et en totalité les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus par les dispositions des articles 530 et 530.1 du Code criminel et par la partie IV de la LLO.

[183] La violation des droits linguistiques prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel et à la partie IV de la LLO, constitue également une violation des droits prévus aux articles 16 a 20 de la Charte.”

(Soulignés ajoutés)

À mon avis, le paragraphe 20 (1) de la Charte s’applique en l’espèce. Juger autrement pourrait avoir l’effet illogique qu’un accusé aurait des droits linguistiques constitutionnels s’il est arrêté pour une infraction fédérale alors qu’il n’en aurait pas s’il est au même moment arrêté pour une infraction provinciale. Les gestes de la G.R.C., agissant comme agence de police en faisant respecter des lois provinciales, sont des gestes d’une institution fédérale, sous contrat avec une province ou non, et les exigences du paragraphe 20 (1) de la Charte s’y appliquent. La G.R.C. a un protocole pour fournir des services dans les deux langues officielles si un besoin se présente, même sur les routes.

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (ministère de la Justice), 2001 CFPI 239 (CanLII)

[68] La présente affaire se résume ainsi. Le gouvernement fédéral a délégué au gouvernement de l'Ontario, par entente verbale, ses pouvoirs découlant de la LC [Loi sur les contraventions]. Ce faisant, le gouvernement fédéral n'a pas prévu de clause garantissant les droits linguistiques des contrevenants poursuivis en vertu de la LC. Auparavant, les droits linguistiques étaient protégés par les articles 530 et 530.1 du Code criminel et l'article 16 de la Charte en ce qui concerne l'aspect "judiciaire" des poursuites et par la partie IV de la LLO et l'article 20 de la Charte en ce qui concerne l'aspect "administratif" ou "extra-judiciaire" des poursuites.

[…]

[145] Avant les modifications à la LC en 1996, les communications avec le public et la prestation des services extrajudiciaires reliés à l'administration des poursuites des contraventions fédérales étaient fournis par le ministère de Justice Canada, dans les deux langues officielles, conformément à la partie IV de la LLO et à l'article 20 de la Charte.

[…]

[148] Il serait cependant faux de prétendre que l'application successive et cumulative de la LC, de la Loi sur les services en français de l'Ontario et les ententes intervenues entre la partie défenderesse et le Procureur général de l'Ontario et les municipalités de Mississauga et Ottawa puissent rendre inopérante la partie IV de la LLO ou encore l'article 20 de la Charte.

[149] La partie IV de la LLO et l'article 20 de la Charte s'appliquent toujours, et s'il y a conflit avec la Loi sur les services en français de l'Ontario, la prédominance doit être accordée à la LLO et à l'article 20 de la Charte.

[…]

[163] Ainsi, même si la Loi sur les services en français de l'Ontario a élargi l'accès à des services en français en Ontario, elle ne peut pas être, néanmoins, considérée comme respectant les droits linguistiques garantis par la partie IV de la LLO et l'article 20 de la Charte.

[…]

[194] Dans toute mesure prise afin de déléguer les pouvoirs de gestion relativement à l'application de la LC au gouvernement de l'Ontario, que ces mesures, existantes ou à venir, soient de nature législative, réglementaire ou encore des ententes avec le gouvernement de l'Ontario, la partie défenderesse devra insérer une clause indiquant que le gouvernement de l'Ontario, lorsqu'il délègue par des mesures législatives, réglementaires ou encore par entente, à des tiers, y compris à des municipalités, son pouvoir de gestion relativement à l'application de la LC, doit prévoir dans ces mesures une disposition à l'effet que ces tiers doivent respecter les droits linguistiques quasi-constitutionnels reconnus par la partie IV de la LLO et s'appliquant aux personnes faisant l'objet d'une poursuite pour contravention aux lois ou aux règlements fédéraux, lorsque les conditions prévues aux articles 22 et 24 de la LLO et à l'article 20 de la Charte trouvent application. La partie défenderesse devra également insérer une clause indiquant que le gouvernement de l'Ontario, lorsqu'il délègue par des mesures législatives, réglementaires ou encore par entente, à des tiers, y compris à des municipalités, son pouvoir de gestion relativement à l'application de la LC, doit prévoir dans ces mesures une disposition à l'effet que ces tiers doivent respecter les droits linguistiques quasi-constitutionnels reconnus par les articles 530 et 530.1 et s'appliquant aux personnes faisant l'objet d'une poursuite pour contravention aux lois ou aux règlements fédéraux. Pour les ententes existantes, s'il y en a, la partie défenderesse devra s'assurer, dans un délai ne dépassant pas une année de la présente ordonnance, que les dites ententes soient modifiées conformément à la présente ordonnance. Si elles ne sont pas modifiées, à l'expiration du délai, elle deviendront nulles.

Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 R.C.F. 90, 1993 CanLII 2921 (CF)

[28] Le bilinguisme officiel tire son origine dans la constitution canadienne. Les articles 16 à 22 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] portent que le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada et qu'ils ont un statut et des droits et privilèges égaux dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Plus précisément, l'article 20 de la Charte prévoit que le public a, au Canada, droit à l'emploi de l'une ou l'autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement ou pour en recevoir les services là où l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante ou là où l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

Tucker c. Cour suprême du Canada, [1992] A.C.F. no 1116, 12 C.R.R. (2d) 295 (CFPI) [hyperlien non disponible]

[8] Le cinquième point en litige concerne une demande visant un jugement déclaratoire portant que l'omission de la Cour suprême de donner suite à la demande des demandeurs constitue une violation du droit de communication des demandeurs figurant à l'alinéa 20(1)a) de la Charte. L'alinéa en question traite du droit de choisir de recevoir les services en anglais ou en français et il n'accorde aucun droit aux services qui, par ailleurs, ne sont pas fournis dans l'une ou l'autre langue et il n'impose nullement l'obligation de produire une défense. Le cinquième point en litige sera rejeté.

R. c. Brewer, 2009 NBPC 5 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[2] Le défendeur a déposé une requête en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que ses droits garantis par la Charte ont été violés parce que l’Agence du revenu du Canada (ARC) a omis de lui fournir lesdits avis dans les deux langues officielles. Le défendeur se fonde sur les articles 16, 16.1 et 20 de la Charte, les articles 21, 22, 27 et 41 de la Loi sur les langues officielles (Canada), ainsi que sur le préambule et les articles 27, 28, 28.1, 29 et 30 de la Loi sur les langues officielles (Nouveau‑Brunswick).

[…]

[4] La requête soulève la question de savoir si, en l’espèce, l’ARC était tenue de fournir un avis dans les deux langues officielles. Si l’on examine cette question sous un autre angle, il s’agit d’établir si le défendeur avait le droit de recevoir un avis dans la langue de son choix ou, de façon subsidiaire, un avis bilingue.

[…]

[26] En outre, le défendeur a été avisé en sa qualité d’administrateur de l’entreprise. L’entreprise avait indiqué son choix de langue de correspondance. À mon avis, on peut se fonder sur l’indication du choix de la langue pour toute correspondance avec l’entreprise et avec tout dirigeant ou administrateur de cette entreprise, jusqu’à ce que l’ARC reçoive une indication contraire. Cette indication peut être faite explicitement au moyen d’un choix de langue fait par une personne dans une déclaration de revenus, ou par l’envoi de correspondance indiquant un choix de langue différent, ou par une demande de correspondance bilingue ou par avis verbal. Le choix peut aussi être fait implicitement par un autre conduit.

[27] Pour en arriver à cette position, la Cour est consciente de la législation en matière de langues officielles.  De plus, la différence entre les droits linguistiques liés à l’administration de la justice et les droits garantis par l’article 20 de la Charte démontre le désir de faire du Canada un pays bilingue (voir R. c. Doucette 2004 CF 1444 (CanLII) (CanLII et Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick et al c. Association of Parents for Fairness in Education et al, 1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549))

[28] Si l’on accepte, comme je crois que la Cour le reconnaît dans la décision Doucette, que « les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État », alors l’ARC a l’obligation de communiquer avec le défendeur dans la langue de son choix. Cependant, si l’ARC n’est pas au courant de ce choix, la communication devrait être bilingue.

R. c. Beaupré (7 janvier 1998), Smithers, B.C. 14311C (CP BC) [hyperlien non disponible]

[p. 1] La requête a, en effet, je trouve, quatre bases.

[…]

Deuxièmement, que ses droits sous l'article 20(1) (b) de la Charte ont été violés parce que les agents de la Gendarmerie Royale du Canada n'ont pas communiqué avec M. Beaupré en français. 

[…]

[p. 2] Deuxièmement, je ne suis pas satisfait […] que le poste de police à New Hazelton atteint les critères qui sont décrits dans l'article 20(1) (b) de la Loi constitutionnelle de 1982.

R. c. Desgagne, [1997] A.J. No. 1307, Ticket No. A 06115443 T (CP AB) [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

[471] LA COUR : Bien que l’accusé n’ait pas fourni d’avis de son intention d’alléguer qu’il y a eu atteinte à un droit garanti par la Charte, tel que prescrit dans R. c. Dwernychuk, une décision de la Cour d’appel de l’Alberta, je souligne que les éléments de preuve dont je suis saisi n’établissent pas, de toute façon, qu’il y a eu atteinte aux droits de l’accusé prévus au paragraphe 20(1), à l’article 7 ou à toute autre droit prévu par la Charte. Aucun élément de preuve ne démontre que l’accusé ne comprenait pas ce que l’agent de la paix lui disait, ou qu’il a été porté atteinte à son droit à un procès équitable.

R. c. St. Pierre (21 mars 1995), (C. Ont. Div. gén.) [hyperlien non disponible]

[p. 6] Lorsqu’il a fait sous serment une dénonciation, je ne considère pas que le déposant communquait avec l’accusée ou lui fournissait un service de sorte à invoquer l’application du paragraphe 20(1) de la Charte des droits et libertés.

[p. 7] La dénonciation faite sous serment fait plutôt partie de la preuve sur laquelle un juge de paix peut s’appuyer pour déterminer s’il y a lieu de décerner une sommation ou un mandat pour l’arrestation de l’accusée.

R. c. Rodrigue, 1994 CanLII 5249 (YK SC)

[28] Au paragraphe 13 de son mémoire, le requérant invoque à l’appui de ses prétentions les art. 21 et 24 de la Loi sur les langues officielles, précitée, ainsi que l’al. 9 d) du Règlement sur les langues officielles communications avec le public et prestation des services (Gazette du Canada, Partie II, Vol. 126, N° 1, DORS/92-48). Il convient de noter que les art. 21 et 24 de la Loi sur les langues officielles font partie de la partie IV de cette loi qui traite des services et communications avec le public et qui découle directement du par. 20(1) de la Charte canadienne, par opposition à la partie III de cette même loi qui traite de l’administration de la justice et qui découle du par. 19(1) de la Charte canadienne. Ces deux types de dispositions ont des champs d’application distincts puisque le par. 19(1) de la Charte et la partie III de la Loi sur les langues officielles visent les plaidoiries et actes de procédure des institutions fédérales dans le cadre d’instances judiciaires, alors que le par. 20(1) de la Charte et la partie IV et son règlement visent plutôt les communications à l’extérieur du prétoire. Cette distinction ressort d’ailleurs des propos suivants du juge Beetz de la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Société des Acadiens, précitée, aux pp. 574‑575 :

“En outre, ni l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni l’art. 19 de la Charte ne garantissent, pas plus que l’art. 17 de la Charte, que la personne qui parle sera entendue ou comprise dans la langue de son choix ni ne lui confèrent le droit de l’être.

Mon opinion est étayée par la différence dans la rédaction de l’art. 20 de la Charte. Dans cette disposition, la Charte accorde expressément le droit d’employer l’une ou l’autre langue officielle pour communiquer avec certains bureaux des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada et avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ce droit de communiquer dans l’une ou l’autre langue suppose aussi le droit d’être entendu ou compris dans ces langues.”

(je souligne)

[29] Conséquemment, la divulgation de la preuve dans le cadre d’une instance judiciaire n’est pas visée par le par. 20(1) de la Charte ni par la partie IV de la Loi sur les langues officielles et son règlement, parce que la structure même des art. 16 à 20 de la Charte démontre que chacun de ces articles régit un domaine distinct et étanche des activités parlementaires, gouvernementales et judiciaires. Il serait conséquemment inopportun d’instaurer des vases communicants entre ces dispositions. En effet, si le par. 20(1) était réputé s’appliquer aux communications dans un contexte judiciaire, la Cour suprême en serait venu à une décision fort différente dans l’affaire Société des Acadiens, précitée. Les propos suivants du juge Meyer, dans l’affaire St. Jean v. The Queen (décision non-rapportée, Cour suprême du Yukon, 26 septembre 1986, Juge Meyer) sont d’ailleurs fort utiles à cet égard :

[NOTRE TRADUCTION]

« Troisièmement, même si la Charte ne s’appliquait pas, je ne crois pas que les rédacteurs du paragraphe 20(1) de la Charte avaient l’intention d’inclure une contravention ou une citation à comparaître pour une infraction à la circulation routière dans le champ d’application des droits qui y sont décrits, à savoir le droit de quiconque de communiquer avec une institution du Parlement ou du gouvernement du Canada ou d’obtenir des services de celle‑ci. À mon avis, le législateur a prévu la prestation de services à une personne, à sa demande, ou selon son désir ou son avantage, et il a prévu que les communications ne visaient pas les plaidoiries ou les procédures devant le tribunal ou émanant de celui‑ci, puisque ces plaidoiries ou ces procédures étaient déjà couvertes par l’article 19 de la Charte, et par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1987. En l’espèce, il n’est pas question de services offerts à l’appelant, et aucune question n’a été soulevée par l’appelant quant à son droit de communiquer en français, ou de recevoir des réponses en français si un tel droit existe. Par conséquent, je ne crois pas que, en l’espèce, l’émission d’une contravention seulement en anglais a porté atteinte aux droits de l’appelant garantis à l’article 20 de la Charte. »

[30] De plus, le par. 20(1) de la Charte ainsi que la partie IV de la Loi sur les langues officielles et son règlement visent à assurer la disponibilité en français et en anglais des services et communications qui 1) émanent des institutions fédérales et 2) qui sont, de par leur nature, principalement destinés au public (ou à un membre du public). Or, la preuve documentaire que la Couronne amasse en préparation d’un procès n’émane généralement pas d’une institution fédérale, puisqu’il s’agit souvent de documents rédigés ou obtenus par les forces policières municipales ou provinciales, ou encore par des particuliers.

[31] Et dans les cas où la preuve émane véritablement d’une institution fédérale, telle que la Gendarmerie Royale du Canada par exemple, cette documentation n’est pas principalement destinée au public à proprement parler, puisqu’il s’agit en fait de documents préparés et colligés à des fins internes (c.-à-d. pour préparer le dossier de la Couronne). Or, le fait que la Couronne ait l’obligation de divulguer cette documentation à l’accusé, conformément aux paramètres de l’affaire R. c. Stinchcombe, précitée, n’a pas pour effet de les transformer en documents principalement destinés au public au sens du par. 20(1) de la Charte. Ainsi, à titre d’analogie, les documents que les citoyens peuvent obtenir par le biais de la Loi sur l’accès à l’information, L.C., chap. A-1, n’ont pas à être rendus disponibles dans les deux langues officielles du seul fait qu’ils sont remis au public; encore ici, il s’agit généralement de documents préparés pour fins internes et qui ne sont pas principalement destinés au public.

[32] Cependant, il ne fait nul doute que la correspondance orale et écrite du bureau du ministère de la justice de Whitehorse doit s’effectuer dans la langue officielle du choix de l’accusé ou de son avocat, puisqu’il s’agit effectivement d’une communication principalement destinée à un membre du public au sens du par. 20(1) de la Charte, de la partie IV de la Loi sur les langues officielles et de l’al. 9d) du Règlement sur les langues officielles. Or, encore ici, le droit du requérant ou de son procureur de communiquer en français avec le bureau de Whitehorse n’est aucunement remis en question.

[33] Compte tenu de ces motifs, le par. 20(1) de la Charte et la partie IV de la Loi sur les langues officielles et son règlement n'exigent pas que la divulgation de la preuve dans le cadre d'un procès criminel soit effectuée dans la langue officielle de l'accusé.

NOTA– L’appel de cette décision a été rejeté pour d’autres motifs par la Cour d’appel du Yukon et l’autorisation d'appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

R. c. Saulnier, [1989] N.S.J. No. 131, 90 N.S.R. (2d) 77 (N.S. Co. Ct.) [décision disponible en anglais seulement] [hyperlien non disponible]

[NOTRE TRADUCTION]

Je prends connaissance d’office du fait que Yarmouth, où se trouve le service radiomaritime de la Garde côtière, est situé entre les grandes communautés francophones des circonscriptions d’Argyle et de Clare, où la culture acadienne est solidement enracinée depuis très longtemps et où elle demeure florissante. Je prends également connaissance d’office du fait qu’un grand nombre d’habitants de ces collectivités suivent les directives sur les pêches.

Le défaut de reconnaître l’importance de la langue française pour les personnes visées dans la région va au‑delà de la simple insensibilité officielle de la part du ministère des Pêches et des Océans; il s’agit d’une atteinte à un droit garanti par la Charte.

[…]

La promulgation par le gouvernement fédéral d’une mesure officielle, dont le non‑respect entraîne des conséquences pénales, ne devrait par être seulement en anglais lorsque l’on peut démontrer qu’un nombre important de personnes visées par cette mesure non seulement ont le français comme langue maternelle, mais aussi résident et travaillent dans des collectivités francophones importantes.

Il importe peu que l’appelant comprenne l’anglais ou que son procès se soit déroulé en anglais. Sa langue maternelle, la langue de son choix, celle avec laquelle il communique avec les autres pêcheurs, est le français. Il s’agit de sa première langue apprise, telle que définie dans la Loi sur les langues officielles. Son droit d’utiliser cette langue est garanti par la Charte.

À mon avis, le droit dont bénéficie l’appelant correspond étroitement au libellé de la Charte : aux termes de l’alinéa 20(1)b),

b) "l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau (du directeur général régional de pêches)"

Les avis de modification devraient être vraisemblablement diffusés dans les deux langues à la radio de la Garde côtière de Yarmouth. Subsidiairement, l’avis pourrait être diffusé au moyen de la voie VHF de langue française. Cette décision devrait être prise par le directeur général régional, en consultation avec les pêcheurs visés.

R. c. St-Jean, (1988) 2 Y.R. 116, [1986] Y.J. No. 76 (C.S.T.Y.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[29] L’argument final de l’appelant concerne la validité de la contravention émise, et il est fondé sur le paragraphe 20(1) de la Charte, qui accorde à tout membre du public au Canada le droit de communiquer avec une institution du Parlement ou du gouvernement du Canada ou de recevoir des services de celle‑ci, en anglais ou en français. Avec égards, je ne peux pas souscrire à cet argument. Premièrement, je suis d’avis que la contravention émise ne saurait être distinguée, sur le plan juridique, des assignations unilingues en cause dans les arrêts Bilodeau et MacDonald de la Cour suprême du Canada. Par conséquent, selon moi, une contravention unilingue émise au Yukon serait invalide. Deuxièmement, le paragraphe 20(1) de la Charte s’applique uniquement aux institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada visées par le paragraphe 16(1), et j’ai déjà conclu que le gouvernement du Yukon ne constitue pas une telle institution.

[…]

[31] Troisièmement, même si la Charte s’appliquait, je ne crois pas que les rédacteurs du paragraphe 20(1) de la Charte avaient l’intention d’inclure une contravention ou une citation à comparaître pour une infraction à la circulation routière dans le champ d’application des droits qui y sont décrits, à savoir le droit de quiconque de communiquer avec une institution du Parlement ou du gouvernement du Canada ou d’obtenir des services de celle‑ci. À mon avis, le législateur a prévu la prestation de services à une personne, à sa demande, ou selon son désir ou son avantage, et il a prévu que les communications ne visaient pas à couvrir les plaidoiries ou les procédures devant le tribunal ou émanant de celui‑ci, puisque ces plaidoiries ou ces procédures étaient déjà couvertes par l’article 19 de la Charte, et par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1987. En l’espèce, il n’est pas question de services offerts à l’appelant, et aucune question n’a été soulevée par l’appelant quant à son droit de communiquer en français, ou de recevoir des réponses en français si un tel droit existe. Par conséquent, je ne crois pas que, en l’espèce, l’émission d’une contravention seulement en anglais a porté atteinte aux droits de l’appelant garantis à l’article 20 de la Charte.

R. c. Jervis, [1984] M.J. No. 359, 11 C.R.R. 373 (Man. Co. Ct.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[24] Les droits créés par l’article 20 de la Charte (par opposition aux obligations prescrites par l’article 9 de la Loi sur les langues officielles) sont garantis par l’article premier et tout membre du public peut s’adresser à un tribunal pour les faire respecter, sur la base de l’article 24. De plus, puisqu’ils font partie de la Loi constitutionnelle de 1982, ils rendent inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. La création de tels droits est une question de droit substantif.

[25] Compte tenu de la présomption applicable à la création de ces droits prévus par la loi et des indications données à l’article premier de la Loi de 1982 sur le Canada et à l’article 58 de la Charte qui indiquent que l’article 20 de la Charte doit être appliqué de façon prospective, le savant juge de la cour provinciale a commis une erreur en donnant un effet rétroactif à cet article et en appliquant le même effet à une infraction qui a été commise avant l’adoption de la Loi constitutionnelle.

R. c. Holman, [1983] A.J. No. 1043, 28 Alta. L.R. (2d) 35 (CP AB) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[32] Le formulaire de recensement que l’accusé devait remplir, signer et remettre à l’autorité appropriée, en application de l’alinéa 29(1)b) du Statistics Act, est partiellement en français. La langue choisie par l’accusé est l’anglais. Il se peut qu’il ne comprenne pas vraiment l’avis en français et que, dans son esprit, le fait que sa signature figure en-dessous de mots français puisse l’engager à quelque chose de plus important que ce qu’il semble comprendre. J’écarte l’argument selon lequel l’alinéa 29(1)b) du Statistics Act, qui prévoit que l’accusé doit fournir des données de recensement en remplissant le formulaire qui lui est envoyé, même s’il n’est pas entièrement dans la langue de son choix, est inopérant, en raison de cette lacune.

[33] Premièrement, le paragraphe 20(1) de la Charte ne prévoit pas, comme M. Freeman et le savant juge provincial semblent le penser, que tout membre du public au Canada a le droit de communiquer et de recevoir des services entièrement en anglais ou en français.

[34] Cela étant, selon moi, il est extrêmement important que l’avis en français figurant dans le formulaire en anglais ne cause pas de préjudice et n’a pas induit en erreur un anglophone qui signe le formulaire. On peut se demander si, en raison de l’avis, une personne peut être induite en erreur quant à la nature du document ou de son contenu, ou peut croire qu’en signant le document elle peut conclure un engagement plus important que celui auquel elle consent à s’engager.

[…]

[36] À mon avis, personne n’aurait subi de préjudice ou n’aurait été induit en erreur en raison de cet avis. Les droits de l’accusé protégés par le pararagraphe 20(1) n’ont pas été violés et le premier argument fondé sur la Charte soumis par l’avocat de la défense ne peut être retenu.

Voir également :

R. c. Car-Fre Transport Ltd., 2015 ABPC 280 (CanLII)

Musa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 298 (CanLII)

Thompson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 867 (CanLII)

Toma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 779 (CanLII)

R. c. Larcher (19 septembre 2002), J. Lalonde (CS ON) [hyperlien non disponible]

Annotations – Paragraphe 20(2)

Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick c. Canada, 2008 CSC 15, [2008] 1 R.C.S. 383 (CanLII)

[1] Le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que le public, au Nouveau-Brunswick, a droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick, ou pour en recevoir les services, et ce, peu importe sa concentration territoriale au plan linguistique, ou la vocation du bureau auquel il s’adresse, comme c’est par ailleurs le cas pour les services dispensés par les institutions fédérales aux termes du par. 20(1) de la Charte. Il s’agit là d’un bilinguisme institutionnel complet, emportant le droit pour un citoyen d’utiliser la langue de son choix en tout temps lorsqu’il ou elle demande un service ou communique avec l’État provincial.  L’article 20 se lit comme suit :

[…]

2. Question en litige

[7] La Cour est donc appelée à décider si les membres de la GRC, désignés comme agents de la paix provinciaux en vertu d’une entente conclue par le Canada et la province du Nouveau-Brunswick, sont tenus de respecter les obligations linguistiques imposées par la Charte aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick en vertu du par. 20(2) lorsqu’ils exercent leurs fonctions en tant qu’agents de police provinciaux. Personne ne conteste que la GRC est en tout temps assujettie aux obligations minimales que lui impose le par. 20(1) de la Charte et la loi fédérale sur les langues officielles, qu’elle agisse comme service de police fédéral ou de police provincial ou municipal en vertu d’une entente.

[…]

[16] Aux termes du par. 2(2) de la Loi sur la Police, "[s]ur tout le territoire du Nouveau-Brunswick et lorsqu'il exerce ses fonctions pour le compte de la province, chaque membre de la Gendarmerie royale du Canada [...] est investi de tous les pouvoirs, autorité, privilèges, droits et immunités d'un agent de la paix et d'un constable". Comme chaque membre de la GRC est habilité par le législateur du Nouveau-Brunswick à administrer la justice dans la province, il exerce le rôle d'une "institutio[n] de la législature ou du gouvernement" du Nouveau-Brunswick, et il est tenu de respecter le par. 20(2) de la Charte. Bien que le Nouveau-Brunswick demeure toujours responsable de l'administration de la justice en conformité avec ses obligations linguistiques constitutionnelles, nonobstant l'Entente, ne change absolument rien au fait que la GRC puisse être assujettie à des obligations linguistiques qui lui sont propres dans l'exécution de son mandat au Nouveau-Brunswick.

[…]

[18] Dans le cas présent, il n'y a pas de transfert de responsabilité à l'égard de l'administration de la justice dans la province. L'Entente qui lie la GRC et le Nouveau-Brunswick confie au ministre de la Justice du Nouveau-Brunswick le soin d'établir "les objectifs, les priorités et les buts du Service de police provincial" (art. 3.3). C'est le ministre qui détermine le niveau de services fournis. L'intimée reconnaît, au par. 62 de son mémoire, que le Nouveau-Brunswick garde la maîtrise des activités de police de la GRC, comme l'a constaté la Cour fédérale (par. 39). La GRC conserve la responsabilité sur la gestion interne seulement (par. 3.1a)). Ce qu'il faut conclure de cet état de fait, c'est que l'institution en cause est une institution du gouvernement du Nouveau-Brunswick, son ministre de la Justice notamment, et que celui-ci remplit ses obligations constitutionnelles par l'entremise des membres de la GRC que les lois provinciales désignent comme agents de la paix du Nouveau-Brunswick. La fourniture de services par la GRC doit donc être conforme aux obligations découlant du par. 20(2) de la Charte.

[19] La GRC n'agit pas comme institution fédérale distincte pour l'administration de la justice au Nouveau-Brunswick; elle assume par contrat les obligations qui sont reliées à la fonction de service de police. Cette fonction est précisée dans les lois provinciales. La GRC exerce donc au Nouveau-Brunswick un pouvoir d'origine législative - qui découle non seulement de la législation fédérale, mais aussi des lois du Nouveau-Brunswick - par le truchement de ses membres qui travaillent sous l'autorité du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

[…]

[23] Le juge en chef Richard de la Cour d'appel fédérale insiste sur le fait que les obligations de la GRC sont de nature contractuelle et non pas constitutionnelle. J'estime que ces deux types d'obligations ne s'excluent pas mutuellement. C'est par le biais de l'Entente, en participant à une fonction gouvernementale du Nouveau-Brunswick, que la GRC se voit imposer des obligations constitutionnelles en vertu du par. 20(2) de la Charte. Comme il a été expliqué précédemment, la GRC doit respecter les obligations qui incombent à cette province lorsqu'elle agit pour le compte de cette dernière. Ce raisonnement trouve écho dans l'Entente elle-même, qui stipule à l'art. 2.2 que

Les membres qui font partie du Service de police provincial doivent :

a) remplir les fonctions d'agents de la paix;

b) rendre les services nécessaires

...

ii) à l'exécution de tous les mandats - ainsi que des obligations et services s'y rattachant - qui peuvent, aux termes des lois fédérales ou des lois de la province, légalement être exécutés par des agents de la paix. [Je souligne.]

L'article 4.1 est lui aussi très explicite :

Pour les besoins de l'entente, le commandant divisionnaire agira sous la direction du ministre pour l'administration de la justice dans la province et la mise en œuvre des lois qui y sont en vigueur. [Je souligne.]

[24] Les parties utilisent au deuxième alinéa de l'art. 2.2 le terme "services", par opposition au terme "fonctions" employé à l'alinéa précédent. Il est possible d'en déduire que la notion de "services" telle qu'elle est comprise par les parties s'apparente à celle visée au par. 20(2) de la Charte et que les parties entendaient que, dans l'exécution de son mandat, la GRC assume également les "obligations" linguistiques s'y rattachant et rende par conséquent des services bilingues aux citoyens. Cela semble d'autant plus vrai que les services "nécessaires" sont par définition des services conformes à la loi, y compris la Constitution. Je ne vois aucune nécessité de prévoir explicitement dans l'Entente l'obligation au bilinguisme, qui est de toute façon constitutionnellement requise.

[…]

4. Conclusion et dépens

[26] Pour les motifs exposés ci-dessus, j'accueillerais le pourvoi et je déclarerais que le par. 20(2) de la Charte oblige la GRC à fournir ses services dans les deux langues officielles lorsqu'elle joue le rôle d'un service de police provincial dans le cadre de l'Entente conclue par le gouvernement du Nouveau-Brunswick et le gouvernement du Canada le 1er avril 1992.

R. c. Losier, 2011 NBCA 102 (CanLII)

[8] Cela dit, nous souscrivons, pour l'essentiel, aux motifs du juge de la Cour du Banc de la Reine (voir tout particulièrement les par. 14-49). Selon nous, ces motifs font état d’une appréciation juste du droit pertinent, notamment en ce qui concerne le sens et la portée qu’il convient de donner au par. 20(2) de la Charte.

[9] Le policier qui a interpellé l’intimé était tenu de respecter les obligations que le par. 20(2) de la Charte impose aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick (voir Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 383; R. c. Gautreau (1989), 101 R.N.-B. (2e) 1, [1989] A.N.-B. no 1005 (C.B.R.) (QL), inf. pour d’autres motifs par (1990), 1990 CanLII 4014 (NB CA), 109 R.N.-B. (2e) 54, [1990] A.N.-B. no 860 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi refusée [1991] 3 S.C.R. viii, [1990] C.S.C.R. no 444 (QL); et R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII), [2010] A.N.-B. no 25 (QL)).

[10] Par ailleurs, comme les juges majoritaires l’ont souligné dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, [1999] A.C.S. no 25 (QL), il incombe aux tribunaux d’éviter une interprétation restrictive des dispositions législatives et constitutionnelles portant sur les droits linguistiques. Nous tirons aussi de cet arrêt phare d’autres enseignements. En effet, parmi les interprétations qui peuvent raisonnablement être faites d’une telle disposition, il convient de favoriser la plus apte à refléter la mise en œuvre des principes suivants : (1) le droit à l’emploi de l’une ou de l’autre des langues officielles nécessite la reconnaissance du devoir de l’état de prendre des mesures positives pour en promouvoir l’exercice ; et (2) l’objet de l’enchâssement de ce droit dans la Charte était nul autre que de contribuer au « maintien et à la protection des collectivités de langue officielle » :

Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l’idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques; voir J. E. Oestreich, « Liberal Theory and Minority Group Rights » (1999), 21 Hum. Rts. Q. 108, à la p. 112; P. Jones, « Human Rights, Group Rights, and Peoples’ Rights » (1999), 21 Hum. Rts. Q. 80, à la p. 83: [TRADUCTION] « [U]n droit [...] est conceptuellement lié à un devoir »; et R. Cholewinski, « State Duty Towards Ethnic Minorities: Positive or Negative? » (1988), 10 Hum. Rts. Q. 344.

[…]

Les droits linguistiques doivent dans tous les cas [souligné dans l’original] être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) [1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, [1993] A.C.S. no 26 (QL)], à la p. 850. Dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick [1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549, [1986] A.C.S. no 26 (QL)], aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté. La crainte qu’une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l’expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d’interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent. Il est également utile de réaffirmer ici que les droits linguistiques sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale. Ils ont un objectif différent et une origine différente. Je reviens plus tard sur ce point. [par. 20 et 25]

[Nous avons souligné.]

Nous sommes d’avis que l’interprétation faite du par. 20(2) en l’espèce, tant en Cour provinciale que dans la Cour du Banc de la Reine, est fidèle à ces directives. Nous faisons remarquer qu’elle fait écho à l’interprétation qui a été retenue par la Cour du Banc de la Reine dans les affaires R. c. Gautreau (le juge en chef Richard) et R. c. Gaudet (la juge LaVigne). Quoi qu’il en soit, nous rejetons l’interprétation restrictive du par. 20(2) qui a été privilégiée dans quelques autres affaires, notamment R. c. Robichaud, 2009 NBCP 26 (CanLII), 350 R.N.-B. (2e) 113.

[11] Enfin, s’il est incontestable que les droits linguistiques reconnus par la Charte sont « inviolables » (voir R. c. McGraw, 2007 NBCA 11 (CanLII), 312 R.N.-B. (2e) 142 et R. c. Bujold, 2011 NBCA 24 (CanLII), 369 R.N.-B. (2e) 262) et que l’art. 24 doit être interprété de sorte à « protéger les droits garantis par la Charte en assurant des réparations efficaces » (voir R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 575, par. 19), il n’en demeure pas moins que l’exclusion d’éléments de preuve essentiels à la poursuite n’est pas nécessairement la réparation indiquée pour toutes les atteintes aux droits linguistiques, quelles que soient les circonstances. L’analyse requise par le par. 24(2) doit être faite.  

[12] En l’espèce, le juge du procès a fait une analyse en tout point conforme au par. 24(2) et aux directives fournies par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353. À l’instar du juge de la Cour du Banc de la Reine, nous sommes d’avis que, eu égard aux circonstances et à la norme de contrôle applicable (voir R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, [1995] A.C.S. no 38 (QL), et R. c. Buhay, 2003 CSC 30 (CanLII), [2003] 1 R.C.S. 631), la décision du juge du procès d’écarter le certificat du technicien qualifié ne saurait être infirmée.

R. c. Losier, 2011 NBBR 177 (CanLII)

[21] Il est admis par le Procureur Général que l’agent Jordan n’a pas informé M. Losier du droit de communiquer dans la langue de son choix tel que prescrit au paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles. Ce droit d’en être informé n’est pas spécifié au paragraphe 20(2) de la Charte. Le juge du procès a conclu en une violation de ce droit, non seulement en vertu de paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles, mais également en vertu du paragraphe 20(2) de la Charte.

[…]

[28] À savoir si ce droit d’être informé de ce droit à l’emploi de la langue de leur choix est incorporé au paragraphe 20(2) de la Charte, je cite Lavigne J. dans Gaudet :

36 Le paragraphe 20(2) de la Charte comprend un droit libellé en termes très généraux. Vu l’évolution historique des droits de la minorité au Nouveau-Brunswick et des principes énoncés par la Cour suprême du Canada en matière de droits linguistiques, il faut interpréter les droits linguistiques prévus au paragraphe 20(2) de la Charte de manière large, libérale, dynamique, réparatrice et fondée sur leur objet. L’égalité n’a pas en matière linguistique un sens plus restreint que dans d’autres domaines. Le sens d’un droit garanti dans la Charte doit être déterminé par l’examen de l’objet visé, c’est-à-dire en fonction des intérêts que ce droit vise à protéger. Il faut en ce domaine se montrer à la fois exigeant et respectueux de la lettre et de l’esprit de la Constitution.

37 L’interprétation des droits linguistiques doit être sensible au contexte. La démarche interprétative doit s’accorder avec la nécessité de prendre en compte le but de la garantie en question ainsi que le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle.

[...]

41 Le paragraphe 20(2) ne mentionne pas directement comme le fait le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, le devoir de l’agent de la paix d’informer les membres du public du droit d’être servi dans la langue officielle de leur choix. Cependant, à mon avis, ce droit est implicitement reconnu au par. 20(2) de la Charte. En me fondant sur l’approche généreuse et libérale retenue par la Cour suprême du Canada en matière d’interprétation des droits linguistiques dans l’affaire Beaulac et en me fondant sur l’objet des dispositions en cause, je conclus que l’obligation de « l’offre active » est implicite au sens du par. 20(2) de la Charte. Afin de donner toute sa portée au droit de faire un choix, prévu au par. 20(2) de la Charte, il faut imposer une obligation correspondante aux agents de la paix d’informer le public de ce droit. Interpréter le par. 20(2) sans y inclure cette obligation aurait comme résultat évident de faire échec aux objets réparateurs de ce droit linguistique et serait donc incompatible avec une interprétation large et dynamique fondée sur l’objet de ce droit. Le par. 20(2) de la Charte comporte nécessairement l’offre active de service.  La liberté de choisir, prévue au par. 20(2), est dénuée de sens en l’absence d’un devoir d’informer le citoyen de ce choix. Le paragraphe 20(2) de la Charte comporte nécessairement l’offre active de service et dans ce contexte un agent de la paix doit, au Nouveau-Brunswick, informer tout membre du public, avec qui il communique, du droit d’être servi dans la langue officielle de son choix.

42 Il s’agit de garantir aux personnes parlant une langue officielle minoritaire la sécurité linguistique. Ne dispenser des services dans la langue de la minorité que dans la mesure où le citoyen le réclame ne comporte aucune garantie sérieuse. Les minorités linguistiques ne revendiquent pas toujours les services auxquels elles peuvent prétendre. Un citoyen face à un agent de la paix qui l’arrête et qui lui parle dans une langue officielle qui n’est pas la langue de son choix, se résignerait à parler dans la langue de l’agent, craignant d’empirer son sort s’il réclame de l’agent qu’il lui parle dans l’autre langue officielle. La notion d’« offre active » revêt donc une grande importance comme facteur de progrès vers l’égalité de statut des deux langues officielles. Ceci s’adapte aussi bien avec l’idée que les droits linguistiques garantis dans la Charte ont un caractère réparateur par rapport aux situations antérieures.

43 Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans Beaulac au paragraphe 20 :

[…] Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l’idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’état de prendre les mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques.

Et aussi au paragraphe 19 :

[…] dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de services dans la langue de la minorité de langues officielles ne doit pas être traitée comme s’il y avait une langue officielle  principale et une obligation d’accommodements en ce qui concerne l’emploi de l’autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l’égalité des deux langues officielles.

44 Le fait que le législateur provincial a adopté le paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles n’a pas pour effet d’écarter l’application de la Charte. Les droits que veut protéger le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles ne sont pas des droits nouveaux. Ces droits sont déjà protégés par la Charte en son par. 16(2) et surtout 20(2). La Loi sur les langues officielles ne fait qu’illustrer la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte. De fait, je dirais que l’article 31 est venu réparer la situation qui existait. Comme nous le savons, plusieurs décisions prononcées avant l’entrée en vigueur du par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles arrivaient à la conclusion que l’absence d’une offre active ne violait pas automatiquement les droits linguistiques reconnus par la Charte.

[29] Je conviens avec ma collègue Lavigne J. tout comme le juge du procès que le paragraphe 20(2) de la Charte inclut l’obligation de l’agent d’informer le prévenu de son choix d’usage de la langue tout comme le paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles.

Voir également : R. c. Allen Brideau, 2016 NBBR 197 (CanLII), R. c. Robichaud, 2012 NBBR 359 (CanLII), R. c. Landry, 2012 NBBR 185 (CanLII), R. v. Jacky Savoie, 2012 NBPC 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement].

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[141] La jurisprudence est contradictoire sur la question de savoir si l'offre active s'inscrit dans les droits linguistiques conférés par la loi. Dans R. c. Haché (1993), 139 N.B.R. (2d) 81, 23 W.C.B (2d) 12 (C.A), où un policier n'avait pas formulé en français à l'accusé la mise en garde relative à la Charte, la cour a examiné la question de savoir si l'accusé a le droit d'être informé de ses droits linguistiques alors qu'il fait l'objet d'une enquête policière. Les juges de la majorité ont conclu que l'offre active n'était pas obligatoire. Le juge Rice a indiqué que l'offre active n'était pas expressément prévue par la Charte. Le juge Angers, dissident, a conclu que l'offre active faisait partie de l'obligation imposée au gouvernement par le paragraphe 20(2) de la Charte. D'autre part, selon l'arrêt R. c. Gautreau (1989), 101 N.B.R. (2d) 1, [1989] N.B.J no 1005 (B.R.) (QL) (infirmé en appel pour un autre motif (1990), 109 N.B.R (2d) 54, 60 C.C.C. (3d) 332 (C.A.), autorisation d'appel à la C.S.C. rejetée [1991] 3 R.C.S. viii), dès lors que la loi a conféré l'égalité à l'emploi des deux langues, l'offre active est obligatoire. Dans l'arrêt Gautreau, la cour s'est également penchée sur les droits garantis par le paragraphe 20(2) de la Charte à un automobiliste inculpé au regard de la langue utilisée par le policier et dans la contravention au code de la route.

[…]

[339] Plusieurs mois après l’audition du présent pourvoi, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15 (CanLII), [2008] A.C.S. no 15 (« Paulin »). Au paragraphe 2, elle indique avoir été « appelée à déterminer si, en acceptant par contrat d’offrir des services de police dans la province, la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »), une institution fédérale, est liée par le régime linguistique plus généreux du Nouveau-Brunswick ou si elle n’est tenue de respecter que les normes fédérales en matière de langues officielles ». La Cour suprême a conclu que, comme la GRC était habilitée par le législateur du Nouveau-Brunswick à administrer la justice dans la province, elle exerçait le rôle d’une « institutio[n] de la législature ou du gouvernement » du Nouveau-Brunswick au sens du paragraphe 20(2) de la Charte, et elle était donc tenue de respecter cette disposition et de fournir des services en français et en anglais au public du Nouveau-Brunswick conformément aux conditions plus exigeantes de la province du Nouveau-Brunswick par comparaison à celles du gouvernement fédéral suivant le paragraphe 20(1) de la Charte.

[…]

[341] À notre avis, l’arrêt Paulin n’est pas pertinent pour les questions en litige en l’espèce. L’une des questions fondamentales en litige dans le pourvoi incident consiste à déterminer si la juge de première instance a commis une erreur en refusant de se pencher sur l’application de la Charte alors que la LLO contient les mêmes droits et recours que les dispositions similaires de la Charte et alors que le GDC [gouvernement du Canada] n’est pas responsable des violations de la LLO. Dans Paulin, il s’agissait de déterminer si la GRC était une institution du Nouveau-Brunswick tenue de se conformer au paragraphe 20(2) de la Charte. Comme nous confirmons la décision de la juge de première instance de ne pas trancher la question de la Charte, la question soulevée par Paulin n’est point pertinente. Tel que mentionné au paragraphe 329, le résultat serait exactement le même en application de la Charte que suivant la LLO. Ce n’était pas le cas dans l’affaire Paulin.

R. c. McGraw, 2007 NBCA 11 (CanLII)

[4] Lorsque M. McGraw a été appelé à répondre aux accusations devant la Cour provinciale, il a demandé leur rejet en faisant valoir que les droits linguistiques que lui confèrent le par. 20(2) de la Charte et le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles avaient été violés (le par. 20(2) prévoit que, dans notre province, le public a droit à l’emploi de l’une ou l’autre des langues officielles pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services). Le juge du procès s’est dit en désaccord car, selon lui, comme M. McGraw était parfaitement bilingue, ses droits linguistiques ne pouvaient avoir été violés. Comme on pouvait s’y attendre, cette interprétation manifestement erronée des droits linguistiques a été rejetée en appel devant la Cour du Banc de la Reine. 

[5] Le juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires a conclu, sur le fondement de la décision que notre Cour a rendue dans l’arrêt Haché, que le par. 20(2) de la Charte n’imposait pas à l’agent de la paix l’obligation d’informer M. McGraw qu’il avait le droit de se faire servir dans la langue officielle de son choix. Comme la Charte n’avait pas été violée, le par. 24(1) (« Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés ») n’entrait pas en jeu. Par contre, le juge est arrivé à la conclusion que les droits dont M. McGraw jouit en vertu du par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles avait été violés, conclusion qui l’a amené à rendre une ordonnance annulant la [TRADUCTION] « dénonciation et déclarant nulle l’accusation ». Il a donc annulé le verdict de culpabilité rendu au procès et ordonné un verdict d’acquittement relativement aux deux inculpations : R. c. McGraw, [2006] A.N.-B. no 271 (QL), 2006 NBBR 216 (CanLII).

[…]

[13] Au cours du procès qui s’est tenu en anglais à sa demande, M. McGraw a prétendu en vain que les droits linguistiques que lui confèrent le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles et le par. 20(2) de la Charte avaient été violés et qu’il devait donc être acquitté de ce fait.

[…]

[20] De nombreuses questions importantes sont soulevées et traitées dans les motifs réfléchis du juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires. Il s’agit notamment de déterminer si le par. 20(2) de la Charte impose implicitement l’obligation d’informer expressément prévue au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles et si le par. 16(3) de la Charte a donné un caractère constitutionnel à cette dernière disposition. À mon avis, il n’est pas nécessaire que de telles questions soient tranchées dans le présent contexte et elles ne devraient pas l’être. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le litige vise l’étendue des droits linguistiques et l’éventail de recours permettant de remédier à leur violation, et que la partie qui se prétend lésée n’est pas représentée par un avocat, notre Cour est particulièrement hésitante à se prononcer au-delà de ce qui est absolument nécessaire afin de rendre justice conformément au droit. Comme je l’expliquerai un peu plus loin, dans la présente affaire, il est possible de rendre justice au moyen de l’art. 106 de la Loi sur la procédure applicable aux infractions provinciales. Cela étant dit, il convient de faire certaines observations brèves et bien circonscrites au sujet du par. 20(2) de la Charte

[21] Dans ses motifs, le juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires a accepté la proposition voulant que l’omission de l’agent d’informer M. McGraw de son droit de se faire servir dans la langue officielle de son choix ne constituait pas une violation du par. 20(2) de la Charte. Il a souscrit à cette thèse en raison de la décision que notre Cour a rendue dans l’arrêt Haché. À mon avis, cet arrêt ne règle pas la question.

[22] En effet, il est exact que, dans Haché, les juges Rice et Ayles ont convenu que le par. 20(2) de la Charte ne créait pas implicitement une obligation d’informer les membres du public de leur droit de se faire servir dans la langue officielle de leur choix, mais la déclaration du juge Rice sur ce point était une remarque incidente. Une lecture attentive des motifs du juge Rice révèle que cet élément de son analyse interprétative ne constituait pas un maillon essentiel du raisonnement qui l’a amené à rejeter l’application du par. 20(2) et que, par conséquent, il ne fait pas partie de sa ratio decidendi. De fait, le rejet de l’application du par. 20(2) par le juge Rice était d’abord et avant tout fondé sur la conclusion que les corps de police municipaux ne sont pas des « institutions de la législature ou du gouvernement », un point de vue non partagé par ses collègues et contraire à la dernière décision que notre Cour a rendue à l’unanimité dans l’affaire Charlebois c. Moncton (City) (2001), 242 R.N.-B. (2e) 259, [2001] A.N.-B. no 480 (QL), 2001 NBCA 117 (CanLII). Quoi qu’il en soit, le droit en matière de droits linguistiques a beaucoup évolué depuis l’arrêt Haché, notamment en raison d’un certain nombre de précédents faisant autorité qui ont favorisé une interprétation plus libérale des lois régissant les droits linguistiques (par exemple les arrêts Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, [1999] A.C.S. no 25 (QL) et Charlebois c. Moncton (City)) et de l’adoption de l’art. 31 de la Loi sur les langues officielles qui, compte tenu du préambule de la Loi, fournit sans aucun doute de précieuses indications sur l’effet recherché du par. 20(2) de la Charte. Enfin, une lecture attentive de l’arrêt R. c. Maillet (L.) (2006), 297 R.N.-B. (2e) 289, [2006] A.N.-B. no 62 (QL), 2006 NBCA 22 (CanLII), indique bien que notre Cour considère que la question n’est pas définitivement tranchée.

[23] Une définition de la portée du par. 20(2) de la Charte n’est ni sollicitée, ni nécessaire en l’espèce, et ce, en raison du fait que M. McGraw n’a pas déposé d’avis de désaccord ni plaidé par ailleurs, par écrit ou oralement, que la décision rendue par la Cour du Banc de la Reine devrait être confirmée pour des motifs autres que ceux donnés par le juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires. Il est important de souligner que M. McGraw a confirmé à l’audience qu’il était satisfait du dispositif proposé dans les motifs qui suivent.

[…]

[35]  Je mettrais fin aux procédures en insistant à mon tour, à l’instar du juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires, sur l’importance des droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, seule province ayant deux langues officielles. Ce sont en effet les droits linguistiques, qu’ils tirent leur source de la Charte, de la Loi sur les langues officielles ou de la Loi sur la procédure applicable aux infractions provinciales, qui nous différencient au sein de la fédération canadienne; avec le temps, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à voir fièrement dans ces droits ce qui les définit comme Néo-Brunswickois. Il faut espérer que l’issue de la présente instance fera bien comprendre aux agents de la paix chargés de l’application des lois provinciales que les droits linguistiques sont inviolables.

Voir également : Bujold c. R., 2011 NBCA 24 (CanLII).

Maillet c. R., 2006 NBCA 22 (CanLII)

[2] Mme Maillet n'invoque qu'un seul moyen d'appel. Elle soutient que le juge de la Cour du Banc de la Reine siégeant en appel, à l'instar du juge du procès, a fait erreur en ne statuant pas que les droits linguistiques que lui confèrent l’article 16.1 et le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés. Cette violation aurait eu lieu lorsque le policier qui l’a interpellée dans une des rues de la capitale provinciale a fait défaut, dès le premier contact, de lui offrir le choix d'être servie dans l'une ou l'autre des langues officielles de la province. Selon la requérante, la seule réparation convenable et juste aux termes du par. 24(1) de la Charte serait un arrêt des procédures consécutif à l'annulation de sa condamnation.

[…]

[6] Il appert que Mme Maillet s’est exprimée avec facilité en anglais, qu’elle n’a jamais demandé d’être servie en français et que, de fait, tout portait à croire qu’elle voulait être servie en anglais. Qui plus est, on ne l’a jamais empêchée de faire l’usage du français ou nié l’accès à des services en français. Par ailleurs, la présumée violation de droits linguistiques n’a pas conduit à la découverte d’éléments de preuve incriminants ou porté atteinte à l’équité du procès, y compris le droit de Mme Maillet de présenter une défense pleine et entière. Enfin, il convient de noter que toutes les procédures judiciaires se sont déroulées dans la langue choisie par Mme Maillet, soit le français, qu’il n’y a aucune preuve de violation systématique de droits linguistiques par la force policière de Fredericton et que Mme Maillet n’a pas soutenu devant le juge de la Cour du Banc de la Reine qu’on avait violé ses droits aux termes du paragraphe 20(2) de la Charte. En effet, c’est devant notre cour que Mme Maillet soulève pour la première fois l’hypothèse d’une telle violation.

[7] La suspension des procédures est une mesure de réparation généralement réservée aux seuls cas de violation de droits qui satisfont à un critère préliminaire des plus exigeants, soit celui des « cas les plus manifestes » (R. c. Regan, 2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297). Même si nous supposons - pour les fins de la présente discussion uniquement - que les droits linguistiques de la requérante ont été violés lors de son interpellation, la requérante doit néanmoins être déboutée de sa demande en autorisation d’appel. Il en est ainsi puisque l’arrêt des procédures ne constitue pas la réparation « convenable et juste » (par. 24(1) de la Charte), eu égard au critère susmentionné et à l’effet cumulatif des éléments recensés dans le paragraphe précédent (voir Doucet-Boudreau c. Nouvelle Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 3 et R. c. Regan). Cela étant, et prenant acte du fait qu’aucune autre réparation n’est demandée, force est de conclure que la question de savoir s’il y a bel et bien eu violation de droits linguistiques est entièrement théorique. Par ailleurs, nous ne sommes pas sans savoir que toute tentative de réponse à cette épineuse question comporterait un risque d’erreur important étant donné que la requérante n'est pas représentée par un avocat et que la portée du paragraphe 20(2) n’a pas été débattue dans l’une ou l’autre des instances inférieures.

Charlebois c. Mowat, 2001 NBCA 117 (CanLII)

[9] Bref, faisant figure de pionnière, la province a d’abord adopté en 1969 la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. 1973, c. O-1, qui reconnaît à l’anglais et au français un statut égal de droits et de privilèges dans tout le champ de compétence provinciale, et prévoit l’exercice de certains droits linguistiques spécifiques. En 1981, le gouvernement provincial adopte la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, L.N.-B. 1981, c. O-1.1. Cette loi reconnaît officiellement l’existence et l’égalité des deux communautés de langue officielle. L’année suivante étant l’époque où le gouvernement fédéral procédait en 1982 au rapatriement de la Constitution canadienne et à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, les autorités gouvernementales du Nouveau-Brunswick font inscrire en même temps dans la Charte certains droits linguistiques qui s’appliquent spécifiquement aux institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ces droits linguistiques sont garantis aux par. 16(2) à 20(2) de la Charte. Enfin, le gouvernement provincial, par voie de modification constitutionnelle prévue à l’art. 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, constitutionnalise en 1993 les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick adoptée par l’Assemblée législative en 1981. Cette disposition devient l’art. 16.1 de la Charte et contient la déclaration d’égalité des deux communautés linguistiques anglophone et francophone et définit le rôle de protection et de promotion de l’égalité de statut des communautés linguistiques officielles qui est expressément confié à la législature et au gouvernement du Nouveau-Brunswick.

[…]

[59] La seconde composante de l’analyse des droits linguistiques prévus au par. 18(2) concerne le sens et l’objet des autres libertés et droits particuliers qui se rattachent selon le texte de la Charte. Le paragraphe 18(2) fait partie d’un ensemble de dispositions de la Charte qui inscrivent dans la Constitution depuis 1982 le concept de la dualité linguistique et la notion de l’égalité des langues officielles pour le Canada et le Nouveau-Brunswick. En effet, les par. 16(2) à 20(2), qui visent spécifiquement les institutions du Nouveau-Brunswick alors que les par. 16(1) à 20(1) visent les institutions fédérales, ont pour effet d’assurer la protection des droits linguistiques dans un bon nombre d’institutions publiques telles que les institutions législatives, les tribunaux et les bureaux des institutions de la législature et du gouvernement. Ces dispositions consacrent donc les garanties linguistiques des citoyens à l’égard du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ce sont des droits linguistiques individuels qui sont garantis autant aux francophones qu’aux anglophones. L’instauration d’un bilinguisme institutionnel qui résulte de l’effet conjugué de ces dispositions est d’ailleurs complétée dans cette province par  l’art. 23 de la Charte qui garantit à l’échelle nationale le droit à l’instruction dans la langue de la minorité.

[…]

[131] L’intervenante, la Commissaire aux langues officielles, a invoqué le par. 20(2) de la Charte et a soutenu, dans son mémoire et sa plaidoirie, l’invalidité de l’ordonnance prise par l’intimé, M. Mowat, relativement à la propriété de l’appelant. Je tiens à préciser que cette Cour s’abstient de se prononcer sur cette contestation parce que cela lui semble ni nécessaire ni souhaitable en l’espèce. Tout d’abord, vu la conclusion de cette Cour quant à l’invalidité des arrêtés municipaux, il n’est pas nécessaire, aux fins du présent appel, de trancher la question de l’invalidité possible de l’ordonnance au regard du par. 20(2). Par ailleurs, le juge de première instance n’a pas tranché cette question dans sa décision. Les intimés et l’intervenante, la province du Nouveau-Brunswick, ne se sont pas penchés sur cette question. Enfin, certaines questions connexes n’ont pas été soulevées devant la Cour, par exemple, la possibilité que l’ordonnance soit exécutoire par application du principe de la validité de facto.

R. c. Haché, 1993 CanLII 5351 (NB CA)

[35] [M. LE JUGE RICE :] À mon avis, avant de statuer sur cette question de la violation des droits de l'appelant visés au paragraphe 20(2), il faut d'abord décider si le policier lors de son intervention auprès de l'appelant oeuvrait dans un bureau d'une institution de la législature ou du gouvernement.

[…]

[38] A mon avis, le mot 'bureau' dans le libellé du paragraphe 20(2) restreint la portée des institutions visées à ce paragraphe à ceux qui sont des organismes d'ordre public et dont la gestion, politiques et lignes de conduite sont surveillées et contrôlées par la législature ou le gouvernement.

[…]

[40] Une municipalité, malgré l'intervention du gouvernement dans certaines de ses activités est suffisamment autonome, souveraine et responsable dans son administration et organisation dans les limites de ses pouvoirs et n'est pas, à mon avis, sujette à une telle surveillance et contrôle du gouvernement ou de la législature pour en être une au sens du paragraphe 20(2) de la Charte.

[…]

[44] Je rejetterais l’appel en raison de ce qui précède et aussi pour les motifs qui suivent.

[45] Tel que noté l’appelant avance qu'en raison de ne pas avoir été avisé de son choix de langue officielle par le policier, ses droits visés au paragraphe 20(2) de la Charte ont été violés. En conséquence de ce qui précède, il avance que le certificat d'analyse ne devrait pas être déposé devant la Cour.

[46] Le paragraphe 20(2) ne prévoit pas qu'un citoyen doit être informé de ses droits visés à ce paragraphe. Il est de même pour l'ensemble des autres articles de la Charte même s'ils garantissent des droits fondamentaux tels que la vie, liberté et autres, sauf dans le libellé de l'alinéa 10(b) où un détenu doit être informé de ses droits visés à cet alinéa. A mon avis, le Parlement canadien aurait imposé la même obligation dans le libellé du paragraphe 20(2) s'il avait été là son intention. Je ne suis pas persuadé que cette Cour devrait l'interpréter autrement de son libellé en lui attribuant un sens différent de l'ensemble de la législation.

NOTA – Pour ce qui est de l’obligation d’informer un citoyen des droits visés au para. 20(2) de la Charte, voir la décision R. c. Losier, 2011 NBBR 177 (CanLII), enterinée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans R. c. Losier 2011 NBCA 102 (CanLII).

R. c. Nde Soh, 2014 NBBR 14 (CanLII)

[75] La défense argue que les droits linguistiques de l’accusé garantis en vertu des paragraphes 20(2) de la Charte et 31(1) de la Loi sur les langues officielles ont été violés puisque le gendarme Francis a arrêté M. Soh en anglais et l’a informé de ses droits en anglais.

[…]

[81] Le gendarme Francis avait l’obligation de faire une offre active à M. Soh, c’est-à-dire l’informer qu’il avait le choix de se faire servir en français ou en anglais. Il s’est acquitté de cette obligation lors de la conversation téléphonique et lors de la rencontre au détachement de Fredericton. Puisque le gendarme Francis n’était pas en mesure, au détachement de Fredericton, de lui parler dans la langue choisie, à savoir le français, il devait prendre les mesures nécessaires dans un délai raisonnable, c’est-à-dire faire appel à un collègue qui pouvait parler le français. Il s’est acquitté de cette obligation, en prenant des arrangements avec un collègue qui parle le français, notamment le gendarme Carter, même avant que M. Soh choisisse le français et en communiquant avec lui une deuxième fois pour lui demander de se rendre au poste immédiatement puisque M. Soh était arrivé plus tôt que prévu et voulait maintenant se faire servir en français. Le gendarme Carter est arrivé au poste dans un délai d’une quinzaine de minutes et a aussitôt pris la charge de M. Soh. Dans les circonstances, je conclus que les gendarmes Carter et Francis ont, dans un délai raisonnable, pris les mesures nécessaires pour leur permettre de répondre au choix de langue fait par M. Soh.

Evenson c. Saskatchewan (Ministry of Justice), 2013 SKQB 296 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[31] À mon avis, le fait que la Cour, dans la décision Société des Acadiens, ait conclu que la GRC était assujettie à des obligations contractuelles avec la province et, par conséquent, agissait également en vertu du pouvoir conféré par le gouvernement provincial, ne signifie pas que l’enquête de la GRC en cause était assujettie à la Loi, comme c’était le cas dans la décision Société des Acadiens, même si les pouvoirs de la GRC ont été établis par un contrat dans la législation provinciale, elle était toujours assujettie à des obligations constitutionnelles précises en tant que police fédérale, de sorte qu’il ne peut pas y avoir d’atteinte aux droits garantis par la Charte.

McGraw c. R., 2012 NBBR 358 (CanLII)

[21] Depuis la décision de notre Cour d’appel dans l’affaire R. c. Losier [2011] NBCA 102, il est bien établi que les policiers ont une obligation de faire une offre active à toute personne interceptée.  L’omission par un agent de la paix de faire une offre active à tout membre du public constitue une violation à l’article 31(1) de la Loi sur les langues officielles et l’article 20(2) de la Charte des droits.

[…]

[26] En conséquence des interprétations jurisprudentielles données aux dispositions législatives applicables, les agents de la paix ont deux obligations : 1) celle d’informer les membres du public du droit d’être servis dans l’une ou l’autre des langues officielles; et 2) celle d’informer les membres du public de leur choix d’être servis dans l’une ou l’autre des langues officielles. 

[27] Dans les circonstances, est-ce que les termes « Hello/Bonjour, Français/Anglais, French/English » sont suffisants pour rencontrer l’obligation énoncée dans l’article 31 de la Loi sur les langues officielles?

[28] Avec respect, je suis d’avis que les termes utilisés par l’agent Lajoie ne rencontrent pas la double obligation prévue par les dispositions de l’article 31(1) de la Loi sur les langues officielles.  Plus précisément, les termes utilisés n’informent aucunement l’appelant comme membre du public qu’il s’agit d’un droit de se faire servir dans la langue de son choix.  D’ailleurs, l’agent du procureur général a reconnu lors de l’audience que les termes utilisés par l’agent Lajoie ne rencontrent pas le volet informationnel, c'est-à-dire d’informer l’appelant qu’il s’agit d’un droit de se faire servir dans la langue de son choix. 

[29] Je conclus que les termes utilisés par le gendarme Lajoie ne peuvent constituer une offre active au sens de l’article 31(1) de la Loi sur les langues officielles et de l’article 20(2) de la Charte, et que par conséquent, il y a eu violation aux droits linguistiques de l’appelant.

R. c. Theriault, 2012 NBBR 184 (CanLII)

[13] Je m’accorde avec la conclusion du juge du procès lorsqu’elle conclu qu’un agent de la paix qui interpelle un membre du public tel l’intimé et lui dit « Hello-Bonjour », sans plus, ne rencontre pas l’obligation décrite au paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles.  À mon avis, l’obligation d’un agent de la paix d’informer l’intimé de son droit de se faire servir dans la langue officielle de son choix, obligation qui découle non seulement du paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles, mais également du paragraphe 20(2) de la Charte ne peut être rencontré en disant « Hello-Bonjour », sans plus.  Je suis d’avis que la juge du procès a eu raison de conclure à une violation des droits linguistiques que conférait à l’intimé les dispositions des paragraphes 31(1) de la Loi sur les langues officielles et 20(2) de la Charte.

R. c. Furlotte, 2010 NBBR 228 (CanLII)

[28] À supposer, sans pour autant en décider, que le par. 20(2) de la Charte est assorti d’une [TRADUCTION] « obligation d’offre active » implicite du choix de la langue à laquelle le gendarme Allain était assujetti lorsqu’il a arrêté l’accusée le 4 septembre 2007, l’imposition d’une suspension de l’instance était-elle convenable eu égard aux circonstances? En d’autres termes, relevait-elle du pouvoir discrétionnaire du juge du procès? Cette question est au cœur du présent appel, mis à part l’existence d’un moyen de défense lié au droit de choisir la langue fondé sur la Charte.

[…]

[42] En l’espèce, le juge du procès a déclaré qu’il n’avait aucun autre choix que de suspendre l’instance pour [TRADUCTION] « éteindre le préjudice causé par ladite violation ». Toutefois, il n’a pas été autrement question du préjudice qui avait été causé par le défaut d’accorder à Mme Furlotte le droit d’être servie dans la langue de son choix. Le dossier ne révèle rien sur ce point, ce qui ne doit pas être considéré comme une indication que le droit au choix de la langue qui est au cœur de la motion fondée sur la Charte n’est pas un droit fondamental important. Il est important. Il y aura des cas où la violation de ce droit constitutionnel sans plus pourra donner lieu à l’imposition d’une suspension de l’instance. Mais, pour les motifs qui suivent, il ne s’agit pas, en l’espèce, de l’un de ces cas.

[43] La violation du droit constitutionnel de Mme Furlotte par la police, en l’espèce la prétendue [TRADUCTION] « obligation d’offre active » du choix de la langue de communication, n’est pas, tel qu’il a été mentionné dans Taillefer, le seul élément du cadre d’analyse dont il faut tenir compte pour décider si une suspension de l’instance devrait être inscrite dans le présent procès criminel. Les intérêts de la société constituent également un aspect important de cette analyse. Lorsqu’un juge de procès détermine s’il doit être mis fin de façon définitive à un procès criminel en imposant la suspension de l’instance en raison de la violation d’un droit garanti par la Charte, il doit mettre en balance la nature et la gravité de la ou des violations de la Charte et l’intérêt de la société à ce qu’une affaire soit jugée sur le fond. Voir R. c. Regan (précité), au par. 69. Le juge du procès n’a aucunement fait état de cet intérêt concurrent de la société dans la présente affaire.

[…]

[57] Dans ce contexte probatoire et juridique, permettre à Mme Furlotte de se servir de son présumé droit constitutionnel à [TRADUCTION] "une offre active" du choix de la langue de la part du gendarme Allain au moment de son arrestation le 4 septembre 2007 comme d'une épée pour arrêter la procédure dans cette affaire risque sérieusement de déconsidérer l'administration de la justice. Une analyse objective de la preuve et des principes pertinents pour ce qui est de la question considérée mène donc à la conclusion opposée à celle que le juge du procès a estimée convenable lorsqu'il a décidé de mettre un terme à l'instance au motif que permettre son déroulement constituait un abus de procédure.

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[10] Pour les raisons que j’expliquerai un peu plus loin, je suis arrivée à la conclusion que la juge du procès n’a pas commis d’erreur en droit en concluant que l’absence d’une offre active de la part de l’agent de la paix constituait non seulement une violation du par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, mais aussi une violation du paragraphe 20(2) de la Charte. Vu ma conclusion, ceci ouvre la voie à une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte. Pour décider cet appel, il n’est donc pas nécessaire de déterminer d’où la Cour provinciale tire son pouvoir de réparer des violations à la Loi sur les langues officielles qui ne mettraient pas en jeu la Charte. Je m’abstiendrai donc de me prononcer en la matière.

[11] En ce qui concerne la violation au paragraphe 20(2) de la Charte, la Cour provinciale est un tribunal de première instance qui est compétent pour entendre une allégation de violation des droits et libertés garanties par la Charte lorsqu’il a compétence sur la personne et la matière. En l’espèce, M. Gaudet était accusé sous l’alinéa 253(b) du Code criminel du Canada. La Cour provinciale était dûment saisie de la présente affaire. Elle avait l’obligation de statuer et faire respecter les droits et obligations substantielles prévues par la Charte.

[…]

[13] Tous reconnaissent qu’au Nouveau-Brunswick, un agent de la paix qui omet d’informer un membre du public qu’il a le droit de se faire servir dans la langue officielle de son choix viole les droits linguistiques de ce citoyen prévus au paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles. Toutefois, il n’y a pas de consensus à savoir si l’absence d’une offre active constitue aussi une violation au par. 20(2) de la Charte.

[…]

[21] À la suite des commentaires du juge en chef Drapeau dans Maillet et McGraw, force m’est de conclure que nonobstant le principe du respect de la chose jugée, je ne peux m’appuyer sur l’affaire Haché pour statuer qu’au Nouveau-Brunswick, l’absence d’une offre active ne constitue pas une violation du par. 20(2) de la Charte. Je m’attarderai donc à cette question.

[22] Le paragraphe 20(2) de la Charte consacre deux droits distincts : le droit de communiquer et le droit de recevoir des services en français ou en anglais. Il ne mentionne pas expressément, comme le fait le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, le devoir de l’agent de la paix d’informer le membre du public du droit d’être servi dans la langue officielle de son choix.

[23] Communiquer sous-entend s’adresser à l’organisme et recevoir une réponse de ce dernier. Que veut dire le droit de recevoir des services?  Il doit y avoir une distinction dans les deux notions.  Il est incontestable que le par. 20(2)  de la Charte prévoit que le public a le droit de recevoir des services dans les deux langues officielles. La question qui demeure est à savoir s’il y a une obligation en vertu dudit paragraphe d’offrir activement ces services?

[24] Il n’est pas suffisant qu’une garantie linguistique soit accordée sur papier; il faut encore qu’elle soit utilisée ou mise en œuvre pour avoir un sens. Dans son préambule, la Loi sur les langues officielles se présente comme un texte qui « respecte les droits conférés par la Charte canadienne des droits et libertés et qui permet à la Législature et au gouvernement de réaliser leurs obligations au sens de la Charte ». La province du Nouveau-Brunswick a légiféré afin de satisfaire son obligation constitutionnelle prévue au par. 20(2) et ainsi assurer le respect et l’application réelle des garanties linguistiques. Comme le faisait remarquer le juge en chef Drapeau dans l’arrêt McGraw au par. 22 : « l’adoption de l’article 31 de la Loi sur les langues officielles qui, compte tenu du préambule de la Loi, fournit sans aucun doute de précieuses indications sur l’effet recherché du par. 20(2) de la Charte ».

[…]

[29] On ne peut saisir la portée des droits linguistiques reconnus par la Charte si l’on ne tient pas compte du principe fondamental sur lequel reposent tant la politique linguistique mise en œuvre par le Nouveau-Brunswick que l’engagement du gouvernement envers le bilinguisme et le biculturalisme. Le Nouveau-Brunswick a instauré pour les résidents de cette province un régime constitutionnel et légal unique au Canada. C’est donc sur cette toile de fond que doit s’interpréter le paragraphe 20(2) de la Charte. Je dois tenir compte du contexte législatif et constitutionnel dans lequel s’inscrit la demande.

[…]

[36] Le paragraphe 20(2) de la Charte comprend un droit libellé en termes très généraux. Vu l’évolution historique des droits de la minorité au Nouveau-Brunswick et des principes énoncés par la Cour suprême du Canada en matière de droits linguistiques, il faut interpréter les droits linguistiques prévus au paragraphe 20(2) de la Charte de manière large, libérale, dynamique, réparatrice et fondée sur leur objet. L’égalité n’a pas en matière linguistique un sens plus restreint que dans d’autres domaines. Le sens d’un droit garanti dans la Charte doit être déterminé par l’examen de l’objet visé, c’est-à-dire en fonction des intérêts que ce droit vise à protéger. Il faut en ce domaine se montrer à la fois exigeant et respectueux de la lettre et de l’esprit de la Constitution.

[…]

[41] Le paragraphe 20(2) ne mentionne pas directement comme le fait le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, le devoir de l’agent de la paix d’informer les membres du public du droit d’être servi dans la langue officielle de leur choix. Cependant, à mon avis, ce droit est implicitement reconnu au par. 20(2) de la Charte. En me fondant sur l’approche généreuse et libérale retenue par la Cour suprême du Canada en matière d’interprétation des droits linguistiques dans l’affaire Beaulac et en me fondant sur l’objet des dispositions en cause, je conclus que l’obligation de « l’offre active » est implicite au sens du par. 20(2) de la Charte. Afin de donner toute sa portée au droit de faire un choix, prévu au par. 20(2) de la Charte, il faut imposer une obligation correspondante aux agents de la paix d’informer le public de ce droit. Interpréter le par. 20(2) sans y inclure cette obligation aurait comme résultat évident de faire échec aux objets réparateurs de ce droit linguistique et serait donc incompatible avec une interprétation large et dynamique fondée sur l’objet de ce droit. Le par. 20(2) de la Charte comporte nécessairement l’offre active de service.  La liberté de choisir, prévue au par. 20(2), est dénuée de sens en l’absence d’un devoir d’informer le citoyen de ce choix. Le paragraphe 20(2) de la Charte comporte nécessairement l’offre active de service et dans ce contexte un agent de la paix doit, au Nouveau-Brunswick, informer tout membre du public, avec qui il communique, du droit d’être servi dans la langue officielle de son choix.

[…]

[44] Le fait que le législateur provincial a adopté le paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles n’a pas pour effet d’écarter l’application de la Charte. Les droits que veut protéger le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles ne sont pas des droits nouveaux. Ces droits sont déjà protégés par la Charte en son par. 16(2) et surtout 20(2). La Loi sur les langues officielles ne fait qu’illustrer la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte. De fait, je dirais que l’article 31 est venu réparer la situation qui existait. Comme nous le savons, plusieurs décisions prononcées avant l’entrée en vigueur du par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles arrivaient à la conclusion que l’absence d’une offre active ne violait pas automatiquement les droits linguistiques reconnus par la Charte.

R. c. Butler, 2002 NBQB 325 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] Je souscris à la fois au raisonnement des juges MacDonald et Lacourcière à l’égard de la présente question selon lequel le paragraphe 20(2) ne s’applique pas au processus judiciaire. Par conséquent, il s’ensuit nécessairement que le demandeur n’a pas prouvé qu’il y a eu violation du paragraphe 20(2) de la Charte.

[…]

[25] Même si j’ai conclu que les droits linguistiques de M. Butler protégés par le paragraphe 20(2) n’ont pas été violés, je suis néanmoins d’avis qu’en l’espèce, la langue peut constituer, et constitue en l’espèce un facteur important à prendre en compte pour déterminer si l’incapacité de M. Butler d’obtenir la divulgation de la preuve en anglais a porté atteinte à sa capacité de présenter une défense pleine et entière.

R. c. Bastarache, [1992] A.N.-B. no 529, 128 N.B.R. (2d) 217 (BR NB) [hyperlien non disponible]

[21] Je reconnais que les corps de police sont des institutions gouvernementales au service de la population. A mon avis, dans le contexte canadien, les corps de police peuvent être des institutions du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial ou de l'administration municipale. La Gendarmerie royale du Canada et la police militaire sont des institutions du gouvernement fédéral. Les corps de police provinciaux, comme l'ancienne Patrouille routière, sont des institutions du gouvernement provincial. Je suis d'avis que les corps de police municipaux sont des institutions des administrations municipales tout comme les corps de police régionaux. Il y a aussi évidemment de nombreuses forces de sécurité privées. La Loi sur la Police du Nouveau-Brunswick autorise et oblige les municipalités à établir et à maintenir un corps de police suffisant. Un corps de police municipal comme celui de Saint-Jean ne constitue pas, à mon avis, une institution de la législature ou du gouvernement de la province. Je sais que les municipalités sont créées par la législature et que leur existence dépend de celle-ci. Elles sont dotées de la personnalité morale comme des sociétés à responsabilité limitée dont le statut est reconnu par la loi. Il n'en reste pas moins, cependant, qu'elles ont une personnalité distincte de celle de la Province. […]

[…]

[24] Même si je suis parvenu à cette conclusion qui, si elle est exacte, suffirait pour statuer sur l'appel, je crois devoir cependant déterminer si M. Bastarache a été victime d'une violation de ses droits, en l'espèce.

[…]

[29] Dans l'exercice de leurs fonctions, les policiers ont également certaines responsabilités ainsi que l'obligation d'offrir un choix linguistique réel et raisonnable au public et de lui permettre d'utiliser la langue officielle de son choix. Il n'est ni pertinent ni nécessaire, selon moi, de déterminer si la personne doit d'abord demander à être servie dans la langue de son choix ou si l'agent de police doit d'abord offrir ce service.

[30] Les garanties juridiques sont énuméréres aux articles 7 à 14 de la Charte des droits et libertés. L'article 10 de la Charte énonce les droits des personnes arrêtées ou détenues et l'article 11, ceux des inculpés. Les droits linguistiques figurent aux articles 16 à 23. D'apres mon interprétation des arrêts MacDonald et Société des Acadiens, les garanties juridiques et les droits linguistiques sont différents sur le plan des concepts. Le droit du public au Nouveau-Brunswick à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services est un droit garanti par la Charte qui devrait et doit être respecté. Ce droit, sur le plan des concepts et sur le plan théorique, est différent, par exemple, de la garantie juridique d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit. Il est, sur le plan des concepts et sur le plan théorique, différent des autres garanties juridiques énumérées aux articles 7 à 14 de la Charte.

[31] Le critère qu'il convient d'appliquer selon moi devrait être le suivant : a-t-on donné à l'individu en question un choix linguistique réel ainsi que le droit et l'occasion de s'exprimer et d'être servi dans l'une ou l'autre des langues officielles? Evidemment, toute personne détenue par la police ou arrêtée devrait comprendre pourquoi elle est détenue ou arrêtée et les garanties juridiques que lui reconnaît la Charte devraient être respectées.

[32] En l'espèce, selon ma façon de voir les choses, on a donné à M. Bastarache un choix linguistique réel et raisonnable et on lui a également donné une possibilité convenable et raisonnable de s'exprimer dans la langue de son choix. Selon moi, la police a agi de façon raisonnable et équitable en prenant des dispositions pour s'assurer qu'il comprenait pourquoi on l'accusait et ce dont on l'accusait. Il a été régulièrement informé de son droit à l'assistance d'un avocat et il a eu l'occasion de consulter un avocat. J'estime qu'on lui a donné l'occasion de s'exprimer dans la langue officielle de son choix.

R. c. Robinson, [1992] A.N.-B. no 146, 127 R.N.-B. (2e) 271 (BR NB) [hyperlien non disponible]

[15] Essentiellement, l'appelant prétend qu'il y a eu négation d'un de ses droits constitutionnels du fait que l'agent Parent ne lui a pas permis d'indiquer la langue de son choix lorsqu'il lui a donné l'ordre prévu à l'art. 254(2) [Code criminel du Canada].

[16] Voici ce que prévoit l'art. 20(2) de la Charte :

[…]

[17] Dans son mémoire, l'appelant soutient que la G.R.C. représente un corps de police dûment mandaté par le gouvernement du Nouveau-Brunswick et doit être en mesure d'offrir des services en anglais ou en français.

[18] Puisque l'agent de police a choisi de parler à l'appelant en anglais et qu'il ne s'est pas enquis de son choix quant à la langue à employeur, il y a eu violation des droits linguistiques de l'appelant.

[19] J'estime pouvoir statuer presque sommairement sur ce moyen pour les motifs suivants :

(1) On n'a présenté aucun élément de preuve démontrant que le détachement de Riverview de la Gendarmerie royale du Canada est au nombre "des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau- Brunswick".

(2) On n'a présenté aucun élément de preuve démontrant que le détachement de Riverview de la Gendarmerie royale du Canada n'était pas en mesure d'offrir des services au public en anglais ou en français.

(3) On n'a présenté aucun élément de preuve indiquant que l'appelant avait demandé des services dans une langue particulière.

(4) On n'a présenté aucun élément de preuve indiquant que l'appelant n'avait pas compris l'ordre qui lui avait été donné, et sa réponse constituait une preuve vive et explicite du fait qu'il avait entièrement compris.

[20] Rien dans la preuve présentée au procès ou en appel n'indique que l'appelant a eu du mal à comprendre ce qui se passait. Dans les termes les plus simples, la position de l'appelant est qu'un agent de police doit tout d'abord s'enquérir du choix de la langue à employer avant de faire son enquête.

[21] Cela signifierait effectivement que tout agent de police du Nouveau-Brunswick doit être bilingue ou accompagné d'un autre agent afin que toute question nécessaire puisse être posée dans une ou l'autre des langues officielles. Dans certaines circonstances, la loi oblige un agent de police à poser des questions ou à donner des ordres "immédiatement". Il suffit sûrement de comprendre ce qu'il dit en pareilles circonstances et, en l'espèce, rien n'indique que l'appelant ne pouvait comprendre ou n'avait pas compris l'ordre qui lui avait été donné.

[22] Je ne suis pas d'avis que l'on puisse étendre la signification ou l'intention des dispositions en matière de langue de la Charte dans la mesure où voudrait le faire l'appelant.

Gautreau c. Nouveau-Brunswick, [1989] A.N.-B. No 1005, 101 N.B.R. (2d) 1 (BR NB) [hyperlien non disponible] (renversée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick sur une autre question : Nouveau-Brunswick c. Gautreau, 1990 CanLII 4014 (NB CA))

[33] Il y a donc lieu d'analyser l'article 20(2) de la Charte en fonction de l'approche littérale.

[34] Le mot "public" ne pose aucune difficulté. Que ce soit en français ou en anglais, ce terme a une portée claire. La compréhension populaire ou encore les définitions qu'offrent les dictionnaires mènent au même résultat : le mot "public" dans l'article 20(2) de la Charte inclut nécessairement tout individu ou groupe de personnes.

[…]

[37] Je conclus donc facilement qu'en l'espèce, le requérant est inclu dans le terme "public".

[38] Le "droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer ou pour en recevoir les services" ne saurait non plus porter à confusion. Il s'agit d'un droit simple et explicite. L'unique sens raisonnable que l'on puisse donner à cette expression est qu'au Nouveau-Brunswick, chaque personne a un droit constitutionnel de se servir de l'une des deux langues officielles, le français ou l'anglais, dans toutes ses communications, donc orales ou écrites, avec le gouvernement et ses institutions. De plus, chaque personne a le droit de recevoir les services gouvernementaux dans la langue de son choix. Finalement, l'article précise qu'il s'agit de toutes communications avec "tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement". En d'autres mots, le gouvernement du Nouveau-Brunswick se déclare par l'article 20(2), entité bilingue, et, en plus, confère à chacune des deux langues choisies un statut égal. Cette réalité constitutionnelle est d'ailleurs conforme à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, L.N.-B., 1969, c. 14, L.R.N.-B. 1973, c. 0-1, à la Loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick, L.N.-B., 1981, c. 0-1.1, à l'article 462.1 du Code criminel du Canada et au paragraphe 16(2) de la Charte, reproduit plus haut.

[…]

[49] Je suis convaincu de la pertinence et de l'application pratique des critères susmentionnés. L'application de ces critères m'amène à conclure que la livraison d'un billet de contravention, par un membre d'une force policière du Nouveau-Brunswick, à un individu, au Nouveau-Brunswick, est une communication ou un service au terme de l'article 20(2) de la Charte. Par conséquent, la communication doit se faire par le policier dans la langue du choix de l'individu. Je reviendrai plus tard aux conséquences pratiques de cette conclusion.

[…]

[89] L'article 20(2) confère au public néo-brunswickois le droit de communiquer en français ou en anglais avec les instances gouvernementales énumérées. Ce droit de communiquer doit nécessairement être accompagné d'un droit d'être compris.

[90] En l'espèce, l'intimée, un employé de la fonction publique, a décidé unilatéralement de ne pas offrir le choix de langue au requérant. Le policier a volontairement négligé de suivre les étapes du formulaire qui contenait une case ayant pour objet de garantir au public une offre active. En refusant d'utiliser le formulaire prescrit par les autorités gouvernementales, l'intimée a violé les droits constitutionnels du requerant.

4. LA CONCLUSION

[91] Quel que soit la méthode d'interprétation utilisée, il ressort que les droits minimums garantis au requérant par l'article 20(2) de la Charte ont été violés. Cette violation de la Charte donne au requérant le bénéfice d'une réparation appropriée au terme du paragraphe 24(1) de la Charte.

[92] L'interprétation du paragraphe 20(2) de la Charte par chacune des trois méthodes discutées, mène à un seul et même résultat, à savoir que le requérant dans l'affaire présente, avait le droit constitutionnel de recevoir son billet de contravention dans la langue de son choix et que, le bris de ce droit, par l'agent Carson, lui donne le bénéfice d'une réparation appropriée au terme du paragraphe 24(1) de la Charte. Avant d'aborder cette question de la réparation, je vais dire quelques mots sur l'aspect pratique de cette décision.

C. L'ASPECT PRATIQUE DE CETTE DÉCISION

[93] La question qui se pose ici est à savoir si cette décision fait en sorte que tous les policiers doivent être bilingues au Nouveau-Brunswick. Sans équivoque, la réponse est négative. A l'exemple des juges dans l'affaire La Société, les policiers qui ont un contact direct et fréquent avec le public, en particulier la patrouille ou la police routière, devront communiquer et servir leur clientèle, en se servant de "moyens raisonnables" pour que la langue de choix du récipiendaire soit respectée. En l'espèce, le formulaire bilingue et Le Guide constituaient des outils susceptibles dans certains cas de constituer un "moyen raisonnable" de se faire comprendre. Malheureusement, l'agent Carson a refusé de s'en servir.

R. c. Lavoie, 2014 NBPC 43 (CanLII)

[39] Dans l’arrêt R. c. Losier, 2011 CANB 102 (CanLII), la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick s’est prononcée sur le sens et la portée qu’il convient de donner au par. 20(2) de la Charte. En effet, la Cour d’appel réitère qu’il incombe aux tribunaux d’éviter une interprétation restrictive des dispositions législatives et constitutionnelles portant sur les droits linguistiques. Je retiens de cet arrêt phare d’autres enseignements. D’une part, un agent de la paix qui interpelle un membre du public au Nouveau-Brunswick est tenu de respecter les obligations que le par. 20(2) de la Charte impose aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick, notamment en ce qui a trait à l’offre active du service dans les deux langues officielles. D’autre part, s’il est incontestable que les droits linguistiques reconnus par la Charte sont « inviolables » et que l’art. 24 doit être interprété de sorte à protéger les droits garantis par la Charte en assurant des réparations efficaces, il n’en demeure pas moins qu’aux fins de l’analyse requise en vertu du par. 24(2), l’exclusion d’éléments de preuve n’est pas nécessairement la réparation indiquée pour toutes les atteintes aux droits linguistiques, quelles que soient les circonstances. Cette cause en est une preuve éclatante.

[40] À tout événement, même si la poursuite concède qu’il y a eu violation des droits linguistiques garantis par le par. 20(2) de la Charte, là ne s’arrête pas l’analyse. Il faut aussi se demander, selon les trois critères formulés dans l’arrêt R. c. Grant 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353, si la preuve doit être écartée :

(1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État);

(2) l’incidence de la violation sur les droits du défendeur garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids); et

(3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.

[…]

[49] Ici, la conduite du Caporal Parish n’était pas empreinte de mauvaise foi. Bien que soucieux des garanties linguistiques du défendeur, il s’est empressé de procéder avec l’enquête dans des circonstances où, force est de le reconnaitre, il a mal saisi le sens et la portée du par. 20(2) de la Charte. Néanmoins, dès qu’il a noté que le défendeur s’exprimait dans un anglais rudimentaire, et qu’il désirait recevoir les services dans la langue française, le Caporal Parish a contacté immédiatement un membre bilingue de la GRC. Ce dernier fut dépêché sur les lieux quelque 30 à 45 minutes plus tard. La preuve démontre également qu’une inspection plus approfondie reprit en la présence de l’agent bilingue. 

[…]

[63] Bien que la conduite de l’agent Parish n’était pas entachée de mauvaise foi, et que la violation du par. 20(2) de la Charte n’était que passagère, j’estime que la violation est grave. L’inclusion de la déclaration faite par le défendeur dans des circonstances où il avait déjà choisi de recevoir des services dans la langue officielle de son choix risque inévitablement d’ébranler la confiance du public au Nouveau-Brunswick. L’analyse du premier critère milite donc en faveur de l’exclusion.

[…]

[76] J’ai aussi observé qu’il existe toute une panoplie de décisions en jurisprudence canadienne interprétant le par. 849(3) du Code criminel. Certaines suggèrent que le défaut d’utiliser les textes préimprimés des formules dans les deux langues officielles n’équivaut qu’à un vice de forme. Il reste que cet argument, s’il est indubitablement séduisant, n’est pas entièrement convaincant en ce sens qu’il ne reconnait pas le caractère unique de la province du Nouveau-Brunswick comme le dictent les paras. 16(2) et 20(2) de la Charte. Il faut se rappeler que dans cette province, les agents de la paix doivent respecter les obligations linguistiques que le par. 20(2) de la Charte impose aux institutions du Nouveau-Brunswick. C’est d’ailleurs le principe qui se dégage de l’affaire Losier, précitée, un arrêt pilier en matière de droits linguistiques au Nouveau-Brunswick. Comme l’affirmait sans équivoque le juge Bastarache dans l’affaire Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999], A.C.S. no. 25, les droits linguistiques doivent recevoir des tribunaux une interprétation large et généreuse.

[…]

[79] Il me semble, toutefois, que la jurisprudence a beaucoup évolué depuis en matière de droits linguistiques. Notamment, dans R. c. Beaulac, précité, au par. 25, le juge Bastarache de la Cour suprême déclare que dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité, « préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté ». Le même son de cloche se fait entendre de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Losier, précitée, compte tenu du par. 20(2) de la Charte

[…]

[120] Je suis d’avis qu’en l’espèce les agents de la SPA [Société Protectrice des Animaux] non (sic) pas respecté les droits linguistiques du défendeur les 25 et 27 octobre 2011. Il s’agit de violations des garanties prévues au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles de même qu’au par. 20(2) de la Charte. Or, eu égard aux circonstances bien particulières en l’espèce, et à l’exception de la déclaration faite par le défendeur, j’estime que ces violations ne justifient pas l’exclusion d’élément de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte.

[…]

[122] Néanmoins, lors de l’audience sur l’imposition de la peine, il y aura lieu de considérer la violation des droits linguistiques du défendeur comme circonstance atténuante justifiant une réduction de la peine quant à l’infraction sous le par. 18(2) de la Loi sur la SPA. J’estime qu’en vertu du par. 24(1) de la Charte, et compte tenu des principes qui se dégagent dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206, il s’agit d’une réparation convenable et juste eu égard à la violation des droits linguistiques du défendeur garantis par le par. 20(2) de la Charte. Cette question fut par ailleurs soulevée lors de la plaidoirie finale des parties.  Je constate aussi que la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick appliquait récemment ces principes dans l’affaire R. c. Martin 2013 NBQB 322 (CanLII) au par. 39.

R. c. Robinson, 2014 NBPC 37 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[57] Étant convaincu que les droits linguistiques de l’accusé n’ont pas été respectés par le caporal White et par l’agent McEachern, je dois maintenant me concentrer sur l’analyse requise par le paragraphe 24(2) de la Charte afin de déterminer la réparation appropriée. Plus précisément, je dois établir si les éléments de preuve, à savoir l’observation par des policiers de l’agression commise par l’accusé sur sa mère (« les éléments de preuve ») devraient être exclus par suite de la violation du paragraphe 20(2) de la Charte

[…]

[59] Il est également important de souligner que l’obligation d’un agent de la paix d’informer un membre du public de son droit de recevoir des services dans la langue officielle de son choix, une obligation qui découle non seulement du paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles, mais aussi du paragraphe 20(2) de la Charte, ne peut être remplie simplement en disant « Hello‑Bonjour » ou « Allo » : R. c. Thériault, 2012 NBQB 184 (CanLII), à la p. 13.

[…]

[63] De la même façon, dans la présente affaire, aucun élément de preuve ne me permet de conclure qu’il y a eu violation de la Charte, à part le fait que les policiers ont omis d’informer l’accusé qu’il avait le choix d’être servi en anglais ou en français immédiatement après avoir « communiqué » avec lui alors qu’il se tenait debout sur son patio et pendant qu’il était placé en état d’arrestation pour voies de fait et conduite avec capacités affaiblies. Je souligne également qu’il a été informé de ses droits linguistiques une fois rendu au poste de police.

Voir également : R. c. McKenzie, 2012 NBCP 15 (CanLII).

R. c. Robichaud, 2011 NBCP 2 (CanLII)

[22] Dans une décision antérieure, (R. c. Gaudet, 2009 NBCP 8), j'ai conclu que le manquement de l'agent de la paix d'informer l'accusé, dès son premier contact avec lui, de son droit de communiquer avec lui dans la langue officielle de son choix et de s'enquérir de ce choix, constituait non seulement une violation du par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, mais aussi une violation du par. 20(2) de la Charte et par le fait même ouvre la voie à une analyse en vertu de l'article 24 de la Charte. En d'autres mots, le par. 20(2) de la Charte impose implicitement l'obligation d'informer expressément prévue au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles. À ce sujet, voir également les conclusions de la Juge LaVigne qui a entendu l'appel de cette décision, (2010 NBBR 27).

[…]

[34] Il ne faudrait pas non plus que les décisions de nos tribunaux dans les cas où une violation des droits linguistiques est présente, résultent en la création de régimes différents selon les régions de notre province. C'est pourquoi, il est impératif d'éviter que les "circonstances" de l'instance, viennent justifier le refus d'accorder un recours à une violation des droits linguistiques, car l'existence de l'obligation positive que constitue le par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, ainsi que le par. 20(2) de la Charte, deviendrait futile et sans utilité réelle si la violation du droit ne résulte pas en un recours qui témoigne de son importance.

Canadian Union Of Public Employees, Local 1252 c. Service New Brunswick, 2016 CanLII 96056 (NB LA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[45] Le Nouvau‑Brunswick possède une grande réputation en tant que seule province du Canada officiellement bilingue. À l’échelle fédérale, l’accès local à des services gouvernementaux dans la langue de son choix est fondé sur une approche « justifiée par le nombre »; ce n’est pas le cas au Nouveau‑Brunswick, où le droit d’accès est territorial. Dans la province, les membres du public ont le droit de communiquer avec le gouverment dans la langue officielle de leur choix, peu importe où ils se trouvent. Il s’agit d’une force du Nouveau‑Brunswick et de ses habitants, garantie aussi bien par la Loi sur les langues officielles, S.N.B. 2002, c O‑0.5 que le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Voir également :

Charlebois c. Town of Riverview et Procureur Général du Nouveau-Brunswick, 2015 NBCA 45 (CanLII)

City of Toronto c. Braganza, 2011 ONCJ 657 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Sonier c. Ambulance Nouveau-brunswick Inc., 2016 NBBR 218 (CanLII)

R. c. Maurice Frenette, 2007 NBPC 33 (CanLII)

R. c. Mario Régis Mazerolle, 2008 NBCP 31 (CanLII)

R. c. Cormier (21 juillet 1999), Moncton (CP NB), juge Savoie [hyperlien non disponible]

Bourque c. R. (20 août 1992), M/M/141/92 (BR NB) J. Landry [hyperlien non disponible]

R. c. Bertrand, 1992 CanLII 5946 (BR NB)

Moncton Firefighters Association, International Association of Firefighters, Local 999 c. Moncton (City), 2015 CanLII 19678 (NB LA) [décision disponible en anglais seulement]

Canadian Union of Public Employees, Local 1190 c. New Brunswick (Transportation and Infrastructure), 2015 CanLII 38685 (NB LA) [décision disponible en anglais seulement]

New Brunswick Union of Public And Private Employees c. Horizon Health Network, 2015 CanLII 38678 (NB LA) [décision disponible en anglais seulement]

 

21. Maintien en vigueur de certaines dispositions 

21.  Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet, en ce qui a trait à la langue française ou anglaise ou à ces deux langues, de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations qui existent ou sont maintenus aux termes d'une autre disposition de la Constitution du Canada. 

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations

Lavigne c. Canada Post Corporation, 2009 QCCA 776 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

CONCERNANT LA REQUÊTE VISANT À ORDONNER À LA DÉFENDERESSE DE PROCÉDER EN ANGLAIS :

[1] L’article 133 de la Loi constitutionnelle est explicite et clair.

[2] L’article 21 de la Charte canadienne des droits et libertés énonce explicitement que les articles 16 à 20 de la Charte n’ont pas pour effet de porter atteinte aux droits qui existent aux termes d’une autre disposition de la Constitution du Canada, ce qui comprend l’article 133. Finalement, l’article 18 de la Loi sur les langues officielles, outre le fait qu’il ne peut évidemment pas déroger à la Loi constitutionnelle, ne s’applique expressément qu’aux tribunaux établis par une loi du Parlement aux termes du paragraphe 3(2) de cette même loi, ce qui n’est pas le cas de cette Cour.

[3] Par conséquent, la requête est sans fondement et est rejetée sans dépens.

Reference re an Act to Amend the Education Act, 1986 CanLII 2863 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

La principale disposition de la Charte qu’il faut prendre en compte est l’article 29 puisqu’il traite spécifiquement du sujet qui nous occupe. En raison de son importance cruciale, la version anglaise est répétée et soulignée à certains endroits, et la version française est ajoutée et soulignée aux mêmes endroits.

[…]

Les mots cruciaux de l’article 29 [dans la version anglaise] sont : « any rights or privileges guaranteed by or under the Constitution of Canada », en particulier les mots « guaranteed by or under ». « [G]uaranteed by the Constitution » semble renvoyer expressément à l’article 93 en ce qui concerne les quatre premières provinces, ainsi qu’à la Colombie-Britannique et à l’Île-du-Prince-Édouard, admises à l’Union fédérale en vertu de l’article 146. On nous a fait valoir que les mots « or under » renvoient à d’autres dispositions comme l’article 22 de la Loi de 1870 sur le Manitoba (Canada), ch. 33, entérinée par la Loi constitutionnelle de 1871; les articles 17 de la Loi concernant l’Alberta, 1905 (Canada), ch. 3, et de la Loi concernant la Saskatchewan, 1905 (Canada), ch. 42; et la condition 17 de l’accord sur les conditions de l’adhésion de Terre-Neuve à l’Union canadienne, entériné par la Loi sur Terre-Neuve, 1949 (Royaume-Uni), ch. 22). Toutefois, ces quatre lois figurent à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982 et donc, en application de l’alinéa 52(2)b), font partie de la Constitution du Canada. Par conséquent, les mots « or under » étaient manifestement inutiles pour couvrir ces situations. De toute évidence, les mots « or under » visaient à couvrir des garanties autres celles accordées par la Constitution. Il conviendrait de noter que l’article 21 de la Charte qui, d’après la note marginale, prévoit le « [M]aintien en vigueur de certaines dispositions » en ce qui a trait à la langue française ou anglaise, est ainsi libellé :

21. Les articles 16 à 20 n’ont pas pour effet, en ce qui a trait à la langue française ou anglaise ou à ces deux langues, de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations qui existent ou sont maintenus aux termes d’une autre disposition de la Constitution du Canada.

[Non souligné dans l’original]

Si l’article 29 visait à protéger uniquement les droits et les privilèges garantis par la Charte, on aurait pu s’attendre à lire « by virtue of any provision of the Constitution of Canada » au lieu de « by or under the Constitution of Canada ». Les mots « under the Constitution of Canada » doivent comprendre des droits et privilèges accordés par des lois promulguées en vertu de la Constitution. Cette conclusion est appuyée par la version française de l’article 29 qui utilise l’expression « en vertu de », que Le Petit Robert définit comme signifiant « par le pouvoir de ». Il est intéressant de souligner que l’équivalent français des mots « by Law » au paragraphe 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 est « par la loi ». Tous ces éléments indiquent que les mots employés à l’article 29 visaient à inclure non seulement les garanties constitutionnelles des droits ou privilèges concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles, mais également ceux établis par une loi promulguée en vertu du pouvoir constitutionnel.

NOTA – L’appel de ce renvoi a été rejeté par la Cour suprême (Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 RCS 1148, 1987 CanLII 65 (CSC)), mais le point cité ci-dessus n’a pas été traité par la Cour suprême. 

McDonnell c. Federation des Franco-Colombiens, [1985] B.C.J. No. 2740 (B.C. Ct.C.) [hyperlien non disponible] [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[24] Dans son argumentation, l’avocat du procureur général a soumis que les garanties prévues à l’article 15 ne s’appliquent pas aux droits linguistiques. Il a souligné que ni un groupe linguistique ni une langue ne sont énumérés dans l’article et que les droits linguistiques sont expressément traités aux articles 16 à 23; l’article 19 abordant précisément la question qui nous occupe – l’emploi du français et de l’anglais dans les tribunaux du Canada. Il soumet qu’en traitant expressément de l’emploi de l’anglais et du français dans certains tribunaux à l’article 19, les auteurs de la Charte avaient clairement l’intention de ne garantir aucun droit d’emploi du français en Colombie-Britannique à l’article 15. Si tel n’était pas le cas, selon cet argument, le paragraphe 19(2) serait inutile. À l’appui de cet argument, le procureur général a cité R. c. Speicher (1983), 6 C.C.C. (3d) 262; Haywood Securities Inc. c. Inter-Tech Resource Group Inc., Vancouver No. C845334 (non publiée), et Curr c. R., [1972] S.C.R. 889, de même que des passages de Hogg, Canada Act 1982 Annotated (1982). Seule l’affaire Speicher traite spécifiquement de l’article 15, et ce jugement a eu lieu avant l’entrée en vigueur de cet article.

[25] Le défendeur affirme que cet argument est respecté par le libellé de l’article 21, qui selon lui rend l’article 15 applicable aux droits linguistiques.

[26] En réponse, le procureur général mentionne que l’article 21 a été inséré dans la Charte pour indiquer clairement que les droits linguistiques institués par la Loi sur l’Amérique du Nord britannique (aujourd’hui la Loi constitutionnelle de 1867) et la Loi de 1870 sur le Manitoba ne sont pas touchés par les dispositions de la Charte portant précisément sur les droits linguistiques.

[27] L’attrait et le bien-fondé des arguments du procureur général concernant l’inapplicabilité de l’article 15 à la question des droits linguistiques ne font aucun doute. À la lumière de la conclusion à laquelle je suis arrivé sur la question de la discrimination, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de me pencher sur ces arguments. Si je devais le faire, je serais favorable à ces arguments avancés au nom du procureur général.

NOTA – L’appel de ce jugement a été rejeté par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (McDonnell c. Fédération des Franco-Colombiens [1986] B.C.J. No 730, 31 D.L.R. (4th) 296 [hyperlien non disponible]), mais le point cité ci-dessus concernant l’art. 21 de la Charte n’a pas été traité par la Cour d’appel.

 

22. Droits préservés 

22.  Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges, antérieurs ou postérieurs à l'entrée en vigueur de la présente charte et découlant de la loi ou de la coutume, des langues autres que le français ou l'anglais.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations

Reference re an Act to Amend the Education Act, 1986 CanLII 2863 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

La Constitution du Canada, dont la Charte fait maintenant partie, a toujours reconnu des droits collectifs aux articles 93 et 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme l’a exprimé le professeur Hogg (Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2nd ed. [1985], aux pages 634 et 824) : ces dispositions équivalent à une « petite déclaration des droits ». Les dispositions de cette « petite déclaration de droits », qui englobent maintenant les droits linguistiques prévus à l’article 133 et aux articles 16 à 23 de la Charte, sont bien différentes de celles contenues dans une déclaration de droits comme celle des États-Unis, laquelle est fondée sur les droits individuels. Les droits collectifs, tels que ceux concernant la langue ou encore les écoles confessionnelles ou séparées, sont revendiqués par des individus ou des groupes d’individus en raison de leur appartenance au groupe bénéficiant de la protection en cause. Les droits individuels sont revendiqués également par toute personne en dépit de son appartenance à certains groupes identifiables. Les droits collectifs protègent quelques groupes sans en protéger d’autres. Dans cette mesure, ils font exception aux droits à l’égalité dont tous bénéficient également. Par conséquent, un tribunal ne peut se fonder sur l’article 15 pour invalider une disposition concernant l’utilisation du français ou de l’anglais, et ayant été établie conformément aux articles 16 à 23 de la Charte, au motif que cette disposition n’accorde pas la même protection ou le même bénéfice à une autre langue. En se fondant sur l’article 22, on pourrait peut-être soumettre que d’autres langues devraient être un jour reconnues.

22. Les articles 16 à 20 n’ont pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges, antérieurs ou postérieurs à l’entrée en vigueur de la présente charte et découlant de la loi ou de la coutume, des langues autres que le français ou l’anglais.

Toutefois, tant qu’un droit ou privilège découlant de la loi ou de la coutume n’est pas reconnu, un tribunal ne peut, à la lumière des articles 15 et 16 à 23 de la Charte, faire appliquer l’égalité de langues autres que les deux langues officielles. En fait, même si une autre langue était reconnue en vertu de l’article 22, il n’en demeure pas moins qu’il s’agirait d’un droit collectif que les individus parlant d’autres langues ne pourraient revendiquer, sauf sur une tribune politique.

NOTA – L’appel de ce renvoi a été rejeté par la Cour suprême (Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, 1987 CanLII 65 (CSC)), mais le point cité ci-dessus n’a pas été traité par la Cour suprême.

 

Droits à l'instruction dans la langue de la minorité (article 23)

23. (1) Langue d'instruction 

23. (1) Les citoyens canadiens :

a)  dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, 

b)  qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, 

ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue. 

23. (2) Continuité d'emploi de la langue d'instruction

23. (2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction. 

23. (3) Justification par le nombre

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province :

a)  s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité; 

b)  comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics. 

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Généralités

Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), [2015] 2 R.C.S. 139, 2015 CSC 21 (CanLII)

[25] Le droit réparateur conféré par l’art. 23 diffère de bien d’autres droits reconnus par la Charte. Il s’agit d’une balise importante de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme, élément fondateur de notre pays. Il impose aux provinces et aux territoires l’obligation constitutionnelle de fournir un enseignement dans la langue de la minorité aux enfants des titulaires des droits garantis par l’art. 23 lorsque le nombre le justifie. Cet engagement distingue le Canada des autres pays, comme le juge Vickers, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, l’a expliqué dans Assn. des Parents Francophones : […]

[26] L’article 23 vise la préservation de la culture et de la langue. Comme l’a souligné la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, « langue et culture ne sont pas synonymes, mais le dynamisme de la première est indispensable à la préservation intégrale de la seconde » (Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Livre II, L’éducation (1968), p. 8). Ainsi que notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 362, « toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu’un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle » : voir aussi M. Bastarache, « Les droits scolaires des minorités linguistiques provinciales : l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », dans G.-A. Beaudoin et E. Ratushny, dir., Charte canadienne des droits et libertés (2e éd. 1989), 757, p. 766.

[27] L’article 23 avait pour objet de remédier à l’érosion de groupes minoritaires de langue officielle ou d’empêcher cette érosion de manière à faire des deux groupes linguistiques officiels du Canada des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation : Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 3, par. 26; Mahe, p. 364. L’éducation dans la langue de la minorité est primordiale pour assurer le maintien de ce partenariat : […]

En effet, dans les communautés linguistiques minoritaires, les écoles sont un instrument primaire de transmission de la langue et, donc, de la culture : Mahe, p. 362-363. Dans bon nombre de ces communautés, les changements démographiques et l’évolution du rôle des établissements religieux ont fait des écoles locales de la minorité linguistique des centres communautaires essentiels (M. Power et P. Foucher, « Language Rights and Education », dans G.-A. Beaudoin et E. Mendes, dir., Charte canadienne des droits et libertés (4e éd. 2005), 1095, p. 1100-1101).

[28] L’un des traits distinctifs de l’art. 23 est qu’il est particulièrement vulnérable à l’inaction ou aux atermoiements des gouvernements. Le fait de tarder à mettre en œuvre le droit accordé par cet article ou de remédier aux violations de celui-ci peut entraîner l’assimilation et gêner l’exercice du droit lui-même. Comme la Cour l’a déjà indiqué, le risque d’assimilation et d’érosion culturelle augmente avec les années scolaires qui s’écoulent sans que les gouvernements respectent les obligations que leur impose l’art. 23 (Doucet-Boudreau, par. 29). Laissé à lui-même, le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité risque de disparaître entièrement dans une collectivité donnée. Par conséquent, il est essentiel de veiller à mettre en œuvre avec vigilance les droits reconnus par l’art. 23 et de remédier à temps aux violations.

Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208, 2009 CSC 47 (CanLII)

[23] L’article 23 de la Charte canadienne établit le cadre général des droits des citoyens canadiens à l’instruction dans la langue de la minorité. La nature de cette disposition diffère de celles que l’on rencontre communément dans les chartes et les déclarations de droits fondamentaux (Quebec Association of Protestant School Boards, p. 79). Bien que possédant une portée collective, elle confère des droits individuels. Codification de droits essentiels en matière linguistique, elle reflète un compromis politique fondamental au Canada en cette matière (Quebec Association of Protestant School Boards, p. 82; Solski, par. 5-10; M. Bastarache, « Introduction », dans M. Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada (2e éd. 2004), 1,  p. 7; M. Power et P. Foucher, « Language Rights and Education », dans G.-A. Beaudoin et E. Mendes, Charte canadienne des droits et libertés (4e éd. 2005), 1095, p. 1102-1103).

[25] Notre Cour s’est penchée à plusieurs reprises sur l’art. 23 depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne en 1982. Cette disposition établit un code complet qui détermine la nature et la portée des droits à l’instruction dans la langue des minorités anglophone ou francophone. L’article 23 vise particulièrement les communautés linguistiques minoritaires dans l’ensemble du Canada. D’ailleurs, cette disposition n’a pas été adoptée dans l’abstrait. Bien au fait de la situation des minorités linguistiques et des aménagements législatifs en matière de langue d’enseignement existants au Canada, le constituant a voulu remédier aux lacunes les plus graves des régimes juridiques appliqués à ces minorités, et apporter des remèdes uniformes aux injustices du passé (Quebec Association of Protestant School Boards, p. 79; Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 363-364; Solski, par. 21). L’article 23 a été alors conçu comme un instrument de réalisation de l’égalité entre les deux groupes linguistiques officiels au Canada (Mahe, p. 369; Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 3, par. 26).

[26] Depuis l’arrêt Quebec Association of Protestant School Boards, notre Cour a constamment jugé qu’une méthode téléologique — fondée sur la recherche du but du constituant au moment de l’adoption de l’art. 23 — s’impose dans l’interprétation de cette disposition.  Elle a affirmé à plusieurs reprises que cet article vise à assurer la protection des langues officielles ainsi que celle des cultures qu’elles expriment, et à favoriser leur épanouissement, dans les provinces où elles sont minoritaires (Mahe, p. 364; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 849; Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 15 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 238, par. 28; Solski, par. 7). Par ailleurs, même s’ils expriment un compromis politique, les droits linguistiques garantis doivent recevoir une interprétation large, libérale et compatible avec l’objet identifié, tout comme les autres droits constitutionnalisés par la Charte (Mahe, p. 364-365; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 3, par. 23-24; Solski, par. 20). Cependant, le contexte historique, démographique et social ayant conduit à la reconnaissance des droits garantis par l’art. 23 demeure la toile de fond de l’analyse des droits linguistiques et il permet de mieux cerner les préoccupations qui ont inspiré leur reconnaissance constitutionnelle (Solski, par. 5). L’analyse et l’interprétation des droits linguistiques cherchent aussi à prendre en compte la dynamique propre à la situation des langues officielles dans chaque province (Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 851; Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 777-778; Solski, par. 7). Ces principes fixent le cadre interprétatif de l’art. 23 de la Charte canadienne.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[2] La protection des droits linguistiques des minorités offerte par l’art. 23 de la Charte canadienne fait partie intégrante de la protection générale des droits des minorités qui, dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 79, a été reconnue comme étant un principe fondamental de la Constitution canadienne.  Les droits linguistiques des minorités sont fondamentaux étant donné qu’« [u]ne langue est plus qu’un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle » : Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 362; Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748749.  La protection constitutionnelle des droits linguistiques des minorités est nécessaire pour assurer la solidité et la vitalité des communautés linguistiques minoritaires, composantes essentielles à l’épanouissement du Canada comme pays bilingue.

[3] Les droits à l’instruction jouent un rôle fondamental en matière de protection et d’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires.  En effet, « [l]es droits à l’instruction dans la langue de la minorité permettent d’atteindre les objectifs de préservation de la langue et de la culture » : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, 2003 CSC 62 (CanLII), par. 26; voir aussi Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, 2000 CSC 1 (CanLII), par. 26; Mahe, p. 363-364.  L’instruction dans la langue de la minorité est un outil nécessaire pour assurer la vitalité linguistique et culturelle.  Les écoles de la minorité ne font pas qu’enseigner les rudiments de la langue, elles servent également de centres communautaires où peuvent se dérouler les manifestations culturelles des membres de la minorité.  Les droits à l’instruction garantis par l’art. 23 constituent donc la pierre angulaire de la protection des droits linguistiques des minorités.

[…]

[6] La présence même de l’art. 23 dans la Charte canadienne témoigne de la reconnaissance, par la Constitution de notre pays, du caractère essentiel des deux langues officielles dans la formation du Canada et dans sa vie contemporaine (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53 (CanLII), par. 22).  Elle confirme aussi que la nécessité et la volonté d’assurer la permanence et l’épanouissement de communautés linguistiques ont constitué l’un des objectifs premiers du régime de droits linguistiques qui s’est établi graduellement au Canada.  Bien que la reconnaissance et la définition de ces droits aient été marquées parfois de difficultés et de conflits dont certains se trouvent encore aujourd’hui devant les tribunaux, la présence de deux communautés linguistiques distinctes au Canada et la volonté de leur faire une place importante dans la vie canadienne constituent l’un des fondements du régime fédéral établi en 1867, comme notre Cour l’a souligné dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 59 :

Le principe du fédéralisme facilite la poursuite d’objectifs collectifs par des minorités culturelles ou linguistiques qui constituent la majorité dans une province donnée.  C’est le cas au Québec, où la majorité de la population est francophone et qui possède une culture distincte.  Ce n’est pas le simple fruit du hasard.  La réalité sociale et démographique du Québec explique son existence comme entité politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles de la création d’une structure fédérale pour l’union canadienne en 1867.  Tant pour le Canada‑Est que pour le Canada‑Ouest, l’expérience de l’Acte d’Union, 1840 (R.‑U.), 3‑4 Vict., ch. 35, avait été insatisfaisante.  La structure fédérale adoptée à l’époque de la Confédération a permis aux  Canadiens de langue française de former la majorité numérique de la population de la province du Québec, et d’exercer ainsi les pouvoirs provinciaux considérables que conférait la Loi constitutionnelle de 1867 de façon à promouvoir leur langue et leur culture.  Elle garantissait également une certaine représentation au Parlement fédéral lui‑même.

[7] Rattaché au principe plus large de la protection des droits des minorités que notre Cour a reconnu comme l’un des principes fondamentaux de la Constitution canadienne dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, l’art. 23 reflète une volonté commune de protéger les minorités linguistiques francophones ou anglophones au Canada et de favoriser leur épanouissement.  En effet, toute garantie générale de droits linguistiques témoigne d’un respect et d’un intérêt fondamental pour les cultures qu’expriment les langues protégées (Mahe, p. 362).  Ainsi, la reconnaissance de droits à l’éducation dans la langue d’une minorité contribue à la préservation de la langue et de la culture minoritaire, ainsi que de la minorité elle‑même (Doucet‑Boudreau, par. 26).  Dans cet esprit, notre Cour s’est montrée sensible aux inquiétudes et à la dynamique linguistique du Québec, où se trouve concentrée la majorité des membres de la minorité francophone du Canada (voir, par exemple : Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, 1984 CanLII 32 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 66, p. 82; Ford, p. 777‑778; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 851).

[8] Lors du rapatriement de la Constitution canadienne, l’adoption de l’art. 23 de la Charte canadienne confirmait l’intention du constituant de garantir à toutes les minorités linguistiques au Canada des droits scolaires en principe identiques (Arsenault‑Cameron, par. 26).  Cependant, ce principe connaît une atténuation importante dans le cas du Québec.  En effet, l’art. 59 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que l’al. 23(1)a) ne s’applique pas au Québec.  Il ne peut entrer en vigueur qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec.  Jusqu’à présent, cette autorisation n’a pas été accordée.  Dans cette mesure, l’art. 59 limite les catégories de titulaires de droits au Québec à celles décrites à l’al. 23(1)b) et au par. 23(2) (Quebec Association of Protestant School Boards, p. 82).  Par cette définition de catégories de titulaires de droits, en principe uniformes dans l’ensemble du Canada, mais restreintes au Québec par l’effet de l’art. 59, le constituant a aussi écarté la solution du libre choix de la langue d’enseignement au Québec (P. Foucher, « Les droits linguistiques en matière scolaire », dans M. Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada (1986), 269, p. 277; J.‑P. Proulx, « Les normes périjuridiques dans l’idéologie québécoise et canadienne en matière de langue d’enseignement » (1988), 19 R.G.D. 209, p. 219; A. Braën, « Les droits scolaires des minorités de langue officielle au Canada et l’interprétation judiciaire » (1988), 19 R.G.D. 311, p. 317 et 319).

[9] Le texte actuel de l’art. 23 témoigne indubitablement des difficultés éprouvées au cours des discussions et des négociations qui ont précédé le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982.  Dans l’élaboration de ces droits constitutionnels, on ne pouvait rester sourd aux demandes des francophones hors Québec visant la reconnaissance d’une égalité réelle dans le domaine de l’éducation.  Il était aussi impossible d’ignorer les inquiétudes de la minorité anglophone du Québec à la suite des conflits linguistiques survenus à partir de la « Révolution tranquille » et ayant culminé avec l’adoption de la CLF [Charte de la langue française].  Enfin, l’anxiété d’une partie importante des francophones québécois à l’égard de l’avenir de leur langue était un fait connu, ne serait‑ce qu’en raison des perturbations qu’elle engendrait dans la vie politique canadienne et encore davantage dans celle du Québec.  Notre Cour a d’ailleurs reconnu l’existence de cette crainte des francophones québécois de voir disparaître leur langue maternelle, lorsqu’elle a procédé, en vertu de l’article premier de la Charte canadienne, à une analyse de la preuve soumise par les parties pour démontrer l’existence d’un objectif important et légitime de la loi sur la langue d’affichage (Ford, p. 778).

[10] Le fédéralisme continue d’ailleurs de jouer un rôle important dans l’application de l’art. 23.  Étant donné que l’éducation est un chef de compétence provinciale, chacune des provinces a un intérêt légitime dans la prestation et la réglementation de services d’enseignement dans la langue de la minorité : Arsenault‑Cameron, par. 53.  Cependant, sauf en ce qui concerne le Québec et l’al. 23(1)a), tous les régimes provinciaux d’enseignement dans la langue de la minorité doivent respecter les exigences de l’art. 23 de la Charte canadienne.  Comme la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Arsenault‑Cameron, par. 40, « [b]ien que le ministre soit responsable de l’élaboration de la politique applicable en matière d’enseignement, son pouvoir discrétionnaire est assujetti à la Charte. »

[…]

[20] L’article 23 établit un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires anglophones ou francophones.  Dans l’arrêt Mahe, p. 369, la Cour a reconnu que ce statut spécial créerait des inégalités entre groupes linguistiques.  Voir également l’arrêt Adler c. Ontario, 1996 CanLII 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, par. 32.  En particulier, les anglophones du Québec et les francophones des territoires et des autres provinces jouiraient de droits refusés à d’autres groupes linguistiques.  L’article 23 a été qualifié d’exception aux art. 15 et 27 de la Charte canadienne; il est plutôt un exemple des moyens de réaliser l’égalité réelle dans le contexte particulier des communautés linguistiques minoritaires.  Bien que cette inégalité consacrée puisse résulter de négociations et d’un compromis politique, il ne s’ensuit pas que les droits garantis par l’art. 23 doivent recevoir une interprétation restrictive.  La Cour a confirmé, à maintes reprises, que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation téléologique large et compatible avec le maintien et l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada : R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 25; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 850; Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 80; Arsenault-Cameron, par. 27.

[21] Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité consacrés à l’art. 23 ont une portée nationale et un caractère réparateur.  Au moment où cette disposition a été adoptée, ses rédacteurs connaissaient et considéraient inadéquats les divers régimes applicables aux minorités linguistiques anglophones et francophones du Canada.  L’article 23 était destiné à offrir une solution uniforme qui permettrait de combler les lacunes de ces régimes. […] En raison du caractère national de l’art. 23, la Cour a interprété les droits qu’il confère de façon uniforme pour toutes les provinces : Quebec Association of Protestant School Boards; Mahe; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.); Arsenault-Cameron; DoucetBoudreau.  Cependant, le contexte historique et social propre à chaque province n’est pas pour autant dépourvu de pertinence; il faut en tenir compte dans l’examen des approches adoptées par les provinces pour appliquer ces droits et dans les cas où une justification au sens de l’article premier de la Charte canadienne est nécessaire : Ford, p. 777781.

[…]

[33] Une mesure législative provinciale établissant des critères applicables au cheminement scolaire de l’enfant est utile.  Toutefois, ces critères doivent s’harmoniser avec l’objet de l’art. 23.  Il ressort de cet objet que l’art. 23 garantit à la fois un droit social et collectif et un droit civil et individuel.  En fait, il faut souligner là encore que, pour être admissibles sous le régime de l’art. 23, les enfants n’ont pas à posséder une connaissance pratique de la langue de la minorité ni à appartenir à un groupe culturel identifié à cette langue.  Cet article est une disposition réparatrice.  Dans des arrêts antérieurs, notre Cour a tenu à préciser que l’art. 23 doit être interprété de manière à faciliter la réintégration, dans la communauté culturelle que l’école de la minorité est censée protéger et contribuer à épanouir, des enfants qui ont été isolés de cette communauté.  Le paragraphe 23(2), en particulier, favorise la liberté de circulation et d’établissement ainsi que la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, même si le changement de lieu de résidence n’est pas une condition d’exercice du droit garanti.  Comme nous l’avons vu, l’art. 23 est également censé s’appliquer à des membres de communautés culturelles qui ne sont ni francophones ni anglophones.  Pour procéder à une évaluation téléologique du critère d’admissibilité prévu au par. 23(2), il faut donc prendre en considération l’ensemble de la situation de l’enfant, y compris le temps passé dans chaque programme, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, les programmes qui sont offerts ou qui l’étaient et l’existence ou non de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés.  De cette façon, il est possible de déterminer si le cheminement scolaire global d’un enfant satisfait aux exigences du par. 23(2).

[34] L’application de l’art. 23 est contextuelle.  Elle doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et celle des communautés linguistiques minoritaires des territoires et des autres provinces.  Le gouvernement provincial appelé à légiférer en matière d’éducation doit disposer de la latitude suffisante pour assurer la protection de la langue française tout en respectant les objectifs de l’art. 23.  Comme l’a souligné le juge en chef Lamer dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 851, « il peut bien être nécessaire d'adopter des méthodes d'interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province ».

Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238, 2005 CSC 15 (CanLII)

[28] L’article 23 a pour objet la protection et l’épanouissement de la minorité linguistique dans chacune des provinces.  L’article 23 revêt une importance capitale en raison « du rôle primordial que joue l’instruction dans le maintien et le développement de la vitalité linguistique et culturelle.  Cet article constitue en conséquence la clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme » (Mahe, p. 350).

[29] L’objet de l’art. 23 est atteint par l’assurance que la communauté anglophone au Québec et les communautés francophones des autres provinces peuvent s’épanouir.  Ainsi que l’a dit notre Cour dans l’arrêt Mahe, p. 362, « [l’]article cherche à atteindre ce but en accordant aux parents appartenant à la minorité linguistique des droits à un enseignement dispensé dans leur langue partout au Canada » (nous soulignons).  Ce but est très différent de celui qui consiste à offrir à la majorité un enseignement dans la langue de la minorité, comme il est clairement ressorti des débats constitutionnels lorsque Jean Chrétien, alors ministre de la Justice, s’est adressé au Comité spécial mixte :

Nous ne déterminons pas les droits à l’éducation de la majorité, nous parlons des droits à l’éducation de la minorité.

Évidemment, dans les provinces, et je suis heureux de le constater, au Canada il y a énormément d’anglophones maintenant qui se servent des cours d’immersion et c’est très populaire au Manitoba, en Alberta, en Saskatchewan, en ColombieBritannique, et là ce sont les programmes des gouvernements provinciaux qui prévalent.  Ici, le but de notre charte est de protéger les droits des minorités.  [Nous soulignons.]

(Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, fascicule no 48, 29 janvier 1981, p. 108)

[…]

[34] Des raisons pratiques ainsi que des principes juridiques étayent la conclusion selon laquelle les droits à l’instruction dans la langue de la minorité que garantit l’art. 23 ne peuvent être subordonnés aux droits à l’égalité invoqués par les appelants. 

Okwuobi v. Lester B. Pearson School Board; Casimir v. Quebec (Attorney General); Zorrilla c. Quebec (Attorney General), [2005] 1 S.C.R. 257, 2005 SCC 16 (CanLII)

[34] […] Compte tenu de la nouvelle méthode adoptée dans l’arrêt Martin, la seule conclusion admissible est la reconnaissance de la capacité du TAQ [Tribunal administratif du Québec] d’examiner et de trancher des questions constitutionnelles, notamment celle de la compatibilité de l’art. 73 de la Charte de la langue française avec l’art. 23 de la Charte canadienne.

[35]  Les appelants avancent un autre argument.  Ils soutiennent qu’en raison de la nature particulière des droits que confère l’art. 23 de la Charte canadienne, une loi provinciale ordinaire comme la Charte de la langue française ne saurait conférer à un tribunal administratif, à l’exclusion de la Cour supérieure, le pouvoir de déterminer le statut des titulaires de droits visés à l’art. 23.  Là encore, la jurisprudence récente de notre Cour, cette fois dans l’arrêt Paul, ne permet pas de retenir, à cet égard, l’argumentation des appelants.

[37] Le même raisonnement juridique peut s’appliquer aux affaires en l’espèce.  L’article 23 ne relève pas de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires.  Le TAQ est habilité à statuer sur des questions de droit.  Il a donc le pouvoir d’examiner et de trancher des questions constitutionnelles, qui comprend celuici d’interpréter l’art. 23 et de décider si l’art. 73 de la Charte de la langue française limite l’étendue des droits garantis par cette disposition.  Dans l’arrêt Paul, la Forest Appeals Commission pouvait statuer sur les questions concernant l’art. 35.  En l’espèce, le TAQ peut trancher les questions touchant l’art. 23 qui lui sont soumises.

Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, 2003 CSC 62 (CanLII)

[26] L’article 23 de la Charte a pour objet de « maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent et [de] favoriser l’épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n’est pas parlée par la majorité » (Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 362).  Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité permettent d’atteindre les objectifs de préservation de la langue et de la culture (voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 849-850 (« Renvoi sur les écoles »)).  La Cour a affirmé, à maintes reprises, qu’il existait un lien étroit entre la langue et la culture.  Dans l’arrêt Mahe, précité, p. 362, le juge en chef Dickson écrit :

 . . . toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question.  Une langue est plus qu’un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle.  C’est le moyen par lequel les individus se comprennent eux‑mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent.

[27] L’article 23 de la Charte a également un caractère réparateur (voir, par exemple, Mahe, précité, p. 363; Renvoi sur les écoles, précité, p. 850; Arsenault‑Cameron c. Île-du‑Prince‑Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, 2000 CSC 1 (CanLII), par. 26).  Il vise à réparer des injustices passées non seulement en mettant fin à l’érosion progressive des cultures des minorités de langue officielle au pays, mais aussi en favorisant activement leur épanouissement (Mahe, précité, p. 363; Renvoi sur les écoles, précité, p. 850-851).  C’est pourquoi il faut l’interpréter « compte tenu des injustices passées qui n’ont pas été redressées et qui ont nécessité l’enchâssement de la protection des droits linguistiques de la minorité » (Renvoi sur les écoles, p. 850-851; voir aussi Arsenault‑Cameron, précité, par. 27).  La Cour a mentionné clairement que le fait que les droits linguistiques découlent d’un compromis politique n’a aucune incidence sur leur nature ou leur importance; l’art. 23 doit donc recevoir la même interprétation large et libérale que les autres droits garantis par la Charte (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 25; Arsenault‑Cameron, précité, par. 27).

[28] Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité, que garantit l’art. 23, ont un caractère unique.  Ils sont typiquement canadiens en ce qu’ils constituent « la clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme » (Mahe, précité, p. 350).  L’article 23 impose aux gouvernements l’obligation absolue de mobiliser des ressources et d’édicter des lois pour l’établissement de structures institutionnelles capitales (Mahe, p. 389).  Bien que les droits soient conférés aux individus (Renvoi sur les écoles, p. 865), ils ne peuvent être exercés que si « le nombre le justifie », et la nature de l’obligation des gouvernements de fournir des établissements et des programmes varie en fonction du nombre d’élèves susceptibles de se prévaloir des services (Mahe, p. 366; Renvoi sur les écoles, p. 850; Arsenault‑Cameron, précité, par. 38).  Cette exigence donne à l’exercice de ces droits individuels une dimension collective particulière.

[29] Les droits garantis par l’art. 23 présentent une autre caractéristique : en raison de l’exigence du « nombre justificatif », ils sont particulièrement vulnérables à l’inaction ou aux atermoiements des gouvernements.  Le risque d’assimilation et, par conséquent, le risque que le nombre cesse de « justifier » la prestation des services augmentent avec les années scolaires qui s’écoulent sans que les gouvernements exécutent les obligations que leur impose l’art. 23.  Ainsi, l’érosion culturelle que l’art. 23 visait justement à enrayer peut provoquer la suspension des services fournis en application de cette disposition tant que le nombre cessera de justifier la prestation de ces services.  De telles suspensions peuvent fort bien devenir permanentes en pratique, mais non du point de vue juridique.  Si les atermoiements sont tolérés, l’omission des gouvernements d’appliquer avec vigilance les droits garantis par l’art. 23 leur permettra éventuellement de se soustraire aux obligations que leur impose cet article.  La promesse concrète contenue à l’art. 23 de la Charte et la nécessité cruciale qu’elle soit tenue à temps obligent parfois les tribunaux à ordonner des mesures réparatrices concrètes destinées à garantir aux droits linguistiques une protection réelle et donc nécessairement diligente. […]

Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, 2000 CSC 1 (CanLII)

[26] L’article 23 impose à la province l’obligation constitutionnelle de fournir un enseignement dans la langue de la minorité officielle aux enfants des parents visés par l’art. 23 lorsque le nombre le justifie.  Dans l’arrêt Mahe, précité, aux pp. 362 et 364, notre Cour a affirmé que les droits linguistiques sont indissociables d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue et que l’art. 23 vise à remédier, à l’échelle nationale, à l’érosion historique progressive de groupes de langue officielle et à faire des deux groupes linguistiques officiels des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation; voir aussi le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 849L’article 23 prescrit donc que les gouvernements provinciaux doivent faire ce qui est pratiquement faisable pour maintenir et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité; voir Mahe, à la p. 367.

[27] Comme notre Cour l’a récemment fait remarquer dans l’arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.S.C. 768, au par. 24, le fait que les droits linguistiques constitutionnels découlent d’un compromis politique n’est pas une caractéristique attachée uniquement à ces droits et ce fait n’a aucune incidence sur leur portée.  Comme d’autres dispositions de la Charte, l’art. 23 a un caractère réparateur; voir Mahe, précité, à la  p. 364.  Il est donc important de comprendre le contexte historique et social de la situation à corriger, notamment les raisons pour lesquelles le système d’éducation ne répondait pas aux besoins réels de la minorité linguistique officielle en 1982 et pourquoi il n’y répond peut‑être toujours pas aujourd’hui.  Il faut clairement tenir compte de l’importance de la langue et de la culture dans le domaine de l’enseignement ainsi que de l’importance des écoles de la minorité linguistique officielle pour le développement de la communauté de langue officielle lorsque l’on examine les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la demande de services à Summerside.  Comme notre Cour l’a récemment expliqué dans l’arrêt Beaulac, au par. 25, « [l]es droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada » (souligné dans l’original).  Une interprétation fondée sur l’objet des droits prévus à l’art. 23 repose sur le véritable objectif de cet article qui est de remédier à des injustices passées et d’assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favoriseront le développement de la communauté.

[…]

[29] L’analyse historique et contextuelle est importante pour les tribunaux qui doivent déterminer si un gouvernement n’a pas respecté les obligations imposées par l’art. 23.  Elle devrait aussi guider les acteurs gouvernementaux qui prennent les décisions requises pour donner effet à l’art. 23. 

Renvoi relatif à la Loi sur l'instruction publique (Qué.), [1993] 2 R.C.S. 511, 1993 CanLII 100 (CSC)

[9] La Loi 107 [Loi sur l'instruction publique] comporte également une réforme fondamentale de l'organisation des commissions scolaires. Le réseau d'enseignement public québécois passerait d'un système structuré selon la confession à un système structuré selon la langue. Ainsi, la nouvelle législation prévoit deux découpages de la province, l'un en territoires de commissions scolaires francophones, l'autre en territoires de commissions scolaires anglophones.

[…]

[90] À l'instar de la Cour d'appel, je conclus à la constitutionnalité des dispositions examinées. En légiférant ainsi en matière scolaire, le gouvernement québécois poursuit un but légitime et en harmonie avec l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.  Bien que les mesures envisagées par le législateur bouleversent fondamentalement les structures auxquelles la province est habituée depuis plus de cent ans -- même si elles ont été modifiées à quelques reprises, comme je l'ai signalé, elles s'articulaient toujours autour de la religion -- le pouvoir du législateur de créer une autre sorte de réseau scolaire, neutre ou pour d'autres confessions que les catholiques ou les protestants, est reconnu depuis la décision du Conseil privé dans Hirsch, précité.

[…]

[92] Il est naturel et normal que les commissions linguistiques soient les successeurs des commissions pour catholiques et des commissions pour protestants. Elles sont comme elles des commissions qui ne sont pas le fruit de l'exercice d'un droit de dissidence et ne sont donc pas protégées par l’art. 93. 

[93] L'abolition des commissions existant actuellement ne constitue pas non plus en soi une violation de droits garantis par la Constitution. En outre, si la province a le pouvoir de créer des commissions scolaires linguistiques, il est juste qu'elle ait également celui d'en délimiter les territoires.

Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, 1990 CanLII 133 (CSC)

[2] L'article 23 est une des composantes de la protection constitutionnelle des langues officielles au Canada. Il revêt cependant une importance toute particulière à cet égard en raison du rôle primordial que joue l'instruction dans le maintien et le développement de la vitalité linguistique et culturelle. Cet article constitue en conséquence la clef de voûte de l'engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme.

[…]

(1) L'objet de l'art. 23

[31] L'objet général de l'art. 23 est clair: il vise à maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu'elles représentent et à favoriser l'épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n'est pas parlée par la majorité. L'article cherche à atteindre ce but en accordant aux parents appartenant à la minorité linguistique des droits à un enseignement dispensé dans leur langue partout au Canada.

[32] Mon allusion à la culture est importante, car il est de fait que toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l'éducation, est indissociable d'une préoccupation à l'égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu'un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l'identité et de la culture du peuple qui la parle. C'est le moyen par lequel les individus se comprennent eux-mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent. L'importance culturelle du langage a été reconnue par notre Cour dans l'arrêt Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pp. 748 et 749 :

Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression. Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c'est aussi pour un peuple un moyen d'exprimer son identité culturelle. [Je souligne.]

C'est ce qu'a reconnu également la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, qui a joué elle-même un rôle de premier plan dans la constitutionnalisation de droits linguistiques dans la Charte. À la page 8 du Livre II de son rapport, la Commission dit :

La langue est en outre la clef du progrès culturel. Certes, langue et culture ne sont pas synonymes, mais le dynamisme de la première est indispensable à la préservation intégrale de la seconde.

Et, à la p. 19, la Commission ajoute concernant le rôle des écoles de la minorité linguistique :

Ces écoles sont indispensables à l'épanouissement des deux langues et des deux cultures officielles [...] il s'agit de dispenser aux membres de la minorité un enseignement qui convienne particulièrement à leur identité linguistique et culturelle ... [Je souligne.]

[33] Il convient de faire remarquer en outre que les écoles de la minorité servent elles-mêmes de centres communautaires qui peuvent favoriser l'épanouissement de la culture de la minorité linguistique et assurer sa préservation. Ce sont des lieux de rencontre dont les membres de la minorité ont besoin, des locaux où ils peuvent donner expression à leur culture.

[34] Un autre aspect important de l'objet de l'art. 23 est son rôle de disposition réparatrice. Conçu pour régler un problème qui se posait au Canada, il visait donc à changer le statu quo. Pour reprendre la formule succincte du juge Kerans, [TRADUCTION] « l'existence même de l'article laisse supposer l'insuffisance du système actuel » (p. 534). […]

[35] À mon avis, les appelants ont parfaitement raison d'affirmer que [TRADUCTION] « l'histoire révèle que l'art. 23 était destiné à remédier, à l'échelle nationale, à l'érosion progressive des minorités parlant l'une ou l'autre langue officielle et à appliquer la notion de « partenaires égaux » des deux groupes linguistiques officiels dans le domaine de l'éducation ».

[…]

[45] […] Bien qu'il soit souvent utile de tenir compte de l'interrelation de divers articles de la Charte, je ne crois pas, aux fins de l'interprétation de l'art. 23, qu'on ait avantage à se référer à l'art. 15 ou à l'art. 27 dans le présent contexte. En effet, l'art. 23 établit un code complet régissant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et d'une méthode d'évaluation qui lui sont propres. De toute évidence, l'art. 23 renferme une notion d'égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada. À part cela, toutefois, cet article constitue d'abord et avant tout une exception aux dispositions des art. 15 et 27 en ce qu'il accorde à ces groupes, anglophone et francophone, un statut spécial par rapport à tous les autres groupes linguistiques au Canada. Comme le fait observer le procureur général de l'Ontario, il serait déplacé d'invoquer un principe d'égalité destiné à s'appliquer universellement à « tous » pour interpréter une disposition qui accorde des droits particuliers à un groupe déterminé.

P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, 1984 CanLII 32 (CSC)

[p. 79] L'article 23 de la Charte n'est pas, comme d'autres dispositions du même document constitutionnel, de ceux que l'on rencontre communément dans les chartes et déclarations de droits fondamentaux du même genre. Il n'est pas la codification de droits essentiels, préexistants et plus ou moins universels que l'on voudrait confirmer et peut-être préciser, étendre ou modifier et auxquels on veut surtout conférer une primauté et une intangibilité nouvelles en les enchâssant dans la loi suprême du pays. L'article 23 de la Charte constitue, dans sa spécificité, un ensemble unique de dispositions constitutionnelles, tout à fait particulier au Canada.

Perron c. Perron, 2012 ONCA 811 (CanLII)

[17] Au départ, il est nécessaire de signaler qu'au Canada et en Ontario la langue française a un statut spécial par rapport à d'autres langues. Par exemple, l'accès aux écoles homogènes de langue française est garanti par l'art. 23 de la Charte des droits et libertés.

[18] L'instruction en français offerte dans une école homogène de langue française est nettement différente de celle offerte dans un programme d'immersion en français. L'école homogène de langue française répond aux besoins culturels et linguistiques de la communauté francophone. Au contraire, le programme d'immersion en français est conçu pour anglophones dans un environnement de la majorité linguistique anglaise et offre une instruction bilingue, généralement 50 pour cent en français et 50 pour cent en anglais. Voir Solski (Tuteur de) c. Québec (P.G.), [2005] 1 R.C.S. 201, [2005] S.C.J. No. 14, 2005 CSC 14 (CanLII), au par. 50.

[…]

[20] L'instruction homogène en langue française offre de nombreux avantages. Ce genre d'instruction favorise la maîtrise de la langue française ainsi que le développement de l'identité culturelle de l'enfant. L'éducation homogène en langue française permet également à l'enfant de devenir bilingue en français et en anglais, car l'école homogène de langue française aide l'enfant à développer des compétences de haut niveau à la fois en français et en anglais : Politique d'aménagement linguistique, aux pp. 42-43. De plus, l'environnement social dominé par l'anglais en Ontario, contraint généralement l'enfant à communiquer dans cette langue dans sa vie courante et d'acquérir conséquemment une connaissance de la langue de la majorité : Politique d'aménagement linguistique, à la p. 23. Il faut également noter que le bilinguisme offre de nombreux avantages en matière d'emploi : Politique d'aménagement linguistique, à la p. 42.

[21] Outre ces avantages, dans le contexte d'une famille exogame, la connaissance et la maîtrise de la langue de la minorité linguistique ainsi que l'apprentissage de cette culture facilitent et favorisent le maintien des liens entre les enfants et le parent francophone.

[…]

[42] À mon avis, la cour doit être particulièrement sensible à la langue d'instruction dans le cas où il n'y a qu'un parent francophone et le parent anglophone se voit accorder la garde. Dans de telles circonstances, il y aura nécessairement moins de contact avec le parent francophone et le milieu linguistique et culturel des enfants sera probablement celui de la majorité linguistique.

[43] Il est vrai que, dans le cas en l'espèce, le milieu scolaire est partiellement en français vu le programme d'immersion en français. Néanmoins, la cour doit constater que l'instruction en immersion en français reflète largement la culture majoritaire et que cet environnement rend plus difficile la transmission de la culture et de la langue françaises aux enfants ainsi que le maintien de cette langue parmi ceux-ci. Il y a donc un risque d'aliénation culturelle et linguistique des enfants auprès du père et de la famille paternelle.

[44] En milieu linguistique minoritaire, les écoles homogènes de langue française sont généralement préférables aux programmes d'immersion en français pour assurer le maintien et la transmission des deux langues, soit le français et l'anglais, et pour permettre aux enfants de bénéficier de l'avantage d'un bilinguisme de plus haut niveau. Dans une région à forte majorité anglophone, une instruction homogène en langue française n'engendre pas la perte de la langue et de la culture de la majorité linguistique. Il ne s'agit donc pas d'un choix de préférer la culture et la langue de la minorité plutôt que celles de la majorité. En milieu minoritaire, l'école homogène de langue française permet effectivement le maintien des liens culturels et linguistiques à la fois avec les parents francophone et anglophone. En vertu de l'al. 24(2)d) de la Loi portant réforme du droit de l'enfance, la langue d'instruction des enfants doit donc être prise en considération lors de la détermination de leur intérêt véritable.

[…]

[46] Une instruction homogène en langue française favorise également une connaissance approfondie des deux langues officielles du Canada ce qui ouvre les portes à de plus grandes possibilités universitaires et d'emplois. De plus, comme signalé par l'appelant, si les enfants reçoivent leur instruction au niveau primaire en langue française, ils seraient assurés d'acquérir le droit en vertu de l'art. 23 de la Charte de faire instruire leurs futurs enfants dans la langue de la minorité.

Perron c. Perron, 2011 ONCA 776 (CanLII)

[12] Les avocats soutiennent que le juge de première instance a commis une première erreur en négligeant de tenir compte de la différence fondamentale entre le programme d’immersion en français et l’instruction en langue française. La seconde erreur qu’aurait commise le juge de première instance est de ne pas avoir tenu compte du fait que si ces enfants ne fréquentent pas des écoles homogènes de langue française, le droit de l’appelant à l’instruction de ses enfants en langue française en vertu de l’art. 23 ne leur serait pas transmis, de sorte que ces enfants ne pourront se prévaloir de l’art. 23 pour assurer l’instruction de leurs futurs enfants en langue française. Selon l’appelant, cela entraînerait inévitablement l’assimilation culturelle et linguistique de ses enfants et de ses futurs petits-enfants.

[…]

[17] C’est aux parents que l’art. 23 de la Charte confère notamment le droit opposable à la province de « faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, » dans la langue de la minorité lorsque le critère du nombre le justifie. Les décisions concernant l’instruction d’un enfant sont accessoires à la garde et le titulaire du droit conféré à l’art. 23 est la personne investie de « l’autorité parentale au moment où l’article 23 est invoqué » : voir Mark Power et Pierre Foucher, « Les droits linguistiques en matière scolaire » dans Michel Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada, 2e éd., Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 2004, 399, à la p. 420. L’article 23 ne confère pas à un parent le droit opposable à l’autre parent d’exiger que leurs enfants fréquentent une école homogène de langue française.

[…]

[19] Le juge de première instance a également reconnu que la question de la langue d’instruction était l’un des facteurs à considérer pour déterminer l’intérêt véritable des enfants, mais il a conclu à bon droit qu’il ne s’agit pas du seul facteur à prendre en compte ni du facteur déterminant. Certes, il n’a pas mentionné précisément le fait que si ces enfants ne sont pas instruits à l’école homogène de langue française, ils ne pourront acquérir les droits conférés à l’art. 23 pour leurs enfants ni les leur transmettre, mais il a tenu compte de toute évidence de l’importance pour ces enfants d’apprendre le français et de demeurer en contact avec la culture française. Cependant, le juge de première instance a précisé, au para. 135, que les droits linguistiques ne pouvaient l’emporter sur « les lacunes sérieuses [de l’appelant] … en tant que père de famille apte à partager la garde de ses enfants » [notre traduction]. Après avoir tenu compte de la question linguistique, il a établi que l’intimée devait se voir accorder la garde exclusive.

Lavoie c. Nova Scotia (Attorney-General), 1989 CanLII 5221 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[22] Je conviens avec les appelants que l'article 23 de la Charte a un rôle de disposition réparatrice, et que pour effectivement corriger les fautes du passé, on doive lui accorder une interprétation large et libérale. Avec l'adoption de l'article 23, les minorités linguistiques se sont vu accorder un droit constitutionnel, et ce droit ne doit pas être limité par une interprétation restrictive.

[27] Les auteurs de la Charte, en recourant à une rubrique distincte pour l'article 23, ont manifestement voulu séparer les droits reconnus par l'article 23 des autres droits linguistiques garantis par la Charte. L'arrêt Société des Acadiens n'a pas statué sur l'interprétation à donner à l'article 23.  Même si les articles 16 à 22 sont le résultat d'un compromis politique émanant de la Confédération, l'article 23 constitue une disposition réparatrice nouvelle et unique de la Charte.  Elle vise à accorder à des minorités linguistiques spécifiques certains droits à l'instruction. Ces droits ne peuvent être annulés par une loi du Parlement ou de la Législature en vertu de l'article 33 de la Charte. Il y a lieu de donner une interprétation large et libérale à l'article 23, plutôt qu'une interprétation restrictive.  

Reference re School Act, 1988 CanLII 1363 (PESCAD) [décision disponible en anglais seulement]

[[44] L’article 23 de la Charte a été adopté compte tenu de l’historique des régimes provinciaux existants touchant la langue d’instruction des groupes linguistiques minoritaires.

[45] L’article 23 est destiné à remédier aux défauts perçus dans les régimes actuels.

[46] L’article 23 a pour objet de garantir à tous l’entière protection de la Charte dans la mesure où elle s’applique à l’instruction dans la langue de la minorité.

Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[80] Du contexte historique énoncé précédemment, on peut tirer certaines conclusions quant à la nature du problème auquel l’art. 23 de la Charte a été conçu pour remédier. Depuis 1867, l’anglais et le français ont un statut officiel au Canada. La Charte a reconnu le bilinguisme. Ses dispositions s’appliquent et aux anglophones et aux francophones, sans égard à l’endroit où ils pourraient résider. Manifestement en vue d’assurer la force et l’unité à venir du pays, elle a énoncé un droit à une instruction dans la langue de la minorité. Dans chaque province du pays, les membres de l’un ou l’autre des groupes de langues officielles sont maintenant et seront probablement toujours en situation minoritaire.

[81] Avant l’adoption de la Charte, la nécessité de préserver la langue de la minorité et donc sa culture au moyen d’un droit en matière d’instruction avait été reconnue. La Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme a mis l’accent sur ce principe. L’on a fait remarquer que les conférences des premiers ministres tenues en 1977 et 1978 ont reconnu et souligné ce concept à l'unanimité. L'article 23 de la Charte a donné effet à ce principe et fait en sorte qu’il fasse partie de la « loi suprême du pays ».

[82] La Charte met en relief le droit à l’instruction dans la langue de la minorité et accorde à celui ci une importance accrue, car il figure parmi les droits auxquels ne peut passer outre ni une loi fédérale ni une loi de l’Ontario. Il s’agit ici des droits démocratiques qui sont énoncés à l'art. 3, de la liberté de circulation qui est garantie à l'art. 6, des droits linguistiques que confèrent les art. 16 à 22, et des droits à l’instruction dans la langue de la minorité qui sont énoncés à l’art. 23. Ces droits échappent effectivement à la portée de toute loi. Ils ne peuvent être retirés; ils peuvent tout au plus être soumis à des « limites raisonnables » dont « la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique », comme le prévoit l'article premier de la Charte.

[83] Notre Cour a reconnu que la Charte doit être interprétée de façon large et libérale et qu’elle ne devrait pas être étouffée [TRADUCTION] « par des interprétations littérales techniques étroites qui ne tiennent pas compte de son contexte ni de son objet ». Re Southam Inc. and R. (No. 1) (1983), 41 O.R. (2d) 113, 34 C.R. (3d) 27, 33 R.F.L. (2d) 279, 3 C.C.C. (3d) 515, 6 C.R.R. 1, 146 D.L.R. (3d) 408 (C.A. Ont.). L'article 23 de la Charte, en particulier, doit recevoir une telle interprétation libérale parce qu'il promulgue de nouveaux droits et crée en fait un code qui établit un droit à une instruction dans la langue de la minorité pour la nation.

Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[118] À mon sens, la série de décisions dans lesquelles a été examiné l’objet de l’art. 23 mettent l’accent sur son objectif important de protéger la force et l’unité du Canada en préservant ses langues officielles et la culture qu’elles véhiculent.

[…]

[123] Je déduis de la jurisprudence que l’objet de l'art. 23 est le suivant. Le droit à l’instruction dans la langue de la minorité garanti à l’art. 23 vise à maintenir et à promouvoir les deux langues officielles du Canada, et donc les cultures qu’elles représentent, afin qu’elles puissent s’épanouir, dans la mesure du possible, dans les régions où le groupe linguistique est en situation minoritaire. En favorisant le développement de communautés linguistiques minoritaires solides grâce à une instruction dans la langue de la minorité, l’art. 23 vise à améliorer le bilinguisme et le biculturalisme de notre pays et à maintenir le partenariat unique entre les groupes linguistiques qui distingue notre pays des autres nations.

[…]

[132] La jurisprudence démontre que les tribunaux doivent rechercher une interprétation de l’art. 23 qui est de nature réparatrice et qui tient compte du contexte général. L’interprétation de l’art. 23 devrait encourager l’épanouissement et le maintien des groupes linguistiques minoritaires et de leur culture, en gardant à l’esprit le contexte historique et social de la situation à laquelle il faut remédier. Le contexte comprend le contexte social, les données démographiques et l’histoire de la Colombie-Britannique, ainsi que les raisons pour lesquelles un système d’éducation répond ou non aux besoins des minorités de langue officielle.

[133] Malgré les commentaires initiaux des cours à l’effet contraire, l’art. 23 ne devrait pas être interprété de façon restrictive du fait qu’il est issu d’un compromis politique. Toutefois, comme elle est de nature réparatrice et contextuelle, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Solski, l'interprétation de l'art. 23 donne inévitablement lieu à une forme de mise en équilibre des intérêts en jeu de même qu’à une sensibilisation au contexte et à la situation uniques du groupe linguistique minoritaire dans chaque province.

B. Le contexte de la Colombie-Britannique

[134] Étant donné que l’art. 23 doit être interprété en fonction de l’objet visé, dans une perspective réparatrice et compte tenu du contexte, l’analyse des prétentions des demandeurs doit tenir compte de l’historique et du statut de la langue et de la culture françaises en Colombie-Britannique. Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Arsenault-Cameron au par. 27, elle doit également être sensible à l’état du système d’éducation dans la langue de la minorité et répondre aux besoins des titulaires de droits, tant en 1982 qu’à la date de la présente décision.

[…]

[343] Dans le contexte du présent litige, la question de savoir si les opinions de M. Castonguay sont justes n’est pas pertinente : l’article 23 garantit le droit à une instruction dans la langue de la minorité comme outil de lutte contre l’assimilation. Il est issu d’un marchandage constitutionnel et exige des gouvernements qu’ils offrent une instruction dans la langue de la minorité sur les fonds publics, lorsque le nombre le justifie. Il faut construire des écoles, lesquelles ont l’obligation de lutter contre l'assimilation, même si elles n'existent que pour servir ces élèves jusqu'à ce qu'ils grandissent, qu'ils fondent leur propre famille et qu'ils s'assimilent.

[…]

d) Conclusions sur le rôle des écoles

[367] Il ne fait aucun doute que les écoles sont des sites importants pour les communautés linguistiques minoritaires. De nombreux tribunaux l’ont reconnu au fil des années. Dans l’arrêt Mahe, le juge en chef Dickson a fait remarquer que « les écoles de la minorité servent elles-mêmes de centres communautaires qui peuvent favoriser l’épanouissement de la culture de la minorité linguistique » (p. 363). Dans l’arrêt Association des parents – CSC, le juge Karakatsanis a souligné que les écoles de langue minoritaire « sont un instrument primaire de transmission de la langue et, donc, de la culture » qui sont souvent des « centres communautaires essentiels » (par. 27).

[368] Ces conclusions sont appuyées par la preuve d'expert en l'espèce. Comme l'a souligné M. Landry, les écoles de langue minoritaire posent les assises d’autres institutions et d’un leadership communautaire, faisant ainsi contrepoids à l'influence de la langue de la majorité. Elles servent aussi de site principal de socialisation des enfants dans la langue et la culture françaises, et jouent un rôle essentiel pour veiller à ce que l’expérience des enfants relève du bilinguisme additif plutôt que du bilinguisme soustractif.

[…]

[411] Contrairement à d'autres dispositions de la Charte, l'art. 23 et les autres droits linguistiques s'apparentent davantage à des droits qu’à des libertés. Dans l’arrêt Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, la Cour a reconnu que l'art. 23 donne droit à des avantages précis conférés par le gouvernement et oblige celui ci à fournir ces services ou avantages dans les deux langues. La Cour a distingué l’art. 23 des autres droits énoncés dans la Charte, qui garantissent la liberté de choisir une ligne de conduite sans ingérence du gouvernement. De cette façon, on dit qu’ils forment un « système précis » de possibilités de recevoir des services en anglais ou en français « dans certaines circonstances concrètes, facilement déterminables et limitées » (p. 751).

 […]

[419] À mon sens, l'art. 23 occupe une place unique dans la Charte. Plutôt que de reconnaître une liberté universelle, il crée un droit individuel (assorti d’un aspect collectif) qui est particulier au Canada. Parce que le droit à une instruction dans la langue de la minorité est constitutionnellement reconnu, l’obligation imposée au gouvernement d’agir peut nécessiter des dépenses de fonds publics même lorsque des aléas politiques pourraient conduire un gouvernement à vouloir faire autrement. Il requiert aussi la prise rapide de mesures pour prévenir l'assimilation que l'art. 23 vise à prévenir.

[420] Bien qu’elle soit positive, l'obligation du gouvernement est également limitée par le libellé de l'art. 23 et par le contexte plus large. Par ses propres limitations internes, l’art. 23 crée un code complet pour l’obligation imposée au gouvernement de garantir le droit à une instruction dans la langue de la minorité au Canada. L’obligation et les limites inhérentes à la disposition exigent que les gouvernements fassent tout ce qui est pratiquement possible dans les circonstances pour préserver et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité. Compte tenu de l’interprétation contextuelle et réparatrice qui doit être donnée à l’art. 23, déterminer ce qui est pratiquement possible dans les circonstances exigera nécessairement que la Cour tienne compte du contexte général d’un groupe linguistique minoritaire et des services d’enseignement qu’il reçoit.

[421] À plusieurs reprises dans le cadre de leurs arguments, les demandeurs vont plus loin. Ils affirment que l'art. 23 impose au gouvernement l’obligation positive de préserver et de promouvoir la langue et la culture françaises, ou l’éducation dans la langue de la minorité, en Colombie-Britannique. Cela va trop loin. Ainsi qu’il a été expliqué dans le Ontario Education Act Reference au par. 28, l’art. 23 donne effet au principe de maintien de la langue et de la culture minoritaires. Il confère un droit en matière d’éducation comme moyen de renforcer le caractère bilingue et biculturel de notre pays. Toutefois, il n’impose pas au gouvernement l’obligation d’atteindre ces objectifs par des moyens autres que celui de dispenser le niveau minimum obligatoire d’instruction dans la langue de la minorité. Ainsi qu’on l’a dit dans les arrêts Mahe, Ford et Adler, l’art. 23 crée un code complet, et le gouvernement n’est pas tenu de fournir des services qui vont au-delà de ce qui est prévu par le droit créé dans le texte de l’art. 23.

 […]

[6455] […] Je le répète, la Colombie Britannique jouit d’un pouvoir plein et entier en matière d’éducation en vertu de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette compétence est limitée par l’art. 23, qui impose une obligation positive unique aux gouvernements de dépenser des fonds publics et d'agir rapidement pour prévenir l'assimilation. La province est également tenue de céder à la communauté minoritaire la gestion et le contrôle des aspects de l’éducation qui concernent la langue et la culture de la minorité, lorsque le nombre d’enfants le justifie. Si la minorité prend une décision qui relève de sa compétence sur la langue et la culture, l’art. 23 exige que la province n’y fasse pas obstacle.

[…]

[6841] De plus, dans le contexte de l'art. 23, il est important de résoudre les questions d’admissibilité le plus rapidement possible pour éviter que des générations de titulaires de droits ne perdent leurs droits. […]

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Conseil des Écoles Publiques de l’Est de l’Ontario c. Ontario Federation of School Athletics Associations, 2015 ONCS 5328 (CanLII)

[1] Le Conseil des Écoles Publiques de l’Est de l’Ontario (CÉPEO) et Claude Provost (Provost) présentent cette motion dans le but d’obtenir une injonction interlocutoire dans l’attente d’une décision sur le fond.  L’ordonnance recherchée est une suspension de certains règlements administratifs du défendeur, Ontario Federation of School Athletics Associations (OFFSA) puisque les demandeurs allèguent que ceux-ci sont en violation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c.11 (« Charte »). Le défendeur, le ministère de l’Éducation (MEO), n’est pas intervenu à cette motion et présentera une demande de rejet de la déclaration contre le MEO à une date prochaine.

[…]

[12] Le 4 septembre 2012, l’OFSAA adopté des nouveaux règlements qui introduisent certaines restrictions.  Selon les nouveaux règlements, un élève demeurant à l’extérieur de la zone de fréquentation et fréquentant une école de sports-études ne peut pas participer aux compétitions sanctionnées par l’OFSAA dans son sport désigné pour la durée de sa scolarisation secondaire.

[13] De plus, les nouveaux règlements prévoient qu’un conseil scolaire qui choisit de ne pas avoir de zones de fréquentation est réputé en avoir. Selon les nouveaux règlements, c’est l’école du CÉPEO la plus rapprochée de la résidence d’un élève qui est réputée être son école. Par conséquent, les nouveaux règlements ont pour effet de créer des frontières artificielles, malgré le fait que des zones de fréquentation scolaire n’existent pas au sein du CÉPEO au palier secondaire.

[…]

[16] Les demandeurs argumentent que les nouveaux règlements ont un effet discriminatoire sur les élèves et les parents de la minorité linguistique puisque les élèves inscrits à des écoles secondaires anglophones peuvent participer à des compétitions de l’OFSAA au niveau élite du fait qu’ils sont plus nombreux au sein d’une même école. Contrairement à la minorité francophone, ils ne sont pas obligés de se regrouper sous une même école de sports-études, afin d’accéder à des compétitions de plus haute classification tout en ayant une éducation publique de qualité. Selon le (sic), le regroupement des élèves francophones au sein d’une école leur permet justement d’affronter les équipes des grandes écoles anglophones. 

[…]

[18] Selon le CÉPEO, l’impact des nouveaux règlements est déterminant sur sa capacité d’attirer, d’accueillir et de retenir des enfants de parents ayant des droits en vertu de l’article 23 de la Charte à l’École Louis-Riel et favorise l’assimilation de la minorité linguistique. 

[…]

[56] Ainsi, la qualité de l’enseignement dispensé au groupe linguistique minoritaire devrait en principe être réellement égale à celle de l’enseignement offert à la majorité, sans pour autant être identique. Ce droit à une éducation de qualité réellement égale a été confirmé, encore une fois, par la Cour suprême dans l’arrêt récent Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation) 2015 CSC 21 (CanLII), 69 B.C.L.R. (5th) 1.

[57] La Cour suprême a confirmé au para 59 que l’analyse pour déterminer si la qualité de l’éducation offerte aux ayants droit est réellement égale à celle offerte à la majorité linguistique doit comprendre tous les facteurs qui pourraient dissuader des parents raisonnables d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique. Les activités parascolaires sont spécifiquement comprises dans l’énumération.

Par conséquent, la comparaison est de nature contextuelle et holistique, tenant compte non seulement des installations matérielles, mais aussi de plusieurs autres facteurs, y compris la qualité de l’instruction, les résultats scolaires, les activités parascolaires et le temps de déplacement. Une telle approche s’apparente à la façon dont les parents prennent des décisions relatives à l’instruction de leurs enfants. Bien entendu, la mesure dans laquelle un facteur donné constitue une question en litige dans l’appréciation de l’équivalence est fonction des circonstances de l’affaire. On examine ensemble les facteurs pertinents pour décider si, globalement, l’expérience éducative est inférieure au point de pouvoir dissuader les titulaires de droits d’inscrire leurs enfants dans une école de la minorité linguistique.

[58] L’importance des activités parascolaires, y compris les activités sportives, a été expressément reconnue dans Hall (Litigation guardian of) c. Powers (2002), 2002 CanLII 49475 (ON SC), 59 O.R. (3d) 423. Bien que la décision portait sur l’article 15 de la Charte, le juge MacKinnon a affirmé au para 15 que:

School is a fundamental institution in the lives of young people. It often provides the context for their social lives both in and outside of school hours. Recreational activities such as sports, clubs and dances, which are important in the development of a student’s development, are often experienced within the school setting. Exclusion of a student from a significant occasion of school life, like the school prom, constitutes a restriction in access to a fundamental social institution.

[59] Je conclus que l’éducation ne se limite pas uniquement à l’enseignement en salle de classe, mais s’étend à toutes les activités parascolaires qui font partie de l’expérience et de l’apprentissage des élèves. Il parait que le MÉO a délégué à l’OFSAA la responsabilité de gérer le programme athlétique interscolaire dans l’ensemble de la province et d’agir à titre de coordonnateur, régulateur et organisateur.

[60] Si l’ensemble de l’expérience éducative est perçu comme étant inférieur dans les écoles de la minorité linguistique et dissuade les parents de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité, je crois que ceci crée un risque d’assimilation qui n’est pas conforme à l’objectif réparateur de l’article 23 de la Charte.

[61] En l’espèce, la preuve déposée par les demandeurs démontre que ces nouveaux règlements ont pour effet de dissuader les parents de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité.  En fait, ces nouveaux règlements ont et continueront d’avoir comme résultat une importante réduction dans le nombre d’inscriptions à l’École Louis-Riel.

Clermont c. Consortium de transport scolaire d’Ottawa, 2014 ONCS 948 (CanLII)

[10] L’absence d’accessibilité raisonnable, y compris les difficultés liées au transport vers une école de langue française, peut entraîner la conclusion que le droit garanti par l’article 23 a été nié. […]

[13] Le Consortium [de transport scolaire d’Ottawa] est à toutes fins utiles une filiale du ou une entité apparentée au conseil scolaire. Au fond, il exerce une fonction gouvernementale. Dans l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31 (CanLII), la Cour suprême du Canada a conclu que l’entité nommée « Translink » qui relevait de la Greater Vancouver Transportation Authority exerçait une fonction gouvernementale et était par conséquent assujettie à l’examen fondé sur la Charte. À mon sens, il n’y a pratiquement aucune distinction entre un conseil scolaire qui délègue la gestion et le contrôle du transport scolaire à un consortium et les faits de l’affaire dont était saisie la Cour suprême du Canada.

[14] Les activités du Consortium sont donc assujetties à l’examen au sens de la Charte.

S’agit-il en l’espèce d’une négation des droits garantis aux requérants par l’article 23 ?

[15] Le droit de faire instruire son enfant en langue française afin de conserver et de protéger l’une des cultures fondatrices de notre pays constitue l’objet fondamental qui sous-tend la rédaction de cette partie de la Charte des droits et libertés. Il m’appert que, pour que je puisse arriver à la conclusion que le droit a été nié, le requérant aurait à me fournir la preuve objective démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu’un enseignement en langue française disponible et facilement accessible égal à l’enseignement en langue anglaise n’est pas disponible à un citoyen ou à un groupe de citoyens qui désirent faire instruire leurs enfants dans cette langue. Or, en l’espèce, je n’ai pas de telle preuve devant moi.

[16]  La seule distinction entre l’école de langue anglaise et l’école de langue française avait trait à la discrétion exercée en matière de gestion des arrêts d’autobus et des itinéraires vers et depuis les écoles. Pour arriver à la conclusion que le droit garanti par l’article 23 a été nié, j’aurais exigé une preuve objective démontrant que l’écart dans la discrétion exercée a eu une incidence sur le droit à l’instruction. L’inconvénient causé par la nécessité d’accompagner ses enfants à pied sur une distance de soixante (60) mètres pour qu’ils puissent prendre l’autobus au lieu d’avoir un arrêt d’autobus devant sa maison ne constitue pas, selon toute norme objective, un obstacle à l’enseignement en langue française que garantit la Charte.

Van Vlymen c. Canada (Solliciteur général), [2005] 1 RCF 617, 2004 CF 1054 (CanLII)

[16] Le demandeur fait en outre valoir que la liberté de circulation et d'établissement garantie par l'article 6 [de la Charte canadienne] ne s'applique qu'aux « citoyens ». L'importance à accorder à la citoyenneté est aussi étayée par une approche structurelle de l'interprétation de la Charte. La plupart des droits garantis par celle-ci sont attribués à « chacun » ou à « toute personne ». Or, le droit d'entrer au Canada garanti par l'article 6 n'est conféré qu'à « tout citoyen canadien ». L'article 6 mis à part, seuls l'article 3 (qui confère le droit de vote) et l'article 23 (qui garantit aux minorités linguistiques le droit de faire instruire leurs enfants dans leur langue) s'appliquent nommément aux « citoyens ». Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 1985 CanLII 65 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 177, la Cour suprême du Canada a statué que les droits attribués à « chacun » par la Charte sont conférés à la personne du seul fait de sa présence physique sur le territoire canadien, même si elle y est entrée illégalement. Cependant, les articles 3, 6 et 23 de la Charte confèrent un statut spécial aux citoyens canadiens, statut dont ne jouissent pas les étrangers ou les résidents permanents. Le citoyen canadien qui est incarcéré ne perd pas sa citoyenneté du fait de sa déclaration de culpabilité ou de sa condamnation.

Buckland c. Prince Edward Island, 2004 PESCTD 66 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[51] L’article 23 de la Charte garantit aux individus le droit à une instruction en français, langue première, mais, contrairement à la plupart des droits prévus dans la Charte, une personne seule ne peut pas se prévaloir de son droit. Les titulaires de droits doivent agir collectivement pour bénéficier individuellement de l’exercice de leurs droits. Ce n’est que « lorsque le nombre le justifie » que ces droits peuvent être mis en application. Les demandeurs se sont abstenus de prendre des mesures collectives pour faire respecter leurs droits en 2003, forts de la promesse d’un gouvernement pour 2004.

[52] La valeur de la préservation et de la promotion de sa langue et de sa culture est incontestable. Le retard important ou le refus au titulaire de droits de la possibilité d’obtenir une instruction dans la langue première ne peut qu’entraîner une plus grande difficulté à acquérir cette langue plus tard dans la vie, comme peut l’attester tout adulte ayant tenté d’apprendre une langue seconde. En outre, les droits garantis par l’art. 23 de la Charte ont été consacrés non seulement pour préserver et promouvoir, mais aussi pour restaurer et améliorer le bien-être culturel des groupes linguistiques minoritaires partout au Canada.

Whittington c. Saanich Sch. Dist. 63, 1987 CanLII 2642 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[5] La principale question en l'espèce concerne le par. 23(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le par. 23(2) donne t il aux citoyens du Canada dont un enfant est inscrit à un programme d’immersion en français un droit constitutionnel de faire instruire tous leurs enfants dans le cadre d’un programme d’immersion en français? Une population anglophone majoritaire a t elle le droit constitutionnel de recevoir son instruction dans la langue de la minorité de la province? Le par. 23(2) de la Charte fournit-il aux citoyens du Canada, aux résidents de la Colombie-Britannique, un groupe linguistique anglophone majoritaire, le droit de faire instruire leurs enfants dans le cadre d’un programme d’immersion en français?

[…]

[20] Pour bien interpréter le par. 23(2), il faut examiner l’ensemble de l’art. 23 Autrement, on traiterait cette disposition dans l’abstrait. Le titre de l’article est le suivant : « Droits à l’instruction dans la langue de la minorité ». Les notes en marges font référence à la « langue d’instruction », à la « continuité d’emploi de la langue d’instruction » et, enfin, « à la justification par le nombre ».

[…]

[22] Extirper les mots « instruction en français » du par. 23(2) et tenter de leur attribuer un sens isolé (et non dans le contexte de l’ensemble de l’article) constitue, j’en conviens, une mauvaise façon de procéder.

[23] De même, le titre d’un article peut en venir à faire partie intégrante lorsqu'il s'agit de décider de la signification à attribuer à l’article. […]

[24] En adoptant ce raisonnement en l'espèce, il y a, à mon avis, un simple rapprochement du titre et de l’article lui-même. Les notes en marges aident à donner une certaine continuité à l’article.

[…]

[28] Historiquement, il ne fait aucun doute que le Parlement souhaitait s’assurer que les populations linguistiques minoritaires dans toute province canadienne soient protégées. Ces enfants avaient le droit d'être instruits dans la langue de la minorité, c'est-à-dire de la minorité anglaise au Québec et de la minorité française en Colombie Britannique. C’est ce qu’il a fait à l’art. 23. […]

[29] Est-ce que l'art. 23 exprime clairement l'intention du Parlement? Je le crois. Est il capable d’une autre interprétation? Je ne le crois pas.

[30] L’interprétation avancée par les requérants, si elle était acceptée, signifierait que l’expression « instruction en français » dans la disposition renvoie à la majorité linguistique, ce qui ne peut tout simplement pas être exact. L’article 23 ne garantit pas les droits de la majorité, qui les possède déjà; il garantit plutôt aux minorités linguistiques francophones ou anglophones résidant dans chaque province le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de leur minorité. Un programme unilingue en français équivalant au programme d’enseignement offert en anglais à la majorité, à condition évidemment que « le nombre le justifie ».

[31] Je crois qu’il est important à ce moment ci de formuler des commentaires sur le par. 23(3), une disposition portant sur la justification par le nombre. Bien que la disposition puisse effectivement créer un droit, ce droit est assorti d’une condition, celle du nombre : « partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité ». Il n’existe aucune loi permettant de déterminer le nombre à atteindre pour avoir droit à une telle instruction. Il me semble qu’il revient à un ministère d’élaborer une politique couvrant cet aspect. Dans les circonstances de la présente affaire, le ministère a mis en place une politique, et on peut sans difficulté en arriver à la conclusion que le nombre est insuffisant et qu’il ne justifie pas le droit à une telle instruction. Les requérants ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait pour être admissibles en vertu du par. 23(3). Dans le cas qui nous occupe, tous les requérants (sauf Lise Webb) appartiennent à la majorité linguistique de la province de la Colombie Britannique. Ils ne peuvent se prévaloir des droits constitutionnels que garantissent les par. 23(1), (2) ou (3).

[32] Le droit conféré par l'art. 23 est celui d’être instruit dans le cadre d’un programme d’enseignement dans lequel le français ou l'anglais est utilisé comme langue première, un droit qui, comme je l’ai déclaré plus tôt, s’applique à l’égard d’une minorité linguistique et non d’une majorité linguistique. La majorité linguistique anglaise en Colombie Britannique n’a pas droit au programme qui est offert à la minorité linguistique. Le programme mis en place à l’intention de la minorité fait en sorte que celle ci reçoive l’équivalent de l’enseignement offert aux membres de la majorité linguistique, sous réserve dans tous les cas du critère de la justification par le nombre.

[33] La Colombie Britannique offre le P.C.D.F. [programme cadre de français], dont la seule langue d’instruction est le français. Autrement dit, tous les participants sont instruits en français. Ces enfants obtiennent le même programme d’enseignement en français que la majorité linguistique anglaise. Le P.C.D.F. correspond au programme d’enseignement de base en anglais au niveau de son contenu. Vingt deux districts scolaires offrent ce programme partout où le nombre le justifie. Comme il a été mentionné précédemment, 36 districts scolaires offrent l’I.F. [immersion en français], qui est un programme fort différent. Il ne fait aucun doute que le P.C.D.F. offert par le conseil scolaire relève de la portée de l'art. 23 comme dispensant une instruction en français aux niveaux primaire et secondaire. Il va sans dire que les personnes admissibles en vertu du par. 23(1) ou (2) ont le droit de faire instruire leurs enfants dans le cadre de ce programme. Ces derniers ne peuvent toutefois être admissibles au programme qu’en tant que membres de la minorité linguistique, c’est-à-dire la minorité francophone en Colombie Britannique, toujours à condition que « le nombre le justifie », comme le prescrit le par. 23(3). Les enfants des requérants étaient inscrits aux programmes d'immersion en français. Il s’agit d’un programme facultatif offert par les districts scolaires locaux. Dans le cadre de ce programme, le français est enseigné comme langue seconde, l’anglais étant considéré comme étant la langue principale ou première

[34] Comme l’a dit Jean Chrétien, alors ministre de la Justice : «Nous ne déterminons pas les droits à l’éducation de la majorité, nous parlons des droits à l’éducation de la minorité ». L’article 23 protège les droits à une instruction dans la langue de la minorité. Il ne donne pas aux membres de la communauté anglophone en Colombie-Britannique le droit de faire instruire leurs enfants en immersion en français plus qu’il ne créerait en faveur des membres d’une communauté francophone au Québec le droit de faire instruire leurs enfants dans le cadre d’un programme d’immersion en anglais. Le ministère de l’Éducation a clairement élaboré une politique visant à promouvoir la mise en œuvre de programmes d’immersion. Or, la mise en œuvre de tels programmes ne peut créer, ni ne crée un droit constitutionnel. Il s’agit d’un programme facultatif.

[35] En résumé, le par. 23(2) crée le droit de se faire instruire en français comme langue principale ou première. Ce droit est toutefois conféré uniquement à un citoyen dont l’enfant a reçu ou reçoit une instruction en français comme première langue principale, et si le nombre le justifie. Il n’inclut pas le droit à une instruction dans le cadre d’un programme d’immersion en français.

[36] Accepter l’argument des requérants selon lequel les mots « instruction en français » au par. 23(2) donnent le droit à la majorité linguistique anglaise en Colombie-Britannique de se faire instruire en français, reviendrait en effet à « aller au delà de l’objet véritable » : voir les motifs du juge Dickson dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart, précité.

Conseil Scolaire Acadien Provincial (Re), 2016 NSUARB 115 (CanLII)

[1] Il s’agit d’une décision de la Commission des services publics et de révision de la Nouvelle-Écosse (la « Commission ») relative à une demande du Conseil scolaire acadien provincial (le « CSAP ») en vertu de la Loi sur l’Éducation, S.N.S. 1995-1996, c. 1 (la « Loi ») pour augmenter le nombre de membres du Conseil scolaire de 17 à 18 ; pour augmenter le nombre de sections électorales de 9 à 10 ; et pour modifier les limites des sections électorales.

[…]

[4] La création du CSAP par la Loi sur l'éducation fait suite à l'engagement de la province d'offrir l'enseignement dans leur langue aux communautés minoritaires acadiennes et francophones de la Nouvelle-Écosse, comme le garantit l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Il est reconnu que, pour les communautés acadiennes et francophones, l'enseignement en français langue première est essentiel à la préservation de leur langue et de leur culture. Le ministère de l'Éducation de la Nouvelle-Écosse a d'ailleurs mis ce droit en évidence dans son livre blanc intitulé Horizons - Réorganisation du système scolaire publié en février 1995. Reconnaissant que, pour ces communautés, une administration francophone joue un rôle important, le livre blanc renfermait l'engagement suivant à la page 16 :

La population acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse ajoute et continuera d'ajouter une perspective culturelle, historique et politique unique dans la province. La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 reconnaît officiellement cette contribution et garantit certains droits aux minorités linguistiques. La Nouvelle-Écosse est dans l'obligation de s'assurer que ces droits sont respectés et d'offrir aux Néo-Écossais, qu'ils soient anglophones ou francophones, les mêmes possibilités d'apprentissage. Ces possibilités doivent refléter les expériences uniques des communautés acadiennes et francophones, tout en leur donnant la base nécessaire pour que leurs cultures respectives continuent à prospérer en Nouvelle-Écosse.

[5]  Le résultat de cet engagement fut la création du CSAP, de compétence provinciale, qui a la responsabilité d'élaborer le contenu des programmes d'enseignement en français langue première et de dispenser cet enseignement aux enfants de parents ayant droit en vertu de l'article 11 de la Loi sur l'éducation.  Le concept de « parent ayant droit » ou de « ayant droit » est important puisque la Charte confère à ces personnes le droit d'inscrire leurs enfants à une école de langue française et le droit de gérer et d'administrer leur propre système d'éducation.  Il s'agit d'un concept tout à fait différent des programmes d'immersion française pour les étudiants et les parents anglophones dont la langue maternelle est l'anglais.  Ces programmes d'immersion sont un privilège que les parents peuvent demander mais ils ne constituent pas un droit garanti par la Charte.

[…]

[40] Pour les raisons présentées plus haut, la Commission approuve la demande. La Commission s'est penchée attentivement sur la question de représentation effective des communautés acadiennes et francophones dans la province, tel que prévu au paragraphe 13(6) de la Loi sur l'éducation.  La Commission détermine qu'il y aura 18 conseillers scolaires et 10 sections électorales, comme décrit dans la demande.

Annotations – Paragraphe 23(1)

Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), [2015] 2 R.C.S. 282, 2015 CSC 25 (CanLII)

[69] Il ne fait aucun doute qu’une province ou un territoire puisse déléguer à une commission scolaire la fonction de fixer les critères d’admission à l’égard des enfants de non-ayants droit. Par cette délégation, on peut conférer à une commission scolaire de la minorité linguistique un large pouvoir discrétionnaire pour admettre les enfants de non-ayants droit.

[70] Il ne fait également aucun doute qu’une province ou un territoire puisse adopter une loi qui offre de plus grandes protections que celles garanties par la Charte. L’article 23 prévoit un minimum constitutionnel : Mahe, p. 379. Deux importants corollaires en découlent. Premièrement, comme la Charte énonce les normes minimales auxquelles la loi doit se conformer, toute loi qui ne respecte pas ces normes contrevient à la Charte et est présumée inconstitutionnelle. Deuxièmement, comme la Charte énonce uniquement les normes minimales, elle n’empêche pas la loi d’aller au-delà des droits élémentaires reconnus dans la Charte et d’offrir d’autres protections. Ce fait a été reconnu par le juge en chef Dickson dans Mahe, où il a expliqué que l’art. 23 établit « un niveau minimum de gestion et de contrôle dans une situation donnée; il ne fixe pas un maximum » : p. 379. Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont autorisés à « accorder à des groupes minoritaires un degré de gestion et de contrôle plus élevé » que celui prévu dans la disposition : p. 379.

[…]

[74] En l’espèce, toutefois, le Yukon n’a pas délégué à la Commission la fonction de fixer les critères d’admission des enfants de nonayants droit. À défaut d’une telle délégation, la Commission n’a pas le pouvoir de fixer unilatéralement des critères d’admission différents de ceux établis dans le Règlement. La Commission n’est pas pour autant empêchée de faire valoir que le Yukon n’a pas assuré suffisamment le respect de l’art. 23 et rien ne l’empêche de soutenir que l’approche adoptée par le Yukon à l’égard des admissions fait obstacle à la réalisation de l’objet de l’art. 23 : voir Mahe, p. 362365. Mais il s’agit là d’une autre question que celle de savoir si la Commission a, en l’absence d’une délégation de la part du Yukon, le droit unilatéral de décider d’admettre d’autres enfants que ceux visés par l’art. 23 ou le Règlement.

Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238, 2005 CSC 15 (CanLII)

[1] Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à apprécier le droit constitutionnel à l’enseignement dans la langue de la minorité en fonction du droit à l’égalité.  Les appelants prétendent que la Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C-11, qui n’offre l’accès à l’école anglaise au Québec qu’aux enfants ayant reçu ou recevant un enseignement en anglais au Canada ou à ceux dont les parents ont fait leurs études primaires en anglais au Canada, établit une distinction entre les enfants qui satisfont à ces conditions et la majorité des enfants francophones du Québec, qui n’y satisfont pas.  Les appelants font valoir qu’il résulte de cette distinction une atteinte au droit à l’égalité garanti par les art. 10 et 12 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C-12.  De soutenir les appelants, l’égalité exige que tous les enfants du Québec aient accès à l’école publique anglaise.

[2] S’il était retenu, cet argument des appelants aurait pour effet pratique de retrancher de la Constitution le compromis soigneusement formulé à l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui est inacceptable.  Comme notre Cour l’a affirmé à de nombreuses occasions, il n’existe aucune hiérarchie des dispositions constitutionnelles, et les garanties d’égalité ne peuvent donc pas servir à invalider d’autres droits conférés expressément par la Constitution.  Toutes les parties de la Constitution doivent être interprétées globalement.  On ne saurait donc affirmer que, par la mise en œuvre de l’art. 23, le législateur québécois a violé le par. 15(1) de la Charte canadienne ou les art. 10 et 12 de la Charte québécoise.  Le pourvoi doit donc être rejeté.

[…]

[30] Les appelants sont membres de la majorité francophone du Québec et, à ce titre, leur objectif qui consiste à faire instruire leurs enfants en anglais ne correspond tout simplement pas à l’objectif visé à l’art. 23. Dans l’arrêt Abbey c. Conseil de l’éducation du comté d’Essex (1999), 42 O.R. (3d) 490, p. 499, la Cour d’appel de l’Ontario a dit, au sujet de cette province, que « [l]a Constitution ne garantit pas aux parents anglophones de l’Ontario le droit de choisir de faire instruire leurs enfants en français.  Leurs enfants ne peuvent pas être admis dans une école de langue française à moins qu’un comité d’admission, dirigé par des membres du groupe minoritaire, ne leur en donne l’accès. »  Voir aussi Lavoie c. Nova Scotia (Attorney-General) (1989), 1989 CanLII 5221 (NS CA), 58 D.L.R. (4th) 293 (C.S.N.-É. (Div. app.)), p. 313315.  Il en va de même pour les parents de la majorité linguistique au Québec.

[31] En rejetant le « libre accès » comme principe directeur de l’art. 23, les auteurs de la Charte canadienne étaient soucieux des conséquences que pourrait entraîner le fait que les membres de la majorité linguistique soient admis à envoyer leurs enfants dans les écoles de la minorité linguistique.  On craignait à l’époque (une préoccupation qui existe toujours aujourd’hui, selon l’intervenante, la Commissaire aux langues officielles du Canada) que les écoles des minorités linguistiques, à l’extérieur du Québec du moins, deviennent elles‑mêmes des centres d’assimilation si les membres de la majorité linguistique submergeaient les élèves de la minorité linguistique.  Au Québec, une autre dimension s’ajoute au problème en ce que la présence d’écoles destinées à la communauté linguistique minoritaire ne doit pas servir à contrecarrer la volonté de la majorité de protéger et de favoriser le français comme langue de la majorité au Québec, sachant que le français restera la langue de la minorité dans le contexte plus large de l’ensemble du Canada.  Dans le pourvoi connexe Casimir, para. 49-50, nous examinons certains des problèmes qui pourraient surgir si les écoles de la minorité linguistique devenaient les équivalents fonctionnels des programmes d’immersion destinés à la majorité linguistique au Québec. Nous avons également pris soin, dans Casimir, de « souligner que l’application de l’art. 23 doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et les communautés linguistiques minoritaires des territoires et des autres provinces » (par. 44).  Des problèmes différents n’appellent pas nécessairement les mêmes solutions.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[8] Lors du rapatriement de la Constitution canadienne, l’adoption de l’art. 23 de la Charte canadienne confirmait l’intention du constituant de garantir à toutes les minorités linguistiques au Canada des droits scolaires en principe identiques (Arsenault-Cameron, par. 26).  Cependant, ce principe connaît une atténuation importante dans le cas du Québec.  En effet, l’art. 59 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que l’al. 23(1)a) ne s’applique pas au Québec.  Il ne peut entrer en vigueur qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec.  Jusqu’à présent, cette autorisation n’a pas été accordée.  Dans cette mesure, l’art. 59 limite les catégories de titulaires de droits au Québec à celles décrites à l’al. 23(1)b) et au par. 23(2) (Quebec Association of Protestant School Boards, p. 82).  Par cette définition de catégories de titulaires de droits, en principe uniformes dans l’ensemble du Canada, mais restreintes au Québec par l’effet de l’art. 59, le constituant a aussi écarté la solution du libre choix de la langue d’enseignement au Québec (P. Foucher, « Les droits linguistiques en matière scolaire », dans M. Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada (1986), 269, p. 277; J.-P. Proulx, « Les normes périjuridiques dans l’idéologie québécoise et canadienne en matière de langue d’enseignement » (1988), 19 R.G.D. 209, p. 219; A. Braën, « Les droits scolaires des minorités de langue officielle au Canada et l’interprétation judiciaire » (1988), 19 R.G.D. 311, p. 317 et 319).

[…]

[29] Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité garantis au par. 23(2) de la Charte canadienne ont trait à la langue d’instruction de l’enfant plutôt qu’à celle des parents.  Comme dans le cas de l’al. 23(1)b), les titulaires de droits sont les parents, même si la norme d’application est celle de la langue d’instruction de l’enfant. […]

[32] Les termes « a reçu », utilisés dans l’expression « a reçu ou reçoit », apparaissent également (quoique à la troisième personne du pluriel : « ont reçu ») à l’al. 23(1)b), qui donne aux parents ayant reçu leur instruction en français ou en anglais au niveau primaire le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de cette instruction lorsqu’elle constitue la langue de la minorité dans la province où ils habitent.  Les termes « a reçu » ou « ont reçu » évoquent le « dossier scolaire », le « cheminement scolaire » ou encore le « parcours scolaire », pour reprendre l’expression utilisée par la Cour d’appel en l’espèce.  L’alinéa 23(1)b) et le par. 23(2) partagent le même objet et doivent être interprétés de la même façon.

P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, 1984 CanLII 32 (CSC)

[pp. 68-69] Il s'agit de décider si les dispositions relatives à l'enseignement en langue anglaise, contenues dans le chapitre VIII de la Charte de la langue française, L.R.Q., chap. C-11, et dans les règlements adoptés en vertu de celui-ci, sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés et inopérantes dans la mesure de l'incompatibilité.

[…]

[p. 82] Mais d’abord, le fait que le Québec soit la seule province du Canada où, par suite des par. 59(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1982, l’al. 23(1)a) de la Charte ne soit pas encore en vigueur et ne puisse entrer en vigueur sans l’assentiment du Québec, atteste que le constituant avait particulièrement le Québec en vue lorsqu’il a édicté l’art. 23 de la Charte. On peut spéculer sur la raison de cette exception; pour autant que le Québec est concerné, l’al. 23(1)a) vise des citoyens canadiens de langue maternelle anglaise qui n’auraient pas reçu leur instruction, au niveau primaire, en anglais au Canada, c’est-à-dire, en pratique et pour un grand nombre, des immigrants de langue maternelle anglaise devenus citoyens canadiens; il est donc permis de penser que cette disposition particulière de la Charte a été suspendue pour le Québec afin de calmer en partie les inquiétudes exprimées au Québec bien avant l’adoption de la Loi 101 à propos de l’immigration, à cause de la situation minoritaire de la langue française en Amérique du Nord.

[pp. 82-83] Cependant c’est surtout lorsque l’on met en regard l’al. 23(1)b) et le par. 23(2) de la Charte, d’une part et l’art. 73 de la Loi 101, d’autre part, que ce dernier article apparaît de façon évidente comme le type de régime juridique qui a dicté l’art. 23 au constituant. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, les critères qu’il faut prendre en considération pour décider du droit à l’enseignement dans la langue de la minorité sont l’endroit où les parents ont reçu leur instruction dans la langue de la minorité. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, cet endroit est celui où les parents ont reçu leur éducation au niveau primaire. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, la présence de ce critère donne droit à l’éducation aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité, la Loi 101 y ajoutant le droit à l’éducation dans les classes maternelles. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, les critères comportent de plus la langue de l’enseignement dispensé aux frères et sœurs d’un enfant, quoiqu’il s’agisse selon la Loi 101 des frères et sœurs cadets d’enfants compris dans une catégorie à contenu temporaire, restrictions que l’on ne trouve pas dans la Charte.

[…]

[p. 86] Les droits énoncés à l’art. 23 de la Charte sont garantis à des catégories bien particulières de personnes. Cette classification spécifique se trouve au cœur même de la disposition car elle est le moyen choisi par le constituant pour identifier les titulaires des droits qu'il entend garantir. À notre avis, une législature ne peut, par une simple loi, validement écarter le moyen ainsi choisi par le constituant et toucher à cette classification. Encore moins peut-elle la refaire et en remodeler les catégories. 

[…]

[pp. 87-88] Il va de soi qu'en adoptant l’art. 73 de la Loi 101, la législature du Québec n'avait pas et ne pouvait avoir l'intention de déroger à l’art. 23 de la Charte ou de le modifier puisque cet article n'existait pas encore. Mais son intention n'est pas pertinente. Ce qui compte, c'est la nature et la portée effectives de l’art. 73 en regard des dispositions de la Charte, quel que soit le moment où l'article a été édicté. Si l'article 73 ne peut, à cause de la Charte, être validement adopté aujourd'hui, il est évidemment rendu inopérant par la Charte, et ce, pour la même raison savoir, le conflit direct entre l’art. 73 de la Loi 101 et l’art. 23 de la Charte. Les dispositions de l’art. 73 de la Loi 101 heurtent de front celles de l’art. 23 de la Charte et ne sont pas des restrictions qui peuvent être légitimées par l’art. 1 de la Charte. Ces restrictions ne peuvent être des dérogations aux droits et libertés garanties par la Charte ni équivaloir à des modifications de la Charte. Une loi du Parlement ou d’une législature qui par exemple prétendrait imposer les croyances d’une religion d’État entrerait en conflit direct avec l’al. 2a) de la Charte qui garantit la liberté de conscience et de religion, et devrait être déclarée inopérante sans qu’il y ait même lieu de se demander si une telle loi est susceptible d’être légitimée par l’art. 1. Il en va de même pour le chapitre VIII de la Loi 101 vis-à-vis de l’art. 23 de la Charte

Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord‑Ouest, 2015 CanLII 168 (NWT CA)

[21] La juge de première instance a commis une erreur dans son interprétation de l’article 23 et a étendu à tort les pouvoirs de la commission scolaire, en en faisant une institution gouvernementale. La Cour suprême a clairement déclaré que les commissions scolaires étaient « malléables et soumis[es] aux réformes législatives » : Ontario English Catholic Teachers’ Assn c Ontario (Procureur général), 2001 CSC 15 (CanLII) au paragraphe 62, [2001] 1 RCS 470. À notre avis, même avec une interprétation très généreuse de l’article 23, cette disposition ne peut attribuer à une commission scolaire le pouvoir unilatéral d’admettre dans ses écoles n’importe quel élève sans droit de regard du gouvernement.

[22] L’éducation est un pouvoir de nature provinciale (et par extension législative, territoriale), et chacune des provinces a un intérêt légitime dans la prestation et la réglementation de services d’enseignement dans la langue de la minorité: Arsenault‑Cameron c Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), au paragraphe 53, [2000] 1 RCS 3, Solski au paragraphe 10. La Cour suprême a déclaré à plusieurs reprises qu’il était important de reconnaître aux différents gouvernements la responsabilité de respecter leurs obligations constitutionnelles. […]

[24] Les droits que reconnaît l’article 23 doivent être appliqués et interprétés de façon uniforme dans l’ensemble du Canada: Solski au paragraphe 21. La décision de la juge de première instance a pour effet d’autoriser les membres de la communauté majoritaire des Territoires du Nord‑Ouest de fréquenter un établissement de la minorité linguistique sans aucun contrôle de la part du gouvernement. Étant donné les arrêts Solski, Gosselin et Nguyen, cela n’est pas possible au Québec. Les rédacteurs n’ont pas voulu que l’article 23 soit appliqué de façon aussi peu uniforme dans l’ensemble du Canada.

[25]  Même la prise en compte du contexte de la situation dans les Territoires du Nord‑Ouest ne nous amène pas à tirer la même conclusion que celle à laquelle est parvenue la juge de première instance. L’article 23 a plusieurs objets, dont l’un est d’encourager le développement des communautés linguistiques en situation minoritaire. L’article 23 protège toutefois des catégories particulières et bien définies de titulaires de droits: Solski au paragraphe 23. L’article 23 confère des droits individuels (Nguyen au paragraphe 23) et sa mise en œuvre dépend du nombre des élèves qualifiés: Mahe c Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 RCS 342, 68 DLR (4th) 69, Arsenault‑Cameron au paragraphe 32. L’objet principal de l’article 23 n’est pas d’autoriser les enfants de personnes qui ne sont pas des ayants droit à apprendre une deuxième langue. Une telle interprétation a pour effet de déformer l’objet et la raison d’être de l’article 23 et d’estomper la délimitation très nette qui sépare les différentes catégories de titulaires de droits protégées par la Constitution.

[26] Il convient de donner à l’article 23 une interprétation plus étroite que celle que lui a donnée la juge de première instance. La Cour suprême a constamment affirmé que l’article 23 reflétait un compromis politique. Si les rédacteurs avaient voulu que les membres de la communauté majoritaire aient librement accès aux écoles de la minorité linguistique, il aurait pu rédiger un article permettant « le libre choix »; tous les enfants du Canada auraient ainsi pu choisir de recevoir un enseignement dans l’une ou l’autre des langues officielles. Par contre, ils auraient pu être beaucoup plus restrictifs en ne protégeant, par exemple, que les enfants qui étaient déjà inscrits dans une école de la minorité linguistique. Le résultat est un compromis qui a été soigneusement formulé, qui protège les enfants dont la première langue apprise et encore comprise est une langue minoritaire. Ces droits ne bénéficient pas aux petits‑enfants ou à « tous les descendants », mais uniquement aux « enfants ».

Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CanLII 170 (NWT CA)

[44] La juge de première instance a accepté l’argument selon lequel les non-ayants droit pouvaient fréquenter l’école et qu’on pouvait tenir compte d’eux dans l’analyse de la « justification par le nombre ». Il s’agissait d’une erreur de droit, ainsi qu’il a été expliqué dans la décision connexe Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest, 2015 CATN-O 1, et dans l’arrêt Commission Scolaire Francophone du Yukon no 23 c Yukon (Procureure Générale), 2014 YKCA 4 (CanLII), aux par. 214 à 229. Comme l’article 23 parle de « citoyens canadiens », les immigrants sont exclus. Le fait que l’alinéa 23(1)a) parle expressément de citoyens dont « la première langue apprise et encore comprise » fait en sorte qu’on doit exclure les « générations perdues » ayant des racines francophones. L’article 23 ne saurait être interprété de manière à en ignorer la portée fondamentale: Gosselin (Tuteur de) c Québec (Procureur général), 2005 CSC 15 (CanLII), aux par. 9, 29 et 30, [2005] 1 RCS 238. S’il était retenu, le raisonnement suivi dans les motifs du jugement de première instance « [...] aurait pour effet pratique de retrancher de la Constitution le compromis soigneusement formulé à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui est inacceptable »: Gosselin, au par. 2. L’arrêt Nguyen c Québec, au par. 29, a repris la mise en garde déjà exprimée au sujet des « parcours scolaires artificiels destinés à contourner les objectifs de l’article 23 et à créer des catégories nouvelles d’ayants droit dont l’existence dépend de la seule discrétion des parents ».

R. c. Conseil Scolaire Fransaskois, 2013 SKCA 35 (CanLII)

[4] Je conviens que le gouvernement n’est pas tenu de financer l’éducation dans la langue de la minorité des élèves qui résident dans d’autres ressorts. L’application de l’article 23 de la Charte est propre à chaque province. Or, comme il sera expliqué plus loin, ce principe ne vise l’issue du présent appel que d’une façon restreinte. En effet, la preuve se rapportant à l’école de Lloydminster ne permet pas de calculer les coûts au prorata, en fonction des provinces de résidence des élèves. Par conséquent, les injonctions doivent être maintenues relativement à Lloydminster. La situation de Bellegarde est quelque peu différente. Les coûts assumés par le gouvernement pour l’éducation des élèves du Manitoba qui fréquentent l’école de cette localité peuvent être calculés et, par conséquent, les montants à verser par le gouvernement aux termes de l’injonction du 28 mai 2012 doivent être réduits.

[…]

[17] L’article 23 s’applique dans le contexte du partage des pouvoirs prescrit par la Loi constitutionnelle de 1867. Selon l’article 93 de cette loi, « [d]ans chaque province, la législature pourra exclusivement décréter des lois relatives à l’éducation », sous réserve de certaines restrictions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce. L’établissement et l’administration des écoles relèvent donc de la responsabilité provinciale. Du point de vue constitutionnel, le régime relatif à l’éducation au Canada est organisé par province.

[18]  L’art. 23 de la Charte n’a pas pour effet d’écarter ce cadre fondamental des compétences. En fait, il ressort de l’art. 23 lui‑même que les droits créés prendront naissance et seront respectés à l’échelle de la province. En effet, les al. 23(1)a) et b) définissent les catégories de citoyens qui jouissent de ces droits en renvoyant à la « minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident » et à la « minorité francophone ou anglophone de la province ». Le paragraphe 23(1) définit ensuite la nature de ces droits en renvoyant au droit des parents « d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue ».

[19] Le paragraphe 23(3) vient renforcer cette idée, en énonçant que le droit reconnu aux citoyens de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité d’une province s’exerce « partout dans la province » où le nombre des enfants des parents qui ont ce droit est suffisant pour justifier la prestation de l’instruction sur les fonds publics. Cette disposition est ainsi libellée : […]

[20] Par conséquent, il ne m’est pas difficile d’accepter la prémisse sur laquelle le gouvernement fonde son appel, c.-à-d. je conviens qu’en principe la Saskatchewan n’a pas l’obligation de payer pour l’éducation dans la langue de la minorité des élèves qui résident à l’extérieur de la province.

[…]

[51] Le gouvernement fait valoir, avec raison selon moi, que cette approche n’est pas appropriée du point de vue juridique. En vertu de l’art. 23 de la Charte, la province de la Saskatchewan a des obligations en matière d’instruction dans la langue de la minorité envers les parents des élèves qui résident dans cette province. Par contre, la Saskatchewan n’assume aucun devoir en matière d’instruction dans la langue de la minorité relativement aux parents des élèves qui résident en Alberta. Pourquoi alors le gouvernement devrait‑il assumer le fardeau financier de première ligne quant à l’éducation des enfants de l’Alberta? Il est difficile de répondre à cette question. Si leurs droits garantis par l’art. 23 ne sont pas respectés, les Albertains devraient s’adresser à la province de l’Alberta, plutôt qu’à la province de la Saskatchewan.

[…]

[53] Néanmoins, je ne vois pas comment l’omission de l’Alberta et de la Saskatchewan de modifier The Lloydminster Charter de manière à mentionner une division scolaire pour les minorités linguistiques, ou de conclure un accord de collaboration à cet égard, pose problème sur le plan juridique. Comme il a déjà été mentionné, le droit des parents de la Saskatchewan appartenant à une minorité linguistique de faire instruire leurs enfants en français s’applique dans la province et cette dernière doit le respecter par l’affectation de ses ressources pédagogiques. Par conséquent, il est difficile de voir, sur le plan juridique, pourquoi et comment le gouvernement devrait‑il être contraint de financer l’éducation des élèves de l’Alberta uniquement sur la foi de l’espoir qu’il sera en mesure de négocier un accord sur le recouvrement de ces coûts. D’autant plus que rien dans le dossier dont nous disposons n’indique que la qualité de l’éducation offerte aux élèves résidant en Saskatchewan dépend d’une quelconque façon de la possibilité de regrouper ces élèves et les élèves de l’Alberta.

[…]

[57] La situation existante au Manitoba en 1985 est tout à fait différente de celle dont notre Cour est saisie. Il n’existe pas de « vide » juridique en l’espèce. L’article 23 de la Charte accorde directement des droits aux parents appartenant à une minorité linguistique dans les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta. Les deux provinces ont adopté des dispositions législatives visant l’instruction dans la langue de la minorité. Voir : la Loi de 1995 sur l’éducation, précitée, (Saskatchewan); la School Act, R.S.A. 2000, c. S-3 (Alberta). Il n’y a aucune lacune apparente par rapport aux droits prévus à l’art. 23. Les parents résidant des deux côtés de la frontière peuvent bénéficier de tous les droits garantis par l’art. 23 et les gouvernements des deux provinces sont tenus de respecter l’art. 23 ainsi que les caractéristiques pertinentes de leurs dispositions législatives applicables.

[58] En principe, il serait préférable que la Saskatchewan et l’Alberta trouvent une manière efficace de collaborer pour fournir une instruction en français à Lloydminster. Or, et c’est là le point qui nous intéresse, les deux provinces n’ont aucune obligation légale de conclure un tel accord et le défaut de le faire ne crée pas de vide juridique. L’absence de mesures d’accommodement quant à l’instruction en français veut uniquement dire que les droits à l’instruction dans la langue de la minorité devront entrer en jeu d’un côté de la frontière indépendamment de ce qui se passe de l’autre côté. Comme il ressort de la correspondance déposée au dossier, la durée de cette situation pourrait être relativement courte.

K.K. c. Québec (Ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport), 2010 QCCA 500 (CanLII)

[4] Les conclusions du T.A.Q. [Tribunal administratif du Québec], quant au caractère ponctuel et artificiel du déménagement ontarien de la famille de l'appelant, sont à l'abri de toute erreur révisable.  Partant, le véritable objet du pourvoi consiste à déterminer si l'enfant peut être admissible à l'enseignement en anglais au Québec en raison d'une année d'enseignement primaire en Ontario, en 2005-2006, dans le cadre d'un subterfuge effectué dans l'unique but d'obtenir l'admissibilité recherchée.

[5] L'appelant soutient qu'il peut prendre tous les moyens légaux pour qualifier son fils.  Cela ne regarde que lui.  Peu importe les motifs qui ont mené à son déplacement temporaire en Ontario, son fils a reçu son instruction primaire uniquement en anglais en Ontario au moment de sa demande d'admissibilité au Québec.  L'enfant aurait, en conséquence, reçu la majeure partie de son enseignement en anglais suivant les principes et les critères dégagés par la Cour suprême dans l'arrêt Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général) (Solski), le changement de lieu de résidence n'étant pas un facteur à considérer.

[6] La proposition de l'appelant n'est pas fondée.  Le T.A.Q. n'a pas fait de la mobilité interprovinciale une condition pour l'admissibilité à l'enseignement en anglais au Québec.  Il a plutôt conclu de la preuve que l'appelant voulait se prévaloir d'un artifice pour contourner la Charte.  Dans Solski, la Cour suprême a reconnu aux gouvernements provinciaux le droit de s'assurer que la démarche du demandeur en admissibilité le qualifie véritablement à titre de bénéficiaire du droit énoncé à l'article 23(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne).  L'évaluation objective et subjective de la situation « exclut toute approche ponctuelle artificielle ».

[…]

[8] Il est vrai que les circonstances de l'espèce diffèrent de celles de l'affaire Nguyen, mais les principes énoncés par la Cour suprême demeurent valables aux fins de l'analyse du présent dossier.  Le parcours scolaire authentique ne peut reposer sur une astuce, un subterfuge, une situation « ponctuelle » artificielle dont le seul but est de contourner les dispositions de la Charte.  Partant, la décision du T.A.Q. s'inscrivait dans l'une des issues possibles acceptables.

Reference re School Act, 1988 CanLII 1363 (PE SCAD) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[54] Un coup d’œil rapide à l’art. 23 de la Charte et au par. 50(3) de la School Act permet de constater qu’il existe effectivement des contradictions entre les deux textes de loi et que les droits prévus dans la School Act ne correspondent pas aux droits prévus dans la Charte. Les principales incohérences sont les suivantes :

 (1) Le paragraphe 50(3) modifie les titulaires des droits que confère l’art. 23. En effet, en vertu du par. 50(3) de la School Act, seuls les enfants dont la langue maternelle est le français ont droit à une instruction en français, alors que la Charte stipule que les parents ont le droit de faire instruire leurs enfants en langue française s’ils appartiennent à l’une des trois catégories suivantes :

(i) les citoyens dont la première langue apprise et encore comprise est le français (al. 23(1)a));

(ii) les citoyens qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français au Canada (al. 23(1)b));

(iii) les citoyens dont au moins un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français au Canada (par. 23(2)).

[…]

[58] Les textes législatifs qui ne confèrent que certains des droits garantis par l’art. 23 ou qui visent à conférer un droit en contravention des droits prévus dans la Charte ne peuvent que semer la confusion. La personne qui prend connaissance d’un texte de loi donné a le droit de supposer que celui ci est valide. Rien ne justifie qu’une loi provinciale se conforme à un droit particulier garanti par la Charte et ne se conforme pas à d’autres droits conférés par la Charte. En termes simples, la School Act ne peut entrer en conflit avec un droit précis expressément prévu dans la Charte. Il incombe à la législature d'adopter un cadre législatif approprié qui témoignera des droits conférés par l'art. 23. Dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, le juge en chef Dickson a déclaré ceci à la p. 659 :

Même si les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers, il incombe à la législature d’adopter des lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Constitution. Il n’appartient pas aux tribunaux d’ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives.

[…]

[68] La disposition de la Charte voulant que l’instruction dans la langue de la minorité soit offerte dans certains cas constituerait un geste sans valeur si les personnes auxquelles elle pourrait s’appliquer n’ont pas été informées de leur droit de la recevoir. Il n’y a pas d’incompatibilité avec la Charte si le School Act exige qu’une demande d’instruction en français soit faite à condition qu’un préavis suffisant de la nécessité de présenter la demande ait d’abord été donné. Il serait illogique de dispenser une instruction dans la langue de la minorité sans la preuve d’une demande. Il serait illogique et imprudent de fournir un enseignant, une salle de classe, du matériel ou une école sans savoir s’il existe une demande pour les services offerts. L’éducation coûte très cher, et elle n'est jamais financée dans la mesure exigée par les enseignants ou les parents. Gaspiller de l'argent sur une demande insuffisante porterait préjudice à l'ensemble du système scolaire.

[69] La Cour rejette la proposition selon laquelle les simples données démographiques, et rien d’autre, sans égard à la demande documentée des parents visant à obtenir une instruction dans la langue de la minorité, suffisent en soi à justifier la mise en œuvre d’un tel programme.

[…]

[120] Il convient de souligner que les droits des minorités à l’art. 23 n’appartiennent pas exclusivement aux minorités francophones (ou anglophones), mais aussi aux citoyens qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français, au Canada, même s’ils ne parlent pas la langue (al. 23(1)b)), et aux citoyens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, aux niveaux primaire et secondaire, en français au Canada (par. 23(2)). De toute évidence, le groupe linguistique minoritaire français n’est pas l’utilisateur exclusif des établissements d’enseignement et de l’instruction dans la langue de la minorité. Encore une fois, à la p. 532 dans l'affaire Ontario Reference, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION] À notre avis, toute disposition législative concernant les personnes qui peuvent exercer des fonctions de gestion et de contrôle doit inclure dans sa portée tous les parents qui sont admissibles aux droits garantis à l’art. 23, ainsi que ceux qui bénéficient de l’application de ces droits, mais qui ne sont pas admissibles. Bien que la justification énoncée plus tôt pour la protection de la minorité linguistique semble ne pas inclure ce groupe, l’équité fondamentale force à conclure que les parents dont les enfants utilisent des établissements d’enseignement de la minorité linguistique devraient participer à la gestion et au contrôle de ces établissements.

Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[87] Il convient de souligner que l’art. 23 de la Charte, tel qu’il s’applique à l’Ontario, accorde aux parents le droit de faire instruire leurs enfants en français, la langue de la minorité de la province, s’ils appartiennent à l’une des trois catégories distinctes suivantes :

(i) les citoyens dont la première langue apprise et encore comprise est le français;

(ii) les citoyens qui ont reçu leur instruction au niveau primaire en français au Canada;

(iii) les citoyens dont au moins un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire et secondaire, en français au Canada.

[88] On peut constater que la Charte n’exige pas que, pour avoir droit à une instruction en français en Ontario, les enfants parlent eux-mêmes français.

[89] En revanche, la Loi sur l’éducation permet simplement aux conseils scolaires de dispenser une instruction en français aux élèves de langue française qui résident dans une division scolaire donnée. Il n’existe aucun texte législatif permettant d’offrir une instruction en français aux élèves qui seraient admissibles aux termes de l’art. 23 de la Charte. En vertu des par. 258(2) et 261(2) de la Loi sur l’éducation, ce n’est que le nombre d’élèves francophones qui choisissent de se faire instruire en français qui doit être pris en considération pour ce qui est d’offrir une instruction dans la langue de la minorité.

 [90] À cet égard, les dispositions de la Loi sur l’éducation sont donc incompatibles avec l’art. 23 de la Charte.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[454] Il existe trois catégories de titulaires de droits ayant le droit de faire instruire leurs enfants dans des écoles de langue minoritaire. En vertu de l’al. 23(1)a) de la Charte, les titulaires de droits comprennent les citoyens du Canada dont la première langue apprise et encore comprise est le français. À l’occasion, dans la présente décision, je renverrai à ces personnes comme étant des « titulaires de droits en raison de la langue maternelle ». Ce groupe comprend tous les citoyens qui ont grandi parlant le français et qui comprennent toujours la langue, peu importe où ils ont grandi et peu importe si le français était la seule langue ou l’une des nombreuses langues parlées à la maison.

[455] L’alinéa 23(1)b) inclut parmi les titulaires de droits les citoyens du Canada qui ont reçu leur instruction au niveau primaire en français au Canada. De temps à autre, dans la présente décision, j’appellerai les membres de ce groupe les « titulaires de droits en raison de l’instruction ». Ce groupe comprend les parents qui ont participé au programme linguistique minoritaire de la Colombie-Britannique ayant précédé le CSF, le programme cadre, ainsi que les parents qui ont fréquenté l’école primaire en français n’importe où au Canada.

[456] La troisième catégorie de titulaires de droits inclut les personnes qui sont devenues des titulaires de droits en vertu du par. 23(2) de la Charte du fait qu’elles ont un enfant qui a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français. Ce groupe comprend les parents d’enfants qui ont reçu leur instruction en français n’importe où au Canada, tant que le programme n’était pas un programme d’immersion en français. J’appellerai à l’occasion ce groupe de titulaires de droits les « titulaires de droits en raison des frères et sœurs ».

 […]

[479] En résumé, il existe trois catégories de titulaires de droits ayant le droit de faire instruire leurs enfants dans des écoles de la langue de la minorité : ceux qui sont des titulaires de droits en raison de leur langue maternelle, de l’instruction reçue ou de l’instruction reçue par leurs enfants. Le nombre pertinent pour l’art. 23 est le nombre d’enfants de titulaires de droits qui pourraient raisonnablement se prévaloir d’un service, qui se situera quelque part entre la demande connue et le nombre total de titulaires de droits dans une région.

[…]

[577] L’article 23 diffère des autres droits prévus dans la Charte, qui garantissent une protection à « tous », peu importe la citoyenneté : voir par exemple l’art. 7 de la Charte, qui garantit à « chacun » le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et prescrit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Cela en fait un droit complet qui englobe tant les citoyens que les non-citoyens : United States of America v. Ferras (2004), 2004 Canlii 29665 (CA ON), 184 O.A.C. 306, 237 D.L.R. (4th) 645 (C.A. Ont.), par. 8; conf. par 2006 CSC 33 (CanLII).

[578] Je suis d’accord avec la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest que les mots choisis par les rédacteurs de la Charte doivent avoir un sens. Bien que les tribunaux adoptent généralement une approche téléologique pour interpréter tous les droits de la Charte, y compris l’art. 23, cette approche ne peut changer le texte exact de la Charte quant aux personnes à qui la protection est offerte. À l’instar de tous les principes d’interprétation, l’approche téléologique devrait être utilisée pour approfondir notre compréhension de droits qui, en eux mêmes, sont malléables. Dans la présente affaire, il n’y a pas d’ambiguïté quant à la question de savoir à qui le droit malléable à une instruction dans la langue de la minorité est accordé. L’article 23 ne fait qu’appliquer les droits à une instruction dans la langue de la minorité aux citoyens canadiens.

[579] Le paragraphe 23(3) donne aux titulaires de droits en raison de la langue maternelle, en raison de l’instruction et en raison des frères et sœurs le droit de faire instruire leurs enfants en français, partout où le nombre le justifie. De même, le droit de les faire ainsi instruire dans des établissements d’enseignement de langue minoritaire est donné « partout où le nombre de ces enfants le justifie », à savoir les enfants de titulaires de droits qui sont citoyens. Pour être titulaire de droits, une personne doit nécessairement être citoyenne. Ainsi, les enfants de titulaires de droits immigrants ne sont pas des enfants dont on peut s’attendre raisonnablement qu’ils participent au programme.

[…]

[699] L'intégrité des écoles minoritaires est essentielle à leur fonctionnement. L’instruction dans la langue de la minorité est censée avoir lieu dans la langue de la minorité. Elle n’a pas pour but d’enseigner à des étrangers la langue de la minorité.

[…]

[751] La principale question à trancher est celle de savoir si la nature réparatrice de l'art. 23 oblige la province à adopter une loi conférant au CSF le pouvoir discrétionnaire d’admettre des non titulaires de droits. Je conclus que cette question a été tranchée par la négative dans l’arrêt Yukon-CSC.

[…]

[765] Ainsi, à mon avis, la question de savoir si une commission scolaire minoritaire a la capacité unilatérale d'admettre des non-titulaires de droits a été tranchée dans l’arrêt Yukon-CSC. La distinction entre les droits de la minorité à la gestion et au contrôle et la compétence de la province en matière d’éducation est délimitée par les trois catégories de titulaires de droits mentionnées à l’article 23. À moins que la province ne délègue plus de pouvoirs à la minorité d’admettre des non-titulaires de droits, il appartient encore à la province de trancher la question de savoir qui est admissible à ces écoles. Étant donné que la province ne permet que l’admission de titulaires de droits et de titulaires de droits immigrants, le CSF n’a pas le droit d’admettre des étudiants qui entrent dans les catégories des francophiles et des grands-parents, à moins qu’ils ne soient par ailleurs les enfants de titulaires de droits.

[…]

[1866] Bien que les programmes d’éducation de la petite enfance soient sans aucun doute très bénéfiques pour les compétences linguistiques des enfants de la minorité linguistique en Colombie-Britannique, je ne peux conclure qu’ils relèvent du sens de « l’instruction, au niveau primaire » à l’art. 23 de la Charte.

[1867] Comme je l'ai expliqué au chapitre VI, intitulé « Rôles respectifs de la province et du CSF », l'art. 23 crée un code complet pour l'instruction dans la langue de la minorité. Il établit les exigences de base pour les services que la province doit fournir : les écoles doivent être financées pour répondre aux besoins des catégories de titulaires de droits énumérées, et elles doivent offrir une instruction aux niveaux primaire et secondaire. Si elle peut choisir de dépasser ces minimums, la province n’en a toutefois pas l’obligation positive.

[1868] En outre, même si sa compétence en matière d’éducation est limitée, la province demeure compétente à l’égard de la composition du système d’éducation publique tant qu’elle ne nuit pas aux préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité. Les titulaires de droits n’ont pas droit à une conception particulière du système d’éducation, sauf dans la mesure où celui ci garantit une instruction aux niveaux primaire et secondaire.

[1869] Dans la présente affaire, la province a choisi de mettre en place un système d’éducation dans le cadre duquel le niveau primaire commence à la maternelle, et qui se termine en douzième année. Les districts scolaires sont autorisés à utiliser des locaux excédentaires pour offrir des services d’éducation de la petite enfance, mais la province ne finance pas ces services et ceux ci ne font pas partie du programme d’éducation de la maternelle à la 12e année. La province pourrait élargir le sens de l’instruction aux niveaux primaire et secondaire pour y inclure les services d’éducation de la petite enfance. Toutefois, elle n’a aucune obligation de le faire. Donc, la définition de l’instruction au niveau primaire ne comprend pas les services préscolaires et les services de garderie.

[1870] Les demandeurs soutiennent que la province est tenue de fournir au CSF des locaux pour les services d'éducation de la petite enfance, car elle a une obligation positive de confirmer et de promouvoir l'instruction dans la langue de la minorité. Comme je l’ai expliqué au chapitre VI, Rôles respectifs de la province et du CSF, cet argument va trop loin. L’article 23 garantit une certaine forme de droits à l’instruction pour donner effet au principe de préservation et de promotion de la langue et de la culture minoritaires. Il n’oblige pas le gouvernement à atteindre ces objectifs par des moyens autres que celui de dispenser le niveau minimum obligatoire d’instruction dans la langue de la minorité.

[1871] Deux mises en garde viennent accompagner ma conclusion.

[1872] En premier lieu, le système d'éducation de la maternelle à la 12e année comprend maintenant Strong Start. Le Ministère ne finance pas les locaux pour le programme. En effet, les preuves montrent que certains programmes Strong Start, comme ceux du DS8 Kootenay Lake, se déroulent dans les gymnases d’écoles primaires et non dans un espace réservé à cette fin. Par conséquent, lorsque le CSF décide, conformément à son droit à la gestion et au contrôle de la langue et de la culture, qu'un programme Strong Start est approprié au niveau pédagogique, le Ministère devrait lui fournir les fonds dont il a besoin pour réaliser ce programme.

[1873] En deuxième lieu, le système de planification des immobilisations du Ministère pour la maternelle à la 12e année prévoit maintenant des locaux au NLC, qui peuvent être utilisés par des fournisseurs de services communautaires comme les fournisseurs de services à la petite enfance. Lorsque le CSF bâtit de nouvelles écoles, il devrait lui aussi avoir le droit de construire des locaux pour le NLC, qu'il peut utiliser aux fins des programmes d'apprentissage précoce. Pour les motifs que je donne dans le chapitre XL, intitulé « Exigences administratives du système de financement des immobilisations », les demandeurs n’ont pas établi que l’attribution supplémentaire de locaux de 15 % est insuffisante pour le CSF, particulièrement parce que ce dernier est également admissible à un financement fédéral pour construire d’autres espaces communautaires.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Saskatchewan c. Conseil scolaire Fransaskois, 2014 SKQB 285 (CanLII)

[NOTRE TRADUCTION]

[79] En conséquence, je suis d’avis que l’approche qu’il convient d’adopter à l’égard du préjudice irréparable dans la présente affaire consiste à se concentrer principalement sur la perspective d’un préjudice aux fins de l’application de l’art. 23 de la Charte. Le risque significatif de répercussions sur le recrutement et le maintien en poste des élèves et du personnel, qu’il résulte d’un manque de personnel, d’installations inadéquates ou de l’incapacité de fournir des services de transport adéquats, par exemple, pourrait constituer un tel préjudice. Le risque significatif qu’une violation alléguée des droits conférés à l’art. 23 empêcherait le CSF d’offrir un accès à une instruction de qualité comparable pourrait aussi atteindre la cible. Il revient, bien entendu, au CSF de prouver qu'un tel préjudice a été causé ou pourrait être causé avant le procès, même si le seuil à atteindre ne soit pas élevé. […]

 

[85] […] Il existe une obligation de fournir un financement dans le contexte de l'art. 23. En conséquence, le gouvernement n’a pas le droit de décider s’il fournira ce financement ou si le montant fourni passe le test constitutionnel. Il ne peut que décider de la façon dont il le fera, dans la mesure où ses décisions à cet égard respectent les droits conférés par l’art. 23.

[…]

[103] Compte tenu de cette affirmation et des observations faites de vive voix par l'avocat du CSF, il est clair que le CSF n'a pas finalement fait valoir qu’il a le droit de fixer unilatéralement le niveau de financement qu'il recevra. Je suis d’accord. Il peut parfois être difficile de séparer complètement le droit à la gestion et au contrôle du droit au financement, car le financement est destiné aux programmes et aux services. Cela ne veut pas dire que le gouvernement est tenu de financer tous les programmes et services que le CSF juge nécessaires pour mettre en application les droits visés par l'art. 23, au niveau déterminé par le CSF. Il incombe plutôt au CSF d’exercer son droit à la gestion et au contrôle dans les limites du niveau de financement fixé par le gouvernement, pourvu que ce niveau soit conforme à l’obligation de financement du gouvernement. Il appartient évidemment au juge du procès de déterminer l'importance de la preuve relative à des programmes particuliers identifiés par le CSF pour déterminer si le gouvernement fournit suffisamment de fonds.

Dauphinee c. Conseil Scolaire Acadien Provincial, 2007 NSSC 238 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[41] Comme je l'ai dit, on a déjà débattu de la question de la justification par le nombre et, à cet égard, les parents visés à l'art. 23 en Nouvelle-Écosse ont obtenu gain de cause, de sorte que la présente affaire se résume à une question d'égalité ou d'équivalence, comme l'indique la jurisprudence portant sur l'art. 23. Compte tenu de mes conclusions sur l’état des ententes sur les frais de scolarité en Nouvelle-Écosse et l’absence d’orientation claire du Ministère sur la question, on ne peut pas dire que l’omission du CSAP [Conseil scolaire acadien provincial] de permettre ou de mettre en place une politique de ce genre pour de telles ententes viole les droits conférés aux demandeurs par l’art. 23. Les élèves du CSAP sont dans la même situation que les élèves de la plupart des conseils scolaires de la province.

[42] Par conséquent, je conclus que l’omission ou le refus du CSAP d’offrir des ententes sur les droits de scolarité aux élèves ayant des besoins particuliers n’enfreint pas l’art. 23 de la Charte. Si les conseils scolaires étaient tenus d’offrir des ententes sur les droits de scolarité, j’en arriverais probablement à une conclusion différente.

Aide aux frais de scolarité

[43] L’on ne peut en dire autant du programme d’aide aux frais de scolarité du Ministère. Il s’agit d’un programme provincial qui est offert à tous les élèves de la Nouvelle Écosse ayant des besoins particuliers. Les fonctionnaires du Ministère ont franchement admis qu’ils n’avaient jamais tenu compte des besoins des élèves dont la langue première est le français qui sont inscrits au CSAP. Apparemment, ils n’avaient pas du tout pensé aux besoins de ces derniers. En désignant uniquement les écoles privées anglaises comme étant admissibles à une aide aux frais de scolarité, le Ministère ne traite pas les élèves du CSAP de manière égale ou équivalente à la majorité anglaise. Bien qu’il soit apparemment mis à la disposition des élèves du CSAP (p. ex., le Ministère a accordé une aide de 5 500 $ à Samuel pour 2004 2005), le programme n’est disponible que dans les écoles privées anglaises. Le Ministère ne peut pas simplement rester assis et dire « nous avons adopté une approche passive » et ce n’est pas notre faute s’il n’y a pas d’école privée française dans la province.

[44] L’on peut comprendre pourquoi le Ministère a désigné les trois écoles privées en question comme étant des établissements approuvés aux fins de l’aide aux frais de scolarité. Il est évident qu’elles sont bien outillées pour répondre aux besoins des élèves ayant des besoins particuliers. Néanmoins, le fait que le Ministère n’a pas tenu compte des besoins particuliers des élèves visés par l’art. 23 qui sont inscrits au CSAP constitue une violation des droits à l’égalité ou à l’équivalence de ces familles. Bien qu’il s’agisse apparemment d’une omission par le Ministère, cette omission ne devrait pas être tolérée.

[…]

[53] Le Ministère a effectivement contrevenu ou porté atteinte aux droits des plaignants qui leur sont garantis par l’art. 23 de la Charte en omettant de prendre en considération et d’offrir des mesures d’adaptation aux familles du CSAP dans le cadre de son programme d’aide aux frais de scolarité pour les élèves ayant des besoins particuliers. Une telle atteinte n’est pas justifiée dans les circonstances et ne peut pas être sauvegardée par l’article premier. Le Ministère doit faire tout en son possible pour intégrer les élèves inscrits au CSAP ayant des besoins particuliers et répondre à leurs besoins dans le cadre de son programme d’aide aux frais de scolarité d’une manière qui répond à leurs besoins et droits linguistiques. La meilleure façon d’y parvenir doit être déterminée par le Ministère, le CSAP et ses groupes de parents. Dans les circonstances, cela ne s'applique pas à la création ou à l'établissement de nouvelles installations comparables aux écoles privées anglaises existantes, car le nombre ne justifie pas la prise de telles mesures.

Chubbs, et al c. HMQ et al, 2004 NLSCTD 89 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[18] Bien qu’il semble en l’espèce que 17 élèves constituent le chiffre magique, il ne semble y avoir dans la jurisprudence et dans les textes législatifs aucun nombre exact ou identifiable d’élèves de langue de la minorité susceptible de déclencher l’application des droits garantis par l’art. 23 de la Charte. Dans certaines circonstances, ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé, tandis qu’un nombre moins élevé pourrait être approprié dans d’autres circonstances. Le Canada est un pays si vaste et si diversifié qu’aucune solution ou circonstance ne s’appliquera à toutes les régions. Pour déterminer si le nombre le justifie ou non, il faut examiner chaque situation sur une base individuelle compte tenu de son propre contexte géographique, social et culturel.

[68] L’entente conclue entre la province de Terre-Neuve-et-Labrador et la province de Québec pour que les élèves de Terre-Neuve-et-Labrador fréquentent l’école au Québec constitue un meilleur effort et satisfait au critère « de la province » de l’al. 23(1)b) de la Charte, puisque la loi de la province de Terre Neuve et Labrador permet de conclure de telles ententes interprovinciales. Un tel arrangement est une solution nouvelle qu’a encouragée la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahe (précité) et donne à l’art. 23 de la Charte la souplesse dont il a besoin pour atteindre son objectif.

Annotations – Paragraphe 23(2)

Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208, 2009 CSC 47 (CanLII)

[24] L’alinéa 23(1)a) de la Charte canadienne prévoit que les citoyens dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité linguistique de la province où ils résident ont le droit d’y faire instruire leurs enfants dans cette langue. Cet alinéa ne s’applique toutefois pas pour l’instant au Québec. En effet, l’art. 59 de la Loi constitutionnelle de 1982 dispose que son entrée en vigueur dans cette province exige l’autorisation de l’assemblée législative ou du gouvernement du Québec, autorisation qui n’a jamais été accordée. Seul s’applique l’al. 23(1)b) relativement à la langue d’enseignement des parents. Cet alinéa détermine à cet égard les catégories d’ayants droit qui peuvent exiger l’enseignement dans la langue de la minorité. Ainsi, selon l’al. 23(1)b), seuls les citoyens qui ont reçu leur instruction au niveau primaire en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité linguistique ont le droit d’y faire instruire leurs enfants dans cette langue. Par ailleurs, le par. 23(2) de la Charte canadienne traite de la continuité de la langue d’instruction d’un enfant et de l’unité du groupe familial. Cette disposition permet aux citoyens canadiens dont l’un des enfants reçoit ou a reçu son instruction dans la langue de la minorité linguistique de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction. Cette disposition se situe au cœur des présents pourvois. On notera que le par. 23(2) vise la langue d’instruction de l’enfant, plutôt que celle des parents, bien que ces derniers demeurent en définitive les titulaires des droits garantis. Finalement, le par. 23(3) assujettit la mise en œuvre des droits garantis à la présence d’un nombre suffisant d’enfants aptes à en bénéficier.

[…]

[27] Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Solski, le par. 23(2) de la Charte canadienne a pour objet précis de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement à l’intérieur du Canada (par. 30). Bien que l’art. 23 vise la protection et l’épanouissement des deux communautés linguistiques minoritaires francophone et anglophone, les droits accordés par le par. 23(2) s’appliquent indépendamment du fait que les parents ou les enfants admissibles fassent partie de l’une de ces communautés minoritaires, ou parlent l’une de ces langues à la maison, ou même aient une connaissance pratique de la langue de la minorité protégée. Comme notre Cour l’a affirmé dans l’affaire Solski, « [l]es conditions qui doivent être remplies en vertu de l’art. 23 reflètent le fait que les néocanadiens décident notamment d’adopter l’une ou l’autre langue officielle, ou les deux à la fois, en tant que participants au régime linguistique canadien » (par. 31). Le changement de résidence entre deux provinces ne représente pas non plus l’une des conditions d’exercice des droits garantis. Finalement, lorsqu’il renvoie à l’enseignement que l’enfant a reçu ou qu’il reçoit dans un établissement pour déterminer le droit de celui-ci de recevoir l’enseignement dans la langue de la minorité, le texte même du par. 23(2) ne distingue pas entre l’enseignement public ou privé, subventionné ou non. 

[…]

[29] L’évaluation globale du cheminement de l’enfant, effectuée d’un point de vue qualitatif, repose alors sur un ensemble de facteurs, d’importance variable selon les faits propres à chaque cas. Ces facteurs incluent notamment le temps passé dans divers programmes d’études, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, les programmes offerts et l’existence de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés (Solski, par. 33). L’évaluation qualitative de la situation de l’enfant permet ainsi de déterminer si le demandeur satisfait aux exigences du par. 23(2) et appartient à l’une des catégories reconnues de titulaires de droit. À ce propos, notre Cour a rappelé que cette disposition ne précise pas de période minimale que l’enfant devrait passer dans un programme d’enseignement de la minorité pour bénéficier des droits reconnus par la Constitution (Solski, par. 41). Toutefois, un court passage dans une école de la minorité ne témoigne pas d’un engagement réel et ne peut suffire, à lui seul, à obtenir le statut d’ayant droit visé à la Charte canadienne. À cet égard, notre Cour met en garde contre les parcours scolaires artificiels destinés à contourner les objectifs de l’art. 23 et à créer des catégories nouvelles d’ayants droit dont l’existence dépend de la seule discrétion des parents :

Compte tenu des objectifs de l’art. 23, il ne suffit pas qu’un enfant soit inscrit depuis quelques semaines ou quelques mois à un programme donné pour qu’il soit possible de conclure que cet enfant ainsi que ses frères et sœurs sont admissibles aux programmes d’enseignement dans la langue de la minorité au Québec. [Solski, par. 39.]

[…]

[32] La protection accordée par la Charte canadienne n’établit aucune distinction entre le type d’enseignement reçu par l’enfant, le caractère public ou privé de l’établissement d’enseignement ou encore la source de l’autorisation en vertu de laquelle l’enseignement dans une langue est dispensé.  Le paragraphe 23(2) de la Charte canadienne traduit davantage une réalité factuelle où des droits en matière linguistique sont protégés lorsque, compte tenu de l’ensemble de la situation de l’enfant et selon une analyse à la fois subjective et objective de son parcours, il est établi que celui-ci reçoit ou a reçu de l’instruction dans l’une des deux langues officielles du Canada. C’est donc le fait pour l’enfant d’avoir reçu de l’instruction dans une langue qui permet l’exercice du droit constitutionnel.  Cette interprétation rejoint d’ailleurs l’objectif premier du par. 23(2), à savoir favoriser la continuité d’emploi de la langue d’instruction. 

[33] L’impossibilité d’évaluer complètement le cheminement scolaire d’un enfant pour déterminer l’étendue de ses droits linguistiques scolaires a pour effet de tronquer la réalité, en créant un parcours scolaire fictif dont l’examen ne permet pas d’appliquer correctement les garanties constitutionnelles. Dans l’arrêt Solski, notre Cour a précisé qu’il doit être tenu compte du cheminement scolaire global de l’enfant pour déterminer s’il satisfait aux exigences du par. 23(2) de la Charte canadienne. Supprimer de l’analyse un pan entier du parcours scolaire, en raison de la nature ou de l’origine de l’enseignement reçu, ne permet pas l’analyse globale de la situation de l’enfant et de son parcours scolaire que commande l’arrêt Solski.

[34] Or, autant dans le cas des EPNS [écoles privées non subventionnées] que dans celui des autorisations spéciales délivrées par la province, les enfants reçoivent ou ont reçu, de fait, de l’enseignement en langue anglaise et se situent en principe dans les catégories d’ayants droit établies par le par. 23(2). L’interprétation correcte de cette disposition commande une analyse complète du parcours scolaire des enfants dont les parents désirent se prévaloir des garanties constitutionnelles, selon l’arrêt Solski. En conséquence, je conclus que les al. 2 et 3 de l’art. 73 CLF portent atteinte aux droits des intimés, et ce, dans les deux pourvois. Demeure toutefois la question de savoir si, comme le plaident les appelants, cette atteinte peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne.

[…]

[44] Certains éléments de preuve relatifs à l’utilisation des écoles passerelles laissent planer des doutes quant à l’authenticité de bon nombre de parcours scolaires, et quant aux objectifs de la création de certaines institutions. Ainsi, la publicité de quelques établissements suggère qu’un court passage en leur sein permet de rendre leurs élèves admissibles aux écoles anglophones financées à même les fonds publics (d.a., p. 1200-1202). Une méthode d’examen des dossiers plus conforme à celle établie dans l’arrêt Solski permet l’étude concrète du cas de chaque élève et de celui des établissements concernés. Elle porte sur la durée du parcours, la nature et l’histoire de l’institution et le type d’enseignement qu’on y donne. Par exemple, on peut penser qu’un passage de six mois ou d’un an au début du cours primaire dans des institutions créées pour jouer le rôle de passerelles vers l’enseignement public ne représente pas un parcours scolaire respectant les objectifs du par. 23(2) de la Charte canadienne et l’interprétation donnée à cette disposition dans l’arrêt Solski. De plus, comme je l’ai souligné précédemment, on se souviendra que dans cet arrêt, notre Cour avait exprimé des réserves à l’égard des tentatives de créer des droits linguistiques en faveur de catégories élargies d’ayants droit au moyen de courts passages dans des établissements scolaires de la langue de la minorité (Solski, par. 39).

[45] Les situations visées par le pourvoi Bindra touchent elles aussi un nombre relativement restreint d’enfants. En effet, selon les statistiques fournies par les appelants, il appert que, de 1990 à 2002, en moyenne 7,1 pour 100 des élèves admissibles à l’enseignement en anglais l’étaient en vertu d’une autorisation spéciale délivrée par la province en conformité avec les art. 81, 85 et 85.1 CLF (Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, 2002-2007, p. 90). Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer avec précision dans quelle proportion ces élèves ont par la suite obtenu un certificat d’admissibilité en vertu de l’art. 73, al. 1(2) CLF, je constate, toutefois, qu’une forte majorité de ceux-ci sont admissibles parce qu’ils séjournent temporairement au Québec et ont obtenu, sur cette base, des autorisations spéciales en vertu de l’art. 85 CLF. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le mécanisme des autorisations spéciales continue de relever entièrement du gouvernement du Québec. Celui‑ci peut donc accorder des autorisations qui excèdent le cadre de ses obligations constitutionnelles, mais il ne peut, ce faisant, nier les droits qui découlent de ces autorisations et qui sont garantis par la Charte canadienne.  Les dispositions ajoutées à la CLF par la Loi 104 et qui s’appliquent au cas de M. Bindra ne respectent pas le principe de la préservation de l’unité des groupes familiaux que reconnaît le par. 23(2) de la Charte canadienne. En effet, elles sont de nature à empêcher totalement le regroupement des enfants d’une famille dans un même système scolaire.

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[27] Nous ne pouvons accepter que l’interprétation mathématique restrictive puisse être compatible avec le par. 23(2) de la Charte canadienne.  Ce paragraphe a pour objet d’identifier une seule catégorie de bénéficiaires.  Il doit être interprété de manière large et compatible avec l’objectif constitutionnel de protection des communautés linguistiques minoritaires.

[28] Compte tenu de l’interprétation que doit recevoir le para. 23(2) et que nous allons exposer en détail plus loin, nous estimons que, pour respecter cette disposition constitutionnelle, le critère de la « majeure partie » qu’établit la CLF [Charte de la langue française] doit comporter une évaluation qualitative plutôt que strictement quantitative du cheminement scolaire de l’enfant, évaluation permettant de déterminer si cet enfant a reçu une partie importante — sans qu’il s’agisse nécessairement de la plus grande partie — de son instruction, considérée globalement, dans la langue de la minorité.  En fait, le cheminement scolaire antérieur et actuel est le meilleur indice d’engagement authentique à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité.   Cette évaluation est à la fois subjective, en ce sens qu’il est nécessaire d’examiner l’ensemble de la situation de l’enfant, et objective, en ce sens que le ministre, le TAQ [Tribunal administratif du Québec] et les tribunaux judiciaires doivent déterminer si, compte tenu de la situation personnelle de l’enfant et de son cheminement scolaire antérieur et actuel, l’admission de celui‑ci cadre avec l’objet général du para. 23(2) et, en particulier, avec la nécessité de protéger et de renforcer la communauté linguistique minoritaire en conférant des droits individuels à une catégorie particulière de bénéficiaires.

B. Paragraphe 23(2) : continuité d’emploi de la langue d’instruction

[29] Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité garantis au par. 23(2) de la Charte canadienne ont trait à la langue d’instruction de l’enfant plutôt qu’à celle des parents.  Comme dans le cas de l’al. 23(1)b), les titulaires de droits sont les parents, même si la norme d’application est celle de la langue d’instruction de l’enfant.  Le paragraphe 23(2) est ainsi conçu :

23.   . . .

(2)   Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

Comme nous l’avons vu, le par. 23(2) doit recevoir une interprétation téléologique; cette interprétation doit refléter sa nature réparatrice et être compatible avec l’intention d’adopter un ensemble uniforme de droits minimums qui, dans les faits, limitent la compétence provinciale en matière d’éducation.

[30] Le paragraphe 23(2) a pour objet précis de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement.  Les rédacteurs voulaient qu’un enfant qui a étudié ou qui étudie dans une langue officielle puisse terminer ses études dans cette langue, là où elle est minoritaire.  Voici ce qu’a expliqué le ministre de la Justice de l’époque, l’honorable Jean Chrétien :

L’opinion de ce gouvernement, monsieur le président, est à l’effet que de tels droits doivent être protégés par la Constitution, parce qu’ils sont essentiels à la nature même du Canada.  Si l’on enlève le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, l’on met sérieusement en danger le droit d’avoir un emploi n’importe où au Canada.  Les Canadiens de langue anglaise qui viennent s’installer au Québec veulent avoir le droit d’envoyer leurs enfants dans une école où la langue d’instruction est l’anglais. . .

De même, les Canadiens de langue française ne veulent pas s’installer dans d’autres régions du Canada à moins qu’ils ne puissent envoyer leurs enfants dans une école où l’instruction est offerte dans leur langue.  La seule façon de remédier à cette situation est de garantir ces droits dans la Constitution.  D’ailleurs, sans une garantie des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, il ne peut y avoir entière liberté de circulation et d’établissement.

(Débats de la Chambre des communes, vol. III, 1re sess., 32e lég., 6 octobre 1980, p. 3286)

L’intitulé de cette disposition, « Continuité d’emploi de la langue d’instruction », s’harmonise avec cette interprétation.  De plus, lorsqu’un enfant a reçu ou reçoit son instruction dans la langue de la minorité, ses frères et sœurs ont également droit à l’instruction dans la langue de la minorité.  Dans l’article intitulé « Les droits scolaires des minorités linguistiques », qui figure dans l’ouvrage de G.-A. Beaudoin et E. P. Mendes, dir., Charte canadienne des droits et libertés (3e éd. 1996), 941, p. 953, P. Foucher confirme que l’unicité de la famille est un aspect fondamental de cette disposition.

[31] Cependant, de nombreuses personnes remplissent les conditions requises par l’art. 23 sans appartenir à la minorité, même les francophones hors Québec qui ont choisi de faire instruire leurs enfants en anglais.  À cet égard, même si, en définitive, l’art. 23 vise la protection et l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires, le par. 23(2) s’applique, indépendamment de la possibilité que les parents ou les enfants admissibles ne soient pas francophones ou anglophones ou qu’ils ne parlent pas ces langues à la maison.  Les conditions qui doivent être remplies en vertu de l’art. 23 reflètent le fait que les néocanadiens décident notamment d’adopter l’une ou l’autre langue officielle, ou les deux à la fois, en tant que participants au régime linguistique canadien.  Nous allons maintenant examiner quelle interprétation du par. 23(2) s’harmonise avec cet objet.

[32] Les termes « a reçu », utilisés dans l’expression « a reçu ou reçoit », apparaissent également (quoique à la troisième personne du pluriel : « ont reçu ») à l’al. 23(1)b), qui donne aux parents ayant reçu leur instruction en français ou en anglais au niveau primaire le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de cette instruction lorsqu’elle constitue la langue de la minorité dans la province où ils habitent.  Les termes « a reçu » ou « ont reçu » évoquent le « dossier scolaire », le « cheminement scolaire » ou encore le « parcours scolaire », pour reprendre l’expression utilisée par la Cour d’appel en l’espèce.  L’alinéa 23(1)b) et le par. 23(2) partagent le même objet et doivent être interprétés de la même façon.

[33] Une mesure législative provinciale établissant des critères applicables au cheminement scolaire de l’enfant est utile.  Toutefois, ces critères doivent s’harmoniser avec l’objet de l’art. 23.  Il ressort de cet objet que l’art. 23 garantit à la fois un droit social et collectif et un droit civil et individuel.  En fait, il faut souligner là encore que, pour être admissibles sous le régime de l’art. 23, les enfants n’ont pas à posséder une connaissance pratique de la langue de la minorité ni à appartenir à un groupe culturel identifié à cette langue.  Cet article est une disposition réparatrice.  Dans des arrêts antérieurs, notre Cour a tenu à préciser que l’art. 23 doit être interprété de manière à faciliter la réintégration, dans la communauté culturelle que l’école de la minorité est censée protéger et contribuer à épanouir, des enfants qui ont été isolés de cette communauté.  Le paragraphe 23(2), en particulier, favorise la liberté de circulation et d’établissement ainsi que la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, même si le changement de lieu de résidence n’est pas une condition d’exercice du droit garanti.  Comme nous l’avons vu, l’art. 23 est également censé s’appliquer à des membres de communautés culturelles qui ne sont ni francophones ni anglophones.  Pour procéder à une évaluation téléologique du critère d’admissibilité prévu au par. 23(2), il faut donc prendre en considération l’ensemble de la situation de l’enfant, y compris le temps passé dans chaque programme, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, les programmes qui sont offerts ou qui l’étaient et l’existence ou non de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés.  De cette façon, il est possible de déterminer si le cheminement scolaire global d’un enfant satisfait aux exigences du par. 23(2).

[…]

[35] La question pertinente consiste donc à se demander si le critère de la « majeure partie » est compatible avec l’objet du par. 23(2) et s’il peut garantir que les enfants qu’il est censé protéger seront admis dans des écoles de la minorité linguistique.  À notre avis, selon l’interprétation qu’en donne le TAQ, ce critère a une portée trop limitée; il ne permet pas de réaliser l’objet du par. 23(2) et on ne saurait donc dire qu’il le complète ou qu’il lui sert de substitut valable.  Par conséquent, le critère de la « majeure partie » ne peut être sauvegardé que si on donne à l’adjectif « majeure » un sens qualitatif plutôt que quantitatif.

[…]

(1) La portée du par. 23(2)

[38] Il est possible, en évaluant de manière qualitative le cheminement scolaire global d’un enfant pour déterminer s’il satisfait aux exigences du par. 23(2), de tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris ceux mentionnés précédemment (c’est-à-dire le temps passé dans chaque programme, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, les programmes qui sont offerts ou qui l’étaient et l’existence ou non de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés).  Dans les paragraphes qui suivent, nous allons analyser les facteurs susmentionnés.  Il faut toutefois reconnaître que la pertinence de chaque facteur varie selon les faits de chaque cas et que la situation et le cheminement scolaire antérieur et actuel de l’enfant en question peuvent également faire intervenir d’autres facteurs.

(2) Les facteurs à considérer

a) Combien de temps a été passé dans chaque programme?

[39] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant, il est néanmoins important de prendre en considération la période totale — études primaires et secondaires combinées — que l’enfant a passée dans le programme d’enseignement dans la langue de la minorité pour déterminer si l’ensemble de son cheminement scolaire satisfait aux exigences du par. 23(2).  La pertinence de ce facteur découle du fait que plus un enfant passe du temps dans un programme, plus il est facile de conclure à l’existence d’une intention réelle d’adopter cette langue d’enseignement plutôt que l’autre; ce facteur est un indice de l’appartenance à la communauté linguistique minoritaire officielle.  Compte tenu des objectifs de l’art. 23, il ne suffit pas qu’un enfant soit inscrit depuis quelques semaines ou quelques mois à un programme donné pour qu’il soit possible de conclure que cet enfant ainsi que ses frères et sœurs sont admissibles aux programmes d’enseignement dans la langue de la minorité au Québec.

[40] Étant donné que le temps qu’un enfant passe dans le programme d’enseignement dans la langue de la minorité peut témoigner de l’existence d’un lien plus important avec cette langue qu’avec celle de la majorité, l’objet du par. 23(2) — qui est de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement — entre en jeu.  Par conséquent, il faut examiner, tant d’un point de vue subjectif que d’un point de vue objectif, la question du caractère suffisant du lien avec la langue de la minorité.  Du point de vue subjectif, les circonstances révèlentelles une intention d’adopter la langue de la minorité comme langue d’enseignement?  Du point de vue objectif, le cheminement scolaire et les choix faits à cet égard étayentils l’existence d’un tel lien jusqu’à maintenant?

[41] Cela dit, il importe de rappeler que le par. 23(2) de la Charte canadienne ne précise pas de période minimale que l’enfant devrait passer dans un programme d’enseignement dans la langue de la minorité pour que son cheminement scolaire satisfasse aux exigences de ce paragraphe.  Il n’exige pas non plus que l’enfant ait passé plus de temps dans le programme d’enseignement de la minorité que dans celui de la majorité.  Ce facteur ne doit donc pas être appliqué d’une manière strictement mathématique, ni considéré isolément.  Il faut plutôt considérer le temps passé dans chaque programme conjointement avec les autres facteurs analysés plus loin, et ce, au regard toujours de l’objet du par. 23(2).

b) À quelle étape des études le choix de la langue d’instruction a-t-il été fait?

[42] L’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait est un autre facteur qui peut se révéler utile pour décider si le cheminement scolaire d’un enfant satisfait aux exigences du par. 23(2).  Il peut également s’avérer important de se demander quelle a été la première langue d’enseignement. Dans certains cas, la première langue choisie est un meilleur indice de l’intention d’adopter de façon permanente une langue de préférence à l’autre; dans d’autres cas, elle ne l’est pas.  Les raisons d’un changement peuvent être révélatrices.  S’il est fait au moment d’entrer à l’école secondaire, le choix de la langue de la minorité peut témoigner d’un engagement plus ferme et plus éclairé envers cette langue que s’il avait été fait dès les premières années du primaire, et ce, en raison des exigences scolaires plus strictes que comporte l’enseignement secondaire, ainsi que de son incidence sur les possibilités qui s’ouvriront en matière d’études postsecondaires.  Comme nous l’avons vu, lorsque les faits révèlent un engagement à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité, l’objet du par. 23(2) — qui est de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement — entre en jeu.

c) Quels programmes sont offerts ou l’étaient?

[43] Pour déterminer si le cheminement scolaire d’un enfant satisfait aux exigences du par. 23(2), il importe aussi de se demander quels programmes d’enseignement dans la langue de la minorité sont offerts ou l’étaient.  Par exemple, si un enfant fait sa première année dans la langue de la minorité, mais passe ensuite les trois années scolaires subséquentes dans une région où la langue de la minorité n’est pas utilisée, il est clair que, selon l’interprétation restrictive de l’art. 73 CLF, il n’aura pas reçu la « majeure partie » de son enseignement dans la langue de la minorité.  Cependant, selon une interprétation téléologique du par. 23(2) de la Charte canadienne, le temps passé dans le système d’enseignement dans la langue de la majorité ne doit pas être considéré comme indiquant un choix de cette langue comme langue d’instruction de l’enfant dans le cas où aucune école de la minorité linguistique n’était disponible.  Le paragraphe 23(2) vise notamment à favoriser la liberté de circulation et d’établissement.  Cet objet serait contrecarré et les parents et leurs enfants, de même que l’ensemble de la communauté linguistique minoritaire, seraient injustement pénalisés si, au moment où ils déménagent dans une région où l’enseignement dans la langue de la minorité est disponible, des enfants étaient empêchés de poursuivre leurs études dans cette langue simplement parce qu’ils ont vécu temporairement dans une région où l’enseignement en question n’était pas offert.  Là encore, il est évident que la situation des élèves qui déménagent au Québec est unique, du fait que la possibilité de recevoir un enseignement en anglais dans les territoires et les autres provinces n’est pas contestée.  Comme nous l’avons vu, le contexte géographique a toujours de l’importance.

[44] Il importe également d’adopter un point de vue socioculturel et de tenir compte de la situation de chaque enfant pour déterminer si des programmes d’enseignement dans la langue de la minorité sont offerts ou l’étaient.  En examinant la situation qui existe dans une province autre que le Québec, il faut se rappeler qu’il se pourrait que des parents assimilés aient envoyé leur enfant à l’école de la majorité linguistique et que, dans la dernière portion du cheminement scolaire de l’enfant, ils se soient ravisés et l’aient inscrit à l’école de la minorité linguistique pour l’aider à réintégrer la communauté linguistique minoritaire et à en adopter la culture.  Il se peut que l’enfant ait disposé d’un programme d’enseignement dans la langue de la minorité pendant tout son cheminement scolaire, mais que le choix de l’y inscrire ne soit devenu viable que lorsque les parents assimilés ont décidé de l’aider à rétablir des liens avec la communauté linguistique minoritaire et sa culture.  Dans ce contexte, l’objet réparateur du par. 23(2) entre en jeu et, comme nous l’avons vu, le droit qu’il garantit doit être interprété de manière à faciliter la réintégration, dans la communauté culturelle que l’école de la minorité est censée protéger et contribuer à épanouir, des enfants qui ont été isolés de cette communauté.  Dans ces circonstances, il serait bon et conforme à l’objet du par. 23(2) que les frères et sœurs de cet enfant reçoivent leur instruction dans la langue de la minorité.  Tout cela pour souligner que l’application de l’art. 23 doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et les communautés linguistiques minoritaires des territoires et des autres provinces.  Par conséquent, bien qu’il soit possible que certains cheminements scolaires ne rendent pas admissibles à l’enseignement dans la langue de la minorité suivant une définition qualitative du critère de la « majeure partie » énoncé à l’art. 73 CLF, cela ne signifie pas qu’ils ne pourraient pas y donner ouverture dans le cadre d’autres régimes législatifs provinciaux d’enseignement dans la langue de la minorité, chaque régime tenant nécessairement compte du contexte historique et social particulier de la province qui l’adopte.

d) Existe-t-il des problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés?

[45] Dans certains cas, les problèmes d’apprentissage dans une langue en particulier constituent un autre facteur pertinent.  Par exemple, si un enfant fait ses première, deuxième et troisième années dans la langue de la minorité, puis ses quatrième, cinquième et sixième années dans la langue de la majorité, et qu’il éprouve des problèmes d’apprentissage dans cette langue, cet enfant sera pénalisé de manière inacceptable s’il est forcé de poursuivre ses études dans la langue de la majorité, particulièrement s’il a établi des liens plus étroits avec la communauté linguistique minoritaire, vu le fait qu’il juge plus facile de recevoir son instruction dans la langue de la minorité.

[…]

[47] Le critère établi au par. 23(2) a pour objet de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité et la liberté de circulation et d’établissement aux enfants qui poursuivent leurs études dans l’une des langues officielles.  Dans la majorité des cas, l’enfant qui est légalement inscrit à un programme d’enseignement reconnu et qui le suit régulièrement est en mesure de poursuivre ses études dans la même langue.  Cette conclusion est compatible avec le libellé du par. 23(2) et avec les objectifs de protection et d’épanouissement de la communauté linguistique minoritaire, ainsi qu’avec le fait qu’un enfant régulièrement inscrit à une école de la minorité linguistique a droit à un cheminement scolaire uniforme et ne devrait pas être déraciné et envoyé dans une école de la majorité linguistique.  Un tel déracinement ne serait ni dans l’intérêt de la communauté linguistique minoritaire ni dans celui de l’enfant.  Néanmoins, il est justifié de procéder à une évaluation qualitative de la situation pour déterminer s’il existe une preuve d’engagement authentique à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité, chaque province exerçant son pouvoir discrétionnaire en fonction de sa situation particulière, de son obligation de respecter les objectifs de l’art. 23 et de ses politiques d’enseignement.

[…]

[50] Le législateur québécois ne se demande pas si l’instruction dans une langue a été reçue dans le cadre d’un programme d’immersion ou dans une école de la minorité linguistique.  Par exemple, Shanning Casimir a reçu la moitié de son instruction en anglais et la moitié en français dans le cadre d’un programme d’immersion en français.  On a décidé qu’elle n’avait pas reçu la « majeure partie » de son instruction en anglais.  Cette décision ne tient pas compte des différences importantes qui existent entre les programmes d’immersion et les programmes d’enseignement dans la langue de la minorité.  À l’extérieur du Québec, les programmes d’immersion sont conçus pour donner une formation dans la langue seconde aux enfants qui fréquentent les écoles destinées à ceux et celles qui adoptent la langue de la majorité.  Ces programmes sont offerts dans un environnement où il existe une majorité linguistique et où la langue de la majorité est parlée en dehors des classes et pendant les activités parascolaires.  Ils sont offerts dans des écoles de la majorité linguistique faisant partie du système scolaire de cette majorité.  Il leur manque donc l’élément culturel essentiel à l’instruction dans la langue de la minorité, qui a été analysé dans l’arrêt Mahe.  Dans cet arrêt, la Cour a insisté sur le besoin de la minorité de s’identifier avec les écoles lorsqu’elle a jugé que l’art. 23 garantit un droit de gestion aux représentants de la minorité.  Par conséquent, même si rien dans le libellé du par. 23(2) n’assujettit à des limites strictes la nature de l’instruction, il serait contraire à l’objet de la disposition d’assimiler les programmes d’immersion à l’enseignement dans la langue de la minorité.  À notre avis, reconnaître que les programmes d’immersion constituent un aspect de l’enseignement dans la langue de la minorité ne tient pas compte du fait que Shanning Casimir recevait, en fait, un enseignement pour anglophones et qu’elle avait des liens plus étroits avec la communauté anglophone qu’avec la communauté francophone.  Par conséquent, en vertu des par. 23(2) de la Charte canadienne et 73(2) CLF, elle avait donc le droit de poursuivre ses études dans la langue de la minorité au Québec.

Territoires du Nord‑Ouest (Procureur général) c. Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord‑Ouest, 2015 CanLII 168 (NWT CA)

[22] L’éducation est un pouvoir de nature provinciale (et par extension législative, territoriale), et chacune des provinces a un intérêt légitime dans la prestation et la réglementation de services d’enseignement dans la langue de la minorité: Arsenault‑Cameron c Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), au paragraphe 53, [2000] 1 RCS 3, Solski au paragraphe 10. La Cour suprême a déclaré à plusieurs reprises qu’il était important de reconnaître aux différents gouvernements la responsabilité de respecter leurs obligations constitutionnelles. Pour ce qui est de l’interprétation de la condition de participation mentionnée au paragraphe 23(2), la Cour a clairement déclaré dans Solski, Gosselin et Nguyen que les gouvernements provinciaux devaient conserver le pouvoir de veiller à ce que soient respectés les critères de l’article 23.

Les gouvernements provinciaux ont le droit de s’assurer que l’inscription au programme en question et la participation globale à ce programme […] concordent avec l’appartenance à la catégorie de bénéficiaires définie au par. 23(2). (Solski au paragraphe 48)

[…]

[27] Les intimés soutiennent que le paragraphe 23(2) « ouvre la porte » à la création de nouvelles catégories d’ayants droit. La Cour ne lui donne pas une interprétation aussi large. Le paragraphe 23(2) est une disposition relative à la mobilité. L’intitulé « Continuité d’emploi de la langue d’instruction » est pertinent. La Cour suprême a décrit de la façon suivante l’objet du paragraphe 23(2) au paragraphe 30 de l’arrêt Solski :

Le paragraphe 23(2)  a pour objet précis de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement. Les rédacteurs voulaient qu’un enfant qui a étudié ou qui étudie dans une langue officielle puisse terminer ses études dans cette langue, là où elle est minoritaire. Voici ce qu’a expliqué le ministre de la Justice de l’époque, l’honorable Jean Chrétien : 

L’opinion de ce gouvernement, monsieur le président, est à l’effet que de tels droits doivent être protégés par la Constitution, parce qu’ils sont essentiels à la nature même du Canada. Si l’on enlève le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, l’on met sérieusement en danger le droit d’avoir un emploi n’importe où au Canada. Les Canadiens de langue anglaise qui viennent s’installer au Québec veulent avoir le droit d’envoyer leurs enfants dans une école où la langue d’instruction est l’anglais […].

De même, les Canadiens de langue française ne veulent pas s’installer dans d’autres régions du Canada à moins qu’ils ne puissent envoyer leurs enfants dans une école où l’instruction est offerte dans leur langue. La seule façon de remédier à cette situation est de garantir ces droits dans la Constitution. D’ailleurs, sans une garantie des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, il ne peut y avoir entière liberté de circulation et d’établissement.

(Débats de la Chambre des communes, vol. III, 1re sess., 32e lég., 6 octobre 1980, p. 3286) (Non souligné dans l’original.)

[28] De cette façon, un enfant qui étudie en français au Nouveau‑Brunswick et dont les parents déménagent ensuite à Yellowknife peut continuer d’étudier en français ainsi que ses frères et sœurs. Si un enfant grec est instruit en anglais à Toronto et que les parents déménagent à Montréal, l’enfant et ses frères et sœurs peuvent continuer à étudier en anglais. Cet article empêche également le « retour en arrière ». Lorsqu’un enfant a commencé ses études dans la langue de la minorité, la province ne peut restreindre les normes d’admissibilité pour écarter cet élève ainsi que ses frères et sœurs.

[29] De plus, il convient d’examiner le paragraphe 23(2) avec le reste de l’article 23. Si on interprète le paragraphe 23(2) comme s’il avait pour but de créer de nouvelles catégories d’ayants droit, cela aurait essentiellement pour effet de rendre le critère de « la première langue apprise et encore comprise » tout à fait redondant. La Cour suprême a constamment affirmé que l’article 23 avait pour objet de protéger, préserver et développer les communautés linguistiques en situation minoritaire au Canada en leur fournissant une instruction conforme à leur identité culturelle et linguistique. L’interprétation que donne la juge de première instance de l’article 23 reviendrait presque à adopter un modèle axé sur le « libre choix », qui n’est pas conforme au sens courant des termes de l’article 23. Autoriser la commission scolaire à créer de nouvelles catégories d’ayants droit, sans aucun contrôle gouvernemental, aurait pour effet de vider de sa substance le critère du nombre. Il se lirait alors ainsi « lorsque le nombre des ayants droit le justifie ou lorsqu’il est possible d’admettre suffisamment de non-ayants droit pour le justifier ». Telle ne peut avoir été l’intention de nos rédacteurs et cette interprétation ne peut être retenue.

Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CanLII 170 (NWT CA)

[45] Le compromis que représente l’article 23 a effectivement entraîné certaines conséquences intéressantes. Par exemple, le paragraphe 23(2) signifie que si un frère ou une sœur (qui, à strictement parler, ne possède pas de droits en vertu de l’article 23) est en mesure de s’inscrire à une école de la minorité linguistique, tous ses frères et sœurs deviendront des titulaires des droits garantis par l’article 23. Cette formule visait à promouvoir l’« unité familiale linguistique ». Les intimés considèrent cette situation comme une occasion de gonfler leur « nombre »; s’ils peuvent réussir à faire inscrire un des enfants de la famille dans une école de la minorité linguistique, tous leurs autres frères et sœur deviennent alors des titulaires des droits garantis par l’article 23, ce qui est alors susceptible d’augmenter leur « nombre ». Les gouvernements, en revanche, abordent ce phénomène non sans une certaine appréhension. Compte tenu des coûts relativement élevés que représente l’enseignement dans la langue de la minorité, les gouvernements sont évidemment préoccupés par le nombre de titulaires des droits garantis par l’article 23. Bien que l’État soit tenu, de par la Constitution, d’offrir l’enseignement dans la langue de la minorité aux personnes qui y ont droit, il n’a pas l’obligation de garantir ces droits à d’autres personnes. L’État est par conséquent parfaitement justifié de contrôler attentivement l’admission dans les établissements scolaires de la minorité linguistique: Nguyen c Québec, au par. 36; Solski (Tuteur de) c Québec (Procureur général), 2005 CSC 14 (CanLII), au par. 48, [2005] 1 RCS 201.

Abbey c. Conseil de l'éducation du comté d'Essex, 1999 CanLII 3693 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement] 

[NOTRE TRADUCTION]

[1] […] La question en l’espèce est celle de savoir si ce droit s’étend à un parent dont la première langue n’est pas celle de la population linguistique minoritaire de la province où vit ce parent.

[23] Dans ce contexte, je suis d’avis que les par. 23(1) et (2) énoncent des droits distincts qui sont liés sur le plan conceptuel, mais indépendants les uns des autres. Le droit à une instruction dans la langue de la minorité appartient non seulement aux enfants de citoyens dont la première langue est celle de la population linguistique minoritaire anglaise ou française de la province dans laquelle ils résident, ou qui se sont faire instruire dans cette langue au niveau primaire : par. 23(1). Ce droit en matière d’éducation est également offert à tous les enfants d'un citoyen canadien si l'un des enfants de ce citoyen s’est fait instruire en anglais ou en français aux niveaux primaire ou secondaire au Canada. Non seulement les enfants qui ont reçu – ou qui reçoivent – leur instruction dans la langue de la minorité linguistique ont le droit de continuer à recevoir leur instruction dans cette langue aux niveaux primaire et secondaire, mais leurs frères et sœurs jouissent du même droit continu.

[24] Aux fins du par. 23(2), il importe peu que cette instruction antérieure dans la langue ait été reçue dans une autre province, une autre partie d’une province ou par la voie d’un type de comité d’admission visé par la Loi sur l’éducation. Peu importe son origine, c'est le fait qu'elle s'est produite qui donne droit à la protection du par. 23(2).

[27] […] Les parents anglophones de l’Ontario n’ont pas le droit constitutionnel de choisir de faire instruire leurs enfants en français. Leurs enfants ne peuvent pas être admis à une école de langue française, à moins qu'un comité d'admission, contrôlé par des membres de la minorité, leur octroie accès : Michel Bastarache, André Braen, Didier Emmanuel, Pierre Foucher, Droits linguistiques au Canada, Michel Bastarache éd. (Montréal : Les Éditions Yvon Blais Inc. 1989). Si, toutefois, l’un de leurs enfants est admis à une école de langue française, alors le reste de leurs enfants ont un tel droit.

[28] Même si l’objet primordial de l’art. 23 est la protection de la langue et de la culture de la minorité linguistique grâce à l’instruction, cela n’exclut pas l’interprétation du par. 23(2) en fonction de son sens ordinaire, même si cela signifie que des droits reviennent ainsi à des personnes qui ne sont pas membres de la minorité linguistique. Plus l’on maîtrise les langues officielles du Canada, plus il y a de possibilités pour les groupes linguistiques minoritaires de prospérer au sein de la collectivité.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[456] La troisième catégorie de titulaires de droits est formée des personnes qui sont devenues des titulaires de droits en vertu du par. 23(2) de la Charte du fait qu’un de leurs enfants a reçu ou reçoit son instruction en français aux niveaux primaire ou secondaire, que ce soit dans le passé ou à l’heure actuelle. Ce groupe comprend les parents d’enfants qui ont reçu leur instruction en français n’importe où au Canada, pour autant qu’il ne se soit pas agi d’un programme d’immersion en français. J’appellerai à l’occasion ces titulaires de droits les « titulaires de droits en raison des frères et sœurs ».

[579] Le paragraphe 23(3) donne aux titulaires de droits en raison de la langue maternelle, de l’instruction reçue et des frères et sœurs le droit de faire instruire leurs enfants en français lorsque le nombre le justifie. De même, le droit de faire instruire leurs enfants dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique s’applique lorsque « le nombre de ces enfants le justifie », cette expression renvoyant aux enfants des titulaires de droits qui sont des citoyens. Une personne ne peut être titulaire de droits que si elle est citoyenne canadienne. Ainsi, les enfants de titulaires de droits immigrants ne doivent pas être inclus dans la catégorie des enfants qui peuvent raisonnablement s’attendre à pouvoir participer au programme.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Annotations – Paragraphe 23(3)

Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), [2015] 2 R.C.S. 139, 2015 CSC 21 (CanLII)

[29] Le droit à des établissements d’enseignement de qualité équivalente à ceux de la majorité que confère l’art. 23 aux titulaires de droits linguistiques minoritaires quand le nombre d’enfants le justifie constitue un moyen de contrer l’assimilation qui se produit quand les enfants de ces titulaires de droits fréquentent les écoles de la majorité linguistique. Dans l’arrêt Mahe, la Cour a expliqué que l’art. 23 garantissait une « échelle variable » de droits à l’instruction dans la langue de la minorité (p. 366). À la limite supérieure de l’échelle variable, le nombre justifie la fourniture du plus haut niveau de services à la communauté linguistique minoritaire. Dans un tel cas, les titulaires de droits doivent bénéficier d’établissements d’enseignement complets, distincts de ceux offerts à la majorité linguistique, mais de qualité équivalente (Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 854-855; Mahe, p. 378). Ces établissements doivent être accessibles et situés, si possible, dans la collectivité où habitent les enfants (Arsenault-Cameron, par. 56). Le niveau supérieur de l’échelle variable prévoit la création de conseils scolaires séparés pour la minorité linguistique (Mahe, p. 374).

[30] Dans l’arrêt Mahe, la Cour a conclu que les coûts et les considérations pratiques sont pertinents pour déterminer où se situe, sur l’échelle variable des droits prévus à l’art. 23, une communauté linguistique minoritaire donnée, même si les considérations pédagogiques ont généralement plus de poids (p. 384-385). Une fois qu’il est établi que le nombre d’enfants commande le plus haut niveau de services, l’art. 23 exige que la qualité des services soit essentiellement équivalente à celle des services offerts aux élèves de la majorité linguistique. Il est également impératif que les parents de la minorité linguistique aient un certain degré de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire (p. 371-372). Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de la langue et de la culture minoritaires en milieu scolaire.

[…]

[33] Pour donner effet aux droits garantis par l’art. 23, l’accent devrait alors être mis sur l’équivalence réelle plutôt que sur les coûts par personne et les autres indicateurs d’équivalence formelle. En l’espèce, la preuve indique que le CSF touche une prime de 15 pour 100 dans le cadre du financement opérationnel qu’il reçoit de la Province, comparativement aux autres conseils scolaires de la province. Vu les économies d’échelle, il n’est pas étonnant que les coûts par personne soient plus élevés pour un conseil scolaire ou une école de la minorité linguistique (Mahe, p. 378). Cependant, aucune somme précise par personne ne pourra satisfaire aux exigences de l’art. 23 dans un cas donné. En revanche, ce qui est primordial, c’est que l’expérience éducative des enfants de titulaires des droits garantis par l’art. 23 à la limite supérieure de l’échelle variable soit de qualité réellement semblable à l’expérience éducative des élèves de la majorité linguistique. Comme la Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Arsenault-Cameron, « [l]’article 23 repose sur la prémisse que l’égalité réelle exige que les minorités de langue officielle soient traitées différemment, si nécessaire, suivant leur situation et leurs besoins particuliers, afin de leur assurer un niveau d’éducation équivalent à celui de la majorité de langue officielle » (par. 31).

[…]

[35] Dans l’évaluation de l’équivalence, la méthode téléologique exige du tribunal qu’il tienne compte des choix offerts en matière d’éducation du point de vue des titulaires des droits garantis à l’art. 23. Des parents raisonnables qui détiennent ces droits seraient-ils dissuadés d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique parce que l’école est véritablement inférieure à une école de la majorité linguistique où ils peuvent les inscrire? Dans l’affirmative, l’objet de cette disposition réparatrice est menacé. Si l’expérience éducative, prise globalement, est suffisamment supérieure dans les écoles de la majorité linguistique, ce fait pourrait affaiblir la volonté des parents de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité, ce qui, du coup, risque d’entraîner l’assimilation. L’analyse de l’équivalence doit donc être axée sur des comparaisons susceptibles de compromettre l’exercice des droits garantis par l’art. 23 de la Charte.

[…]

[37] Si les titulaires de droits se demandent quelle école devrait fréquenter leur enfant ou s’il y a lieu de retirer leur enfant d’une école de la minorité linguistique, ils songeront aux écoles de la majorité linguistique des environs comme solutions de rechange. Ainsi, le groupe de comparaison qui conviendra généralement à l’évaluation de l’équivalence réelle d’une école de la minorité linguistique sera constitué des écoles avoisinantes de la majorité linguistique qui représentent une solution de rechange réaliste pour les titulaires de droits. Comparer les installations d’une école de la minorité linguistique à des établissements de l’extérieur du secteur ne permettrait pas de brosser un portrait réaliste des choix qui s’offrent aux titulaires de droits, qui ne peuvent pas envoyer leurs enfants à une école située à l’autre bout de la province. Bien sûr, l’étendue géographique précise du groupe de comparaison et l’utilité relative de ce genre de comparaison varient selon les circonstances (Arsenault-Cameron, par. 57).

[…]

[39] Par conséquent, la comparaison est de nature contextuelle et holistique, tenant compte non seulement des installations matérielles, mais aussi de plusieurs autres facteurs, y compris la qualité de l’instruction, les résultats scolaires, les activités parascolaires et le temps de déplacement. Une telle approche s’apparente à la façon dont les parents prennent des décisions relatives à l’instruction de leurs enfants. Bien entendu, la mesure dans laquelle un facteur donné constitue une question en litige dans l’appréciation de l’équivalence est fonction des circonstances de l’affaire. On examine ensemble les facteurs pertinents pour décider si, globalement, l’expérience éducative est inférieure au point de pouvoir dissuader les titulaires de droits d’inscrire leurs enfants dans une école de la minorité linguistique.

[…]

[41] En fin de compte, l’évaluation est axée sur l’équivalence réelle de l’expérience éducative. Si, dans l’ensemble, l’expérience est équivalente, les exigences de l’art. 23 sont respectées.

[…]

[50] En résumé, on tient compte des coûts et des considérations pratiques pour déterminer où se situe une communauté linguistique minoritaire sur l’échelle variable des droits garantis par l’art. 23. Si cette communauté a droit au plus haut niveau de services d’enseignement, au même titre que la communauté majoritaire, il n’est pas nécessaire de tenir compte des coûts et considérations pratiques pour décider si les titulaires des droits reçoivent les services auxquels ils ont droit. Il peut toutefois arriver que les coûts et les considérations pratiques s’avèrent pertinents lorsqu’on tente de justifier une violation de l’art. 23 ou de concevoir une réparation convenable et juste par suite d’une violation.

Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, 2003 CSC 62 (CanLII)

[37] En ce qui concerne le présent pourvoi, nous croyons que le juge LeBlanc s’est à bon droit appuyé sur des facteurs historiques et contextuels pour concevoir une réparation qui protégerait utilement et, en fait, mettrait en application les droits des appelants de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle parlée par la minorité, tout en respectant comme il se doit les rôles respectifs de l’exécutif et du législatif.

[38] Là encore, l’histoire de l’instruction en français en Nouvelle-Écosse est décevante; on a abouti à un taux d’assimilation élevé qui se poursuivait toujours au moment où a commencé le présent litige.  La situation n’est certes plus ce qu’elle était aux XVIIIe et XIXe siècles, alors que l’instruction en français en Acadie était le plus souvent inexistante ou expressément interdite, mais dans les cinq districts scolaires en cause, la promesse contenue à l’art. 23 n’était toujours pas réalisée, en 1998, au moment où les appelants ont présenté à la Cour suprême de la province une demande visant à obtenir des établissements d’enseignement francophones homogènes.  Jusqu’au milieu des années 90, les parents visés par l’art. 23 avaient exercé des pressions sur le gouvernement pour qu’il fournisse des établissements francophones homogènes, en comparaissant devant des comités législatifs et en présentant des mémoires ou des observations orales au ministre de l’Éducation.  Ils avaient soumis des pétitions, envoyé des lettres et présenté des analyses d’experts sur l’assimilation dans la province.  En 1996, l’Education Act a été modifiée de manière à créer un conseil scolaire francophone, le Conseil scolaire acadien provincial, qui serait chargé de remplir les obligations imposées à la province par l’art. 23.  Le Conseil a alors décidé de fournir les établissements en cause dans le présent pourvoi.  De 1997 à 1999, le gouvernement provincial a annoncé la construction d’écoles francophones homogènes à Petit-de-Grat, Clare et Argyle.  La mise en chantier des écoles n’a jamais eu lieu et les projets de construction ont été officiellement suspendus en septembre 1999.

[39] De façon générale, ces atermoiements s’expliquent par le défaut du gouvernement d’accorder aux droits protégés par l’art. 23 la priorité qui leur revient en matière de politique d’enseignement.  En fait, le juge LeBlanc a souligné qu’au moment de l’instruction de l’affaire la véritable question en litige entre les parties était la date de mise en œuvre des programmes plutôt que leur nécessité au départ.  Pour justifier sa décision de suspendre les projets de construction déjà annoncés en attendant les conclusions d’analyses coûtsavantages, le gouvernement a mentionné l’absence de consensus dans la collectivité — d’où la crainte d’une baisse des inscriptions — et le manque de fonds.  Le juge LeBlanc a eu raison de conclure qu’aucun de ces motifs ne justifiait le défaut du gouvernement de s’acquitter des obligations que lui impose l’art. 23.  Selon lui, le gouvernement avait traité les écoles requises en vertu de l’art. 23 de la Charte de la même manière que les autres établissements ou programmes en général, sans s’attarder à l’objet de cet article et au rôle des écoles homogènes en ce qui concerne la préservation et l’épanouissement de la langue et de la culture françaises (par. 205).  Pendant ce temps, l’assimilation se poursuivait (par. 210) et les inscriptions aux écoles du Conseil chutaient.  Les programmes étaient en péril (par. 229230).

[…]

[87] Le paragraphe 24(1) de la Charte exige que les tribunaux accordent des réparations efficaces et adaptées qui protègent pleinement et utilement les droits et libertés garantis par la Charte.  Il peut parfois arriver que la protection utile des droits garantis par la Charte et, en particulier l’application de l’art. 23, commandent des réparations d’un genre nouveau.  Une cour supérieure peut accorder toute réparation qu’elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances.  Ce faisant, elle doit être consciente de son rôle d’arbitre de la Constitution et des limites de ses capacités institutionnelles.  Les tribunaux qui procèdent à un contrôle doivent, pour leur part, faire montre d’une grande déférence à l’égard de la réparation choisie par un juge de première instance et se garder de les parfaire après coup; ils ne doivent intervenir qu’en cas d’erreur commise sur le plan du droit ou des principes par le juge de première instance.

[88] La réparation conçue par le juge LeBlanc [l’ordonnance enjoignant de rendre compte] défendait utilement les droits des parents appelants en encourageant la province à construire promptement des écoles, sans faire dévier la cour du rôle qui lui revient.  La Cour d’appel a eu tort d’intervenir et d’annuler la partie de l’ordonnance du juge LeBlanc dans laquelle il se déclarait compétent pour entendre des comptes rendus sur les efforts déployés par la province en vue de fournir des écoles dans les délais impartis.

Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, 2000 CSC 1 (CanLII)

[31] Comme nous l'avons dit, l'art. 23 a un caractère réparateur. Il n'a pas pour objet de renforcer le statu quo par l'adoption d'une conception formelle de l'égalité qui viserait principalement à traiter de la même façon les groupes majoritaires et minoritaires de langue officielle; Mahe, p. 378. L'utilisation de normes objectives pour évaluer les besoins des enfants de la minorité linguistique principalement par référence aux besoins pédagogiques des enfants de la majorité linguistique, ne tient pas compte des exigences particulières des titulaires des droits garantis par l'art. 23. Le ministre et la Division d'appel ont insisté à tort sur l'incidence de trois éléments sur l'égalité entre les deux communautés linguistiques: la durée des trajets en autobus, la taille des écoles et la qualité de l'enseignement. L'article 23 repose sur la prémisse que l'égalité réelle exige que les minorités de langue officielle soient traitées différemment, si nécessaire, suivant leur situation et leurs besoins particuliers, afin de leur assurer un niveau d'éducation équivalent à celui de la majorité de langue officielle. Avant d’approfondir cette question, il est toutefois important d’examiner brièvement la « justification par le nombre » dont il a été question en première instance et en appel.

C.  La détermination du nombre en vertu de l’art. 23

[32] La province a l'obligation d'assurer l'enseignement dans la langue de la minorité linguistique officielle lorsque le nombre le justifie. Comme le juge en chef Dickson l'a souligné dans Mahe, la méthode du « critère variable » appliquée à l'art. 23 signifie que la norme numérique devra être précisée par l'examen des faits propres à chaque situation qui est soumise aux tribunaux. Le nombre pertinent est le « nombre de personnes qui se prévaudront éventuellement du service » (p. 384), c'est-à-dire un nombre se situant approximativement entre la demande connue et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service; voir Mahe, précité, p. 384. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, le juge en chef Lamer a défini ce chiffre de la manière suivante, p. 850 : « le nombre de personnes qui se prévaudront finalement du programme ou de l'établissement envisagés ».

[…]

[34] Même si les demandeurs doivent établir leurs droits en vertu de l’art. 23, y compris la justification par le nombre, il n’est pas possible pour les titulaires d’un droit de minorité d’obtenir des renseignements plus précis et plus complets sur les prévisions d’inscriptions que ceux présentés en l’espèce, pas plus qu’il n’est raisonnable de leur en demander plus.  La province a l’obligation de promouvoir activement des services éducatifs dans la langue de la minorité et d’aider à déterminer la demande éventuelle. […] La province ne peut pas se soustraire à son obligation constitutionnelle en invoquant une preuve numérique insuffisante, surtout si elle n'est pas prête à faire ses propres études ni à recueillir et présenter d'autres éléments de preuve sur la demande connue et éventuelle.

[…]

[38] […] On ne peut pas se servir des exigences pédagogiques établies pour répondre aux besoins des élèves de la majorité linguistique pour mettre en échec les considérations culturelles et linguistiques applicables aux enfants de la minorité linguistique.

[…]

[42] Dans l’arrêt Mahe, la Cour a statué que, lorsque le nombre justifie la création d’un établissement, les représentants de la communauté de langue officielle ont droit à un certain degré de direction de cet établissement.  Ce droit de gestion et de contrôle est présent indépendamment de l’existence d’une commission de la langue de la minorité qui, en fait, est requise à l’extrémité supérieure de l’échelle variable des droits.  En l’espèce, où il existe une commission de langue française, il est essentiel d’analyser le droit à un établissement à Summerside en tenant compte du rôle et des pouvoirs de cette commission.

[43] […] Lorsqu’une commission de la minorité linguistique a été établie en vue de satisfaire à l’art. 23, il revient à la commission, parce qu’elle représente la communauté de la minorité linguistique officielle, de décider ce qui est le plus approprié d’un point de vue culturel et linguistique.  Le rôle principal du ministre est de mettre en place des structures institutionnelles et des politiques et règlements qui répondent à la dynamique linguistique particulière à la province […]

[45] […] Deuxièmement, le droit à la gestion et au contrôle sert l’objectif réparateur de l’art. 23.  L’habilitation est essentielle pour redresser les injustices du passé et pour garantir que les besoins spécifiques de la communauté linguistique minoritaire constituent la première considération dans toute décision touchant des questions d’ordre linguistique ou culturel.

[…]

[51] À notre avis, la Section d’appel a fait erreur en statuant que la méthode du critère variable était régie par l’« accessibilité raisonnable » des services sans examiner quels services favoriseraient le mieux l’épanouissement et la préservation de la minorité linguistique francophone; voir le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la  p. 850.  Elle a aussi fait erreur en concluant que le ministre pouvait trancher unilatéralement cette question.  Nous serions plutôt d’avis de confirmer la conclusion du juge Hallett dans une affaire similaire Lavoie c. Nova Scotia (Attorney-General) (1988), 50 D.L.R. (4th) 405 (C.S.N.-É. 1re inst.), à la p. 415, où il a dit:  [traduction] « Si on tient compte des vraies priorités, il n’est pas raisonnable de faire faire à des enfants de l’école primaire des trajets en autobus d’une durée de 30 à 45 minutes dans chaque sens lorsque cela n’est pas nécessaire. »  La question est aussi, les priorités de qui?  Il est évident qu’il doit s’agir des priorités de la communauté minoritaire parce que la détermination de ces priorités est au cœur même de la gestion et du contrôle conférés par l’art. 23 aux titulaires de droits linguistiques minoritaires et à leurs représentants légitimes. Évidemment, ces priorités doivent être déterminées et exercées en fonction du rôle du ministre.

[…]

[53] La province a un intérêt légitime dans le contenu et les normes qualitatives des programmes d’enseignement pour les communautés de langues officielles, et elle peut imposer des programmes dans la mesure où ceux-ci n’affectent pas de façon négative les préoccupations linguistiques et culturelles légitimes de la minorité.  La taille des écoles, les établissements, le transport et les regroupements d’élèves peuvent être réglementés, mais tous ces éléments influent sur la langue et la culture et doivent être réglementés en tenant compte de la situation particulière de la minorité et de l’objet de l’art. 23.

[54] […] Lorsqu’une commission linguistique minoritaire a été établie, la définition de la région est assujettie aux pouvoirs exclusifs de gestion et de contrôle de la minorité sur l’enseignement et les établissements de la minorité linguistique, sous réserve des normes et directives provinciales objectives compatibles avec l’art. 23. Sans cela, le caractère réparateur et protecteur de l’art. 23 serait grandement affaibli.  Comme nous l’avons signalé plus haut, divers facteurs complexes et subtils entrent en ligne de compte en dehors du calcul du nombre d’élèves et de l’évaluation de la durée du transport vers d’autres écoles.  On ne peut pas s’attendre à ce que les représentants de la majorité comprennent totalement les ramifications et les conséquences des choix faits par la minorité à cet égard.

[…]

[56] L’obligation de promouvoir la langue et la culture françaises à l’Île-du-Prince-Édouard ne peut pas signifier que le gouvernement peut imposer la concentration de tous les élèves de la minorité linguistique dans une seule région essentiellement francophone.  Il ressort d’une analyse textuelle et fondée sur l’objet du para. 23(3) de la Charte que, lorsque le nombre d’enfants visés par l’art. 23 dans une région donnée justifie la prestation de l’enseignement dans la langue de la minorité, cet enseignement devrait être dispensé dans un établissement situé dans la communauté où résident ces enfants. L’alinéa 23(3)a) porte que le droit à l’instruction dans la langue de la minorité s’exerce « partout dans la province » (nous soulignons) où le nombre des enfants est suffisant pour justifier la prestation de cette instruction. Les mots « partout dans la province » lient le droit à l’instruction à l’endroit géographique où existent les conditions permettant l’exercice de ce droit. […]

[59] Le nombre d’élèves qui a donné lieu à la demande d’enseignement et d’établissement aux termes de l’art. 23 de la Charte se situait entre 49 et 155.  La demande éventuelle de services pouvait être déterminée en postulant que la demande établie augmenterait une fois les services offerts, comme cela avait été le cas à Charlottetown.  La Section d’appel a fait une erreur dans l’application du critère numérique lorsqu’elle a conclu que seulement 65 enfants se prévaudraient en définitive de l’enseignement en français au primaire à Summerside au cours de l’année scolaire 1996-1997.

Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 RCS 839, 1993 CanLII 119 (CSC)

[25] Enfin, notre Cour a affirmé que la notion de « nombre suffisant pour justifier » ne fournit pas aux tribunaux une norme explicite dont ils peuvent se servir pour déterminer quels doivent être les établissements appropriés dans chaque situation donnée (à la p. 385). Il faut donc éviter une formule rigide de mise en œuvre de l’art. 23.

[26] Une fois franchi le seuil établissant le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, s’il faut que les « établissements d’enseignement de la minorité », comme l’indique l’arrêt Mahe, « appartiennent » de façon significative aux parents visés à l’art. 23 au lieu d’être simplement « pour » les parents en question, il est raisonnable qu’ils exercent une certaine mesure de contrôle sur les locaux où l’instruction est offerte. Comme des locaux doivent avoir des limites précises pour être placés sous le contrôle du groupe linguistique minoritaire, il semblerait s’ensuivre un droit à des établissements dans des lieux physiques distincts. Comme l’a affirmé le juge Twaddle de la Cour d’appel (à la p. 112):

[TRADUCTION] Pour être ceux « de la minorité », les établissements devraient être, dans la mesure du possible, distincts par rapport à ceux dans lesquels l’instruction en anglais est offerte. Je ne mets pas en doute l’importance du milieu dans le domaine de l’éducation. Les élèves de langue française devraient vivre en français dans la cour de récréation, à l’occasion des activités hors-programme ainsi que dans la classe. Le français devrait être la langue utilisée dans le cadre de l’administration et du fonctionnement de l’établissement, y compris l’affichage.

[27] Cette conclusion est également compatible avec la reconnaissance du fait que les écoles de la minorité jouent un rôle utile à la fois comme centres culturels et comme établissements d’enseignement. Bien que notre Cour, dans l’arrêt Mahe, n’ait pas explicitement parlé de lieux physiques distincts dans son examen des écoles comme centres culturels, il semble raisonnable de déduire qu’il faut un certain degré de démarcation dans les lieux physiques pour que ces écoles s’acquittent bien de ce rôle. À mon avis, l’ensemble des objectifs de l’art. 23 énoncés dans l’arrêt Mahe appuient cette conclusion.

[…]

[48] Toutefois, je tiens à faire ressortir que, dans la mise en œuvre d’un tel système d’instruction dans la langue de la minorité, la province doit explicitement examiner un certain nombre de questions pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles et respecter l’objet et le caractère réparateur de l’art. 23. La mise en œuvre exige une pleine compréhension des besoins de la minorité linguistique francophone. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans Mahe, à la p. 372:

... les minorités linguistiques ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. Cette carence n’est pas nécessairement intentionnelle: on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité.

Il est extrêmement important que les parents de la minorité linguistique ou leurs représentants participent à la détermination des besoins en matière d’instruction et à l’établissement de structures et de services qui répondent le mieux possible à ces besoins.

[49] Il faut se rappeler que les droits prévus par l’art. 23 sont conférés individuellement aux parents appartenant à un groupe linguistique minoritaire. La jouissance de ces droits n’est pas liée à la volonté du groupe minoritaire auquel ils appartiennent, fût-elle celle de la majorité de ce groupe, mais seulement au « nombre d’enfants » suffisant.

[50] La province a l’obligation d’offrir des services d’éducation, de les faire connaître et de les rendre accessibles aux parents du groupe linguistique minoritaire de façon à offrir une qualité d’éduca tion en principe égale à celle de la majorité, tout en sachant, comme le dit notre Cour dans l’arrêt Mahe (à la p. 378):

... il n’est pas nécessaire que la forme précise du système d’éducation fourni à la minorité soit identique à celle du système fourni à la majorité. Les situations différentes dans lesquelles se trouvent diverses écoles, de même que les exigences de l’enseignement dans la langue de la minorité rendent une telle exigence peu pratique et peu souhaitable. Il convient de souligner que les fonds affectés aux écoles de la minorité linguistique doivent être au moins équivalents, en proportion du nombre d’élèves, aux fonds affectés aux écoles de la majorité. Dans des circonstances particulières, les écoles de la minorité linguistique pourraient être justifiées de recevoir un montant supérieur, par élève, à celui versé aux écoles de la majorité.

Il faut éviter toutes dispositions et structures qui portent atteinte, font obstacle ou ne répondent tout simplement pas aux besoins de la minorité; il faudrait examiner et mettre en œuvre des mesures qui favorisent la création et l’utilisation d’établissements d’enseignement pour la minorité linguistique. Par exemple, si la province décide d’offrir aux parents d’un groupe linguistique minoritaire un choix d’écoles où sera dispensée l’instruction dans la langue de la minorité, elle ne doit pas le faire aux dépens de services offerts par un conseil scolaire de langue française ni empêcher ce conseil d’offrir des services reposant sur le principe d’égalité que je viens de décrire. De même, il ne serait pas loisible au gouvernement du Manitoba de délimiter des districts scolaires de façon à empêcher indûment un tel conseil scolaire d’attirer des élèves.

Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, 1990 CanLII 133 (CSC)

[30] Les parties semblent convenir que, si l'art. 23 confère un droit à la gestion et au contrôle, ce droit doit résulter du droit à « des établissements d'enseignement de la minorité linguistique » énoncé à l'al. (3)b). Avant d'étudier cet alinéa toutefois, l'examen de deux points généraux s'impose: (1) l'objet de l'art. 23 et (2) le rapport entre les différents paragraphes et alinéas qui composent l'art. 23. Dans l'interprétation de cet article, comme dans l'interprétation de toute disposition de la Charte, il est primordial de prendre en considération son objet sous-jacent. Pour ce qui est du second point, la structure de l'art. 23 rend impérative l'interprétation de chacune de ses parties dans le contexte de l'ensemble de l'article.

[…]

(2) Le contexte de l'al. 23(3)b): Une vue d'ensemble de l'art. 23

[38] La façon dont il convient d'interpréter l'art. 23, selon moi, est de le considérer comme attributif d'un droit général à l'instruction dans la langue de la minorité. Les alinéas a) et b) du par. (3) précisent ce droit général: l'al. a) ajoute que le droit à l'instruction n'est garanti que lorsque le « nombre des enfants » le justifie, tandis que l'al. b) précise davantage le droit général à l'instruction en édictant que, si le nombre le justifie, ce droit comprend le droit à des « établissements d'enseignement de la minorité linguistique ». À mon avis, l'al. (3)b) a été inclus à titre d'indication de la gamme supérieure d'exigences institutionnelles que peut imposer l'art. 23 (il va sans dire que le gouvernement peut fournir davantage que le minimum requis par l'art. 23).

[39] On peut exprimer autrement cette interprétation de l'art. 23 en disant qu'il doit être considéré comme établissant une exigence « variable », le niveau supérieur étant prévu à l'al. (3)b) et le niveau inférieur, correspondant au mot « instruction », étant prévu à l'al. (3)a). L'idée de critère variable signifie simplement que l'art. 23 garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l'instruction dans la langue de la minorité au nombre d'élèves en question.

[40] On peut opposer la méthode du critère variable au point de vue selon lequel l'art. 23 comporte seulement deux droits — l'un relatif à l'instruction et l'autre relatif aux établissements — assurant chacun le niveau de services qui convient à l'un de deux seuils numériques. Selon cette interprétation de l'art. 23, que l'on pourrait appeler la méthode des « droits distincts », l'existence d'un nombre donné d'élèves visés par l'art. 23 ouvrirait le droit à un niveau particulier d'instruction, tandis qu'un nombre donné plus élevé exigerait en outre un certain niveau d'établissements d'enseignement de la minorité linguistique. Si le nombre d'élèves se situait entre ces deux seuils, c'est le seuil inférieur qui déterminerait le niveau d'instruction requis.

[41] La méthode du critère variable est préférable à celle des droits distincts, non seulement parce qu'elle concorde avec le texte de l'art. 23, mais aussi parce qu'elle est compatible avec l'objet de l'art. 23. La méthode du critère variable assure à la minorité la plénitude de la protection que justifie son nombre. Suivant la méthode des droits distincts, s'il était admis, par exemple, qu'un nombre « X » d'élèves garantissait le droit à la pleine gestion et au plein contrôle, il s'ensuivrait normalement que le nombre « X - 1 » d'élèves ne fonderait aucun droit à la gestion et au contrôle, ni même à un bâtiment scolaire. Étant donné la diversité des moyens possibles d'atteindre l'objet de l'art. 23, un tel résultat est inacceptable. De plus, la méthode des droits distincts met des personnes comme les appelants dans la position paradoxale d'avoir à avancer un argument qui, s'il était retenu, pourrait nuire en fin de compte à la situation globale des élèves appartenant à une minorité linguistique au Canada. Si, par exemple, les appe lants réussissaient à convaincre notre Cour que l'art. 23 exige l'établissement d'un conseil scolaire distinct, par opposition à une forme de représentation au sein d'un conseil déjà existant, d'autres groupes de parents visés par l'art. 23 risqueraient alors, si les nombres en cause étaient inférieurs, de n'avoir droit à aucun degré de gestion et de contrôle, même si leur nombre était susceptible de justifier l'octroi d'un certain degré de gestion et de contrôle.

[…]

(4) Gestion et contrôle — Le texte de l'al. 23(3)b)

[48] À mon avis, le texte de l'al. 23(3)b) est compatible avec la conclusion que l'art. 23 accorde, lorsque le nombre le justifie, une certaine mesure de gestion et de contrôle, et il étaye cette conclusion. Prenons d'abord l'al. (3)b) dans le contexte de l'article au complet. L'instruction doit avoir lieu quelque part et il s'ensuit que le droit à « l'instruc tion » comprend un droit implicite d'être instruit dans des établissements. Si l'expression « établissements d'enseignement de la minorité linguistique » n'est pas considérée comme englobant un certain degré de gestion et de contrôle, son inclusion dans l'art. 23 est dès lors sans objet. Cette conclusion que dicte le bon sens milite contre une interprétation selon laquelle le mot « établissements » désigne des bâtiments. En fait, dès lors que l'on accepte la méthode du critère variable, il n'est plus nécessaire de trop centrer l'attention sur le mot « établissements ». Le texte de l'art. 23 justifie plutôt de considérer que l'ensemble de l'expression « établissements d'enseignement de la minorité linguistique » fixe un niveau supérieur de gestion et de contrôle.

[…]

(5) Gestion et contrôle — L'objet de l'art. 23

[51] La précédente analyse textuelle de l'al. 23(3)b) est fortement appuyée par un examen de l'objet global de l'art. 23. Cet objet, mentionné plus haut, est de préserver et promouvoir la langue et la culture de la minorité partout au Canada. Selon moi, il est indispensable à cette fin que, dans chaque cas où le nombre le justifie, les parents appartenant à la minorité linguistique aient une certaine mesure de gestion et de contrôle à l'égard des établissements d'enseignement où leurs enfants se font instruire. Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l'épanouissement de leur langue et de leur culture. Ils sont nécessaires parce que plusieurs questions de gestion en matière d'enseignement (programmes d'études, embauchage et dépenses, par exemple) peuvent avoir des incidences sur les domaines linguistique et culturel. Je tiens pour incontestable que la vigueur et la survie de la langue et de la culture de la minorité peuvent être touchées de façons subtiles mais importantes par les décisions prises sur ces questions. Pour ne donner qu'un seul exemple, la plupart des décisions relatives aux programmes d'études influent visiblement sur la langue et la culture des élèves de la minorité.

[52] En outre, comme l'indique le contexte historique dans lequel l'art. 23 a été adopté, les minorités linguistiques ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. Cette carence n'est pas nécessairement intentionnelle: on ne peut attendre de la majorité qu'elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d'instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité. Commentant les différents revers subis par la minorité francophone de l'Ontario, la Cour d'appel de cette province a souligné que [TRADUCTION] « ces événements ont été rendus possibles par l'absence de participation valable à la gestion et au contrôle des conseils scolaires locaux par la minorité francophone » (Reference Re Education Act of Ontario, précité, à la p. 531). Une observation analogue a été faite par la Cour d'appel de l'Île-du-Prince-Édouard dans l'affaire Reference Re Minority Language Educational Rights (P.E.I.), précité, à la p. 259:

[TRADUCTION] Il serait téméraire de présumer que le Parlement avait l'intention de [...] confier à la majorité anglophone le contrôle exclusif de l'élaboration et de la mise en œuvre de programmes, puisque dans un tel cas, la majorité linguistique pourrait très vite porter gravement atteinte aux droits de la minorité et leur enlever toute valeur.

Je souscris à l'opinion exprimée dans ces déclarations. Si l'article 23 doit redresser les injustices du passé et garantir qu'elles ne se répètent pas dans l'avenir, il importe que les minorités linguistiques aient une certaine mesure de contrôle sur les établissements d'enseignement qui leur sont destinés et sur l'instruction dans leur langue.

[…]

(8) La « justification par le nombre »

[78] Que doivent prendre en considération les tribunaux qui étudient la question de la « justification par le nombre » — la demande actuelle, la demande potentielle, ou autre chose? Les appelants font valoir que la demande existante de services francophones n'est pas un indicateur fiable parce que la demande en matière de services suit dans une certaine mesure la prestation du service lui-même. Par ailleurs, l'intimée soutient que les tribunaux ne peuvent pas simplement utiliser comme mesure le nombre total d'élèves pouvant être visés par l'art. 23, parce qu'il est très improbable que tous ces élèves se prévaudront d'un service envisagé. Ces deux arguments ont du poids; c'est pourquoi la méthode que je propose est un moyen terme entre les deux positions exprimées. À mon sens, le chiffre pertinent aux fins de l'art. 23 est le nombre de personnes qui se prévaudront en définitive du programme ou de l'établissement envisagés. Il sera normalement impossible de connaître le chiffre exact, mais on peut en avoir une idée approximative en considérant les paramètres dans lesquels il doit s'inscrire — la demande connue relative au service et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.

[79] La justification par le nombre requiert, en général, la prise en considération de deux facteurs pour déterminer les exigences de l'art. 23: (1) les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d'élèves visés; et (2) le coût des services envisagés. Le premier facteur, soit les exigences pédagogiques, reconnaît l'existence d'un seuil numérique minimal pour assurer le fonctionnement efficace de certains programmes et établissements. Il ne servirait à rien par exemple d'avoir une école pour dix élèves seulement dans un centre urbain car les élèves seraient privés des nombreux avantages qui découlent d'écoulent d'études et de contacts avec un nombre plus considérable d'élèves. Pour le bien des élèves, et donc indirectement pour les fins de l'art. 23, on ne devrait pas exiger des programmes et des établissements qui ne sont pas appropriés pour le nombre d'élèves concernés.

[80] Le second facteur, soit le coût des services, n'est pas explicitement pris en compte normalement pour déterminer si une personne se verra ou non accorder un droit prévu dans la Charte. Dans le cas de l'art. 23, cependant, cette considération s'impose. À la différence d'autres dispositions, l'art. 23 ne crée pas un droit absolu. Il accorde plutôt un droit dont l'exercice est assujetti à des contraintes pécuniaires, car il n'est financièrement pas possible d'accorder à chaque groupe d'élèves appartenant à la minorité linguistique, si petit soit-il, les mêmes services que ceux donnés à un groupe important d'élèves visés par l'art. 23. Je note toutefois que, dans la plupart des cas, les exigences pédagogiques permettront d'éviter l'imposition à l'État de charges pécuniaires irrélistes. De plus, le caractère réparateur de l'art. 23 laisse entendre que les considérations pédagogiques pèseront plus lourd que les exigences financières quand il s'agira de déterminer si le nombre d'élèves justifie la prestation des services concernés.

Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CanLII 170 (NWT CA)

[79] L’article 23 prévoit le « droit [de] faire instruire [ses enfants] aux niveaux primaire et secondaire ». Les intimés soutiennent que les garderies et les prématernelles sont visées par cette disposition parce qu’elles sont étroitement liées au recrutement des élèves pour les écoles de la minorité linguistique. La juge de première instance a rejeté cet argument (motifs, aux par. 758 et 759), et les intimés ont contesté cette conclusion dans l’appel incident qu’ils ont formé.

[80] La portée de l’expression « enseignement primaire » est susceptible d’évoluer avec le temps. Si le gouvernement englobait les prématernelles (ou la prématernelle à temps partiel) dans ses lois dans le cadre de l’enseignement primaire pour les établissements scolaires de la majorité linguistique, il est probable que l’enseignement de niveau similaire serait protégé en vertu de l’article 23 dans le cas des écoles de la minorité linguistique. Les tribunaux supérieurs seraient l’arbitre ultime en cas de conflit, mais dès lors que les décisions auraient été prises de bonne foi et qu’elles répondraient à une définition acceptable du point de vue constitutionnel de l’expression « enseignement primaire », l’intervention judiciaire ne serait pas justifiée. Cette question ne se pose pas en l’espèce parce que les appelants ne contestent pas que l’enseignement actuel de la maternelle à la 12e année offert à l’École Allain St-Cyr est protégé.

[81] L’article 23 ne protège que l’instruction au niveau « primaire et secondaire ». Il ne vise pas expressément l’enseignement préscolaire ou postsecondaire. Rien ne permet d’interpréter cet article de manière à inclure l’enseignement préscolaire ou les garderies; les rédacteurs de la Charte ont manifestement exclu ces droits. Les intimés affirment qu’il est très important de favoriser la francisation au niveau préscolaire pour freiner l’assimilation. Cela est peutêtre vrai, mais du point de vue juridique, leur argument revient à soutenir que l’article 23 aurait dû avoir une portée plus large.

[…]

[85] En principe, les titulaires des droits garantis par l’article 23 sont tenus de mobiliser leurs propres ressources. Les gouvernements ont l’obligation constitutionnelle d’offrir des établissements aux minorités linguistiques à même les deniers publics lorsque le nombre le justifie. Toutefois, lorsque ces infrastructures sont fournies, elles doivent être utilisées à cette fin; les conseils scolaires ne peuvent réaffecter ces ressources à d’autres fins et affirmer ensuite qu’elles ne reçoivent pas un financement ou des installations suffisants. Les intimés ne peuvent donc réaffecter l’espace à des utilisations communautaires ou préscolaires pour ensuite affirmer que l’espace restant est insuffisant.

[…]

[87] Suivant la preuve non contredite présentée par les appelants, l’école a une capacité de 160 élèves; 110 élèves y sont présentement inscrits. La juge de première instance n’a jamais contesté ces chiffres, mais a conclu que « l’ÉASC [École Allain St-Cyr] manque d’espace à l’heure actuelle » (motifs, au par. 695). La juge de première instance a expliqué que « l’édifice qui abrite l’ÉASC a à la fois une vocation scolaire et communautaire » et que le calcul de la capacité de l’école que faisaient les appelants ne tenait pas suffisamment compte « de l’importante vocation communautaire de l’édifice où se trouve l’école » (motifs, aux par. 683 et 687). La juge de première instance a estimé qu’il était logique d’exclure une partie des espaces disponibles des calculs en raison de leur « importante vocation communautaire » (motifs, au par. 686). Cette analyse est entachée d’une erreur de droit. L’article 23 protège uniquement les établissements d’enseignement dans la langue de la minorité. Il ne permet pas au tribunal d’ordonner au gouvernement d’offrir des établissements à d’autres fins communautaires, même si ces autres fins communautaires ont certains liens avec la promotion de la communauté linguistique minoritaire. Il se peut que l’immeuble serve d’importantes fins communautaires, mais il ne s’agit pas de fins protégées par l’article 23 et ces fins ne peuvent donner ouverture à une réparation fondée sur l’article 23. Les intimés n’ont pas le droit de détourner les ressources prévues pour l’enseignement dans la langue de la minorité à des fins communautaires pour ensuite affirmer que les établissements d’enseignement sont inadéquats. La Cour n’a pas compétence pour ordonner au gouvernement de fournir des services communautaires, indépendamment de leur importance.

[…]

[101] Il est par ailleurs de jurisprudence constante que la norme de la « justification par le nombre » n’est pas un simple critère préliminaire. Il ne s’agit pas d’un simple critère à respecter pour déterminer s’il y a lieu d’établir une école de la minorité linguistique. La norme de la « justification par le nombre » s’applique dans tous les cas et à chaque étape pour déterminer si des installations ou des programmes précis sont « justifiés »: Mahe, à la p. 366. Dans l’arrêt Arsenault-Cameron, le critère a principalement été utilisé pour déterminer si la construction d’une école était justifiée. Dans le présent appel, ce critère est utilisé principalement pour déterminer si les installations particulières réclamées par les intimés sont justifiées. Le simple fait que le « nombre » d’élèves « justifie » l’établissement de l’École Allain St-Cyr ne signifie pas que toutes les installations réclamées sont également justifiées.

[..]

[121] Le libellé du paragraphe 23(3) ne confère manifestement pas un droit absolu à des établissements d’enseignement de la minorité linguistique ou à des installations distinctes. Cette disposition prévoit le droit de « faire instruire » dans la langue de la minorité « lorsque le nombre le justifie ». Ce droit « comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics ». Ainsi qu’il a été souligné dans l’arrêt Mahe, à la p. 366, on envisage ainsi un critère variable lorsque des installations distinctes ne seront exigées par la Constitution que lorsque la communauté est suffisamment importante pour les justifier.

[122] Les intimés semblent adopter le point de vue suivant lequel le partage d’espaces avec les établissements scolaires de la majorité linguistique est inacceptable sur le plan constitutionnel. Cette interprétation de l’article 23 ne saurait être acceptable. Elle signifierait que les écoles de la minorité linguistique ont droit à la construction d’établissements scolaires distincts et à tous les espaces spécialisés de quelque type que ce soit que l’on retrouve dans les établissements scolaires de la majorité linguistique à défaut de quoi les écoles de la minorité linguistique auraient simplement à « se passer » de ces espaces. Les rédacteurs de la Charte ne peuvent avoir eu cette intention, qui contredit le libellé de l’alinéa 23(3)b) ainsi que le critère de l’échelle variable.

[…]

[130] L’article 23 exige seulement de fournir des installations distinctes là où le nombre le justifie selon le critère variable énoncé dans l’arrêt Mahe. La Charte ne garantit pas des écoles ou des installations de la minorité linguistique autonome, sauf si « le nombre le justifie ». Bien que le partage d’espaces avec les établissements scolaires de la majorité linguistique ne soit pas la solution idéale, il ne s’ensuit pas pour autant que les intimés ont un droit constitutionnel à des établissements complètement autonomes. À Yellowknife, les appelants ont fourni une école francophone autonome devant servir de point d’ancrage au programme d’enseignement dans la langue de la minorité. Il n’est pas en soi inacceptable sur le plan constitutionnel d’offrir certains services accessoires dans des établissements scolaires voisins. Il ne s’ensuit pas pour autant que le partage d’établissements voisins constitue en soi une solution acceptable. Chaque cas est un cas d’espèce, compte tenu de tous les éléments de l’analyse du critère variable: le nombre d’élèves, le coût engendré par la fourniture d’installations distinctes, l’aspect pratique du partage des installations, les besoins pédagogiques des élèves, l’homogénéité du programme, etc.

[…]

[171] […] Le libellé de l’article 23 confère des droits à des catégories précises de parents en leur permettant d’envoyer leurs enfants à des écoles de la minorité linguistique et c’est à eux que les réparations doivent être accordées : Doucet-Boudreau, aux par. 55 et 58. La réparation générale consistant à créer plus d’espaces pour une garderie n’est liée à aucune violation de la Charte commise contre un ayant droit. Aucun ayant droit potentiel n’est en mesure de démontrer que, n’eût été l’espace supplémentaire aménagé dans la garderie, ces enfants auraient été en mesure de s’inscrire au programme de l’enseignement primaire dans la langue de la minorité (supra, au par. 164). Comme la garderie n’est pas protégée par l’article 23, l’absence d’espace en garderie ne saurait constituer une violation de la Charte. L’article 23 n’impose aucune obligation au gouvernement l’élargir l’application de l’article 23 à d’autres ayants droit ou aux personnes intéressées à l’enseignement dans la langue de la minorité ou encore de créer davantage d’espaces en garderie ou d’autres possibilités sur le plan linguistique. La juge de première instance a commis une erreur de droit en justifiant cette réparation au motif qu’elle encourage « le recrutement et la francisation » (motifs, au par. 787), étant donné que la Charte ne protège pas de tells droits. Lorsque des institutions, des programmes ou des établissements sont créés dans le but d’augmenter le nombre de titulaires des droits garantis par l’article 23, on ne saurait affirmer que l’on se retrouve devant un parcours scolaire authentique sur le plan constitutionnel : Nguyen c Québec, au par. 36.

Reference re School Act, 1988 CanLII 1363 (PE SCAD) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[60] Le paragraphe 50(3) de la School Act doit être comparé à l'art. 23 de la Charte, qui utilise les termes « partout dans la province » lorsqu'il est question des personnes qui ont droit à des services ou des établissements d'enseignement, de sorte qu'il n'utilise que les limites géographiques de la province elle même.

[61] Les intervenants ont fait valoir qu’étant donné que les conseils scolaires régionaux n’avaient comme obligation que de fournir une instruction en français dans leurs limites respectives, cela constituait une incohérence avec la Charte, qui exige qu’une instruction soit offerte dans la langue de la minorité partout dans la province où sont remplies certaines conditions. Étant donné qu’aucune disposition n’exige qu’un conseil scolaire conclue une entente avec un conseil scolaire voisin pour offrir une instruction, l’intervenant a fait valoir que toute disposition limitant un conseil scolaire à ses propres frontières territoriales créait une incohérence. Autrement dit, le droit conféré par l'al. 23(3)a) de la Charte n'est assujetti qu’à la condition relative au « nombre » et non à celle des limites géographiques.

[62] Dans l’arrêt Ontario Reference, l’on est arrivé à la conclusion que les limites géographiques strictes des conseils scolaires n’ont aucune incidence sur les obligations imposées par la Charte d’offrir une instruction en français partout dans la province où le nombre le justifie.

[63] L’expression « partout dans la province », lorsqu'elle est utilisée en conjonction avec le critère de la justification par le nombre, limitera un secteur particulier dans la province où l’instruction dans la langue de la minorité devra être offerte. Un tel secteur pourrait recouper les limites actuelles des unités scolaires et, en ce sens, les limites géographiques strictes imposées par les unités scolaires sont incompatibles avec la Charte.

[64] Bien que, dans ce contexte, ces limites géographiques strictes des unités scolaires ne soient pas conformes à la Charte, il ne s’ensuit pas que, dans une situation extrême, un groupe d’enfants provenant de partout dans la province, dont les parents souhaitent qu’ils se fassent instruire dans la langue de la minorité, constituerait nécessairement un nombre justifiant qu’on leur offre une instruction dans la langue de la minorité. Il en est ainsi parce que les mots « partout » et « justifie » témoignent d’une limitation au niveau à la fois de l'endroit et du nombre en ce qui concerne le droit à une instruction. La Charte ne fait que garantir une instruction dans la langue de la minorité partout dans la province « où le nombre le justifie ».

(3) Demande d’un groupe de parents. L’on a fait valoir que l’exigence énoncée au par. 50(3) de la School Act selon laquelle un conseil scolaire est tenu de dispenser une instruction en français si une demande est présentée par un groupe de parents constitue une autre incohérence avec la Charte pour deux raisons.

[…]

[68] La disposition de la Charte voulant que l’instruction dans la langue de la minorité soit offerte dans certains cas constituerait un geste sans valeur si les personnes auxquelles elle pourrait s’appliquer n’ont pas été informées de leur droit de la recevoir. Il n’y a pas d’incompatibilité avec la Charte si la School Act exige qu’une demande d’instruction en français soit faite à condition qu’un préavis suffisant de la nécessité de présenter la demande ait d’abord été donné. Il serait illogique de dispenser une instruction dans la langue de la minorité sans la preuve d’une demande. Il serait illogique et imprudent de fournir un enseignant, une salle de classe, du matériel ou une école sans savoir s’il existe une demande pour les services offerts. L’éducation coûte très cher, et elle n'est jamais financée dans la mesure exigée par les enseignants ou les parents. Gaspiller de l'argent sur une demande insuffisante porterait préjudice à l'ensemble du système scolaire.

[…]

[100] L’article 23 de la Charte n’exige pas que toutes les possibilités en matière d’instruction qui sont offertes aux étudiants dans un grand établissement, notamment des bibliothèques, des laboratoires, des ateliers et autres installations similaires, dans le cas d’un établissement formé principalement d’étudiants du groupe linguistique majoritaire, doivent nécessairement être offertes également dans un établissement d’enseignement composé entièrement d’un nombre minimal d’étudiants appartenant au groupe linguistique minoritaire.

[101] En outre, l’exigence actuelle énoncée au par. 5.32(2) du règlement, voulant que le conseil scolaire doit offrir une instruction dans la langue de la minorité pendant au moins trois ans, si le nombre d’enfants qui bénéficient de cette instruction tombe sous le seuil du nombre requis, n’est pas suffisante.

[102] L’on ne peut pas dire à l’heure actuelle que l’art. 5.31 du règlement est incompatible avec la Charte. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir qu’il n’est pas raisonnable d’offrir une instruction dans la langue de la minorité à 25 enfants appartenant à trois niveaux consécutifs.

[…]

[107] En d’autres termes, si le nombre d’enfants n’est pas suffisant pour justifier que l’on offre une instruction dans la langue de la minorité, il serait acceptable qu’un conseil scolaire fournisse des solutions de rechange similaires à ce qui est énoncé au par. 5.32(3). Il est juste de dire que les programmes d’immersion ne sont pas une solution de rechange autorisée à une instruction en français sous le régime de l’art. 23; toutefois, si les droits conférés par l’art. 23 ne s’appliquent pas, l’offre d’un programme alternatif de langue française constitue une solution de rechange acceptable si la personne ne souhaite pas participer au programme anglais.

[…]

[114] À notre avis, le droit de la minorité de langue française de participer à l’élaboration et à la prestation des programmes en français est implicitement conféré à l’art. 23 de la Charte. Dans certaines conditions, l’art. 23 de la Charte donne aux parents le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité linguistique. Tout dépendant du nombre, un enfant peut se faire instruire dans la langue de la minorité (al. 23(3)a)) et, tout dépendant d’autres nombres, il peut se faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique (al. 23(3)b)).

[115] Dans l’ensemble, en vertu de l’art. 23, la minorité linguistique a droit à une instruction dans la langue de la minorité. Le législateur ayant explicitement établi ce droit, il est inconcevable qu’il n’ait pas eu l’intention d’inclure le droit de la minorité linguistique de participer à l’élaboration et à la prestation de tels programmes. Il serait imprudent de supposer que le législateur avait l’intention de donner à la minorité linguistique française le droit de se faire instruire en français, mais de confier le contrôle exclusif de l’élaboration et de la prestation de programmes à la majorité anglaise. Si tel était le cas, un groupe linguistique majoritaire pourrait rapidement compromettre les droits de la minorité et pourrait rapidement rendre un tel droit sans valeur. Les mots « instruction dans la langue de la minorité » à l'al. 23(3)a) doivent se traduire par le droit de participer à l’élaboration et à la prestation des programmes.

[…]

[128] Il ne fait aucun doute que, lorsque les droits conférés par l'art. 23 sont mis en application, la qualité de l'instruction à fournir à la minorité devrait être égale à celle qui est fournie à la majorité, compte tenu des divers degrés d’instruction dont jouit la majorité.

[129] Il ressort clairement d’une lecture de la School Act et de la réglementation qu'aucune disposition spéciale n'a été prise pour que la minorité de langue française puisse participer activement dans un tel environnement majoritairement anglais. Aucune garantie n’est donnée à la minorité française. Elle doit dépendre du bon vouloir de la majorité anglaise. L’on ne peut dire d’un tel système qu’il est conforme à l'art. 23.

[130] En conclusion, la School Act et les règlements sont incompatibles avec la Charte, car ils ne reconnaissent pas le droit de la minorité linguistique française de participer à l’élaboration des programmes en français et à leur prestation.

Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (CA ON) [décision disponible and anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[84] Les deux droits conférés par l'art. 23 aux citoyens qui sont admissibles à faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité sont les suivants :

(1) Les parents qui sont admissibles aux termes de l’art. 23 ont le droit de faire instruire leurs enfants, à même les fonds publics, aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité, sous réserve uniquement de l’exigence selon laquelle le nombre d’enfants de ces citoyens doit justifier l’instruction dans la langue de la minorité.

(2) Les mêmes parents qui sont admissibles aux termes de l'art. 23 ont le droit, lorsque le nombre le justifie, de faire instruire leurs enfants dans des établissements de la minorité linguistique fournis sur les fonds publics.

[85] Manifestement, les deux droits sont assujettis à l’exigence selon laquelle le nombre doit justifier leur exercice.

[…]

[94] Le pouvoir discrétionnaire conféré aux conseils scolaires en vertu du par. 261(4) de fournir des écoles secondaires de langue française « dans la mesure du possible » est incompatible avec les dispositions de la Charte. L’article 23 prescrit que des écoles de langue française doivent être fournies partout dans la province où le nombre des enfants qui y sont admissibles justifie que cette instruction et ces établissements soient offerts à même les fonds publics.

[…]

[101] Si un nombre doit être fixé comme étant un minimum avant qu’une instruction en français ne soit offerte, ce nombre devrait être justifié par l’assemblée législative. Elle seule est compétente pour démontrer et fournir la justification du nombre ainsi fixé comme étant approprié pour les divers districts de la province. Fixer, sans aucune justification, un nombre arbitraire comme celui de 25 et 20, établi par la Loi sur l’éducation, contrevient aux dispositions de l’art. 23 de la Charte.

[102] Il faut se rappeler que l'art. 23 impose à l'assemblée législative l’obligation de fournir une instruction dans la langue de la minorité « partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant » (je souligne). Puisque le critère du nombre doit être appliqué à l’échelle locale dans toute la province, il pourrait être difficile de justifier une restriction arbitraire appliquée à l’échelle de la province sans aucune condition ou exemption. Le nombre fixé ne sera pas toujours immuable. Il peut varier selon les régions géographiques et le type d’instruction à fournir. Il est intéressant de noter qu’en 1863, l’on a déterminé que chaque fois que cinq familles pouvaient être assemblées, des conseils scolaires et des écoles distincts pouvaient être établis : voir Scott Act, 1863.

[…]

[122] Il semblerait donc que, lorsque des établissements d’enseignement doivent être fournis pour assurer l’exercice des droits conférés par l’al. 23(3)b), les installations à fournir doivent se rattacher à la minorité linguistique ou lui appartenir. Les versions anglaise et française de l’al. 23(3)b) doivent être lues ensemble et, à notre avis, elles ont un sens commun qui vient appuyer cette interprétation.

[…]

[151] Le pouvoir judiciaire n'est pas le seul gardien des droits constitutionnels des Canadiens. Le Parlement et les assemblées législatives provinciales sont également chargés de s’assurer que les droits conférés par la Charte sont respectés. Les mesures législatives dans le domaine complexe et important de l’éducation sont de beaucoup préférables à une intervention judiciaire. Les droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire doivent être établis par des dispositions législatives générales garantissant à tous un traitement équitable et juste plutôt que par une procédure judiciaire.

[…]

[156] Aux termes de l'art. 23, le droit des citoyens de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité « s'applique partout dans la province où le nombre des enfants ... est suffisant ». Aucune distinction n’est établie entre l’enseignement confessionnel et non confessionnel et, à sa lecture, la disposition s’applique dans les deux cas. Il convient également de souligner que le droit s'applique lorsque le nombre d'enfants est suffisant pour justifier que l’on offre une instruction et des établissements d’enseignement dans la langue de la minorité « sur les fonds publics ». Étant donné que les écoles primaires ― y compris les écoles séparées jusqu’en dixième année ― et les écoles secondaires sont et ont été financées par l'État en Ontario, l'utilisation de l'expression « sur les fonds publics » témoigne elle aussi de l’intention du législateur de faire en sorte que l'art. 23 s'applique également aux systèmes d’éducation séparés et publics.

[157] Y a-t-il à l’art. 93 quoi que ce soit qui empêche l’application de l’art. 23 avec une force égale à l’enseignement confessionnel? À notre avis, il faut répondre à cette question par la négative. La langue d’instruction, comme l’établit la jurisprudence, relève d’une préoccupation linguistique et non confessionnelle; son choix n’a pas été jugé comme étant un droit ou un privilège au sens de l’art. 93. Indépendamment de la Charte, la province aurait le droit, compte tenu de l’arrêt Mackell, précité, de promulguer des lois conférant un droit à l’instruction dans la langue de la minorité dans les écoles confessionnelles sans violer l’art. 93. Du même coup, l’attribution d’un tel droit par l’effet de la Charte ne constitue pas une abrogation des droits ou privilèges protégés par la Constitution ni une dérogation à ceux-ci.

Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[30] L’article 23 exige que les gouvernements fournissent à la minorité linguistique des établissements d’enseignement de la minorité linguistique lorsque le nombre le justifie. Depuis la décision de principe rendue dans l’affaire Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, il est clair que la portée des établissements appropriés auxquels la minorité a droit se situe sur une échelle qui varie selon le nombre d’enfants susceptibles de participer au programme.

 

[31] La présente affaire explore, pour la première fois, l’étendue complète de cette échelle mobile. Elle répond à la question de savoir quels sont les établissements qui sont justifiés dans les cas où il y a à peine assez d’élèves pour justifier qu’on leur offre une instruction dans la langue de la minorité. Sa portée s’étend jusqu’au centre de l’échelle mobile aux fins de déterminer les cas où la province doit dépenser des fonds publics pour construire de nouveaux établissements à l’intention d’une population francophone de petite taille et dispersée. Elle atteint les échelons supérieurs de l’échelle mobile pour ce qui est de déterminer ce que l’on entend par la garantie d’établissements d’enseignement de la minorité linguistique largement équivalents.

[32] Essentiellement, la présente affaire soulève aussi la question de la compétence. Conformément à l’art. 23, la province doit, dans des circonstances limitées, céder à la minorité sa compétence pleine et entière en matière d’éducation afin de permettre à cette minorité d’exercer un certain contrôle sur des questions qui concernant sa langue et sa culture. La présente affaire explore les limites du droit de la minorité à la gestion et au contrôle. Elle pose la question de savoir dans quels cas la province peut remettre en question les décisions de la minorité et continuer à exercer son contrôle à l’égard du système d’éducation. Elle examine dans quels cas la province doit faire plus que céder la compétence et agir comme défenseur des préoccupations de la minorité linguistique.

[…]

[373] Pour s’assurer que les écoles puissent remplir leur rôle d’amélioration de la vitalité pour la communauté linguistique minoritaire de la Colombie-Britannique, l’art. 23 garantit à la communauté linguistique minoritaire une certaine gestion et un certain contrôle sur les établissements d’enseignement de la minorité linguistique. De plus, la province a une obligation positive de veiller à ce que les établissements d’enseignement de la minorité linguistique soient fournis sur les fonds publics lorsque le nombre le justifie. Ces droits atténuent la compétence pleine et entière de la province en matière d’éducation.

[377] La compétence de la province aux termes de l’art. 93 est limitée à la fois par le droit à une instruction dans la langue de la minorité prévu à l’art. 23 de la Charte et par le droit à des écoles confessionnelles prévu au par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il existe des parallèles intéressants entre les droits conférés à la minorité linguistique à l’art. 23 et les droits conférés aux écoles confessionnelles au par. 93(1). Dans l’arrêt Adler c. Ontario, 1996 Canlii 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, la Cour à la majorité a établi une analogie entre les droits qui sont conférés aux écoles confessionnelles par l’art. 93 et ceux qui sont garantis par l’art. 23. Les juges majoritaires ont fait remarquer que les deux catégories de droits sont nés d’un compromis politique et ont accordé un statut spécial à certaines catégories de personnes en matière d’éducation (par. 31).

[…]

[378] En outre, les droits à des écoles confessionnelles limitent la compétence de la province en matière d’éducation de la même façon que le fait l’art. 23. Les écoles confessionnelles ont le droit de contrôler les aspects confessionnels de leurs programmes d’éducation et le droit à une certaine égalité dans les services d’éducation auxquels ils ont droit : Enseignants catholiques de l’Ontario, par. 60, citant Adler au par. 45. L’article 23 donne des droits similaires à la minorité linguistique : le droit à la gestion et au contrôle de questions relatives à la langue et à la culture de la minorité linguistique, et le droit positif à des installations sur une base d’égalité avec la majorité.

[…]

[387] Le droit d’un conseil scolaire à la gestion et au contrôle lui donne un certain contrôle sur les aspects des établissements d’enseignement qui sont au cœur de son mandat : la langue et la culture minoritaires. Dans l’arrêt Mahe, la Cour a écrit que, pour réaliser l’objet de l’art. 23, dans chaque cas où le nombre le justifie, la minorité doit avoir « une certaine mesure de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire » (aux pp. 371 et 372). Ce qui est essentiel, le juge en chef a t il écrit, « c’est que le groupe linguistique minoritaire ait un contrôle sur les aspects de l’éducation qui concernent ou qui touchent sa langue et sa culture » (à la p. 375). En suggérant que la minorité n’a pas besoin d’exercer un contrôle sur tous les aspects de l’instruction dans la langue de la minorité, il a déclaré que la minorité devrait avoir « un contrôle exclusif sur tous les aspects de l’éducation de la minorité qui concernent les questions d’ordre linguistique et culturel » (aux pp. 375 et 376).

[…]

[392] En résumé, pour que la langue et la culture de la minorité prospèrent et que les injustices passées soient corrigées, lorsque le nombre le justifie, la communauté minoritaire a droit à un contrôle exclusif sur les aspects de l'instruction dans la langue de la minorité qui concernent la langue et la culture ou ont une incidence sur celles ci. Cela est nécessaire parce que l’on ne peut s’attendre à ce que la majorité comprenne et saisisse l’incidence que certaines pratiques pourraient avoir sur la langue et la culture de la minorité.

[393] À mon sens, le droit à la gestion et au contrôle se limite aux questions qui concernent des préoccupations d’ordre linguistique et culturel de la minorité. Compte tenu de la nature réparatrice de l’art. 23, le contexte sera important : la question de savoir quelles questions concernent la langue et la culture dépendra des circonstances propres au groupe minoritaire en question.

[394] De façon générale, certains facteurs énoncés dans l’arrêt Mahe auront souvent tendance à se rapporter à la langue et à la culture : des dépenses de fonds pour l'instruction et des établissements d’enseignement dans la langue de la minorité, l’administration de ces établissements, la création de nouveaux programmes, le recrutement et l’affectation d'enseignants et de personnel, et la conclusion d'ententes sur les services d'éducation destinés aux élèves de la minorité linguistique.

[395] Il arrivera aussi que le contexte et la nécessité d’accorder une réparation pourront faire en sorte que d'autres facteurs relèvent de la portée de la langue et de la culture. Par exemple, dans l’arrêt Arsenault Cameron, la répartition et la concentration géographiques d’une communauté linguistique minoritaire ont eu pour résultat que des décisions concernant les régions desservies, le transport et l’emplacement des écoles ont relevé de la portée de la langue et de la culture. Il en allait de l’épanouissement de la langue et de la culture de la collectivité en question.

[396] Les questions qui échappent à la portée de la langue et de la culture (par exemple, le droit d’imposer) ne relèveront pas du droit de la minorité à la gestion et au contrôle. Elles demeurent dans les limites de la compétence pleine et entière de la province en matière d’éducation en vertu de l’art. 93.

[…]

[405] Compte tenu de tous ces principes, je conclus que lorsqu’une affaire relève exclusivement du droit de la minorité de gérer et de contrôler des questions qui concernent la langue et la culture, le conseil scolaire de la minorité a droit à ce que l’on fasse preuve d’une certaine déférence à son égard. Ainsi qu’il a été indiqué dans l’arrêt Arsenault Cameron, dans la mesure où la province s’immisce dans la gestion et le contrôle qu’exerce la minorité sur les questions qui concernent la langue et la culture, ces mesures ou règlements seront invalides.

[406] D’un autre côté, la province a le droit de mettre en place des structures institutionnelles et de prendre des règlements qui régissent le droit de la minorité à la gestion et au contrôle. La minorité linguistique n’a pas droit à un système d’éducation spécifique ou particulier. La province demeure compétente pour modifier le système d’éducation conformément à son pouvoir plein et entier en matière d’éducation. Tant que ces structures ne gênent pas les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité, celle ci est tenue de se conformer à ces règlements et doit exercer son droit de gestion et de contrôle en conformité avec ceux ci.

[…]

[444] La Colombie Britannique jouit d’un vaste pouvoir plein et entier en matière d’éducation en vertu de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette compétence est limitée de deux façons par l’art. 23.

[445] L'article 23 impose au gouvernement une obligation positive unique de veiller à ce que des établissements d'enseignement de la minorité linguistique appropriés soient fournis lorsque le nombre le justifie. À cette fin, le gouvernement doit dépenser des fonds publics et agir rapidement pour prévenir l'assimilation. En même temps, l’obligation qui lui est imposée est limitée par le libellé de l’art. 23, qui pose une exigence de base au titre des services que le gouvernement doit fournir. Même s’il lui est loisible de dépasser ces normes, le gouvernement n’est cependant pas tenu de le faire.

[446] La compétence du gouvernement est également limitée par l’obligation qui lui est imposée de céder à la communauté linguistique minoritaire la gestion et le contrôle des aspects du système d’éducation qui touchent la langue et la culture de la minorité, lorsque le nombre le justifie. Pour savoir ce qui, exactement, touche les aspects linguistiques et culturels de la langue et de la culture de la minorité dépendra du contexte : il faut démontrer si l’enjeu se rapporte à l’atteinte des objectifs réparateurs de l'art. 23. Si la CSF agit dans les limites de cette compétence, l’art. 23 exige que la province s’abstienne de s’immiscer.

[447] La province continue toutefois d'avoir un intérêt légitime à établir un cadre approprié, conforme à la Constitution, dans lequel la minorité doit exercer ses fonctions d’origine législative et constitutionnelle. La minorité n’a pas droit à un système d’éducation donné et elle doit fonctionner dans les limites de structures constitutionnelles qui sont établies par le gouvernement : les structures qui ne font pas obstacle à son droit à la gestion et au contrôle ou qui ne fournissent pas à la minorité les établissements d’enseignement auxquels elle a droit.

[…]

[473] À mon avis, le nombre pertinent aux fins de l'art. 23 devrait prévoir une croissance future raisonnablement prévisible, établie par une preuve d'expert et une preuve du contexte plus large. La question de savoir si le nombre devrait aussi reposer sur une perspective de croissance qui se situe plus loin dans l'avenir dépend entièrement de la preuve que les parties peuvent rassembler. La preuve présentée par des experts et des témoins ordinaires en l’espèce a permis de penser que les projections en matière d’inscriptions ont tendance à être raisonnablement précises à court terme, et moins précises à long terme. Lorsqu’elles regardent plus loin dans l’avenir, les parties sont moins en mesure de prouver, selon la prépondérance des probabilités, ce que seront les chiffres.

[474] Par conséquent, dans la plupart des cas, les chiffres seront ceux qui sont raisonnablement prévisibles compte tenu des projections sur la population démographique et du contexte élargi. Toutefois, s’il y a une preuve que les chiffres sont susceptibles de croître dans un avenir distant, cette preuve peut alors amener un tribunal à conclure qu’une école devrait être construite en vue de la croissance future. D’autre part, si les projections sont purement conjecturales et vont très loin dans l’avenir, il n’y a aucune preuve qui laisse croire que les chiffres ainsi obtenus justifieront des établissements particuliers.

[475] Compte tenu de la nature prospective de la question de la justification par le nombre, je suis d'avis que la question est assortie également d’un aspect temporel. La preuve peut montrer que le nombre d’enfants augmentera graduellement. Aux premières étapes de la mise en œuvre d’un programme, il se peut que quelques enfants seulement soient inscrits à celui ci. Dix ans plus tard, il pourrait y en avoir des dizaines de plus. Le nombre justifiera divers niveaux d’instruction et divers établissements selon l’étape de développement du programme.

[476] De même, l’on a très peu parlé des limites géographiques dans lesquelles le nombre d’élèvent doivent résider. Dans l’arrêt Mahe, la Cour a déclaré, à la page 386, que, puisque l’art. 23 dit « partout dans la province » où le nombre justifie des établissements, « les calculs pertinents ne se limitent pas aux subdivisions scolaires existantes (quoique l’établissement de nouvelles limites scolaires entraîne souvent des coûts dont il faut tenir compte) ».

[477] Dans l’arrêt Arsenault-Cameron, la Cour a fait remarquer que « la région […] doit être déterminée dans chaque cas en tenant dûment compte du nombre d’enfants en cause ainsi que des facteurs importants spécifiques à chaque cas » (par. 57). Je note également que, dans l’arrêt Arsenault Cameron, le contexte était tel qu’il fallait faire preuve d’une certaine déférence à l’égard du conseil scolaire minoritaire concernant ses décisions relatives aux limites des zones desservies, car cette question concernait la langue et la culture de la minorité et relevait de la compétence exclusive de cette dernière.

[478] Il ne fait aucun doute que, pour déterminer le nombre requis, il faut tenir compte de la distribution géographique de la population cible du programme. La mesure dans laquelle elle est pertinente dépendra encore une fois du contexte. Dans de nombreux cas, une communauté linguistique minoritaire pourrait être concentrée dans une région géographique claire. Les limites géographiques aux fins de la détermination du nombre d’enfants requis seraient alors simples. Toutefois, dans d’autres cas, une zone desservie peut être si vaste qu’elle englobe certains enfants qui ne peuvent pas raisonnablement se prévaloir d’un programme ou d’un service. En pareil cas, la Cour doit tenir compte de cette situation pour déterminer le nombre d’enfants qui, dans un tel territoire, devraient normalement se prévaloir d’un programme.

[…]

[2124] Si elle n’atteint pas le seuil de l'équivalence, la minorité n'a pas droit à des programmes, des installations et des services équivalents. Le contraire ne serait pas pratique. Elle a cependant droit à des programmes, des installations et des services proportionnels. Au moment d’effectuer l’analyse de la proportionnalité, les tribunaux peuvent prendre en considération l’espace par habitant, mais doivent se garder d’insister indûment sur de tels facteurs de crainte qu’ils ne tombent dans le piège d’une analyse formelle de l’équivalence. L’analyse de la proportionnalité devrait refléter la perspective utilisée dans l’analyse de l’équivalence : il y aurait donc lieu d’adopter une analyse de l’équivalence substantielle du point de vue du parent titulaire de droits raisonnable, tout en comparant à l’échelle locale l’expérience éducative globale. Les coûts et les modalités pratiques sont liés à cette question, car le gouvernement pourrait respecter la norme d’admissibilité appropriée en finançant un éventail donné d’installations et de services.

[…]

[2126] Après avoir sélectionné les écoles de comparaison appropriées, je vais comparer la taille des écoles majoritaires et minoritaires et examiner le contexte global pour situer le nombre d’enfants sur l’échelle mobile et déterminer la norme d’admissibilité : l’instruction, équivalente ou moins qu’équivalente, mais proportionnelle.

 […]

[5589] La province conserve une partie de sa compétence à l’égard de l’instruction offerte à la minorité linguistique en vertu de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les questions qui échappent à la portée de la langue et de la culture (par exemple, le droit d’imposer) ne relèveront pas du droit de la minorité à la gestion et au contrôle. En outre, le ministre joue un rôle résiduel dans la mise en place de structures institutionnelles et de règlements et politiques qui répondent à la dynamique linguistique particulière à la province (Arsenault Cameron, par. 43). En particulier, le ministre peut fixer des « paramètres légitimes à l’exercice du droit de gestion de la Commission » et appliquer des normes provinciales (par. 58). La minorité linguistique n’a pas droit à une conception donnée du système d’éducation. La Colombie Britannique demeure compétente pour modifier le système d’éducation conformément à son pouvoir plein et entier en matière d’éducation. Tant que ces structures ne gênent pas ses préoccupations linguistiques et culturelles, la minorité est tenue de se conformer à ces règlements et doit exercer son droit de gestion et de contrôle en conformité avec ceux ci.

[…]

XLIV. Conclusions

[6834] En résumé, j'ordonne la réparation suivante. En ce qui concerne les revendications de la communauté, je prononce le jugement déclaratoire qui suit :

a) Le CSF a compétence en vertu de l’art. 23 de la Charte pour établir un programme d’études secondaires (pour les enfants âgés de 14 à 17 ans) à Whistler avec un espace pédagogique hétérogène pouvant accueillir environ 30 élèves (ou tout autre nombre et établissement dont les parties conviennent).

b) Les titulaires de droits aux termes de l’art. 23 de la Charte qui vivent à Squamish ont le droit de faire instruire leurs enfants d’âge élémentaire (de cinq à 13 ans) dans la langue de la minorité dans un espace homogène pouvant accueillir 135 élèves (ou tout autre nombre dont les parties conviennent) qui leur offre une expérience éducative globale qui est proportionnelle à l’expérience vécue dans des écoles élémentaires de comparaison.

c) Le CSF a compétence, en vertu de l’art. 23 de la Charte, pour établir un programme d’études primaires à Squamish (pour les enfants âgés de 5 à 13 ans) avec un espace pédagogique homogène qui offre une expérience éducative globale proportionnelle à l’expérience vécue dans les écoles primaires de comparaison pour environ 135 étudiants (ou tout autre nombre ou installation dont les parties conviennent).

d) Le CSF a compétence, en vertu de l’art. 23 de la Charte, pour établir un programme d’études secondaires à Squamish (pour les enfants âgés de 14 à 17 ans) avec un espace pédagogique hétérogène pouvant accueillir environ 35 élèves du secondaire (ou tout autre nombre ou installation dont les parties conviennent).

e) Les titulaires de droits aux termes de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans la zone desservie de l’École élémentaire du Pacifique, ont le droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire (âgés de 5 à 13 ans) dans la langue de la minorité dans des installations homogènes pouvant accueillir 90 enfants (ou tout autre nombre dont les parties conviennent) qui leur offrent une expérience éducative globale équivalente à l’expérience vécue dans les écoles élémentaires plus petites du DS46 Sunshine Coast et proportionnelle à celle qu’offrent les installations dans les écoles de comparaison plus grandes.

f) L’établissement scolaire qui accueille actuellement l’École élémentaire du Pacifique ne permet pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale équivalant à celle qu’offrent les écoles élémentaires du DS46 Sunshine Coast de plus petite taille et proportionnelle à celle qu’offrent les installations dans les écoles de comparaison plus grandes.

g) Les titulaires de droits aux termes de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans la zone desservie de l’École élémentaire Entre-lacs ont le droit de faire instruire leurs enfants d’âge préscolaire/intermédiaire (âgés de 5 à 14 ans) dans la langue de la minorité dans des installations homogènes pouvant accueillir 175 élèves (ou tout autre nombre dont les parties conviennent) qui leur offrent une expérience éducative globale équivalente à celle qu’offrent les écoles élémentaires de comparaison de Penticton, Summerland et Okanagan Falls, et proportionnelle à l’expérience éducative qu’offrent les écoles intermédiaires de comparaison.

h) L’établissement scolaire qui accueille à l’heure actuelle l’École élémentaire Entre-lacs ne permet pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale équivalant à celle qu’offrent les écoles élémentaires de comparaison et proportionnelle à l’expérience qu’offrent les écoles intermédiaires de comparaison.

i) Les titulaires de droits aux termes de l’art. 23 de la Charte qui vivent à Vancouver (Ouest) ont le droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire (âgés de 5 à 12 ans) dans la langue de la minorité dans des installations homogènes pouvant accueillir 500 enfants d’âge élémentaire (ou tout autre nombre dont les parties conviennent) qui leur offrent une expérience éducative globale équivalente à celle qu’offrent les écoles élémentaires de comparaison.

j) L’établissement scolaire qui accueille à l’heure actuelle l’École Rose-des-Vents ne permet pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale équivalant à celle qu’offrent les écoles élémentaires de comparaison.

k) Le CSF a compétence en vertu de l’art. 23 de la Charte pour établir un programme élémentaire (pour les enfants âgés de 5 à 12 ans) dans le nord-est de Vancouver avec un espace pédagogique hétérogène pouvant accueillir entre 25 et 45 élèves environ à court terme et des installations homogènes pouvant accueillir jusqu’à 270 élèves à long terme (ou tout autre nombre dont les parties conviennent).

l) Les titulaires de droits aux termes de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans la Vallée du Fraser (Abbotsford, Mission et Chilliwack) ont le droit de faire instruire leurs enfants d’âge secondaire (âgés de 13 à 17 ans) dans la langue de la minorité dans des installations pouvant accueillir entre 29 et 40 élèves à court terme et jusqu’à 120 élèves à long terme (ou tout autre nombre dont les parties conviennent), afin de leur offrir une expérience éducative globale qui est proportionnelle à l’expérience scolaire offerte dans les écoles secondaires de langue majoritaire de la vallée du Fraser.

m) Les titulaires de droits aux termes de l’art. 23 de la Charte qui vivent à Abbotsford ont le droit de faire instruire leurs enfants d’âge élémentaire (âgés de 5 à 12 ans) dans la langue de la minorité dans des installations pouvant accueillir entre 10 et 30 élèves à court terme et 85 élèves à long terme (ou tout au nombre dont les parties conviennent), qui leur offrent une expérience éducative globale qui est proportionnelle à l’expérience éducative offerte dans les écoles élémentaires de la majorité linguistique du DS34 Abbotsford.

n) L’absence d’établissements d’enseignement de la minorité linguistique à Abbotsford empêche le CSF d’offrir une expérience éducative globale qui est proportionnelle à l’expérience éducative offerte dans les écoles secondaires de la majorité linguistique de la vallée du Fraser et dans les écoles élémentaires du DS34 Abbotsford.

o) Le CSF a compétence en vertu de l’art. 23 de la Charte pour établir un programme élémentaire à Burnaby avec un espace pédagogique hétérogène pouvant accueillir entre 15 et 40 élèves environ à court terme et un espace pédagogique homogène pouvant accueillir jusqu’à 175 élèves à long terme (ou tout autre nombre dont les parties conviennent).

[6835] En ce qui a trait aux manquements qui concernent le cadre de planification des immobilisations du Ministère, je prononce le jugement déclaratoire qui suit :

a) Le paragraphe 166.25(9) de la School Act est un exercice valide de la compétence constitutionnelle de la province en matière d’éducation.

b) La politique du Ministère qui consiste à geler le financement du CSF au titre de la conclusion de baux aux niveaux de 2013 2014 est contraire à l’art. 23 de la Charte, et donc sans effet.

c) La politique du Ministère qui oblige le CSF à négocier des baux sans l’aide du Ministère viole sans justification l’art. 23 de la Charte.

d) Les politiques du Ministère consistant à ne pas financer les projets d’expansion et à évaluer les demandes du CSF concernant des projets d’immobilisations en les comparant à ceux des conseils scolaires de la majorité qui disposent de plus de ressources en immobilisations que le CSF violent sans justification l’art. 23 de la Charte.

e) La politique du Ministère qui oblige le CSF à identifier et à négocier l’acquisition de sites sans l’aide du Ministère viole sans justification l’art. 23 de la Charte.

f) L’omission du Ministère de recueillir des renseignements sur la demande potentielle d’instruction dans la langue de la minorité en Colombie-Britannique, y compris sur le nombre et la répartition géographique des enfants qui pourraient s’inscrire à une école du CSF, viole sans justification l’art. 23 de la Charte.

[6836] Pour veiller à ce que les divers jugements déclaratoires que je prononce soient applicables, je rends aussi les ordonnances suivantes :

a) La province doit exercer ses pouvoirs juridiques et ainsi créer une enveloppe d’immobilisations cumulative à long terme afin d’assurer au CSF un financement sûr lui permettant de répondre à son besoin de projets d’immobilisations dans l’ensemble de la province.

b) La province et/ou le Ministère doivent élaborer une politique ou adopter une loi pour résoudre ou assurer la participation active du Ministère dans la résolution de questions concernant le besoin de locaux du CSF et les types de différends qui surviennent entre le CSF et les conseils scolaires de la majorité : désignation d’un site; mise en œuvre et fonctionnement du transfert d’actifs; cogestion des actifs communs; négociation de baux de toute installation qui n’est pas transférée; et tout autre différend susceptible de naître entre le CSF et un conseil scolaire de la majorité.

[6837] J’ordonne en outre aux défendeurs de verser au CSF des dommages-intérêts de six millions de dollars sur dix ans en vertu de la Charte pour compenser le sous financement chronique du système de transport du CSF entre 2002-2003 et 2011-2012.

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. En raison de la longueur du jugement, les conclusions sont reproduites sans le raisonnement les sous-tendant ailleurs dans le jugement.

Assn. des parents francophones de la Colombie Britannique c. British Columbia, 1998 CanLII 3969 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[45] La présente affaire est un microcosme de la grande question constitutionnelle canadienne. Elle met à l’épreuve les limites de la capacité et de la volonté de la majorité de faire place au concept de bilinguisme officiel. La plupart des Canadiens rejettent l’égalité formelle et saisissent rapidement le concept de traitement différent dans le contexte de l’invalidité. Ils comprennent la nécessité de fournir un accès en fauteuil roulant, d’abaisser les boutons dans les ascenseurs, de doter les trottoirs de rampes d’accès et d’offrir une foule d’autres mesures d’adaptation pour atteindre le plus possible un résultat égal. De la même manière, le traitement différent et l’adaptation sont au cœur de la préservation de la langue et de la culture. Il ressort clairement de la preuve que, pour préserver la langue et la culture, il faut viser la ségrégation des étudiants francophones – et non l’assimilation. Ainsi, les écoles autonomes sont privilégiées dans les cas où le nombre le justifie. Lorsque le nombre exige le recours à un établissement partagé, tous les efforts doivent être déployés pour confier au CSF [Conseil scolaire francophone] une gestion et un contrôle suffisants de son programme.

[46] Le fait d’être propriétaire d’un établissement en tout ou en partie n'est pas la seule façon d’assurer la gestion et le contrôle d'un programme scolaire. Il est extrêmement difficile de voir comment l'utilisation de 25 p. 100 d'un établissement et le transfert de 25 p. 100 de la propriété des terrains et de la structure matérielle qui en découle permettraient dans quelque mesure que ce soit d’assurer une meilleure gestion et un meilleur contrôle d'un programme scolaire.

[47] Pour ces motifs, j’ai conclu que l’absence dans une loi de dispositions relatives à la propriété d’une école, en tout ou en partie, ne signifie pas que cette loi est viciée. Un régime législatif précis ne doit pas nécessairement prévoir le transfert ou la propriété conjointe des écoles. En bout de ligne, une certaine marge de manœuvre sur la question de la propriété pourrait mieux servir les intérêts des parties.

[…]

[52] Ce qui est requis, c’est un processus ou un mécanisme qui assurera le démarrage réussi et la stabilité à long terme des programmes d’études francophones. La loi actuelle ne prévoit aucun mécanisme de cette nature. Les parents francophones sont donc encore une fois priés de faire confiance aux fonctionnaires gouvernementaux qui ne donnent suite que maintenant à une obligation constitutionnelle imposée par la Charte. En effet, une décennie et demie et deux causes judiciaires plus tard, les parents francophones se battent constamment pour obtenir la promesse faite par l'art. 23. Je n’ai aucun doute que, sans une certaine amélioration de la loi actuelle, d’autres litiges mettant vraisemblablement en cause des conseils scolaires individuels, le C.S.F., et le gouvernement provincial continueront de nourrir le dossier historique.

L'Association des parents francophones de la Colombie-Britannique, la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c. Woods, 1996 CanLII 1455 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[28] Le paragraphe 7(1) du Règlement [Règlement 475/95 The Francophone Education] prévoit que «  le ministre peut accorder une subvention à l’organisme responsable de l’enseignement en langue française ».

[…]

[32] C’est l’emploi du mot « peut » (« may »), le pouvoir discrétionnaire lui-même, et non la manière d’exercer ce pouvoir qui fait de ce libellé un choix de mots malencontreux.  Je ne présume pas que le ministre exercerait son pouvoir discrétionnaire de façon inconstitutionnelle. Les demandeurs ne prétendent pas que c’est ce qu’il a fait. Toutefois, ils n’ont pas à attendre que le ministre utilise de manière inopportune de ce pouvoir avant de contester l’emploi d’un mot qui, en lui-même et de lui‑même, rend la disposition inconstitutionnelle. Selon moi, en utilisant le mot « peut » (« may »), la province n’a pas satisfait à son obligation constitutionnelle de fournir un financement pour respecter les obligations qui lui incombent aux termes de l’article 23.

[…]

[36] Les articles 114 et 115 de la School Act permettent à un conseil scolaire d’acquérir ou d’aliéner un bien-fonds et ses améliorations, en son propre nom, avec l’approbation du ministre. Si l’on garde à l’esprit la nécessité d’un financement équivalent, il est difficile de voir comment la province peut, en refusant à l’organisme en question l’accès à des capitaux tout en l’accordant à la majorité, respecter son obligation constitutionnelle.  De plus, je vois dans la limite imposée à cet organisme, qui ne peut utiliser que des fonds provenant du gouvernement fédéral pour effectuer des dépenses d’immobilisations, une tentative manifeste de déplacer cette responsabilité.

[37] Cet organisme se voit privé de la possibilité de partager des fonds susceptibles d’être alloués par la province pour les dépenses en immobilisations en matière d’éducation et, dans cette mesure, je conclus que la province ne s’est pas acquittée de la responsabilité qui lui incombait aux termes de l’article 23.  Cette constatation ressort plus particulièrement lorsqu’on prend en compte que la minorité, à moins d’obtenir des fonds du gouvernement fédéral, ne peut que louer, tandis que la majorité peut acheter et louer. Il me semble que ce manque de souplesse touche le cœur même de la gestion et du contrôle. En restreignant le degré de gestion et de contrôle de la minorité, la province a négligé de remplir l’obligation d’équivalence et d’égalité que lui impose l’article 23.

[38] Selon le système instauré par le règlement, pour répondre à ses besoins en matière de logement, l’organisme doit conclure des arrangements de location et obtenir l’approbation du ministre : voir l’article 11. Le problème, en l’espèce, vient de l’absence de possibilité d’acquérir un bien-fonds et des améliorations en son propre nom. La capacité de conclure des baux dont il jouit ne porte pas atteinte à l’article 23. C’est le fait d’être limité à ce mode d’occupation qui le distingue.

[…]

[40] En l’absence d’un mécanisme quelconque permettant de dénouer une impasse susceptible de survenir dans les négociations, l’organisme est à la merci des conseils scolaires. J’estime qu’un tel système n’accorde pas à l’organisme le degré de gestion et de contrôle envisagé par l’article 23, tel qu’il a été expliqué dans l’arrêt Mahe.

[…]

[48] À mon avis, l’assemblée législative de la Colombie-Britannique a négligé de s’acquitter de l’obligation que lui impose l’article 23 de la Charte. L’article 5 de la School Act, qui a été adopté avant que l’arrêt Mahe ne soit prononcé, ne constitue pas un système législatif conforme à l’article 23, tel qu’il l’a été expliqué dans les arrêts Mahe et Renvoi du Manitoba.  Comme les assemblées législatives de l’Alberta et du Manitoba, l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique ne doit plus tarder à mettre en place un système approprié d’enseignement dans la langue de la minorité.

[49] Si ce n’est de ce que la Cour suprême du Canada a dit à ce sujet, j’estime que c’est par des mesures législatives, et non réglementaires, qu’il faut respecter cet engagement constitutionnel. Les droits linguistiques sont d’une nature fondamentalement différente. Leur réalisation peut exiger l’adoption de mesures créatives et innovatrices. Le fardeau de veiller à l’exécution des obligations imposées par l’article 23 incombe tant au gouvernement qu’à l’assemblée législative de chaque province. La législation provinciale fournit une mesure de sécurité qui transcende celle qu’offre un régime réglementaire. Il en coûte beaucoup plus cher de modifier une loi que de modifier une série de règlements. De même, le dépôt d’une loi a plus de chances d’assurer au public une compréhension plus approfondie de l’importante solution adoptée par le Canada pour protéger la langue et la culture tant des anglophones que des francophones. Le débat devant une assemblée législative s’accompagne de la possibilité de promouvoir une meilleure compréhension de notre héritage national et de faire ressortir la place unique que nous occupons au sein des nations.

[…]

[53] J’estime que la cour doit concevoir une réparation qui laisse à l’assemblée législative la liberté dont elle doit jouir pour créer un régime législatif d’ensemble propre à satisfaire aux obligations que lui impose l’article 23. […]

Griffin c. Commission scolaire régionale Blainville Deux-Montagnes, 1989 CanLII 5176 (CS QC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[81] Les jugements qui précèdent ne veulent pas dire que les droits garantis par l'article 23 aux enfants de parents de langue minoritaire, doivent être interprétés comme garantissant à ces parents le droit d'exiger que les établissements scolaires de langue minoritaire adoptent et enseignent leurs croyances religieuses. Le droit qui est garanti est celui de recevoir un enseignement dans des établissements de langue minoritaire, pas de religion minoritaire (p. 2757). 

Voir également :

Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), [2012] 1 R.C.S. 364, 2012 CSC 10 (CanLII)

Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, 1996 CanLII 148 (CSC)

British Columbia/Yukon Association of Drug War Survivors c. Abbotsford (City), 2015 BCCA 142 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Fédération des parents francophones de Columbie- Britannique c. British Columbia (Attorney General), 2012 BCCA 422 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Commission Scolaire Francophone du Yukon c. Procureure Générale du Yukon, 2011 YKCA 10 (CanLII)

Szasz c. Lakeshore School Board, 1998 CanLII 12919 (CA QC)

Assoc. Francaise des Conseils Scolaires de l'Ontario c. Ontario (Ont. C.A.), 1988 CanLII 4759 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

Commission des Ecoles Fransaskoises Inc. c. Saskatchewan, 1991 CanLII 7999 (SK CA)

Commission Scolaire Francophone du Yukon c. Tribunal d’Appel de l’Éducation du Yukon, 2015 YKSC 24 (CanLII)

Conseil scolaire fransaskois c. Saskatchewan, 2011 SKQB 210 (CanLII)

East Central Francophone Education Region No. 3 c. Alberta (Minister of Infrastructure), 2004 ABQB 428 (CanLII)

Conseil des écoles séparées catholiques romaines de Dufferin et Peel c. Ontario (Ministre de l'éducation et de la formation), 1996 CanLII 11789 (CS ON)

Colin c. Québec (Commission d'appel sur la langue d'enseignement), [1995] R.J.Q. 1478, [1995] J.Q. no 1874 (CS QC) [hyperlien non disponible]

Marchand c. Simcoe County Board of Education et al. (No. 2), 1987 CanLII 4129 (CS ON)

Marchand c. Simcoe County Board of Education et al., 1986 CanLII 2671 (CS ON)

Re Ottawa Board of Education et al. and Attorney-General of Ontario, 1986 CanLII 2773 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

Marchand c. Simcoe (1984), 10 C.R.R.169, [1984] O.J. No. 282 (CS ON) [hyperlien non disponible]

Stopnicki c. Québec (Éducation), 2004 CanLII 64045 (TAQ QC)

 

Recours (article 24)

24. (1) Recours en cas d'atteinte aux droits et libertés 

24.  (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (2) Irrecevabilité d'éléments de preuve qui risqueraient de déconsidérer l'administration de la justice

24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Paragraphe 24(1)

Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), [2015] 2 R.C.S. 139, 2015 CSC 21 (CanLII)

[49] Il se peut que les coûts et les considérations pratiques redeviennent pertinents si une partie responsable cherche à justifier une violation de l’art. 23 en vertu de l’article premier de la Charte. De plus, les coûts et les considérations pratiques peuvent s’avérer pertinents quand un tribunal cherche à concevoir une réparation « convenable et juste » eu égard aux circonstances en vertu du par. 24(1) de la Charte. Donc, la conclusion qu’il y a violation de l’art. 23 ne donnera pas automatiquement lieu à l’ouverture d’une nouvelle école pour les titulaires de droits. Il existe un tiraillement constant dans la conciliation de priorités concurrentes, entre la disponibilité de moyens financiers et les pressions exercées sur le trésor public. Pour concevoir une réparation, le tribunal tient compte des coûts et des considérations pratiques qui font partie de la prestation de tous les services d’enseignement ― tant pour les écoles de la majorité linguistique que pour celles de la minorité. Nous ne sommes toutefois pas saisis de cette question en l’espèce.

[50] En résumé, on tient compte des coûts et des considérations pratiques pour déterminer où se situe une communauté linguistique minoritaire sur l’échelle variable des droits garantis par l’art. 23. Si cette communauté a droit au plus haut niveau de services d’enseignement, au même titre que la communauté majoritaire, il n’est pas nécessaire de tenir compte des coûts et considérations pratiques pour décider si les titulaires des droits reçoivent les services auxquels ils ont droit. Il peut toutefois arriver que les coûts et les considérations pratiques s’avèrent pertinents lorsqu’on tente de justifier une violation de l’art. 23 ou de concevoir une réparation convenable et juste par suite d’une violation.

Thibodeau c. Air Canada, [2014] 3 R.C.S. 340, 2014 CSC 67 (CanLII)

[112] Le paragraphe 77(4) de la LLO [Loi sur les langues officielles] s’inscrit assurément dans un régime législatif quasi constitutionnel visant à refléter et à actualiser l’égalité de statut du français et de l’anglais en tant que langues officielles du Canada, de même que les « droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », ainsi qu’il est déclaré au par. 16(1) de la Charte : voir, p. ex., R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; Lavigne, par. 23.  À l’instar du par. 24(1) de la Charte, le par. 77(4) de la LLO confère un vaste pouvoir de réparation et devrait recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet.  Ces facteurs ne modifient cependant en rien la bonne méthode d’interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur : Lavigne, par. 25, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87.  À mon sens, il ressort de la LLO, lue dans son contexte global, que le législateur ne voulait pas empêcher que le par. 77(4) soit interprété harmonieusement avec les obligations internationales du Canada mises en œuvre par une autre loi fédérale. 

Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, 2003 CSC 62 (CanLII)

[25] Selon le principe de l’interprétation téléologique, les dispositions réparatrices doivent être interprétées de manière à assurer « une réparation complète, efficace et utile à l’égard des violations de la Charte », « puisqu’un droit, aussi étendu soit-il en théorie, est aussi efficace que la réparation prévue en cas de violation, sans plus » (Dunedin, précité, par. 1920). L’interprétation téléologique des réparations dans le contexte de la Charte actualise l’ancienne maxime ubi jus, ibi remedium, là où il y a un droit, il y a un recours.  Plus particulièrement, cette interprétation comporte au moins deux exigences, à savoir, premièrement, favoriser la réalisation de l’objet du droit garanti (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations adaptées à la situation), et deuxièmement, favoriser la réalisation de l’objet des dispositions réparatrices (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations efficaces).

[…]

[37] En ce qui concerne le présent pourvoi, nous croyons que le juge LeBlanc s’est à bon droit appuyé sur des facteurs historiques et contextuels pour concevoir une réparation qui protégerait utilement et, en fait, mettrait en application les droits des appelants de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle parlée par la minorité, tout en respectant comme il se doit les rôles respectifs de l’exécutif et du législatif.

[…]

[40] C’est dans ce contexte urgent d’érosion culturelle que le juge LeBlanc a conçu la réparation en cause.  En ordonnant au gouvernement de faire de son mieux pour fournir des établissements dans des délais déterminés et en se déclarant compétent pour entendre les comptes rendus sur les efforts déployés à cet égard, le juge a tenu compte de la nécessité d’une exécution diligente, des limites du rôle des tribunaux et de l’opportunité de laisser au gouvernement une certaine latitude dans la façon de remplir les obligations que lui impose la Constitution.  Toutefois l’urgence du contexte n’habilite pas en soi une cour supérieure à accorder une réparation d’une portée illimitée sous le régime du para. 24(1) de la Charte. Nous abordons maintenant la question de savoir si l’ordonnance du juge LeBlanc ressortissait à la compétence d’une cour supérieure.

(2) La compétence des cours supérieures en matière de reparation fondée sur le par. 24(1) de la Charte

[41] Le paragraphe 24(1) constitutionnalise le pouvoir des tribunaux de réparer des négations ou violations de droits et libertés garantis par la Charte.  L’intimé avance divers arguments selon lesquels le juge LeBlanc aurait outrepassé sa compétence en contrevenant à des normes constitutionnelles, à des dispositions législatives et à des règles de common law.  Nous examinerons d’abord la portée de la compétence que le par. 24(1) confère en matière de réparation, ainsi que les limites auxquelles la Constitution assujettit cette compétence selon l’intimé.  Nous analyserons ensuite l’utilité des textes de loi et des règles de common law dans le choix des réparations visées au par. 24(1).

[42] Il est incontestable que, si le pouvoir de réparation comporte certaines limites en vertu du par. 24(1) ou d’autres parties de la Constitution, le juge doit agir en conséquence au moment d’accorder une réparation.  Selon une règle fondamentale, une partie de la Constitution ne peut être abrogée ou atténuée par une autre partie de la Constitution (New Brunswick Broadcasting, précité, p. 373, la juge McLachlin, citant le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), 1987 CanLII 65 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1148).  Par exemple, un tribunal ne saurait forcer un gouvernement provincial à prendre, en vertu du par. 24(1), une mesure qui excéderait la compétence conférée à la province par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[43] Il peut y avoir lieu à réparation sous le régime du par. 24(1) lorsqu’une action du gouvernement, autre que l’adoption d’une loi ou d’une disposition législative inconstitutionnelle, porte atteinte aux droits que la Charte garantit à une personne (voir Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679, p. 719-720).  En l’espèce, ce n’est pas la loi qui fait problème : l’Education Act ne comporte ni disposition ni omission empêchant le gouvernement de dispenser l’instruction dans la langue de la minorité conformément à la Loi constitutionnelle de 1982.  Au contraire, cette loi, dans sa version modifiée de 1996, établit un conseil scolaire francophone chargé d’offrir un enseignement homogène en français aux enfants des parents visés à l’art. 23.  De même, le problème découle non pas d’une action gouvernementale quelconque, mais plutôt de l’inaction du gouvernement provincial et, en particulier, de son défaut de mobiliser des ressources pour fournir sans délai des établissements d’enseignement, conformément à l’art. 23 de la Charte.  On peut se prévaloir du par. 24(1) pour remédier à ce défaut.

[…]

[45] L’interprétation téléologique de ce texte et le sens ordinaire des mots utilisés par son rédacteur montrent clairement qu’il garantit qu’il y aura toujours un tribunal compétent pour entendre les personnes victimes de violation ou de négation de leurs droits ou libertés (voir Nelles c. Ontario, 1989 CanLII 77 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 170, p. 196, et Mills, précité, p. 881).  Les tribunaux compétents sont ipso facto les cours supérieures établies en vertu de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.  Le paragraphe 24(1) prévoit, en outre, clairement que les tribunaux compétents peuvent accorder la réparation qu’ils estiment convenable et juste eu égard aux circonstances.

[…]

[51] Le pouvoir que le par. 24(1) confère aux cours supérieures de rendre des ordonnances convenables et justes afin de remédier à des violations ou négations de droits garantis par la Charte fait partie de la loi suprême du Canada.  Il s’ensuit qu’il ne peut être strictement limité par des dispositions législatives ou des règles de common law.  Toutefois, nous constatons que les lois ou les règles de common law peuvent aider les tribunaux à choisir les réparations à accorder sous le régime du par. 24(1) dans la mesure où elles énoncent des principes utiles pour déterminer ce qui est « convenable et juste eu égard aux circonstances ».

(3) La signification de « convenable et juste eu égard aux circonstances »

[52] Que signifie alors l’expression « convenable et juste eu égard aux circonstances » utilisée au para. 24(1)?  Dans certains cas, il appartient nettement au tribunal qui accorde la réparation de donner un sens à cette expression, étant donné que le para. 24(1) précise que la réparation accordée doit être celle que le tribunal estime convenable et juste.  Pour décider quelle réparation est convenable et juste dans une situation donnée, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l’application des principes juridiques pertinents. Il y a lieu de répéter le passage suivant des motifs du juge McIntyre dans Mills, précité, p. 965-966 :

Il est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu.  Ce large pouvoir discrétionnaire n’est tout simplement pas réductible à une espèce de formule obligatoire d’application générale à tous les cas, et les tribunaux d’appel ne sont nullement autorisés à s’approprier ce large pouvoir discrétionnaire ni à en restreindre la portée.

[53] En toute déférence, l’interprétation de l’art. 24 qui se dégage des motifs des juges LeBel et Deschamps tendrait à court-circuiter et à réduire ce large pouvoir discrétionnaire.  Elle tendrait également, en l’espèce, à court-circuiter et à dévaloriser la promesse constitutionnelle relative aux droits linguistiques contenue à l’art. 23.  À notre avis, la retenue judiciaire et les métaphores comme celle du « dialogue » ne doivent pas être érigées en règles constitutionnelles strictes auxquelles peuvent être assujettis les termes de l’art. 24.  Le même raisonnement s’applique aux règles procédurales de common law, comme celle du functus officio, qui, dans une certaine mesure, peuvent être incorporées dans des lois.  Comme les juges LeBel et Deschamps semblent le reconnaître aux par. 135 et suivants, il faut plutôt considérer qu’il existe des situations où notre Constitution requiert des réparations particulières afin d’assurer le maintien de l’ordre qu’elle vise à établir.

[54] Bien qu’il ne soit pas sage, à ce stade, de tenter de donner une définition détaillée de l’expression « convenable et juste » ou d’établir une distinction rigoureuse entre les deux mots, il existe néanmoins des facteurs généraux dont les juges devraient tenir compte en évaluant le caractère convenable et juste d’une réparation potentielle.  Ces principes généraux peuvent s’inspirer de la jurisprudence relative aux réparations accordées hors du contexte de la Charte, notamment celle où la règle du functus officio  et les réparations trop vagues sont analysées, même si, comme nous l’avons dit, cette jurisprudence est strictement inapplicable aux ordonnances fondées sur le para. 24(1).

[55] Premièrement, la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances d’une demande fondée sur la Charte est celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur.  Il va sans dire qu’elle tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur.  Une réparation utile doit être adaptée à l’expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause.  Une réparation inefficace ou « étouffé[e] dans les délais et les difficultés de procédure » ne permet pas de défendre utilement le droit violé, et ne saurait donc être convenable et juste (voir Dunedin, précité, par. 20, la juge en chef McLachlin, citant Mills, précité, p. 882, le juge Lamer (plus tard Juge en chef)). 

[56] Deuxièmement, la réparation convenable et juste fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle. Comme nous l’avons vu, le tribunal qui accorde une réparation fondée sur la Charte doit s’efforcer de respecter la séparation des fonctions entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire et les rapports qui existent entre ces trois pouvoirs.  Cela ne signifie pas que la ligne de démarcation entre ces fonctions est très nette dans tous les cas.  Une réparation peut être convenable et juste même si elle peut toucher à des fonctions ressortissant principalement au pouvoir exécutif.  L’essentiel est que, lorsqu’ils rendent des ordonnances fondées sur le par. 24(1), les tribunaux ne s’écartent pas indûment ou inutilement de leur rôle consistant à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends.

[57] Troisièmement, la réparation convenable et juste est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal.  Il ne convient pas qu’un tribunal se lance dans des types de décision ou de fonction pour lesquels il n’est manifestement pas conçu ou n’a pas l’expertise requise.  Les capacités et la compétence des tribunaux peuvent s’inférer, en partie, de leurs tâches normales pour lesquelles ils ont établi des règles de procédure et des précédents.

[58] Quatrièmement, la réparation convenable et juste est celle qui, en plus d’assurer pleinement la défense du droit du demandeur, est équitable pour la partie visée par l’ordonnance.  La réparation ne doit pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit.

[59] Enfin, il faut se rappeler que l’art. 24 fait partie d’un régime constitutionnel de défense des droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Charte.  C’est ce qui explique pourquoi, en raison de son libellé large et de la multitude de rôles qu’il peut jouer dans différentes affaires, l’art. 24 doit pouvoir évoluer de manière à relever les défis et à tenir compte des circonstances de chaque cas.  Cette évolution peut forcer à innover et à créer au lieu de s’en tenir à la pratique traditionnelle et historique en matière de réparation, étant donné que la tradition et l’histoire ne peuvent faire obstacle aux exigences d’une notion réfléchie et péremptoire de réparation convenable et juste. Bref, l’approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause.

[…]

[67] Nos collègues, les juges LeBel et Deschamps, sont d’avis qu’une ordonnance enjoignant de rendre compte n’était pas nécessaire puisque toute violation d’un simple jugement déclaratoire par l’État pouvait donner lieu à des poursuites pour outrage.  Nous ne doutons pas que des poursuites pour outrage peuvent convenir dans certains cas.  Toutefois, nous estimons que la menace de poursuites pour outrage ne témoigne pas en soi de plus de respect à l’égard du pouvoir exécutif que de simples auditions de comptes rendus qui permettent à une minorité linguistique de prendre rapidement connaissance des progrès réalisés en vue de respecter les droits que leur garantit l’art. 23.  Qui plus est, en raison du taux élevé d’assimilation qu’il a constaté, il convenait que le juge accorde une réparation qui, selon lui, pourrait être mise à exécution promptement.  Dans cette optique, le juge LeBlanc a choisi une réparation qui réduisait le risque que des délais procéduraux supplémentaires viennent étouffer les droits à l’instruction dans la langue de la minorité.

b) L’ordonnance enjoignant de rendre compte respectait le cadre de notre démocratie constitutionnelle

[68] En accordant la mesure réparatrice en question, le juge LeBlanc a tenu compte du rôle des tribunaux dans notre démocratie constitutionnelle et ne s’en est pas écarté indûment ou inutilement.  Il a pris en considération les progrès réalisés par le gouvernement en vue de fournir les écoles et services requis (voir, par exemple, les par. 233-234).  L’ordonnance « de faire de son mieux » accordait une certaine souplesse destinée à parer aux difficultés imprévues.  Il convenait que le juge LeBlanc préserve et renforce le rôle du ministère de l’Éducation consistant à fournir les écoles, dont l’investit l’art. 88 de l’Education Act, étant donné qu’il était possible de le faire sans compromettre le droit des parents visés à ce qu’elles soient fournies promptement.

[69] Le rôle légitime que les tribunaux jouent par rapport à diverses institutions gouvernementales dépend, jusqu’à un certain point, des circonstances.  En l’espèce, le juge LeBlanc a eu raison d’accorder une réparation permettant de défendre les droits des parents tout en laissant largement au pouvoir exécutif le soin de choisir les moyens précis d’y parvenir.

[70] Nos collègues, les juges LeBel et Deschamps, semblent douter de la constitutionnalité d’une injonction accordée contre le gouvernement en vertu du par. 24(1), et considérer qu’une telle mesure déroge au consensus qui existe au sujet des réparations fondées sur la Charte (voir le par. 134 de l’opinion dissidente).  En toute déférence, il est clair qu’un tribunal peut accorder une injonction en vertu du par. 24(1) de la Charte.  Le pouvoir des tribunaux d’accorder des injonctions contre le pouvoir exécutif est au cœur de ce paragraphe qui envisage plus que de simples déclarations de droits.  Les tribunaux prennent des mesures pour que les droits soient respectés et non simplement déclarés.  Les poursuites pour outrage auxquelles s’expose la personne ou l’entité qui passe outre à une ordonnance judiciaire, de même que les mesures coercitives telles la saisie-arrêt, la saisie-exécution et ainsi de suite sont autant de mesures connues des tribunaux.  En l’espèce, le juge de première instance pouvait, eu égard aux circonstances, prescrire les modalités de l’injonction accordée.

[…]

(5) Conclusion

[87] Le paragraphe 24(1) de la Charte exige que les tribunaux accordent des réparations efficaces et adaptées qui protègent pleinement et utilement les droits et libertés garantis par la Charte.  Il peut parfois arriver que la protection utile des droits garantis par la Charte et, en particulier l’application de l’art. 23, commandent des réparations d’un genre nouveau.  Une cour supérieure peut accorder toute réparation qu’elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances.  Ce faisant, elle doit être consciente de son rôle d’arbitre de la Constitution et des limites de ses capacités institutionnelles.  Les tribunaux qui procèdent à un contrôle doivent, pour leur part, faire montre d’une grande déférence à l’égard de la réparation choisie par un juge de première instance et se garder de les parfaire après coup; ils ne doivent intervenir qu’en cas d’erreur commise sur le plan du droit ou des principes par le juge de première instance.

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[74] L'article 14 garantit sans réserve le droit à l'assistance d'un interprète. Par conséquent, il serait erroné de se demander, pour déterminer si le droit a été violé, si l'accusé a vraiment subi un préjudice lorsqu'on lui a refusé l'exercice de ses droits garantis par l'art. 14. La Charte proclame en fait que le refus de fournir une bonne interprétation pendant que l'affaire progresse est préjudiciable en soi et viole l'art. 14. Le véritable préjudice qui résulte est une question qui doit être examinée et réglée en fonction du par. 24(1) de la Charte, lorsqu'il s'agit de concevoir une réparation convenable et juste pour la violation en question. En d'autres termes, le "préjudice" réside exclusivement dans le fait de se voir refuser l'exercice d'un droit auquel on a droit.

[…]

[97] Bien que la négation d'un droit garanti par la Charte constitue une erreur de droit, il s'agit, de par sa nature constitutionnelle même, d'une erreur de droit grave qui, aux fins du Code criminel, ne peut certainement pas être qualifiée de négligeable ou d'inoffensive, ni d'"irrégularité de procédure". Par conséquent, je conclus que, du point de vue juridique, la violation de l'art. 14 de la Charte empêche l'application des sous-al. 686(1)b)(iii) et (iv) du Code. Dans la mesure où une violation de la Charte est plus ou moins grave ou cause plus ou moins un préjudice à l'accusé, il se pose alors des questions de réparation qui relèvent directement du par. 24(1) de la Charte, et non pas du Code criminel.

[98]  Il importe de souligner que le par. 24(1) de la Charte a l'avantage d'offrir une certaine souplesse en matière de réparation, ce qui n'a pas toujours été le cas avec le droit d'être présent au sens de l'art. 650 du Code, où on a eu tendance à définir de façon plus rigide les conséquences qu'une violation de ce droit entraîne sur le plan de la réparation à accorder : Vézina, précité, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), aux pp. 13 et 14. Autrement dit, la négation du droit d'être présent au sens de l'art. 650 du Code a généralement été considérée comme étant une erreur fatale qui dépouille les tribunaux de leur compétence et qui empêche ainsi l'application du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code : Barrow, précité, le juge en chef Dickson, aux pp. 718 et 719, Meunier, précité, aux pp. 16 et 17, et Proulx, loc. cit., aux pp. 182 à 184. (Toutefois, sans commenter d'une façon ou d'une autre la justesse de leurs décisions, je souligne que plusieurs cours d'appel se sont fondées sur la nouvelle disposition relative à l'irrégularité de procédure, le sous-al. 686(1)b)(iv), pour éviter d'avoir à ordonner de nouveaux procès dans des cas où il y avait eu violation de l'art. 650: voir par ex., E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (2e éd. 1987), vol. 2, à 23:8105.)

[99] En général, la réparation qu'il convient d'accorder sous le régime du par. 24(1) de la Charte à l'égard d'une violation de l'art. 14 de la Charte sera identique à ce qu'elle serait en common law et sous le régime des garanties d'origine législative comme celles de l'art. 650 du Code ou de l'al. 2g) de la Déclaration canadienne des droits, soit une nouvelle audition de la question ou de la procédure dans le cadre de laquelle la violation a été commise. Par exemple, lorsque la violation survient pendant le procès lui-même, il sera généralement nécessaire d'annuler la déclaration de culpabilité dont il est interjeté appel et d'ordonner un nouveau procès. Si, par ailleurs, la violation est commise pendant une partie distincte et séparable des procédures comme, par exemple, pendant une enquête sur le cautionnement ou une audition visant à déterminer la peine à imposer, une nouvelle audition de la question constituera normalement la réparation appropriée en vertu du par. 24(1). Toutefois, il importe de reconnaître que le par. 24(1) habilite le tribunal à accorder la réparation qu'il estime "convenable et juste" eu égard aux circonstances. La souplesse en matière de réparation qu'offre le par. 24(1) permet à un tribunal d'accorder, dans les circonstances appropriées, une réparation qui soit plus ou moins généreuse que celle qui, comme je l'ai indiqué, conviendra normalement dans les cas où l'art. 14 de la Charte a été violé (c.-à-d. une nouvelle audition de la question).

[100] L'un des facteurs qu'il convient de considérer pour adapter la réparation aux circonstances d'une violation particulière de l'art. 14 sera le préjudice subi. Par exemple, lorsque l'accusé est en mesure de démontrer qu'il a subi ou subira un préjudice en sus de celui qui découle directement de la violation elle-même, comme le fait d'avoir à assumer les coûts financiers d'un nouveau procès, un tribunal peut juger approprié d'accorder une autre réparation en vertu du par. 24(1), tels des dommages-intérêts. De même, lorsqu'une violation du droit à l'assistance d'un interprète est survenue mais qu'on y a déjà remédié pendant les procédures elles-mêmes, comme dans le cas où l'interprétation a été interrompue et où le tribunal a pu "corriger" l'erreur en demandant au sténographe judiciaire de relire les parties manquantes pour permettre à l'interprète de les traduire, un tribunal peut décider qu'il n'est pas nécessaire, en vertu du par. 24(1), d'ordonner une nouvelle audition de la question.

[101] Somme toute, il y a lieu de recourir au par. 24(1) de la Charte et non aux dispositions réparatrices du Code, lorsqu'il y a eu violation du droit à l'assistance d'un interprète. Même si la réparation consistera normalement à ordonner la tenue d'une nouvelle audition de la question ou de la procédure dans le cadre de laquelle la violation a été commise, le par. 24(1) permet à un tribunal d'adapter la réparation aux circonstances particulières de la violation. Compte tenu du fait que la violation de l'art. 14 de la Charte a, en l'espèce, été commise pendant le procès lui-même et non pas pendant une partie distincte et séparable des procédures, j'estime que la réparation convenable et juste, au sens du par. 24(1) de la Charte, consiste à accueillir la requête de l'appelant visant à obtenir une ordonnance accueillant le pourvoi, annulant la déclaration de culpabilité et enjoignant de tenir un nouveau procès.

R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309 (CanLII)

[140] Historiquement, l’octroi des frais de justice contre le ministère public en matière criminelle était très rare et servait à souligner la mauvaise foi du ministère public ou les fautes intentionnelles commises par la poursuite (R. c. C.A.M., 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, au para. 97). Comme elle l’a expliqué dans l’arrêt R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 575, la Cour suprême a assoupli cette règle lorsque les frais sont accordés comme réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte. Selon la Cour suprême, les tribunaux peuvent exiger que le ministère public rembourse les frais engagés par l’accusé comme remède constitutionnel s’ils constatent des « dérogations marquées et inacceptables par la poursuite aux normes [de conduite] raisonnables qu’on s’attend qu’elle respecte » (974649 Ontario, au para. 87). En effet, la Cour suprême a déclaré qu’au « cours des dernières années la condamnation aux dépens a pris une place plus importante en tant que réparation efficace dans les affaires criminelles » (974649 Ontario, au para. 81).

[141] La Cour suprême considère que l’octroi des frais peut souvent constituer la réparation la plus appropriée afin de sanctionner des dérogations marquées et inacceptables des normes de conduite raisonnable de la part de la poursuite qui n’atteignent pas le seuil pour justifier un arrêt des procédures, mais qui sont néanmoins très graves (974649, au para. 80). Le fait que l’accusé doit subir un deuxième procès à cause d’une violation de la Charte est un facteur qui milite en faveur de la condamnation aux dépens ou même de l’octroi de dommages-intérêts (974649, aux paras. 99 et 100).

[142] Hormis les violations de la Charte, l’octroi des frais dans une affaire criminelle demeure rare. Leur octroi est typiquement une conséquence des actes de mauvaise foi commis par le ministère public. Cependant, les catégories de circonstances dans lesquelles les frais peuvent être accordés dans un contexte criminel ne sont jamais épuisées (R. v. King (1986), 1986 CanLII 1156 (BC CA), 26 C.C.C. (3d) 349 (B.C.C.A.)). La Cour suprême a confirmé que, dans des circonstances « remarquables » (R. c. Trask, 1987 CanLII 24 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 304, à la p. 308) ou « tout à fait particulières » (R. c. Curragh Inc., 1997 CanLII 381 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 537, à la p. 546), un tribunal peut accorder les frais même en l’absence de mauvaise foi de la part du ministère public.

Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CanLII 170 (NWT CA)

[33] Lorsque l’existence d’une violation a été démontrée, l’article 24 de la Charte permet d’accorder « la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Ce vaste libellé confère au tribunal une vaste latitude : Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), au par. 52, [2003] 3 RCS 3. Les réparations prévues par la Charte doivent être accordées sur le fondement de principes solides et la formulation de la réparation n’est pas absolue ou illimitée. Une réparation fondée sur une erreur de droit ou une erreur dans l’application des principes ou encore une réparation disproportionnée et déraisonnable ne saurait être juste peu importent les circonstances : Doucet-Boudreau, au par. 87; Colombie-Britannique (Ministre des forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71 (CanLII), au par. 43, [2003] 3 RCS 371.

[…]

[171] Enfin, la réparation accordée pour « l’inaction » est erronée; elle confère essentiellement des droits à la communauté et non à des titulaires de droits garantis par l’article 23. Le libellé de l’article 23 confère des droits à des catégories précises de parents en leur permettant d’envoyer leurs enfants à des écoles de la minorité linguistique et c’est à eux que les réparations doivent être accordées : Doucet-Boudreau, aux par. 55 et 58. La réparation générale consistant à créer plus d’espaces pour une garderie n’est liée à aucune violation de la Charte commise contre un ayant droit. Aucun ayant droit potentiel n’est en mesure de démontrer que, n’eût été l’espace supplémentaire aménagé dans la garderie, ces enfants auraient été en mesure de s’inscrire au programme de l’enseignement primaire dans la langue de la minorité (supra, au par. 164). Comme la garderie n’est pas protégée par l’article 23, l’absence d’espace en garderie ne saurait constituer une violation de la Charte. L’article 23 n’impose aucune obligation au gouvernement l’élargir l’application de l’article 23 à d’autres ayants droit ou aux personnes intéressées à l’enseignement dans la langue de la minorité ou encore de créer davantage d’espaces en garderie ou d’autres possibilités sur le plan linguistique. La juge de première instance a commis une erreur de droit en justifiant cette réparation au motif qu’elle encourage « le recrutement et la francisation » (motifs, au par. 787), étant donné que la Charte ne protège pas de tells droits. Lorsque des institutions, des programmes ou des établissements sont créés dans le but d’augmenter le nombre de titulaires des droits garantis par l’article 23, on ne saurait affirmer que l’on se retrouve devant un parcours scolaire authentique sur le plan constitutionnel : Nguyen c Québec, au par. 36.

[172] De toute évidence, les intimées La Garderie Plein Soleil et la Fédération Franco-Ténoise ne sont pas des ayants droit et elles n’ont pas droit à cette réparation. La personne physique intimée Yvonne Careen n’a pas d’enfant qui pourrait fréquenter la garderie (la personne physique Claude St-Pierre ne semble pas avoir pris part au procès). L’intimée, l’Association des parents ayants droit de Yellowknife, a tout au plus comparu en qualité de représentante.

[173] En tout état de cause, même si une réparation pour une « inaction » passée était justifiée, la réparation accordée était disproportionnée. Toute inaction était nettement liée au litige et doit être appréciée en fonction des mesures prises jusqu’ici par le GTN-O pour appuyer l’enseignement aux groupes minoritaires entre 1989 et 2003. La juge de première instance a essentiellement accordé une réparation perpétuelle contre les appelants en les obligeant à accorder pour toujours des espaces de garderie dans l’école alors que cette protection n’est pas prévue par la Constitution. Bien que le juge de première instance dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’élaborer une réparation constitutionnelle, celle qui a été accordée en l’espèce était déraisonnable.

[174] En résumé, le dossier ne révèle pas l’existence d’une inconduite constitutionnelle qui justifierait d’accorder aux intimés des espaces pour la garderie et pour la prématernelle qui ne sont pas protégés par la Constitution. En tout état de cause, la réparation accordée était disproportionnée par rapport à quelques manquements constitutionnels.

[…]

[176] L’adjudication de dépens et les réparations accordées en vertu de l’art. 24 de la Charte sont des mesures très discrétionnaires qui appellent une grande déférence. Néanmoins, le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire a été grandement compromis. Les erreurs de principe « peuvent et doivent » donner lieu à l’intervention de la juridiction d’appel : Bande indienne Okanagan, au par. 43.

[177] Dans les affaires mettant en cause la Charte, les dépens peuvent parfois être accordés sous forme de réparation fondée sur le paragraphe 24(1), mais l’aspect réparateur d’une adjudication de dépens ne doit pas être confondu avec l’adjudication de dépens exemplaires visant à sanctionner un comportement répréhensible survenu au cours du procès. Le simple fait que la contestation d’une demande constitutionnelle a échoué en partie ne justifie pas la condamnation des dépens sur la base avocat-client. L’adjudication des dépens « en tant que réparation fondée sur la Charte » ne devrait pas être transformée en un principe automatique ou applicable par défaut selon lequel les dépens entre avocats et clients sont toujours accordés dans les affaires constitutionnelles : Mackin c Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13 (CanLII), au par. 86, [2002] 1 RCS 405. La présence du gouvernement en tant que défendeur, qui dispose de ressources considérables, ne justifie pas une telle mesure. La simple importance de l’objet du litige n’est pas déterminante : Mackin, au par. 87; Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2 (CanLII), au par. 35, [2007] 1 RCS 38. L’indemnisation de la partie (partiellement) victorieuse ne constitue pas le seul objectif de l’adjudication des dépens, et ce, qu’ils soient attribués sous forme de dépens ou sous toute autre forme de réparation : Bande indienne Okanagan, aux par. 22 à 24.

[178] La juge de première instance reproche de façon déraisonnable l’insistance des appelants sur « l’égalité formelle ». Elle omet de relever la position tout aussi inacceptable des intimés, en l’occurrence le fait que l’école de la minorité linguistique avait droit aux mêmes installations que celles des établissements scolaires de la majorité linguistique. La juge de première instance a, en fait, qualifié ces deux positions de déraisonnables (supra, aux par. 115 et 116), tout en concluant que l’approche déraisonnable des intimés devait faire l’objet d’une adjudication de dépens sur la base avocat-client. La juge de première instance a reconnu que les appelants « n’ont pas nié ou ignoré leurs obligations constitutionnelles découlant de l’article 23. Ils les ont simplement interprétées de façon indûment restrictive » (motifs, au par. 824; même cette évaluation est mise en doute par l’issue du présent appel). La juge de première instance a écarté toute idée de mauvaise foi (motifs, au par. 818). Malgré les nombreuses violations constatées, la juge de première instance a refusé d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou même quelque dommage-intérêt que ce soit (motifs, aux par. 796 à 806). Compte tenu de toutes ces conclusions, il était déraisonnable d’accorder dans ces conditions des dépens entre avocats et clients en tant que réparation « juste et appropriée » au sens de la Charte : Bande indienne Okanagan, au par. 25.

[179] Le fait pour une partie « d’avoir gain de cause » dans une action constitue un aspect important de toute adjudication de dépens. La mesure dans laquelle les intimés ont eu gain de cause au procès a été considérablement atténuée en appel. Bien qu’une des questions ait pu porter sur les « installations », la question de savoir si le « nombre justifiait » ces installations dépendait de certains principes fondamentaux. Les intimés ont particulièrement perdu sur les questions essentielles suivantes: a) celle de savoir si les non-ayants droit peuvent être admis dans les établissements scolaires; b) celle de savoir si la Commission scolaire a le contrôle exclusif des admissions; c) celle de savoir si la garderie et la prématernelle sont visées par l’article 23. En revanche, les appelants ont obtenu gain de cause en ce qui concerne leur argument selon lequel les intimés avaient l’obligation de mobiliser l’espace prévu pour l’enseignement dans la langue de la minorité. Pour ce qui est des réparations plus précises, les intimés ont démontré qu’ils avaient droit à un gymnase, mais n’ont pas réussi à démontrer qu’ils avaient droit à la construction d’une aile secondaire distincte, d’une salle de classe séparée pour chaque niveau et à d’autres installations spécialisées. Les appelants ont réussi à démontrer que des arrangements de partage d’espace approprié seraient satisfaisants.

Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest, 2015 CanLII 168 (NWT CA)

[44] Pour ce qui est du statut constitutionnel du programme préscolaire, nous adoptons le raisonnement qui a été tenu dans l’affaire connexe et, par conséquent, l’appel incident est rejeté. Les appelants soutiennent que la juge de première instance a commis une erreur en accordant, à titre de réparation prévue par le paragraphe 24(1), des locaux suffisants pour que le programme préscolaire puisse accueillir 15 enfants. Pour les motifs exposés dans l’affaire connexe, nous faisons droit à ce motif d’appel. La juge de première instance n’aurait pas dû se fonder sur le paragraphe 24(1) pour accorder une réparation qui attribuait en pratique un statut constitutionnel au programme préscolaire.

D. Dépens sur la base procureur-client

[45] La juge de première instance a accordé des dépens procureur-client aux intimés parce qu’elle a critiqué la directive et la façon dont elle avait été adoptée. Compte tenu de notre conclusion au sujet de la constitutionnalité de la directive, l’attribution de dépens procureurclient est déraisonnable. Les questions en litige étaient nouvelles. Comme cela a été mentionné dans l’affaire connexe, le gouvernement avait le droit de présenter sa position pour mieux comprendre quelles étaient ses obligations constitutionnelles aux termes de l’article 23 dans le cas d’une école existante où la question de son agrandissement se posait. Pour ces motifs, il est fait droit à ce motif d’appel.

VII. Conclusion

[46] En conclusion, la juge de première instance a commis une erreur en décidant que le gouvernement avait manqué aux obligations que lui imposait l’article 23 de la Charte. Elle a commis une erreur en déclarant que la directive ministérielle était invalide et son analyse de la justification de l’agrandissement de l’École Boréale en fonction du nombre d’élèves en a été viciée. Pour les motifs exposés dans l’appel connexe, la juge de première instance a également commis une erreur en accordant une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte à l’égard des locaux utilisés pour le programme préscolaire. Il est également fait droit à l’appel pour ce qui est de l’adjudication de dépens procureur-client.

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5 (CanLII)

[56] Le présent motif d’appel comporte plusieurs sous-questions qui commandent l’application de normes de contrôle différentes :

[…]

4. Règle générale, le choix de la réparation entraîne l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le juge de première instance et ne peut être modifiée sauf s’il a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste : Bowlen c. Digger Excavating (1983) Ltd., 2001 ABCA 214, 2001 ABCA 214 (CanLII), 286 A.R. 291, aux paragraphes 10-12, citant Harris c. Robinson (1892), 21 R.C.S. 390 et Soulos c. Korkontzilas, 1997 CanLII 346 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 217, 32 O.R. (3d) 716. Tel que mentionné au paragraphe 60, le libellé de la disposition réparatrice de la LLO est similaire au libellé du paragraphe 24(1) de la Charte et devrait donc être interprété de façon similaire. Le paragraphe 32(1) de la LLO [Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest], comme le paragraphe 24(1) de la Charte, donne à une cour supérieure un pouvoir discrétionnaire large et absolu d’accorder des réparations : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 50 (« Doucet-Boudreau »), citant Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863, à la page 965. Une partie qui veut contester une réparation peut le faire seulement si elle démontre que cette réparation n’est pas « convenable et juste eu égard aux circonstances » : Doucet-Buodreau, au paragraphe 50.

[…]

[357] Les principes régissant la norme de contrôle de la décision d’un juge de première instance concernant la réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte ont été analysés précédemment au paragraphe 56 et s’appliquent au présent contexte quasi-constitutionnel. En termes simples, il faut faire preuve de déférence et respecter l’exercice par un juge de première instance de son pouvoir discrétionnaire.

[…]

[361] La juge de première instance a convenu que l’octroi de dommages-intérêts pouvait constituer une mesure de redressement en cas de violation de droits linguistiques, mais elle a aussi estimé que les montants accordés étaient généralement beaucoup plus conservateurs que ceux demandés par la FFT [Fédération franco-ténoise] : au paragraphe 928. Elle a souligné que la FFT n'a produit aucun élément de preuve quant aux pertes subies et, de plus, que la preuve produite n'établissait pas un lien de causalité suffisant entre les violations reprochées et les fonds fiduciaires réclamés : au paragraphe 929. À son avis, une « solution efficace » serait d'obliger le GTNO [Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest] à définir clairement et à actualiser les droits garantis par la LLO. Elle s’est également dit d’avis que la réclamation de 23 millions de dollars de la FFT devait plutôt être assimilée à une demande de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires; cette question est traitée ci-dessous à compter du paragraphe 366.

[362] La décision de la juge de première instance de refuser le versement d’une réparation à la FFT sous les deux chefs de dommages était en grande partie fondée sur sa perception que ses ordonnances seraient « convenables et justes ». En l’absence d’erreur de droit, nous ne saurions remettre en question l’évaluation qu’elle a faite à cet égard. Les appelants au pourvoi incident  n’ont démontré aucune erreur qui justifierait notre intervention sur cet aspect de la décision de la juge de première instance.

Commission des Ecoles Fransaskoises Inc. c. Saskatchewan, 1991 CanLII 7999 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[13] À notre humble avis, l’analyse du gouvernement exposée ci-dessus est la bonne. En effet, les appelants demandent maintenant une réparation nouvelle et différente – une réparation en vertu de l’art. 24 de la Charte plutôt qu’une réparation sous forme de déclaration en vertu de l’art. 52 de la Charte. Nous sommes d’accord avec la prétention du gouvernement selon laquelle la question de l’ordonnance n’a jamais été soumise au juge Wimmer. Cet argument a été largement démontré par la documentation et par le fait incontestable que la réparation est fondée exclusivement sur des événements qui sont survenus après le jugement. À notre avis, la nouvelle réparation, en supposant qu’elle soit offerte, ne devrait pas être accordée comme une « correction » de la décision du juge Wimmer, mais faire l’objet d’une ordonnance distincte et indépendante.

[14] Une nouvelle réparation fondée sur de nouveaux faits est peut-être tout ce qui est nécessaire pour démontrer que la compétence initiale de la Cour, et non sa compétence en appel, devrait être invoquée. Cependant, il existe un facteur déterminant, soit le suivant. L’ensemble du procès et les deux appels fondés sur les avis d’appel respectifs visaient à obtenir une réparation en vertu de l’art. 52 de la Charte. Tous les appelants avaient qualité pour demander et obtenir ces redressements. La nouvelle demande de réparation fondée sur l’art. 24 change tout cela. Seules les personnes dont les droits garantis par la Charte ont été violés ont droit à un redressement en vertu de l’art. 24. Une personne morale n’a aucun droit en vertu de l’art. 23 et ne peut donc pas demander une réparation fondée sur l’art. 24 à cause d’une violation des droits garantis par l’art. 23. Les deux appelants qui sont des particuliers sont dans une position différente des dix appelants qui sont des personnes morales. Toutefois, même les deux particuliers se lancent dans un tout autre projet lorsqu’ils sollicitent un redressement fondé sur l’art. 24 sous forme du bref de mandamus (par opposition à une réparation fondée sur l’art. 52), en raison d’une violation d’un droit garanti par l’art. 23. En langage populaire, on dirait qu’il s’agit d’« une tout autre histoire », qui nécessitera probablement une nouvelle preuve et exigera certainement un éclairage différent.

[15] Les appelants tentent en effet de greffer à leur appel existant leur demande d'une nouvelle réparation fondée sur des faits nouveaux en ne s’appuyant sur pratiquement rien de plus que la mention accessoire dans leur mémoire du 26 janvier 1987 d’une « ordonnance », une mention, soit dit en passant, qui est faite en des termes très différents de ceux qui sont actuellement utilisés dans leur demande d'ordonnance. Cette mention accessoire n'est tout simplement pas suffisante pour contrer la nature impérieuse de la preuve et de l'analyse favorisant la conclusion selon laquelle la compétence initiale de la Cour, et non sa compétence en appel, devrait être invoquée pour accorder un tel redressement.

Paquette c. Canada, 1987 ABCA 228 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[52] L’article 24 n’identifie pas la réparation pouvant être accordée. Même l’invalidité constitutionnelle de lois contradictoires a été suspendue : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba (1985), 1985 CanLII 33 (CSC), 19 D.L.R. (4th) 1 C.S.C. lorsque l’invalidité entraînerait un chaos juridique (une affaire ne portant pas sur l’art. 24). Aux États-Unis, l’inégalité de traitement a donné lieu à l’exigence selon laquelle les gouvernements doivent agir avec « toute la diligence voulue » : Brown v. Board of Education, 349 U.S. 294.

[53] La présente affaire n’est évidemment pas un cas de discrimination de la majorité contre une minorité; il s’agit d’un cas où la majorité reconnaît les droits de la minorité (ceux des francophones et des anglophones, selon le cas) de façon graduelle. La contestation vise la méthode choisie. La mise en œuvre immédiate n’était évidemment pas pratique et je n’appliquerais pas la Charte pour contraindre, par exemple, les francophones de l’Ontario, qui forment une minorité beaucoup plus grande et disposent de ressources plus importantes, à attendre d’avoir le droit à un procès en français jusqu’à ce que les mêmes dispositions puissent être prises en Alberta ou à Terre-Neuve. Pour reprendre les termes du professeur Gibson (Gibson, The Law of the Charter: General Principles, p. 190), l’annulation de la loi équivaudrait à promouvoir l’égalité du préjudice. Elle permettrait à l’art. 15 de déroger du par. 16(3):

« (3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais. »

Le fait d’interpréter la loi équivaudrait à contrecarrer l’intention claire (et raisonnable) du législateur de vérifier la réponse des provinces avant la mise en œuvre, se laissant libre de prendre d’autres mesures législatives.

[54] En supposant qu’il y a eu violation, la réparation appropriée serait, à mon avis, une déclaration, probablement assortie d’une obligation de proclamation, mais prévoyant un délai raisonnable pour son entrée en vigueur. Je n’aurais pas ordonné la mise en œuvre immédiate, ayant pour effet une interdiction à l’égard du juge de l’enquête préliminaire.

Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[183] Nous ne sommes pas d'accord avec l'argument selon lequel aucun changement structurel ne devrait être apporté aux conseils des écoles séparées et que l'application du droit de la minorité à l'enseignement en français devrait relever des tribunaux dans le cadre de demandes portant sur la violation de droits garantis par le par. 24(1) de la Charte :

24. — (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

L’appareil judiciaire n’est pas l’unique gardien des droits constitutionnels des Canadiens. Le Parlement et les assemblées législatives provinciales sont tout autant responsables de s’assurer que les droits conférés par la Charte sont respectés. Les mesures législatives dans le domaine complexe et important de l’enseignement sont de beaucoup préférables à l’intervention judiciaire. Les droits linguistiques des minorités doivent être établis par des dispositions législatives générales garantissant à tous un traitement équitable et juste plutôt que par les tribunaux.

Reference re French Language Rights of Accused in Saskatchewan Criminal Proceedings, 1987 CanLII 204 (SK CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[pp. 79-80] Alors qu'en pratique le résultat puisse bien être le même, nous ne croyons pas qu'en accordant une réparation de cette nature, la cour outrepasse son autorité et que cela équivaut à édicter que la partie XIV.1 du Code est en vigueur en Saskatchewan. La seule réparation convenable en cas d'infraction au paragraphe 15(1) (de la nature de celle soulevée par la présente cause) est d'accorder à un accusé de Saskatchewan les mêmes droits dont peuvent se prévaloir ses homologues en Ontario, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et dans les deux territoires, et nous ne voyons pas pourquoi une ordonnance comme celle qu'a prononcée le juge Halvorson dans l'affaire R. c. Tremblay, et qui est suggérée ici, ne peut pas être rendue aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte

Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1104] En application du par. 24(1), les demandeurs sollicitent une gamme de réparations : déclarations de droits positifs; jugements déclaratoires obligeant le ministre à transférer les biens de conseils scolaires au CSF [Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique]; ordonnance enjoignant la province de rendre compte de ses progrès dans la mise en œuvre des réparations; politique élargie sur les admissions; dommages-intérêts accordés en vertu de la Charte; réparation sous forme de fiducie; et obligation de consulter.

[…]

[1113] Les deux dispositions diffèrent en ce qui a trait à leur application et aux types de réparation qu'elles offrent. Le paragraphe 52(1) s’applique à l’ensemble de la Constitution, y compris la Charte. En vertu du par. 52(1), qui consacre la primauté de la Constitution, toute loi qui est incompatible avec la Constitution est déclarée inopérante dans la mesure de son incompatibilité. Le paragraphe 24(1) ne s’applique qu’aux atteintes à la Charte. Il accorde aux tribunaux une grande latitude pour octroyer une réparation convenable et juste à toute personne dont les droits ont été violés.

[1114] La Cour doit donc trancher deux questions préliminaires : la question de savoir s’il est possible de demander des réparations en vertu des art. 24 et 52 de façon concurrente et celle de savoir si les demandeurs ont qualité pour demander des réparations en vertu de l’art. 24.

[…]

[1117] Les demandeurs soutiennent que les redressements qu'ils demandent en vertu de l'art. 24 reposent sur un fondement différent de ceux qu'ils sollicitent en vertu de l'art. 52. Par conséquent, ils affirment qu'il ne s'agit pas d'une affaire où les demandeurs sollicitent des réparations en vertu des art. 24 et 52 de façon concurrente. Ils avancent que les réparations fondées sur le par. 24(1) visent à corriger les injustices du passé, tandis que les déclarations du par. 52(1) sont conçues pour prévenir les injustices futures.

[…]

[1119] Les observations du tribunal dans Ferguson reprennent les commentaires contenus dans les motifs concordants du juge Lebel dans R. c. Demers, 2004 CSC 46 (C.S.C.), dans lesquels il a indiqué qu'il serait peut-être approprié, dans certaines circonstances, de combiner des réparations fondées sur les art. 52 et 24 (au paragraphe 104). Pour en arriver à cette conclusion, il a établi une distinction entre les objectifs des litiges de droit public et ceux des litiges de droit privé. Les réparations accordées à l’issue des poursuites privées visent à indemniser le demandeur pour la perte que lui a fait subir le défendeur, alors que les redressements dans les litiges de droit public visent à assurer le respect de la Constitution au profit des droits et libertés de tous les citoyens. Le droit privé vise à indemniser une personne pour les pertes subies en raison d’événements passés, tandis que les recours de droit public mettent l’accent sur la conformité pour l’avenir et vont au-delà des demandeurs individuels (aux paragraphes 99-100).

[1120] Cependant, étant donné que les poursuites de droit public sont intentées par une personne physique ou un groupe cherchant à obtenir réparation, il insiste aussi sur l’importance de fournir au demandeur dans une poursuite de droit public une réparation convenable (au paragraphe 101) :

Néanmoins, les poursuites de droit public et les litiges privés présentent nécessairement des caractéristiques communes : un individu ou un groupe d’individus cherche à obtenir réparation pour un préjudice qui lui a été causé.  La dimension publique plus importante que comporte une contestation constitutionnelle se greffe à la poursuite par le demandeur de ses propres intérêts, en particulier dans les affaires de droit criminel.  Les tribunaux ne devraient pas perdre de vue cette symbiose, en oubliant d’accorder une réparation à la partie à l’origine de la contestation.  Il ne s’agit pas tant d’une récompense que de la reconnaissance de la réclamation particulière que fait cette personne pour faire valoir ses droits.  Selon le principe de justice réparatrice, le demandeur qui a gain de cause a droit à une réparation.  Dans certains cas, l’omission d’accorder au demandeur une réparation immédiate et concrète entraînera une injustice se perpétuant dans le temps.  C’est le cas en l’espèce.

[Notre soulignement. En italique dans l’original.]

[1121] En l’espèce, il existe de véritables corollaires entre les poursuites de droit privé et celles de droit public. Comme je l’ai expliqué dans le Chapitre VI, Rôles respectifs de la province et du CSF, l’art. 23 se distingue des autres droits garantis par la Charte du fait qu’il impose au gouvernement l’obligation positive de fournir des établissements d’enseignement à la minorité linguistique financés par les fonds publics lorsque le nombre le justifie. Le défaut inconstitutionnel d’un gouvernement de fournir les établissements auxquels un groupe a droit se traduit par une perte pour le titulaire du droit causée par les défendeurs. Je souligne également le risque réel que des générations de titulaires de droits puissent être perdues si le gouvernement n’agit pas rapidement pour s’acquitter de ses obligations. La nécessité d’un redressement concret justifie une réparation en vertu du par. 24(1).

[…]

C. Paragraphe 24(1)

[1134] Il ne fait aucun doute que la compétence de la Cour pour rendre des ordonnances en vertu du par. 24(1) est très large. Elle permet aux tribunaux d'ordonner toute réparation qu'il juge « convenable et juste eu égard aux circonstances ». Dans R. c. Mills, [1986] 1 R.C.S. 863 (C.S.C.), le juge McIntyre a commenté (au nom de la majorité) la portée vaste et généreuse du pouvoir discrétionnaire de la Cour (à la page 965) :

 Il est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu. Ce large pouvoir discrétionnaire n'est tout simplement pas réductible à une espèce de formule obligatoire d'application générale à tous les cas, et les tribunaux d'appel ne sont nullement autorisés à s'approprier ce large pouvoir discrétionnaire ni à en restreindre la portée.

[1135] Dans Ward c. Vancouver (Ville), 2010 CSC 27 (C.S.C.) [Ward], la Cour a cité les commentaires formulés par le juge Mcintyre dans Mills et a avancé que l'octroi du pouvoir discrétionnaire n'est restreint que par la question de ce qui est « convenable et juste » et ne devrait pas être réduit à une formule obligatoire d’application générale dans tous les cas. Toutefois, la Cour a également fait remarquer que les affaires antérieures et les directives judiciaires pouvaient être utiles pour déterminer ce qui est convenable et juste eu égard aux circonstances (aux paragraphes 18-19).

[1136] Dans Doucet-Boudreau, la Cour a donné certaines indications dont les tribunaux peuvent prendre en compte pour déterminer si une réparation est juste et convenable dans les circonstances. La Cour a énoncé cinq principes pertinents à la question, qui peuvent être étayés par la jurisprudence relative aux réparations en dehors du cadre de la Charte. En résumé, une réparation convenable et juste devrait permettre de défendre utilement les droits et libertés des demandeurs et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause. Elle doit également faire appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle, respecter la séparation des fonctions entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Troisièmement, la réparation devrait mettre à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal; la réparation devrait être judiciaire. Quatrièmement, la réparation devrait être équitable pour la partie visée. Enfin, elle devrait être innovante et créative afin d’être souple et de tenir compte des besoins d’une affaire donnée (aux paragraphes 54-59).

[1137] Les demandeurs sollicitent un certain nombre de réparations en vertu du par. 24(1), qui, selon eux, sont convenables et justes en l’espèce : jugements déclaratoires, ordonnances enjoignant de rendre compte, politique élargie sur les admissions, dommages-intérêts en vertu de la Charte, réparation sous forme de fiducie et obligation de consulter.

1. Jugements déclaratoires

[1138] Les tribunaux peuvent rendre des jugements déclaratoires en vertu du par. 24(1). Les principes relatifs à l’octroi d’un jugement déclaratoire ont été énoncés dans Solosky c. R., [1980] 1 R.C.S. 821 (C.S.C.) aux pages 830-833. Lorsqu’une question doit être tranchée entre des personnes qui partagent un lien juridique, un jugement déclaratoire peut être accordé si des questions réelles, et non fictives ou théoriques, sont soulevées et si le jugement déclaratoire est à même de régler, de façon pratique, le différend entre les parties.

[1139] En ce qui concerne le défaut par la province de s'acquitter de ses obligations positives dans certaines collectivités en l’espèce, à mon avis, les jugements déclaratoires rendus en vertu de l'art. 24 devraient normalement offrir une réparation convenable pour trancher une véritable question juridique entre les parties.

[…]

2. Ordonnances enjoignant de rendre compte

[1158] Les demandeurs demandent également à la Cour de se déclarer compétente dans cette affaire pour faire deux choses : 1) recevoir des rapports périodiques sur les progrès des défendeurs en ce qui a trait au redressement ordonné par la Cour; 2) rendre des jugements déclaratoires et des ordonnances relatifs à une réparation temporaire. Les demandeurs font valoir qu’il y a un risque important que les jugements déclaratoires et les ordonnances demandés se révèlent inefficaces, en soulignant que la province tarde à agir depuis des années. Les demandeurs sont particulièrement préoccupés par les ordonnances enjoignant de rendre compte relatives aux réparations demandées dans plusieurs collectivités, où ils disent que les mauvaises conditions et les longs retards le commandent : Vancouver (Ouest), Vancouver (Est), Burnaby, Abbotsford, Squamish, Whistler, Pemberton, Sechelt, Penticton, Richmond, Nelson et Victoria (Est).

[…]

[1179] Compte tenu de l'ensemble de la preuve en l'espèce, je ne peux conclure que le contexte indique qu’une ordonnance enjoignant de rendre compte serait nécessaire ou convenable. Il ne s’agit pas d’une affaire comme dans Doucet-Boudreau, où le gouvernement a convenu qu’une école était nécessaire et qu’il a délibérément retardé la construction d’une nouvelle école. Au contraire, des écoles de minorité linguistique desservent les élèves vivant dans tous les secteurs visés par la demande. Même les élèves de Burnaby et d'Abbotsford, où il n'y a pas d'écoles dans les collectivités elles-mêmes, ont accès à des écoles raisonnablement proches par moyen de transport. En outre, je ne suis pas convaincue que l’absence d'écoles de minorité linguistique contribue au taux élevé d'assimilation en Colombie-Britannique, ou que celles-ci diminueront sa force d’attraction.

[1180] Je ne vois aucune preuve d'un retard inapproprié accusé par la province dans la mise en œuvre de l'art. 23 dans l’une ou l’autre des collectivités. Il est plutôt approprié en l’espèce de présumer que le gouvernement agira promptement pour se conformer aux jugements déclaratoires que je pourrais rendre. Le tribunal outrepasserait ses compétences s’il intervenait dans les subtilités de la planification scolaire au moyen de conférences de compte rendu. Dans ce contexte, et étant donné que les parties peuvent toujours retourner devant le tribunal par voie de demande, je conclus qu’une ordonnance enjoignant de rendre compte n’est pas convenable ou juste en l’espèce.

3. Politique élargie sur les admissions

[1181] Les demandeurs demandent aussi, à titre de réparation, le droit d'admettre les personnes non titulaires de droits dans les écoles des CSF. Les demandeurs soutiennent que les fins réparatrices de l’art. 23 protègent l’admission de non-titulaires de droits en vertu d’une clause relative aux descendants à titre de réparation pour le retard dans la mise en œuvre de l’art. 23 de la Charte. Les demandeurs font valoir que, autrement, la province pourrait profiter d’une réduction du nombre de titulaires de droits causée par son défaut de mettre en œuvre l’art. 23 de la Charte entre 1982 et 1996. Les demandeurs laissent entendre que les enfants qui étaient d’âge scolaire pendant cette période sont maintenant en âge d’avoir des enfants et que leurs enfants auraient le droit de fréquenter des écoles du CSF si la province avait agi plus tôt.

[1182] Les défendeurs répliquent que, compte tenu du nombre de francophones dans les taux de participation de la province, il est difficile de savoir combien de titulaires de droits ont perdu le droit à ce que leurs enfants fréquentent des écoles de la minorité linguistique en Colombie-Britannique. Les défendeurs indiquent également qu'il ne conviendrait pas que la Cour accorde un tel redressement vu l’existence d’une loi valide limitant les admissions. Les défendeurs soutiennent que le tribunal outrepasserait son rôle s’il permettait que l’on enfreigne la loi pendant un certain temps en guise de réparation sans au moins invalider cette loi.

[1183] J'ai déjà conclu que les défendeurs avaient valablement limité l’accès aux écoles du CSF. Pour que la réparation proposée par les demandeurs soit convenable, un certain nombre de conditions préalables doivent être remplies : la preuve que la minorité ne recevait pas ce à quoi elle avait droit dans une collectivité donnée; une atteinte maintenue pendant une période suffisamment longue pour donner naissance à la perte d’une génération de titulaires de droits; et la preuve que des membres de la minorité ont effectivement été dissuadés d'envoyer leurs enfants dans des écoles de la minorité linguistique. Les demandeurs n’ont pas produit une telle preuve.

[1184] De plus, étant donné que la province a valablement limité l’admission de titulaires de droits, je ne considère pas qu’il s’agit d’une réparation convenable. Dans Doucet-Boudreau, la majorité a expliqué que la réparation convenable et juste doit faire appel à des moyens légitimes dans le cadre d’une démocratie constitutionnelle. Les tribunaux doivent respecter les fonctions appropriées du législatif, de l’exécutif et du judiciaire (au paragraphe 56). Conformément à ses pouvoirs, la province a légitimement choisi de limiter les admissions aux enfants des titulaires de droits visés par l’art. 23 et des immigrants titulaires de droits. Le fait de déclarer invalides des lois qui sont par ailleurs valides en guise de réparation obligerait le tribunal à s’immiscer de manière inappropriée dans le domaine de compétence légitime de l’assemblée législative. Par conséquent, je refuse d’accorder aux demandeurs une politique élargie sur les admissions, peu importe qu’ils puissent établir que des personnes ont perdu leur statut de titulaire de droits du fait que les établissements ne soient pas conformes à la norme.

4. Dommage-intérêts accordés en vertu de la Charte

[1185] Les demandeurs réclament des dommages-intérêts en vertu de la Charte à titre de reconnaissance des torts causés aux membres de la collectivité de langue française à titre individuel et de façon générale. Les défendeurs soumettent qu’il ne s’agit pas d’un cas approprié pour des dommages-intérêts en vertu de la Charte.

[1186] Les demandeurs se fondent sur le critère relatif aux dommages-intérêts en violation de la Charte énoncé dans Ward, qui énumère (aux paragraphes 25-29) les trois fonctions de l’octroi de dommages-intérêts en vertu de la Charte : l’indemnisation, la défense et la dissuasion. Dans leurs observations, l’octroi de dommages-intérêts favoriserait les trois fonctions en l’espèce.

[1187] Les demandeurs soutiennent que l'octroi de dommages-intérêts en vertu de la Charte aiderait à les dédommager pour le défaut de la province de respecter ses obligations constitutionnelles depuis plus de 30 ans et ce qui, selon eux, est l’accélération du taux d'assimilation qui en découle. Les demandeurs affirment également que les dommages-intérêts fondés sur la Charte rempliraient les fonctions de défense et de dissuasion, et souligneraient la gravité de la conduite de l’État en envoyant un message sans équivoque, soit que les gouvernements ne peuvent pas retarder la mise en œuvre de l’art. 23. À leur avis, ils auraient aussi pour effet de décourager les violations futures en imposant un incitatif économique aux défendeurs de se conformer à leurs obligations constitutionnelles.

[1188] Dans Ward, la Cour a statué que l'art. 24 est suffisamment large pour englober la réparation des dommages-intérêts pour violation de la Charte, une réparation de droit public distincte qui obligerait la société à indemniser une personne pour une violation de ses droits (aux paragraphes 20-22). La Cour a formulé quatre étapes au critère : preuve d’une violation, justification fonctionnelle des dommages-intérêts, absence des facteurs qui font contrepoids et montant (aux paragraphes 23-57).

[1189] L'argument des demandeurs concernant les dommages-intérêts en vertu de la Charte est axé sur la justification fonctionnelle des dommages-intérêts. Ils laissent de côté les facteurs faisant contrepoids, lesquels sont importants dans la présente affaire.

[1190] Dans Ward, la Cour a confirmé que même si l’octroi de dommages-intérêts est justifié d’un point de vue fonctionnel, il peut exister d’autres considérations pour lesquelles ces dommages-intérêts ne seraient pas convenables ou justes (au paragraphe 33). La Cour a souligné deux pareilles considérations : l’existence d’autres recours et les préoccupations relatives au bon gouvernement.

[1191] Comme facteur faisant contrepoids, dans certains cas, l'octroi de dommages-intérêts pourrait ne pas convenir et « être limité aux cas où la conduite de l’État atteint un seul minimal de gravité » (au paragraphe 39). Le principe, qui a été reconnu avant Ward dans Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice), 2002 CSC 13 (C.S.C.), est que « l’État doit pouvoir jouir d’une certaine immunité qui écarte sa responsabilité pour les dommages résultant de certaines fonctions qu’il est seul à pouvoir exercer » (Ward, au paragraphe 40). […]

[1192] Dans de nombreux cas, le facteur faisant contrepoids au « bien public » invalidera les revendications par les demandeurs de leurs droits garantis par la Charte. Les demandeurs fondent leurs revendications sur l’application d’une loi valide — le système de financement des immobilisations — qui pourrait par la suite être jugé invalide en raison de ses effets sur le CSF. Il est utile de veiller à ce que les agents publics puissent appliquer ces lois sans crainte de poursuites. À moins d’avoir fait preuve de mauvaise foi, d’abus de pouvoir ou d’avoir pris des décisions manifestement erronées, les acteurs du gouvernement ne devraient pas être condamnés à payer des dommages-intérêts pour les mesures prises pour l’application de ces lois.

[1193] J'ai déjà expliqué que je ne vois aucune intention malicieuse de la part des défendeurs. Ils étaient en droit de fonctionner à cette vitesse pour la mise en œuvre de l’art. 23 de la Charte. Je ne vois aucune preuve de mauvaise foi, d'abus de pouvoir ou de décisions manifestement erronées à la suite de la décision Vickers no 2, puisque la province a travaillé de façon constante pour fournir au CSF des établissements lorsque les chiffres le justifient.

[1194] De plus, dans de nombreux cas, l’autre facteur faisant contrepoids mentionné dans Ward, soit l’existence d’autres recours, entrera en jeu. En particulier, des jugements déclaratoires peuvent inciter les défendeurs à fournir au CSF l'espace nécessaire, le cas échéant.

[…]

5. Réparation sous forme de fiducie

[1197] Les demandeurs soumettent que la création d'un fonds en fiducie serait un moyen efficace et constructif de remédier aux lacunes du système de planification des immobilisations des défendeurs.

[1198] Les demandeurs ont présenté une preuve d’expert sur la façon dont la réparation sous forme de fiducie pourrait fonctionner en se fondant sur des règlements de revendications territoriales autochtones. Je traiterai de cet élément de preuve avant de me prononcer sur l’argument des demandeurs selon lequel une réparation sous forme de fiducie est juste et convenable eu égard aux circonstances.

[…]

[1217] Comme je l'explique plus haut, suite aux décisions Schachter et Ferguson, la réparation qui est accordée en cas de loi inconstitutionnelle prend généralement la forme d’une déclaration d'invalidité en vertu du paragraphe 52(1) de la Charte. À l’occasion, une réparation positive peut aussi être accordée afin d’assurer une réparation efficace. La fiducie appartiendrait à cette catégorie.

[1218] En l’espèce, toutefois, je ne suis pas convaincue qu’une fiducie établie pour la minorité linguistique constitue une réparation juste et convenable, car elle empiéterait sur le rôle des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement : Doucet-Boudreau, au paragraphe 56. Les pouvoirs législatif et exécutif ont adopté des lois et des politiques pour s’assurer que les projets d’immobilisations sont justifiés, conçus selon les normes pour assurer l’équité dans l’ensemble du système et pour assurer le partage de ressources limitées dans l’ensemble de la province. Ils ont le pouvoir de le faire en raison de leur compétence permanente de superviser les structures du système d’éducation en vertu de l’article 93.

[1219] L'octroi d'une réparation sous forme de fiducie permettrait au CSF de fonctionner en dehors de ces lois et politiques. Il aurait donc pour effet d’invalider les processus qui s’appliquent à la minorité linguistique. Pendant ce temps, la province serait privée de son droit de concevoir un nouveau système tenant compte de l’art. 23 tout en répondant aux objectifs urgents et importants de la province. Il priverait les défendeurs de leur compétence restante en matière d’enseignement dans la langue de la minorité en vertu de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi que de leur droit de supervision du CSF.

[1220] En conséquence, je ne crois pas qu'une réparation sous forme de fiducie constitue un redressement juste et convenable eu égard aux circonstances.

[1221] Toutefois, cela ne veut pas dire que les demandeurs ne peuvent pas exiger une forme de financement flexible pour remédier aux lacunes du système de planification des immobilisations. Comme je vais l’expliquer au chapitre XLII, Manque de fonds et absence d’enveloppe pour immobilisations pour le CSF, ce financement peut être obtenu en exigeant que la province établisse une enveloppe pour immobilisations visant à répondre aux besoins du CSF. Une telle enveloppe offrirait au CSF une certaine sécurité financière et une certaine souplesse, tout en respectant le rôle du législatif et de l'exécutif en leur permettant de superviser les décisions du CSF en matière d’immobilisations au moyen d'outils de planification des immobilisations valables

NOTA – Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

Conseil des écoles publiques de l’est de l’Ontario c. Ontario Federation of School Athletics Associations, 2015 ONCS 5328 (CanLII)

[62] L’article 24(1) de la Charte prévoit qu’un tribunal compétent peut accorder la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances en cas d’atteinte aux droits et libertés protégés par la Charte.

Premier critère – Existence d’une question sérieuse

[63] Le seuil à rencontrer pour établir l’existence d’une question constitutionnelle sérieuse est relativement bas. Aux fins de ce premier critère, l’auteur de la motion n’est pas tenu de démontrer qu’il a une forte chance de gagner le litige; il suffit de démontrer que les questions ou l’objet du litige ne sont pas frivoles ou vexatoires.

[64] Selon la Cour suprême dans RJR-Macdonald, compte tenu du caractère complexe de la plupart des droits garantis par la Constitution, le tribunal saisi d'une demande d’injonction aura rarement le temps de faire l'analyse approfondie requise du fond du litige.  La Cour suprême a de plus souligné que même si le juge est d’avis qu’il y a une chance que le demandeur soit débouté au procès, ceci n’est pas un facteur dans l’analyse du premier critère. 

[65] Je conclus qu’il existe une question sérieuse à trancher dans cette affaire, et celle-ci est à savoir si les élèves affectés par les nouveaux règlements de l’OFSAA [Ontario Federation of School Athletics Associations] reçoivent ou non une éducation réellement égale à celle reçue par la majorité anglophone.

[66] Dans Conseil Scolaire Fransaskois c. Saskatchewan, 2014 SKQB 285 (CanLII), 244 A.C.W.S. (3d) 926, la Cour a accordé une cinquième injonction interlocutoire exigeant que le gouvernement provincial accorde du financement au conseil scolaire dans l’attente de la résolution du litige sur le fond.  La Cour a conclu que les requérants avaient bel et bien satisfait le premier critère du test, soit qu’il existait une « question sérieuse », malgré que dans cette affaire, la Cour avait des doutes par rapport à certains aspects du dossier du requérant.

Deuxième critère – Existence de préjudices irréparables

[67] Le deuxième critère consiste à décider si la partie qui cherche à obtenir l’injonction interlocutoire subirait un préjudice irréparable si celle-ci n’était pas accordée.  Dans RJR-MacDonald, la Cour suprême a précisé que l’évaluation d’un préjudice irréparable sera typiquement plus complexe dans un litige lié à la Charte, compte tenu du fait que l’octroi de dommages-intérêts n’est pas la principale réparation dans ces cas. 

[…]

[70] Les tribunaux ont généralement accepté qu’une atteinte potentielle à l’article 23 de la Charte représentait un préjudice irréparable. Dans Commission scolaire francophone, Territoires du Nord-Ouest et al c. Northwest Territoires (Attorney General), 2008 NWTSC 53 (CanLII) [2008] 11 W.W.R. 312, la Cour a accordé une injonction interlocutoire en raison de l’insuffisance des aménagements dont l’absence d’un laboratoire de science et d’un gymnase ce qui affectait à la fois l’éducation des élèves et créait un risque que les élèves choisissent de s’inscrire à une école de langue majoritaire en raison des pauvres aménagements.

[…]

[74] La preuve démontre que l’École Louis-Riel prévoit encaisser une réduction d’inscriptions totale de 91 élèves pour l’année scolaire 2015-2016 comparativement à l’année précédente.  Dès septembre prochain, 47 élèves seront interdits de participer aux compétitions sportives sanctionnées par l’OFSAA. 

[75] Je conclus que les nouveaux règlements de l’OFSAA ont un impact sur la capacité de l’École Louis-Riel d’attirer, d’accueillir et de retenir des enfants de parents ayant des droits ainsi favorisant l’assimilation de la minorité linguistique en Ontario et que les demandeurs subiront des préjudices irréparables..

Troisième critère - La prépondérance des inconvénients

[76] Il reste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice si le tribunal accorde ou refuse l’injonction interlocutoire en attendant d’obtenir une décision sur le fond.

[…]

[81] L’OFSAA prétend que la suspension de ses règlements aurait un effet indésirable sur les résultats des compétitions si l’École Louis Riel n’est pas exclue.  En plus, l’OFSAA souligne qu’une suspension du règlement empêchera les autres élèves de l’École Louis Riel de participer aux compétitions. Je conclus que le seul préjudice que subirait l’OFSAA est de devoir reporter la mise en œuvre de ses nouveaux règlements, uniquement pour une école de sports-études de la minorité francophone dans la région de l’est de l’Ontario. Si les demandeurs ne reconnaissent pas un succès sur le fond, l’OFSAA peut radier les résultats des compétitions de l’École Louis-Riel.

[82] Dans l’ensemble, la prépondérance des probabilités, compte tenu de l’intérêt public, favorise une injonction interlocutoire puisque celle-ci suspendra l’application des règlements pour la minorité francophone et maintiendra le statu quo jusqu’à ce que la Cour ait réglé les questions juridiques sur le fond du litige.

Association des parents ayants droit de Yellowknife et al c. Procureur général des Territoires du Nord-Ouest et al, 2012 CanLII 31380 (NWT SC)

[791] Le paragraphe 24(1) de la Charte accorde une large discrétion aux tribunaux dans le choix des mesures de redressement, et n'exclut pas que des dommages-intérêts soient accordés en sus de mesures réparatrices déclaratoires.

[792] Ici, les Demandeurs réclament des dommages intérêts compensatoires et punitifs, et demandent qu'ils soient versés à la CSFTN-O [Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest], bien qu'elle ne soit pas partie à ce litige.

[793] Les principes applicables concernant l'octroi de dommages intérêts dans un litige mettant en cause des droits linguistiques ont été examinés par ce tribunal dans Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20. Ce recours était fondé sur la Loi sur les Langues Officielles, L.R.T.N.-O.1988, c. O-1, et non sur la Charte, mais la disposition de cette loi qui traite des mesures de redressement a un libellé très semblable à celui du Paragraphe 24(1), et le tribunal a conclu que les mêmes principes s'appliquaient. L'analyse du tribunal concernant les principes qui régissent l'octroi de dommages intérêts compensatoires (Paragraphes 902-908) et punitifs (Paragraphes 937-938) a été endossée par la Cour d'appel. (Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5, pp.93-94.) Ce sont ces principes que j'ai appliqués en l'espèce.

[794] Règle générale les tribunaux n'accordent pas de dommages-intérêts pour le préjudice subi par l'adoption d'une loi qui est, plus tard, déclarée inconstitutionnelle, à moins que la preuve ne révèle un comportement clairement fautif, de l'abus de pouvoir ou de la mauvaise foi. Autrement dit, un gouvernement bénéficie d'une immunité limitée, pourvu qu'il agisse de bonne foi. Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405.

[795] Ce principe s'applique aussi lorsque, plutôt qu'une loi, c'est une action gouvernementale qui est jugée inconstitutionnelle. Wynberg c. Ontario, (2006) 269 D.L.R. (4e) 435 (C.A. Ont.).

[…]

[803] Je ne remets pas en question les conséquences négatives très concrètes que les retards ont eues pour les membres de la minorité linguistique à Yellowknife. Les parents ont été contraints à faire des choix déchirants beaucoup plus longtemps qu'ils n'auraient dû. Ils n'auraient pas dû être obligés de choisir entre envoyer leurs enfants à l'école en français, pour préserver leur langue et leur culture, ou les envoyer dans une école qui a un gymnase. Et il est injuste qu'ils aient eu à refaire ce choix, année après année, pendant des années.

[804] Je ne remets pas non plus en question l'effet très néfaste, pour les minorités linguistiques, des atermoiements d'un gouvernement dans la mise en œuvre de l'article 23, ni le fait que ces atermoiements contribuent à l'assimilation. Je reconnais aussi que la diminution des nombres, éventuellement, a pour résultat de nuire considérablement aux membres de la minorité quand ils essaient de faire valoir leurs droits.

[805] J'ai tenu compte de cette réalité dans ma décision concernant l'ensemble des mesures de redressement que j'ai accordées. Elles ont pour but non seulement de rendre l'école actuelle conforme aux exigences de l'article 23 et d'assurer qu'elle réponde aux besoins présents et futurs de la minorité, mais aussi de réparer les torts du passé en soutenant la vitalité de la communauté minoritaire, notamment en apportant un soutien accru aux programmes préscolaires.

[806] Mais tenant compte des critères applicables dans l'octroi de dommages intérêts, de l'ensemble de la preuve, et des autres mesures de redressement que j'ai décidé d'accorder aux Demandeurs, je conclus qu'une ordonnance contraignant les Défendeurs à payer des dommages intérêts n'est pas indiquée.

R. c. Furlotte, 2010 NBBR 228 (CanLII)

[43] La violation du droit constitutionnel de Mme Furlotte par la police, en l’espèce la prétendue [TRADUCTION] « obligation d’offre active » du choix de la langue de communication, n’est pas, tel qu’il a été mentionné dans Taillefer, le seul élément du cadre d’analyse dont il faut tenir compte pour décider si une suspension de l’instance devrait être inscrite dans le présent procès criminel. Les intérêts de la société constituent également un aspect important de cette analyse. Lorsqu’un juge de procès détermine s’il doit être mis fin de façon définitive à un procès criminel en imposant la suspension de l’instance en raison de la violation d’un droit garanti par la Charte, il doit mettre en balance la nature et la gravité de la ou des violations de la Charte et l’intérêt de la société à ce qu’une affaire soit jugée sur le fond. Voir R. c. Regan (précité), au par. 69. Le juge du procès n’a aucunement fait état de cet intérêt concurrent de la société dans la présente affaire.

[44] L’intérêt de la société à ce qu’il soit statué sur le fond de l’affaire est un élément important non seulement dans le cadre d’une analyse fondée sur le par. 24(1) de la Charte mais aussi du fait qu’il imprègne toutes les décisions rendues en vertu de l’art. 24, à l’exclusion de celles qui mettent un terme à un procès inéquitable. Comme la Cour suprême l’a récemment souligné dans la refonte du cadre d’analyse à utiliser pour déterminer si une preuve obtenue en violation d’un droit protégé par la Charte doit être exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte, l’examen de cet intérêt constitue une partie essentielle et obligatoire de la décision d’admettre ou d’exclure la preuve. […]  

[57] Dans ce contexte probatoire et juridique, permettre à Mme Furlotte de se servir de son présumé droit constitutionnel à [TRADUCTION] « une offre active » du choix de la langue de la part du gendarme Allain au moment de son arrestation le 4 septembre 2007 comme d’une épée pour arrêter la procédure dans cette affaire risque sérieusement de déconsidérer l’administration de la justice. Une analyse objective de la preuve et des principes pertinents pour ce qui est de la question considérée mène donc à la conclusion opposée à celle que le juge du procès a estimée convenable lorsqu’il a décidé de mettre un terme à l’instance au motif que permettre son déroulement constituait un abus de procédure.

[58]  L’imposition d’une suspension de l’instance exige l’application d’un critère rigoureux auquel doit satisfaire la partie qui demande pareille réparation sous le régime du par. 24(1) de la Charte. L’application à la preuve des principes juridiques pertinents nous amène à la conclusion qu’il n’a pas été satisfait au critère de mise en œuvre de la réparation fondée sur le par. 24(1), lequel critère a également été énoncé précédemment dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 3, aux par. 55 à 59. G

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[65] Dans la présente affaire, rien dans les faits ne nous permet de conclure qu’il y a eu des violations à la Charte autre que l’absence d’informer l’accusé qu’il avait le choix de se faire servir soit en anglais ou en français. Ni l’équité du procès ou les principes de la justice naturelle n’ont été soulevés. Il n’y a pas de suggestion qu’il s’agît d’un arrêt illégal ou d’une détention illégale. Il n’y a aucune preuve que la poursuite a été menée d’une manière inéquitable ou vexatoire. Rien d’indique que l’accusé a été victime de pratiques policières discriminatoires. La juge du procès n’était pas en mesure de déterminer si l’omission de l’agent de la paix a été commise par inadvertance ou si au contraire, il s’agissait d’une conduite abusive, grave et délibérée pour violer les droits linguistiques de M. Gaudet.  Sans connaître les éléments de preuve, il n’était pas possible pour la juge du procès de déterminer leur importance pour la preuve du ministère public ou s’il s’agissait d’éléments de preuve fiables.

[…]

[69] En l’occurrence, est-ce qu’il était convenable et juste eu égard aux circonstances que le juge de première instance accorde un arrêt des procédures?

[70] Comme mentionné au préalable, puisque la preuve avait déjà été acceptée, la juge a ordonné un arrêt des procédures en vertu du par. 24(1) de la Charte. Un arrêt des procédures constitue un acquittement. Il s’agit d’une accusation sérieuse. Nous connaissons tous les conséquences néfastes pour notre société de l’ivresse au volant. Le Procureur général avance avec fermeté que la sécurité publique ne doit pas être sacrifiée pour l’avancement des droits linguistiques.

[71] Le paragraphe 24(1) donne au juge de première instance un pouvoir discrétionnaire de décider de ce qui est convenable et juste eu égard aux circonstances. Le juge doit se fonder sur la violation en cause, sur les faits et sur l’application des principes juridiques pertinents.

[…]

[75] Le pouvoir de suspendre l’instance est réservé aux « cas les plus manifestes ». Je ne peux qualifier cette affaire d’un « cas les plus manifestes ». La suspension est réservée aux seuls cas qui satisfont à un test préliminaire très exigeant. Je conclus que les exigences d’un arrêt des procédures n’ont pas été satisfaites. L’arrêt des procédures n’était pas une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. II n’est pas équitable d’accorder une défense complète à un accusé aussitôt qu’une violation de droit linguistique est constatée devant une cour pénale. L’ordonnance d’un arrêt des procédures automatique lorsqu’une violation de droits linguistiques est constatée devant une cour pénale ne conserve pas l’intégrité du système judiciaire.

Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444 (CanLII)

[73] Toutefois, en l’espèce, la violation est réelle, et le Règlement [sur les langues officielles] comporte une lacune trop grave pour demeurer tel quel.  La Cour a le devoir d’intervenir lorsqu’elle constate une violation constitutionnelle.  Cela dit, il ne m’appartient pas de décider à la place de l’exécutif quelle forme devraient prendre les modifications au Règlement.  Je suis d’avis que tel n’est pas le rôle de la cour et, de toute façon, elle n’a pas l’expertise pour prendre une telle décision. […]

[80] J'accueille en partie la demande dans la présente action. Je déclare le sous-alinéa 5(1)h)(i) du Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, adopté en vertu de l'article 32 de la LLO [Loi sur les langues officielles], incompatible avec l'alinéa 20(1)a) de la Charte en ce que le droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec une institution du gouvernement du Canada ne peut uniquement dépendre du pourcentage de francophones dans la subdivision de recensement mais doit aussi tenir compte du nombre de francophones qui font ou pourraient faire appel aux services de cette institution, comme l'illustre la situation en l'espèce sur l'autoroute 104 à Amherst, en Nouvelle-Écosse. J'estime raisonnable d'accorder 18 mois à la gouverneure en conseil pour remédier au problème identifié dans le Règlement.

Dépens

[81] Le demandeur a droit à ses dépens puisque la Cour fait droit à sa demande et reconnaît que ses droits garantis par la Charte ont été violés. Compte tenu du fait que la revendication du demandeur dépasse largement sa situation personnelle mais porte sur le droit de tous les francophones qui circulent dans la région d'Amherst, il s'agit en quelque sorte d'une cause-précédent. Pour cette raison, le demandeur a droit à une majoration de ses dépens. (R. c. Manitoba Fisheries Ltd., [1980] 2 C.F. 217 (C.A.)). Les dépens seront donc calculés selon la partie supérieure de la colonne IV du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] telles qu'amendées.

Assn. des parents francophones de la Colombie Britannique c. British Columbia, 1998 CanLII 3969 (BC SC) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[56] Quelle est alors la réparation qui assurerait la participation active de la province à la promotion et à l’amélioration de ces droits linguistiques et culturels? La Charte prévoit de nombreux recours pour protéger les groupes minoritaires. La présente situation exige une réparation créative pour protéger les droits de la minorité francophone en Colombie-Britannique.

[57] Je conclus que, par voie législative ou réglementaire, une disposition doit être adoptée pour obliger les parties à un litige à prendre part à un processus de règlement des différends. Par les parties, je veux dire le C.S.F. [Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique], tout conseil scolaire de la majorité et les représentants compétents du ministère de l’Éducation, sur lesquels le ministre s’appuiera en fin de compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Le ministère de l’Éducation, qui est l’autorité provinciale responsable, a un rôle à jouer. Il ne peut rester les bras croisés et refuser de s’en mêler à moins d’y être invité.

[58] Je n’entends pas définir le processus. Il doit prévoit la négociation entre les parties concernées. L'aide de tiers peut aussi faire partie du processus, mais je ne dis pas que le gouvernement doive céder à un autre tribunal son obligation de décider. Si l’art. 166.29 [de la School Act] n’est pas modifié, le ministre sera appelé à exercer son pouvoir discrétionnaire d’approuver une entente entre les parties concernant l’exploitation et l’utilisation des établissements. Ultimement, le tribunal conservera toujours son pouvoir d'examiner la question de savoir si les décisions prises satisfont à l'obligation constitutionnelle imposée par l'art. 23. Il est à espérer qu’un processus de règlement des différends bien réfléchi évitera d’autres instances devant le tribunal. Il est certainement dans l’intérêt de la minorité et de la majorité de régler leurs différends par entente plutôt que de recourir aux tribunaux.

Conseil scolaire fransaskois de Zenon Park c. Saskatchewan, 1998 CanLII 13468 (SK QB) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[16] Cette situation résulte d’un manquement administratif de la part du ministre de l’Éducation de procéder à une planification prospective relativement aux établissements lors de la création du conseil scolaire. Comme la Loi [Education Act, 1995, S.S. 1995, c. E-0.2] prévoit des négociations, il aurait dû exiger le partage des établissements existants. […]

[18] Le droit de la Cour d'émettre une injonction interlocutoire mandatoire a fait l'objet d'observations lors de l’audition de la requête. Il semble que les parties s’entendent sur le fait que la Cour doit conclure qu’il y a eu violation des droits garantis par la Charte, qu’il y a une question sérieuse à trancher et qu’un préjudice irréparable pourrait être causé au demandeur si l’injonction n’est pas accordée. À ce stade des procédures, on considère souvent comme un handicap le fait que la Cour n’a reçu aucun témoignage de vive voix. Dans cette affaire, il n’y a pas de handicap particulier découlant du fait que la preuve a été présentée sous forme d’affidavit. Les faits ne sont pas contestés et la seule question dont je suis saisie est la façon dont le problème est réglé et celle-ci est manifestement de nature urgente. L'année scolaire de 1998-1999 commencera dans moins de deux mois et il reste beaucoup à faire même si toutes les parties s’entendent et coopèrent pour résoudre le problème.

[19] Dans la mesure où des droits constitutionnels ont été violés (par l’absence d’établissements égaux à ceux de l’école d’immersion) et où ils pourraient être violés à nouveau sous peu si aucune mesure n’est prise immédiatement, on peut dire que le préjudice irréparable est probable si aucune injonction n’est prononcée. Cet énoncé fait maintenant l'objet d'une réserve – si la dernière proposition du TSD [Tisdale School Board] était acceptée et si la construction pouvait être achevée, aucun préjudice irréparable ne pourrait être prévu, ce qui éliminerait le fondement d’une injonction provisoire. Les négociations qui se sont déroulées devant la Cour auraient dû avoir lieu il y a un an environ et la présente procédure n’aurait pas été nécessaire. Je dois toutefois considérer le déferlement de propositions et de contre-propositions comme étant davantage de l’ordre du processus de négociation que ce qui est normalement présenté au tribunal. Tout en prenant note de la souplesse dont font preuve les parties, je constate que le rôle de la Cour est devenu celui d’imposer une solution en fonction de la position de négociation des parties, une solution qui permettra d’éviter une extravagance financière. Il s’agit d’un rôle que la Cour accepte de jouer avec réticence, les parties n’ayant fait preuve d’aucune préoccupation particulière en ce qui a trait aux coûts des diverses solutions proposées pour le contribuable.

[20] Comme la Loi prévoit l’acquisition d'établissements au moment de la création d'un conseil scolaire et parce que l'inclusion de l'école française dans l'établissement Zenon Park est manifestement l'arrangement le plus efficace, tant du point de vue économique que social, je risquerais de discréditer le système judiciaire si je refusais d'ordonner le partage non seulement du gymnase, des laboratoires et de bibliothèque, mais aussi des classes qui, selon ce que j’ai appris, sont en nombre suffisant pour accueillir les étudiants des deux écoles. Il y aura donc une ordonnance enjoignant immédiatement le TSD de mettre à la disposition du CSF [Conseil scolaire fransaskois] les installations marquées en rouge sur un croquis annexé aux présentes, ainsi que tous les accès, sorties, stationnements, et espaces de jeu nécessaires, installations étant réservées à son usage exclusif. […] En cas de difficultés à cet égard, les parties pourront présenter une nouvelle demande.

R. c. Lavoie, 2014 NBPC 43 (CanLII)

[122] Néanmoins, lors de l’audience sur l’imposition de la peine, il y aura lieu de considérer la violation des droits linguistiques du défendeur comme circonstance atténuante justifiant une réduction de la peine quant à l’infraction sous le par. 18(2) de la Loi sur la SPA [Société protectrice des animaux]. J’estime qu’en vertu du par. 24(1) de la Charte, et compte tenu des principes qui se dégagent dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206, il s’agit d’une réparation convenable et juste eu égard à la violation des droits linguistiques du défendeur garantis par le par. 20(2) de la Charte. Cette question fut par ailleurs soulevée lors de la plaidoirie finale des parties.  Je constate aussi que la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick appliquait récemment ces principes dans l’affaire R. c. Martin 2013 NBQB 322 (CanLII) au par. 39.

R. c. Boudreau, 2008 NSPC 78 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[10] M. Boudreau souhaite obtenir réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte parce que le permis en vertu duquel il pêchait n'a été produit qu'en anglais alors que sa langue maternelle est le français. Pour que M. Boudreau obtienne réparation aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte, il doit démontrer que ses droits linguistiques protégés par la Constitution ont été violés. Comme l’a déclaré la Couronne dans son mémoire : « Une réparation en vertu du par. 24(1) peut être accordée lorsqu’il existe une mesure gouvernementale (au-delà de l’édiction d’une disposition législative ou réglementaire inconstitutionnelle) qui viole les droits d’une personne garantis par la Charte ». À l’appui de son argument selon lequel ce sont les droits de la personne qui doivent être mis en cause, la Couronne cite R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588, au paragraphe 62; Borowski c. Canada, 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 342, au paragraphe 54; Schacter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679, aux paragraphes 84-89; et Hogg dans Constitutional Law of Canada, 5th ed., 2007, aux pages 40-43.

[…]

[13] La contestation de M. Boudreau ne vise pas une loi pouvant être déclarée inconstitutionnelle. Le fait qu’il doive répondre d’accusations et se retrouve devant la Cour contre son gré ne lui confère pas le droit de demander une réparation fondée sur le par. 24(1). Le simple fait d’être contraint par des accusations à être traduit en justice ne donne pas à l’accusé le droit de réclamer une réparation aux termes du par. 24(1). Si tel était le cas, M. Edwards (R. c. Edwards, précité) et Mme Lawrence (R. c. Belnavis, précité) auraient eu automatiquement le droit de demander une réparation en vertu du par. 24(1) du fait d’être accusés, sans avoir à démontrer une attente raisonnable au respect de la vie privée en ce qui concerne la fouille.

[14] La qualité d’agir pour obtenir réparation en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle est accordée automatiquement lorsque le moyen de défense invoqué est que la disposition législative en vertu de laquelle l'accusé est inculpé est elle-même inconstitutionnelle. La décision Big M Drug Mart en est un exemple. La compagnie défenderesse a demandé un jugement déclaratoire selon lequel la Lord’s Day Act était inopérante au motif qu’elle violait un droit protégé par la Charte. L’arrêt R. c. Morgentaler, 1988 CanLII 90 (CSC), [1988] A.C.S. no 1, est un autre exemple dans lequel le Dr Morgentaler a demandé un jugement déclaratoire portant que les interdictions relatives à l’avortement prévues dans le Code criminel étaient inconstitutionnelles parce qu’il s’agit d’une atteinte aux droits des femmes à la vie, à la liberté et à la sécurité qui sont protégés par la Charte. Un défendeur a le droit de demander un jugement déclaratoire fondé sur l’article 52 selon lequel la législation en vertu de laquelle il est accusé est inconstitutionnelle sans avoir à démontrer qu’il y a eu violation de ses propres droits garantis par la Charte. Toutefois, la Cour suprême du Canada a rejeté catégoriquement la reconnaissance automatique de la qualité pour demander réparation en vertu de l’article 24 de la Charte, en soulignant que la règle de la reconnaissance automatique a été « discréditée ». (Edwards, précité, aux paragraphes 53-56)

[15] Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 n'est pas visé en l’espèce. L’application du paragraphe 52(1) est en cause « lorsqu'une loi est jugée inconstitutionnelle en soi, par opposition à une simple mesure prise sous son régime » (Schacter, précité, au paragraphe 84). Il est possible de recourir au paragraphe 24(1) « quand la loi ou la disposition législative n'est pas inconstitutionnelle en soi, mais qu'elle a donné lieu à une mesure prise en contravention des droits garantis par la Charte. Le paragraphe 24(1) offre une réparation à la personne dont les droits ont été violés. » (Schacter, précité, au paragraphe 87)

[16] La première nation Millbrook aurait pu invoquer le paragraphe 20(1) de la Charte pour obliger le ministère des Pêches et des Océans à produire le permis de pêche en français. Elle ne l’a pas fait. Elle a obtenu un permis de pêche en anglais et semble en avoir été satisfaite. Elle a désigné M. Boudreau pour pêcher en vertu de ce permis. Il ne s’agit pas d’une affaire comme celle de R. c. Saulnier (1989), 90 N.S.R. (2d) 77, qui visait les droits linguistiques d’un pêcheur accusé d’avoir enfreint une ordonnance modificative relative à un permis qui lui a été délivré directement. Il n'y a aucun lien entre la délivrance du permis et une exigence constitutionnelle ou législative de délivrer un permis de pêche dans l'une des deux langues officielles, et M. Boudreau. Aucune preuve ne démontre que M. Boudreau a eu affaire avec le ministère des Pêches et des Océans concernant le permis ou la langue dans laquelle il a été délivré. Aucun élément de preuve n’indique que le ministère savait même que M. Boudreau avait été désigné pour pêcher en vertu du permis délivré à Millbrook. Les droits linguistiques de M. Boudreau ne sont pas animés par la délivrance du permis de pêche en anglais seulement à la première nation Millbrook. M. Boudreau n'a pas droit à une reconnaissance automatique de sa qualité pour réclamer une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte et je conclus, dans les circonstances de l'affaire, qu'il n'a pas qualité pour présenter une demande fondée sur les droits linguistiques relativement à cette poursuite.

Lavoie c. Nova Scotia (Attorney-General), 1988 CanLII 5684 (NS SC) [decision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[13] Après cinq jours de présentation de la preuve et trois jours et demi de présentation des observations, je suis convaincu qu’il est bien fondé de tenir une inscription pour déterminer si le nombre d’enfants qui s’inscrivent réellement dans un établissement d’enseignement de la minorité linguistique justifie un jugement déclaratoire selon lequel l’établissement doit être fourni par le conseil scolaire. Le tribunal doit s’assurer que les citoyens canadiens dont les droits sont garantis en vertu des dispositions de l’art. 23 de la Charte ont droit à une réparation, si ces droits sont réputés avoir été violés. La preuve indique que les droits des citoyens canadiens du district à l’instruction dans la langue de la minorité dans un établissement financé sur les fonds publics peuvent avoir été violés, mais la preuve n'est toujours pas concluante, malgré les efforts soutenus des demandeurs. Comme je l’ai mentionné précédemment, la raison pour laquelle la preuve n’est pas concluante est qu’au moment où les citoyens ont répondu au questionnaire, aucun programme particulier n’était offert et il n’existait aucun endroit pour offrir le programme désigné. La réponse à la question de savoir si le droit à un établissement conféré par l’art. 23 aux demandeurs et à d’autres citoyens canadiens a été violé dépend des citoyens qui ont eu l’occasion pour voir précisément quel programme leur serait offert et à quel endroit. Sans connaître le nombre d’élèves qui s’inscriront réellement dans un tel établissement, le tribunal ne peut pas déterminer, non seulement si l’établissement est justifié, mais aussi déterminer le niveau de contrôle sur le programme auquel devrait avoir droit le groupe de la minorité linguistique, qui peut aller du contrôle complet exercé par un conseil jusqu’au simple pouvoir de faire des recommandations à un conseil qui est dirigé par les conseillers traditionnels d’une école publique.

[…]

[15] À mon avis, il s’agit de la seule façon de rendre une décision responsable en l'espèce par souci d’équité envers les demandeurs et les citoyens canadiens qui peuvent avoir droit à l’instruction dans la langue de la minorité dans le district et qui souhaitent se prévaloir de ces établissements en vertu de l'art. 23 de la Charte, mais aussi envers les défendeurs qui doivent assumer les coûts raisonnables de tels établissements. L’imposition aux défendeurs, par ordonnance de la présente cour, de dépenses pour l’aménagement d’un établissement distinct pour, disons, 200 élèves ou plus, allant de la maternelle à la 8e année, et que finalement seulement 50 personnes s’inscrivent, est une ordonnance que je ne suis pas disposée à rendre compte tenu de la preuve dont je dispose. Si, après l'inscription et une autre audience, le nombre d’inscriptions justifie la création d'un tel établissement, une telle ordonnance pourra être rendue ainsi que d'autres ordonnances quant au degré de contrôle qui devrait être accordé aux citoyens de la minorité linguistique. À mon avis, l’ordonnance que je vais signer, assortie des précisions que les parties pourront accepter et que j’approuverai, constitue une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances et à la compétence du tribunal en vertu de l’art. 24 de la Charte.

[16] Je rencontrerai les avocats le lundi 18 janvier, c'est-à-dire lundi prochain, à quatorze heures, pour entendre leurs observations sur les conditions de l'ordonnance. Dans l'intervalle, je suppose que les avocats peuvent se rencontrer pour négocier les changements ou les ajouts qui seraient convenables de manière à ce que l'objectif de cette ordonnance soit atteint sans plus de problèmes que les avocats peuvent sans doute déjà envisager. Le tribunal, le conseil scolaire, la province, les demandeurs ont été emmenés par la Charte en territoire inconnu. Un esprit de coopération entre tous sera nécessaire pour veiller à ce que les droits garantis par la Charte ne soient pas violés tout en agissant de manière responsable. Les questions soulevées dans cette affaire ne peuvent être tranchées dans les limites strictes de la poursuite traditionnelle; les problèmes ne se prêtent tout simplement pas à un règlement par une telle structure sans adaptation. C’est ce qui est implicitement reconnu par la portée des réparations offertes au tribunal par l’art. 24 de la Charte. Il n’y a aucune raison de ne pas interpréter cette disposition de façon libérale afin d’atteindre l’objectif de veiller à ce que les droits garantis, s’ils sont violés, puissent être réparés tout en agissant de manière responsable. Par conséquent, je rends l’ordonnance suivante, laquelle n’est pas tout à fait conforme au type d’ordonnance qui est rendue dans une poursuite traditionnelle.

Voir également :

R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10 (CanLII) [decision disponible en anglais seulement]

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 1998 CanLII 7820 (CAF)

Sonier c. Ambulance Nouveau-brunswick Inc., 2016 NBBR 218 (CanLII)

Saint-Quentin (Municipalité) c. Nouveau-Brunswick, 2015 NBBR 169 (CanLII)

Saskatchewan c. Conseil scolaire fransaskois, 2014 SKQB 285 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

L’Association des parents de l’école Rose-des-Vents c. Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, 2011 BCSC 89 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

Association des parents ayants droit de Yellowknife c. Territoires du Nord Ouest (Procureur général), 2005 NWTSC 58 (CanLII)

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions appliquant le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne dans le contexte de droits linguistiques.

Annotations – Paragraphe 24(2)

R. c. Losier, 2011 NBCA 102 (CanLII)

[1] La présente demande en autorisation d’appel met en cause une décision d’un juge de la Cour du Banc de la Reine qui confirme l’acquittement de l’intimé relativement à deux accusations, l’une de conduite d’un véhicule à moteur avec un taux d’alcoolémie supérieur à la limite permise (l’al. 253(1)b) du Code criminel), l’autre de conduite d’un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool (l’al. 253(1)a)) : 2011 NBBR 177 (CanLII), [2011] A.N.-B. no 240 (QL). Ces acquittements ont été prononcés à la suite de l’exclusion en vertu du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés du certificat d’un technicien qualifié, lequel visait à établir le taux d’alcoolémie en question. D’après le juge du procès, cette exclusion était justifiée en raison de la violation des droits de l’intimé de se faire servir dans la langue officielle de son choix et d’être informé de ce droit. Toujours selon le juge du procès, le droit à cette information, qui est explicitement reconnu au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5, se dégage implicitement du par. 20(2) de la Charte.

[…]

[9] Le policier qui a interpellé l’intimé était tenu de respecter les obligations que le par. 20(2) de la Charte impose aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick (voir Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 383; R. c. Gautreau (1989), 101 R.N.-B. (2e) 1, [1989] A.N.-B. no 1005 (C.B.R.) (QL), inf. pour d’autres motifs par (1990), 1990 CanLII 4014 (NB CA), 109 R.N.-B. (2e) 54, [1990] A.N.-B. no 860 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi refusée [1991] 3 S.C.R. viii, [1990] C.S.C.R. no 444 (QL); et R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII), [2010] A.N.-B. no 25 (QL)).

[…]

[11] Enfin, s’il est incontestable que les droits linguistiques reconnus par la Charte sont « inviolables » (voir R. c. McGraw, 2007 NBCA 11 (CanLII), 312 R.N.-B. (2e) 142 et R. c. Bujold, 2011 NBCA 24 (CanLII), 369 R.N.-B. (2e) 262) et que l’art. 24 doit être interprété de sorte à « protéger les droits garantis par la Charte en assurant des réparations efficaces » (voir R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 575, par. 19), il n’en demeure pas moins que l’exclusion d’éléments de preuve essentiels à la poursuite n’est pas nécessairement la réparation indiquée pour toutes les atteintes aux droits linguistiques, quelles que soient les circonstances. L’analyse requise par le par. 24(2) doit être faite.

[12] En l’espèce, le juge du procès a fait une analyse en tout point conforme au par. 24(2) et aux directives fournies par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353. À l’instar du juge de la Cour du Banc de la Reine, nous sommes d’avis que, eu égard aux circonstances et à la norme de contrôle applicable (voir R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, [1995] A.C.S. no 38 (QL), et R. c. Buhay, 2003 CSC 30 (CanLII), [2003] 1 R.C.S. 631), la décision du juge du procès d’écarter le certificat du technicien qualifié ne saurait être infirmée.

R. c. Allen Brideau, 2016 NBBR 197 (CanLII)

[28] Le juge du procès a-t-il convenablement appliqué les principes du cadre d’analyse constitutionnel aux obligations imposées aux agents de conservation d’accorder à tout citoyen néo-brunswickois le droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec les institutions du gouvernement comme le prévoient la Loi sur les langues officielles et la Charte? Si les droits de M. Brideau ont été violés, le juge du procès a-t-il exercé comme il se devait le pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’écarter à la fois les éléments de preuve relatifs à l’identité et les éléments de preuve matériels que constituaient les pièces à conviction saisies?

[…]

[40]  En toute déférence envers le juge du procès aujourd’hui décédé, il m’est impossible de souscrire à la décision qu’il a rendue dans la présente affaire. Il est bien établi en droit que le juge du procès jouit d’un pouvoir discrétionnaire très étendu pour exclure des éléments de preuve sur le fondement de la Charte et qu’un juge saisi d’un appel en matière de poursuite sommaire ne devrait pas intervenir à la légère dans l’exercice de ce pouvoir. Voir Grant, au par. 86; R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 248 (C.S.C.), au par. 5; Côté, au par. 44.

[41] Je suis parfaitement au fait des principes énoncés au paragraphe 10 de l’arrêt Losier, lesquels sont fondés sur l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768 (C.S.C.), et dans lequel notre Cour d’appel a déclaré ce qui suit :

Par ailleurs, comme les juges majoritaires l’ont souligné dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, [1999] A.C.S. no 25 (QL), il incombe aux tribunaux d’éviter une interprétation restrictive des dispositions législatives et constitutionnelles portant sur les droits linguistiques. Nous tirons aussi de cet arrêt phare d’autres enseignements. En effet, parmi les interprétations qui peuvent raisonnablement être faites d’une telle disposition, il convient de favoriser la plus apte à refléter la mise en œuvre des principes suivants : (1) le droit à l’emploi de l’une ou de l’autre des langues officielles nécessite la reconnaissance du devoir de l’état de prendre des mesures positives pour en promouvoir l’exercice; et (2) l’objet de l’enchâssement de ce droit dans la Charte était nul autre que de contribuer au « maintien et à la protection des collectivités de langue officielle »[.]

[42] Cependant, ce qui différencie selon moi la présente instance de l’affaire Losier, c’est essentiellement le fait que les agents ont continué à recueillir des éléments de preuve contre le défendeur alors détenu dans cette affaire pendant que la violation de son droit de communiquer dans la langue de son choix continuait, et ensuite le fait que cette violation s’est poursuivie pendant trente minutes. Ce n’est pas ce qui s’est produit dans la présente instance et de fait, les agents ont semblé essayer de respecter le droit de M. Brideau d’être servi dans la langue de son choix avant d’aller plus loin dans leur enquête. Dans le cas présent, la durée de la violation a été inférieure de moitié et les agents ont pris délibérément la décision de ne recueillir aucun élément de preuve contre le défendeur pendant la période en question.

[…]

[54] Dans la présente instance, l’exclusion de la preuve d’identité et, à un moindre degré, des appeaux d’orignal électroniques, a essentiellement provoqué l’effondrement de l’accusation du ministère public et prédéterminé le verdict de non-culpabilité. Par conséquent, la preuve d’identité et, dans une moindre mesure, les appeaux électroniques constituaient une preuve décisive en l’espèce.

[55] Si j’applique l’ensemble des principes de droit, je ne peux que conclure que, même après avoir pris en considération la « grande déférence » qui doit être accordée à la décision d’exclure la preuve contestée en vertu du par. 24(2) conformément à l’arrêt Côté, la décision d’écarter la preuve d’identité et les deux appeaux d’orignal électroniques était déraisonnable dans les circonstances. Voir l’arrêt Côté au paragraphe 44 et l’arrêt Couturier au paragraphe 66.

[56] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la preuve d’identité n’aurait pas dû être écartée, de la même façon que les appeaux d’orignal électroniques n’auraient pas dû être déclarés inadmissibles en vertu par. 24(2) de la Charte, et ce, même si les droits linguistiques que garantissent la Loi sur les langues officielles et la Charte avaient été violés, ne serait-ce que pendant une courte période.

R. c. Mathieu, 2014 ONCS 6124 (CanLII)

[160] Les éléments de la preuve sont indiqués dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353.

A. La gravité de la conduite attentatoire de l'État

Dans l'analyse requise par le par. 24(2), « le tribunal doit évaluer si l'utilisation d'éléments de preuve déconsidérerait l'administration de la justice en donnant à penser que les tribunaux, en tant qu'institution devant répondre de l'administration de la justice, tolèrent en fait les entorses de l'État au principe de la primauté du droit en ne se dissociant pas du fruit de ces conduites illégales. Plus les gestes ayant entraîné la violation de la Charte par l'État sont graves ou délibérés plus il est nécessaire que les tribunaux s'en dissocient en excluant les éléments de preuve ainsi acquis, afin de préserver la confiance du public envers le principe de la primauté du droit et de faire en sorte que l'État s'y conforme. (Grant, par. 72)

[161] La Couronne reconnaît la gravité de la première violation de la Charte mettant en cause l’agent Neilson et la nécessité d’exclure cette preuve. Les violations subséquentes se rapportant au droit de l’accusé de consulter un avocat et de garder le silence et à la possibilité de communiquer durant l’interrogatoire sont également graves. Les droits conférés à l’accusé, et à toute autre personne au sein de notre société multiculturelle, ce qui implique d’évidentes capacités linguistiques limitées, commandent la désapprobation de cette conduite indigne de la part de la police. Notre Cour ne devrait pas excuser l’omission de la police de s’assurer que l’accusé comprenait clairement et qu’il pouvait communiquer de manière efficace en réponse aux accusations criminelles pesant contre lui.

B. L'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte

L'examen de cette question met l'accent sur l'importance de l'effet qu'a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à l'accusé, et il impose d'évaluer la portée réelle de l'atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause. Cet effet peut être passager ou d'ordre simplement formel comme il peut être profondément attentatoire. Plus il est marqué, plus l'utilisation des éléments de preuve risque de donner à penser que les droits garantis par la Charte, pour encensés qu'ils soient, ne revêtent pas d'utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait le cynisme et déconsidérerait l'administration de la justice. (Grant, par. 76)

[162] Ce sont des violations fondamentales des droits de l’accusé garantis par la Charte.

C. L'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond

L'importance des éléments de preuve pour la poursuite est un autre facteur à prendre en considération. Comme la juge Deschamps, nous estimons qu'il s'agit là d'un corollaire à l'examen de la fiabilité, au sens restreint où l'utilisation d'un élément de preuve d'une fiabilité douteuse est davantage susceptible de déconsidérer l'administration de la justice lorsqu'il représente la totalité de la preuve de la poursuite. À l'inverse, l'exclusion d'éléments de preuve d'une grande fiabilité peut être plus dommageable pour la considération dont jouit l'administration de la justice si, en réalité, cette mesure est fatale pour la poursuite. (Grant, par. 83)

[163] La Couronne dispose des témoignages de la plaignante et d’un témoin oculaire quant aux événements qui sont survenus à l’extérieur de l’appartement et qui mettent en cause l’accusé. L’exclusion de l’interrogatoire ne porte pas un coup fatal aux accusations portées par la Couronne. 

[164] En admettant en preuve l’interrogatoire, on risque de voir le jury « interpréter » les déclarations très peu claires d’un accusé qui a démontré son manque de compréhension à plusieurs reprises et qui a été incapable de communiquer en anglais de manière satisfaisante. Ce risque aurait facilement pu être évité si la police avait pris les mesures – qui de toute évidence s’imposaient – pour pallier les obstacles linguistiques de l’accusé. Les droits des Canadiens ne devraient pas être assujettis à la capacité de ceux-ci de comprendre l’anglais et de communiquer dans cette langue à des policiers unilingues anglophones qui font peu de cas de l’évidente nécessité d’utiliser les services d’un interprète. 

[165] L’interrogatoire est exclu de la preuve en vertu du par. 24(2).

R. c. Arjun, 2013 BCSC 2076 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[110] Ayant conclu que les policiers ont violé les droits de Mme Arjun garantis par les articles 7 et 9, et l’alinéa 10b) de la Charte, je dois maintenant déterminer si la preuve obtenue à la suite de ces violations devrait être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.

[111] Le paragraphe 24(2) prévoit une réparation en cas d’atteinte à la Charte. Même si la disposition permet d’écarter des éléments de preuve, l’exclusion n’est pas exigée parce que la cour a conclu qu’il y eu violation : R. c. Bacon, 2012 BCCA 323 (CanLII), au paragraphe 18.

[112] La question de savoir si la preuve doit être exclue en vertu du paragraphe 24(2) est guidée par les considérations énoncées par la Cour suprême du Canada dans Grant. Il s'agit essentiellement de déterminer si l'admission de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Pour faire cette évaluation, il faut examiner trois questions : 1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État; 2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte; 3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond : Grant, au paragraphe 71. La Couronne s’est fondée sur R. c. Goldheart, [1996] 2 R.C.S. 263, à l’appui de la proposition selon laquelle, s’il a été conclu qu’il y a eu violation de l’art. 9 parce que l’arrestation de l’agent Eng était illégale, les déclarations de Mme Arjun ne devraient pas être écartées parce que lien entre la violation et les déclarations est trop éloigné.

[…]

[114] En ce qui concerne les droits de Mme Arjun aux termes de l’al. 10b) de la Charte, je suis d’avis qu’il s’agit d’un manquement grave aux droits de Mme Arjun qui sont garantis par la Charte. Dans les cas où, comme en l’espèce, l'anglais n'est pas la première langue de l’accusée, qu’il est déterminé objectivement que l'accusée a une compréhension limitée de la langue anglaise, qu’un interprète est demandé par l'accusée et que l'accusée n'a pas suffisamment compris ses droits, le résultat est le même que si l'accusée n'avait pas de droits protégés par l'al. 10b) de la Charte.

[115] Pour la même raison, le fait de ne pas avoir eu recours à un interprète a un effet grave sur les droits de l’accusée en vertu de l’al. 10b). L’objectif de l’al. 10b) est de s’assurer que la personne qui court un risque sur le plan juridique comprend cette menace et les options qui s’offrent à elle lorsqu’elle traite avec la police. Les commentaires du juge Marin dans Shmoel, reproduits ci-dessus, sont pertinents dans la présente affaire. Je conclus qu’il est peu probable, en l’absence d’un interprète, que Mme Arjun ait été capable d’expliquer à un avocat anglophone le risque qu’elle courait ou de comprendre les conseils qu’elle a reçus. Par conséquent, on ne lui a jamais donné l’occasion de faire valoir son droit à un avocat.

[116] Quant à l’intérêt de la société à ce que la présente affaire soit tranchée sur le fond, bien que les déclarations de Mme Arjun au cours de ses entrevues avec la police soient pertinentes à l’accusation portée contre elle, l’affaire sera entendue sur le fond même si elles sont exclues. Il convient de noter qu’il n’y a pas eu d’aveu de culpabilité de la part de Mme Arjun dans les déclarations présentées par le ministère public. L’exclusion des déclarations ne sera pas fatale pour la preuve du ministère public contre Mme Arjun. De plus, je note que l’admission de déclarations obtenues d’une personne accusée qui n’a pas eu l’occasion de parler à un avocat dans un langage qui lui est compréhensible pourrait bien déconsidérer l’administration de la justice. Il est dans l’intérêt de la société que les droits garantis par la Charte soient bien expliqués à toutes les personnes accusées qui les exercent, quelles que soient leurs compétences linguistiques. Cela est particulièrement vrai compte tenu de la composition multiculturelle du Canada et de la diversité linguistique croissante, auxquelles devraient être particulièrement sensibles les services de police dans les grands centres urbains comme Vancouver.

[117] Après avoir examiné la violation de l'al. 10b) à la lumière des considérations énoncées dans Grant, la preuve qui est constituée des déclarations de l’accusée à la police durant ses entrevues ne sera pas admise puisque leur admission pourrait déconsidérer l'administration de la justice.

[118] Le raisonnement qui précède en ce qui concerne la violation de l'al. 10b) s'applique également à la violation de l'art. 7. Par conséquent, pour les mêmes raisons, j’écarte les déclarations faites à la police en raison de la violation des droits de Mme Arjun garantis par l’al. 10b), et j’exclus aussi cette preuve en raison de la violation de ses droits garantis par l’art. 7.

R. c. Gaudet, 2010 NBBR 27 (CanLII)

[61] Le par. 24(2) de la Charte enjoint au juge qui détermine si l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, de faire une analyse en tenant compte de toutes les circonstances. La notion de déconsidération inclut un élément d’opinion publique. Le juge du procès doit donc se demander si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice aux yeux de la personne raisonnable, objective et bien informée de toutes les circonstances de l’affaire. Le par. 24(2) oblige le juge du procès à tenir compte de l’ensemble des circonstances. Le juge du procès doit rendre une décision qui suit un raisonnement complet compte tenu du droit applicable et des faits particuliers de l’affaire.

[…]

[65] Dans la présente affaire, rien dans les faits ne nous permet de conclure qu’il y a eu des violations à la Charte autre que l’absence d’informer l’accusé qu’il avait le choix de se faire servir soit en anglais ou en français. Ni l’équité du procès ou les principes de la justice naturelle n’ont été soulevés. Il n’y a pas de suggestion qu’il s’agît d’un arrêt illégal ou d’une détention illégale. Il n’y a aucune preuve que la poursuite a été menée d’une manière inéquitable ou vexatoire. Rien d’indique que l’accusé a été victime de pratiques policières discriminatoires. La juge du procès n’était pas en mesure de déterminer si l’omission de l’agent de la paix a été commise par inadvertance ou si au contraire, il s’agissait d’une conduite abusive, grave et délibérée pour violer les droits linguistiques de M. Gaudet.  Sans connaître les éléments de preuve, il n’était pas possible pour la juge du procès de déterminer leur importance pour la preuve du ministère public ou s’il s’agissait d’éléments de preuve fiables.

[…]

[67] Les faits devant la cour ne permettaient pas de procéder à une analyse complète de toutes les circonstances tel que requis par le par. 24(2) de la Charte. Cependant, la mise en balance des facteurs, que nous connaissons, milite en faveur de l’utilisation des éléments de preuve.

[68] La société s’attend à ce que les accusations criminelles soient jugées sur le fond. En me fondant sur les arrêts Collins et Grant, et les faits convenus, je ne peux conclure que l’utilisation des éléments de preuve aurait été susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Je ne peux être d’accord avec la juge du procès que la preuve obtenue aurait été écartée.

R. c. Irving, 2016 QCCQ 2697 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[43] Le fait de lire machinalement les droits de l’accusé sans véritablement s’assurer qu’ils ont été bien compris me semble être un comportement suffisamment grave pour imposer les conséquences prévues dans la Charte.

2. Incidence de la violation des droits garantis par la Charte

[44] Le français et l’anglais sont les deux langues officielles du Canada. Il s’agit d’une exigence constitutionnelle (article 16 de la Charte) qui doit être respectée tout au long de l’instance criminelle. Il nous suffit donc d’examiner l’article 530.1 du Code criminel. La décision bien connue de la Cour d’appel du Québec dans Dow en est aussi un rappel.

[45] Le droit d'un accusé d'interagir avec les agents de police dans sa langue n'a pas le même statut; c'est évident. […]

[46] Ma décision antérieure n’est évidemment pas que la violation est strictement celle du droit linguistique de l’accusé d’utiliser l’une ou l’autre des deux langues officielles. Il s’agit plutôt d’une observation selon laquelle le droit d’être réellement informé du droit de consulter un avocat a été violé dans les circonstances en raison du défaut des agents de police d’utiliser la langue officielle de l’accusé, qui auraient manifestement pu l’utiliser.

[47] Ce défaut a donné lieu, en pratique, à l’impossibilité pour l’accusé de consulter un avocat, ce qui me semble être une conséquence majeure.

[48] En fait, l’application des faits de l’affaire aux principes énoncés dans le paragraphe susmentionné m’amène à croire, en particulier, que l’admission de la preuve risque d’indiquer au public que les droits garantis par la Charte, aussi encensés qu’ils soient, ne revêtent pas d’utilité réelle pour le citoyen.

[49] Ce facteur contribue au rejet subséquent de la preuve.

3. Intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

[50] De façon générale, il est concevable que la société ait intérêt à ce que tous les cas d’allégations d’inconduite criminelle par un membre de la société en question soient jugés au fond. Il est également concevable que cet intérêt puisse néanmoins varier selon la gravité de la conduite.

[51] Ici, j’aimerais vous rappeler que l’infraction, dans les circonstances, est plus technique, étant donné que la Couronne reconnaît qu’elle est incapable de prouver au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé conduisait alors que ses facultés étaient affaiblies par l’alcool ou la drogue.

[52] Son seul crime a été de conduire avec un niveau d'alcool supérieur à la limite permise.

[53] Je ne dis pas que l’un de ces crimes est moins grave que l’autre, mais si, comme dans les circonstances actuelles, le ministère public reconnaît son incapacité de démontrer que la capacité de l’accusé de contrôler un véhicule était affectée par l’alcool ou la drogue, le niveau de risque pour la société est certainement plus faible.

[54] Après avoir apprécié tous ces facteurs, il m’apparaît que la preuve devrait donc être écartée.

R. c. Lavoie, 2014 NBPC 43 (CanLII)

[39] Dans l’arrêt R. c. Losier, 2011 CANB 102 (CanLII), la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick s’est prononcée sur le sens et la portée qu’il convient de donner au par. 20(2) de la Charte. En effet, la Cour d’appel réitère qu’il incombe aux tribunaux d’éviter une interprétation restrictive des dispositions législatives et constitutionnelles portant sur les droits linguistiques. Je retiens de cet arrêt phare d’autres enseignements. D’une part, un agent de la paix qui interpelle un membre du public au Nouveau-Brunswick est tenu de respecter les obligations que le par. 20(2) de la Charte impose aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick, notamment en ce qui a trait à l’offre active du service dans les deux langues officielles. D’autre part, s’il est incontestable que les droits linguistiques reconnus par la Charte sont « inviolables » et que l’art. 24 doit être interprété de sorte à protéger les droits garantis par la Charte en assurant des réparations efficaces, il n’en demeure pas moins qu’aux fins de l’analyse requise en vertu du par. 24(2), l’exclusion d’éléments de preuve n’est pas nécessairement la réparation indiquée pour toutes les atteintes aux droits linguistiques, quelles que soient les circonstances. Cette cause en est une preuve éclatante.

Les critères d’exclusion du par. 24(2) de la Charte

[40] À tout événement, même si la poursuite concède qu’il y a eu violation des droits linguistiques garantis par le par. 20(2) de la Charte, là ne s’arrête pas l’analyse. Il faut aussi se demander, selon les trois critères formulés dans l’arrêt R. c. Grant 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353, si la preuve doit être écartée :

(1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État);

(2) l’incidence de la violation sur les droits du défendeur garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids); et

(3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.

[41] Quant au troisième point à examiner, l’intérêt du public pour la recherche de la vérité demeure un élément pertinent de l’analyse requise en vertu du par. 24(2) et la fiabilité des éléments de preuve est un facteur important à cet égard. Il pourra y avoir lieu d’exclure des éléments de preuve si une violation (par exemple, contraindre un suspect à parler) en compromet la fiabilité. L’utilisation d’éléments de preuve non fiables ne sert en effet ni l’intérêt qu’a le défendeur à bénéficier d’un procès équitable ni l’intérêt qu’a le public à découvrir la vérité. À l’inverse, l’exclusion d’éléments de preuve pertinents et fiables risque de compromettre la fonction de recherche de la vérité du système de justice et de rendre le procès inéquitable aux yeux du public, ce qui déconsidérerait l’administration de la justice : R. c. Grant, précité, par. 81.

[…]

Les critères d’exclusion du par. 24(2) de la Charte

A. La gravité de la conduite attentatoire de l’état

[93] S’agissant d’abord de la gravité de la conduite attentatoire de l’état, il n’y a aucune indication de mauvaise foi ou d’entêtement de la part des agents de la SPA [Société protectrice des animaux] quant aux droits linguistiques garantis par la Charte. Même si le mandat d’entrée n’était ni établi selon la formule 2, ni rempli dans les deux langues officielles, il n’en demeure pas moins que le Caporal Parish a demandé l’assistance du Gendarme Saulnier afin d’en traduire et d’en expliquer le contenu au défendeur. 

B. L’incidence de la violation sur les droits du défendeur garantis par la Charte

[94] Quant à l’incidence de la violation sur les droits linguistiques du défendeur, pour reprendre les propos de la Cour suprême dans Harrison, précité, je considère la violation « tout simplement passagère » étant donné l’assistance du Gendarme Saulnier. 

[95] La preuve que le défendeur cherche à faire exclure consiste en des éléments de preuve dite « matérielle non corporelle » qui existaient nonobstant et indépendamment de la violation de la Charte, à savoir notamment les observations des agents, les chiens saisis, les photos de même que la bande vidéo illustrant l’état du chenil. Autrement dit, rien n’a été « découvert » à la suite de la violation des droits linguistiques. Ces éléments de preuve étaient clairement visibles à quiconque en faisait l’observation avec ou sans mandat d’entrée. De même, rien ne révèle un contexte qui porte atteinte à la dignité individuelle du défendeur ou un contexte d’atteinte élevée en matière de vie privée. L’attente à la vie privée est moins grande à l’égard d’un établissement commercial, tel le chenil du défendeur, qu’à l’égard d’un lieu d’habitation.

C. L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

[96] Je noterais à nouveau que les accusations en l’espèce ne sont pas des plus banales. Priver un grand nombre de chiens des soins médicaux nécessaires et d’en faire l’élevage dans des conditions qui risquent fortement de compromettre leur santé ne peut être pris à la légère. La recherche de la vérité dans cette cause serait mieux servie par l’inclusion que par l’exclusion de la preuve en raison de sa fiabilité. La preuve obtenue à la suite de l’exécution du mandat d’entrée est par ailleurs capitale pour la poursuite et son exclusion serait pratiquement fatale pour cette dernière. L’exclusion de cette preuve pourrait, à mon sens, déconsidérer l’administration de la justice. L’intérêt de la société commande donc que l’affaire soit jugée au fond.

D. Mise en balance des facteurs

[97] Tout bien considéré, vouloir à long terme maintenir l’intégrité de la confiance du public dans le système juridique m’amène à conclure qu’en admettant la preuve, l’administration de la justice ne serait pas déconsidérée. Bien au contraire, l’exclusion tendrait, à mon avis, à déconsidérer l’administration de la justice. Je conclus donc que la preuve obtenue le 27 octobre 2011, de même que tout témoignage qui en découle, est admissible.

[…]

[120] Je suis d’avis qu’en l’espèce les agents de la SPA non pas respecté les droits linguistiques du défendeur les 25 et 27 octobre 2011. Il s’agit de violations des garanties prévues au par. 31(1) de la Loi sur les langues officielles de même qu’au par. 20(2) de la Charte. Or, eu égard aux circonstances bien particulières en l’espèce, et à l’exception de la déclaration faite par le défendeur, j’estime que ces violations ne justifient pas l’exclusion d’élément de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte.

R. c. Jacky Savoie, 2012 NBPC 10 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] Le défendeur, Jacky Savoie, est accusé d'avoir conduit un véhicule à moteur pendant que son taux d'alcoolémie dépassait la limite permise, une infraction à l’alinéa 253(1)b) du Code criminel du Canada.

[2] Le 18 janvier 2012, le défendeur a déposé un avis de demande dans laquelle il soumet que les droits linguistiques de M. Savoie garantis par le paragraphe 31(1) de la Loi sur les langues officielles ainsi que par le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés. Dans son avis, le défendeur soutient que l’agent qui a procédé à l’arrestation n’avait offert à l’accusé aucun choix de langue, et, en raison de l’infraction alléguée, demande l’exclusion du certificat du technicien qualifié.

[…]

[56] Dans les observations préliminaires concernant les perspectives inhérentes au paragraphe 24(2) de la Charte, la majorité [dans Grant] a déclaré que l’objet du paragraphe 24(2) est de préserver la considération dont jouit l’administration de la justice. Son but n’est pas de punir l’inconduite de la police ou de dédommager l’accusé pour la violation de ses droits; son objet est plus large – il doit refléter les intérêts sociétaux qui y sont inhérents. Le paragraphe 24(2) ne porte pas sur la réaction au cas en l’espèce; il vise des préoccupations ultérieures, à long terme et de nature systémique. La question cruciale à trancher est celle de savoir si l'ensemble de la considération de l'administration de la justice souffrira à long terme de l'admission de la preuve. La norme est objective, de sorte que la Cour doit examiner l’affaire dans une perspective générale et déterminer si une personne raisonnable au courant de toutes les circonstances pertinentes et des valeurs qui sous-tendent la Charte en arriverait à la conclusion que l’admission de la preuve déconsidérerait l’administration de la justice.

[…]

[67] Compte tenu de la première section, la question de la gravité de la conduite attentatoire de l’État, la Cour conclut que l’importance des droits linguistiques est incontestable. Dans Losier, le juge en chef utilise le terme « inviolable », ce qui ne laisse planer aucun doute sur leur importance dans la constellation constitutionnelle. Ceci étant dit, je suis d’avis que l’atteinte à la Charte en l’espèce se situerait à l’extrémité inférieure du spectre pour les raisons suivantes :

(1) la langue maternelle du défendeur était le français,

(2) la langue qu’il utilise dans la vie de tous les jours est le français,

(3) pendant la procédure judiciaire, il a eu recours aux services d'un interprète pour pouvoir témoigner en anglais, étant donné que la langue du procès était l'anglais.

[…]

[70] Compte tenu de ce qui précède et des analyses qui doivent être effectuées à partir des premières questions de l’examen, qui sont la gravité et l’incidence de la violation, je suis d’avis que l’exclusion ne constituerait pas une réparation convenable compte tenu des considérations de ces deux volets. Sans vouloir banaliser ce qui s’est produit en l’espèce, je conclus que la violation dans la présente affaire aurait été mineure et que l’incidence sur le défendeur aurait été minime. En l’espèce, M. Savoie a reconnu franchement, en contre-interrogatoire, qu’il aurait répondu à l’agent qu’il souhaitait qu’on s’adresse à lui en français, si la question lui avait été posée. Dans la présente affaire, il n’y a pas de preuve de l’attitude arrogante ou cavalière du policier, laquelle était présente dans Losier. Par conséquent, j’estime que l’exclusion ne constituerait pas une réparation viable concernant ces aspects particuliers de l’analyse.

[71] Enfin, à mon avis, l’intérêt de la société dans la détermination au fond militerait fortement à l’encontre de l’exclusion dans la présente instance. La personne raisonnable, étant au courant des faits particuliers de l’affaire, serait d’avis que l’exclusion des résultats de l’analyse aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte déconsidérerait l’administration de la justice. Il suffit de rappeler les nombreux commentaires de la Cour suprême sur les dangers de la conduite avec facultés affaiblies.

[72] Dans Losier, le juge en chef Drapeau constate, au paragraphe 11, que malgré l’importance des droits linguistiques « il y a lieu de souligner que l’exclusion de la preuve essentielle à la poursuite n’est pas nécessairement la réparation qui convient à chaque violation des droits linguistiques, quelles que soient les circonstances. L’analyse requise en vertu du paragraphe 24 (2) doit être effectuée. »

[73] Par conséquent, bien que j’aie supposé (et il ne s’agit que d’une hypothèse) qu’il y a eu violation de la Charte dans ce cas particulier, la Cour est d’avis qu’il ne devrait pas y avoir de décision d’écarter le certificat d’analyse en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

Voir également :

R. c. Ippak, 2015 NUCJ 3 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Robichaud, 2012 NBBR 359 (CanLII)

R. c. Hnatusko, 2012 ONCJ 35 (CanLII) [décision disponible en anglais seulement]

R. c. Hernandez, 2012 QCCQ 1435 (CanLII)

R. c. Landry, 2012 NBBR 185 (CanLII)

NOTA – Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive en raison du volume important de décisions appliquant le paragraphe 24(2) de la Charte canadienne dans le contexte des droits linguistiques et de la compréhension linguistique.

 

Dispositions générales (article 27)

27. Maintien du patrimoine culturel

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations

Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14 (CanLII)

[20] L’article 23 établit un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires anglophones ou francophones.  Dans l’arrêt Mahe, p. 369, la Cour a reconnu que ce statut spécial créerait des inégalités entre groupes linguistiques.  Voir également l’arrêt Adler c. Ontario, 1996 CanLII 148 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 609, par. 32.  En particulier, les anglophones du Québec et les francophones des territoires et des autres provinces jouiraient de droits refusés à d’autres groupes linguistiques.  L’article 23 a été qualifié d’exception aux art. 15 et 27 de la Charte canadienne; il est plutôt un exemple des moyens de réaliser l’égalité réelle dans le contexte particulier des communautés linguistiques minoritaires.  Bien que cette inégalité consacrée puisse résulter de négociations et d’un compromis politique, il ne s’ensuit pas que les droits garantis par l’art. 23 doivent recevoir une interprétation restrictive.  La Cour a confirmé, à maintes reprises, que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation téléologique large et compatible avec le maintien et l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada : R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 25; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 850; Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 80; Arsenault-Cameron, par. 27.

R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, 1994 CanLII 56 (CSC)

[37] Les articles 15 (droits à l'égalité), 25 (droits des autochtones) et 27 (maintien du patrimoine culturel) de la Charte reflètent également l'importance du droit à l'assistance d'un interprète dans la société canadienne.  L'article 27, selon lequel toute interprétation de la Charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens, est particulièrement pertinent.  Dans la mesure où le patrimoine culturel est nécessairement multilingue, il s'ensuit qu'une société multiculturelle ne peut être préservée et favorisée que si ceux qui s'expriment en d'autres langues que le français et l'anglais ont un accès véritable et concret au système de justice criminelle.  Tout comme on a déjà jugé que l’art. 27 est pertinent pour interpréter la liberté de religion garantie à l'al 2a) de la Charte (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 752, et R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263), cet article devrait également entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'examiner la façon de définir et d'appliquer l’art. 14 de la Charte

(iv) Conclusions sur les objectifs auxquels répond l’art. 14

[38] Le droit d'un accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue des procédures d'obtenir l'assistance d'un interprète répond à plusieurs objectifs importants. D'abord et avant tout, il garantit que la personne accusée d'une infraction criminelle entend la preuve qui pèse contre elle et a pleinement l'occasion d'y répondre. Ensuite, le droit est étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l'apparence d'équité. En tant que tel, le droit à l'assistance d'un interprète touche l'intégrité même de l'administration de la justice criminelle au Canada. Enfin, le droit est intimement lié à notre prétention d'être une société multiculturelle, exprimée en partie à l'art. 27 de la Charte. L'importance des intérêts qui sont protégés par le droit à l'assistance d'un interprète favorise une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé du droit garanti à l'art. 14 de la Charte, ainsi qu'une application de ce droit qui soit fondée sur des principes.

Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, 1990 CanLII 133 (CSC)

[45] Avant d'aborder directement la question de la gestion et du contrôle, je tiens à traiter brièvement de deux arguments soulevés par les parties. Le premier, invoqué par les appelants, veut que l'art. 23 de la Charte doive s'interpréter en fonction des art. 15 et 27 de la Charte, que je cite :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

Bien qu'il soit souvent utile de tenir compte de l'interrelation de divers articles de la Charte, je ne crois pas, aux fins de l'interprétation de l’art. 23, qu'on ait avantage à se référer à l’art. 15 ou à l’art. 27 dans le présent contexte. En effet, l’art. 23 établit un code complet régissant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et d'une méthode d'évaluation qui lui sont propres. De toute évidence, l’art. 23 renferme une notion d'égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada.  À part cela, toutefois, cet article constitue d'abord et avant tout une exception aux dispositions des art. 15 et 27 en ce qu'il accorde à ces groupes, anglophone et francophone, un statut spécial par rapport à tous les autres groupes linguistiques au Canada. Comme le fait observer le procureur général de l'Ontario, il serait déplacé d'invoquer un principe d'égalité destiné à s'appliquer universellement à « tous » pour interpréter une disposition qui accorde des droits particuliers à un groupe déterminé. 

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (CA QC)

[100] L'appelante invoque l'art. 27 de la Charte canadienne qui se lit ainsi :

27.  Toute interprétation de la présente Charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

[101] L'appelante plaide que le principe du multiculturalisme implique nécessairement la liberté de choisir la langue du message commercial apparaissant sur les enseignes extérieures.  Elle prétend qu'y imposer la nette prédominance du français enfreint le principe du multiculturalisme.

[102] L'art. 58 [de la Charte de la langue française] ne prohibe l'utilisation d'aucune langue en particulier et je ne vois pas en quoi il enfreint l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.  Comme l'a affirmé le juge de la Cour supérieure, la Charte de la langue française est une loi dite de renforcement positif pour permettre à la langue française de retrouver et garder une place d'importance dans une communauté interculturelle mais à majorité francophone. L'article 27 de la Charte canadienne ne saurait s'interpréter sans égard à l'art. 16(3) de la même Charte qui se lit :

16.(3)  La présente Charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

[103] À mon avis, vu l’état constaté de vulnérabilité de la langue française, lors de l’adoption de l’article 58, le législateur québécois a exercé le pouvoir conféré par l’article 16 paragraphe 3.

Lavoie c. Nova Scotia (Attorney-General), 1989 CanLII 5221 (NS CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[41] Les appelants ont droit à une déclaration selon laquelle ils ont démontré, en vertu de l’alinéa 23(3)a), qu’il y a suffisamment d’enfants dans la zone territoriale visée pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité.

[42] Il s’ensuit que la province doit fournir des locaux convenables pour permettre à ces enfants de recevoir l’instruction à laquelle ils ont droit dans la langue de la minorité. Cette instruction doit être offerte dans un cadre qui concorde avec « l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation » de la culture française (art. 27). Elle ne peut pas être conçue d’une façon qui permet l’assimilation ou qui se rapproche trop de l’immersion. L’instruction doit être donnée dans un environnement convenablement structuré

[…]

[68] La modification instituant les écoles acadiennes (Acadian Schools Amendment) n’est pas un exemple de discrimination injuste. Le fait qu’il existe une distinction selon laquelle les Acadiens sont traités différemment de la majorité anglophone ne signifie pas que la loi contrevient à l’article 15 de la Charte. La modification permet de remédier aux inégalités observées par le passé et d’offrir un traitement particulier à certains habitants de cette province. Il s’agit assurément là d’une distinction acceptable au sein de la société canadienne

[69] Je suis d’accord avec les appelants pour dire que la qualité de l’instruction offerte à leurs enfants, au niveau primaire et secondaire, dans l’arrondissement scolaire du Cap-Breton, doit être équivalente à celle dont bénéficient les élèves anglophones. Toute instruction de moindre qualité ne suffira pas. En fait, elle peut être de qualité légèrement supérieure à celle-ci, étant donné qu’elle doit « concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation » du patrimoine français : article 27 de la Charte.

R. c. Punch, 1985 CanLII 120 (NWT CA) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

Bien qu’il ait subi quelques changements depuis les cent dernières années dans les territoires, le jury de 12 personnes, qui nous a été légué au fil des siècles dans le cadre de notre patrimoine multiculturel, mérite d’être examiné, dans le cadre d’une demande comme celle traitée en l’espèce, dans le contexte de l’article 27 de la Charte :

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

Il est impossible d’affirmer que le jury des temps modernes, qu’il soit composé de 6 ou de 12 personnes, fait partie de la culture des Autochtones des Territoires du Nord-Ouest. Cependant, les anciennes traditions où les gens se consultaient mutuellement, où ils se fiaient à la sagesse des Anciens et où les décisions étaient prises par la communauté ne sont pas si étrangères, au fond, à l’institution eurocanadienne que représente le jury lors d’un procès criminel. Ces traditions ont été reconnues par nos tribunaux dans certaines décisions rendues : Re Noah Estate (1961), 1961 CanLII 442 (CT TNO), 32 D.L.R. (2d) 185, 36 W.W.R. 577 (C.T.T.N.­O.), et R. c. Innuksuk, [1979] The Muskox 25 (C.T.T.N.­O.). Le jury, en tant qu’institution, permet, dans une certaine mesure, une consultation mutuelle et la participation de la collectivité à la prise de décisions dans le cadre du processus judiciaire des cours de juridiction supérieure et peut donc être considéré comme favorisant la continuation de cet important élément de la culture des Autochtones dans notre système de justice pénale.

[…]

Si nous examinons conjointement les articles 27 et 28 de la Charte, nous devrions nous demander si un jury composé de 6 personnes est plus ou moins susceptible qu’un jury de 12 d’exclure des personnes d’une origine ethnique ou culturelle donnée ou encore des personnes d’un des deux sexes. D’après mon expérience, qui remonte en 1959, et si je me fie aux tableaux présentés dans l’article « Jury Verdicts in the N.W.T. », Alberta Law Review, vol. 50, no 1 (1970), qui a été rédigé par le défunt juge Morrow de la présente Cour, je crois qu’il est juste de dire que les femmes et les minorités ethniques peuvent être plus facilement exclues d’un jury de 6 personnes que d’un jury de 12 membres. Des jurys composés de 6 femmes et d’autres comprenant seulement des autochtones ont été assermentés; toutefois, le plus souvent, un des deux sexes est en minorité au sein du jury, et il en va de même pour la répartition entre autochtones et non autochtones. Avec un jury constitué d’un plus grand nombre de personnes, qui devront être sélectionnées à partir d’une liste de jurés plus étendue, il est raisonnable de s’attendre à ce que les choses soient mieux équilibrées.

[…]

Il semble seulement raisonnable de conclure que plus le nombre de personnes constituant le jury sera grand, plus le public sera susceptible de reconnaître la validité de son verdict, ce qui serait le cas, du moins, entre un jury de 6 personnes et un de 12. En outre, bien qu’un jury plus imposant puisse être d’un abord plus facile, dans la mesure où un plus grand nombre de jurés seront exposés aux influences extérieures, il semble beaucoup plus probable que l’incidence d’une telle exposition soit moins déterminante qu’au sein d’un jury de 6 personnes seulement. La préférence, en common law, pour un jury composé de 12 personnes ne devrait pas être écartée à la légère sous prétexte qu’il s’agit d’un simple accident historique ou d’une pure fantaisie relevant de la numérologie. La sélection de 12 jurés, justes et bons, est maintenant reconnue comme un droit conféré en common law aux Canadiens dans les affaires criminelles. Bien que les jurys de 6 personnes soient depuis longtemps utilisés dans les territoires, ceux-ci ne jouissent pas de la même considération.

Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (CA ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[126] L’article 27 est particulièrement pertinent en ce qui concerne une disposition comme l’art. 23 car, comme le rapport Symons en a fait mention aux p. 13 à 15 (A.C.F.O. Doc. No. 5) :

L’école de langue française offre un environnement dans lequel l’élève francophone pourra mieux en venir à connaître et à comprendre, à renforcer et à développer sa propre culture et son propre héritage ... [l’]école joue un rôle central dans la vie culturelle de la communauté linguistique ... [l]es écoles de langue française doivent être de véritables écoles communautaires et doivent être facilement accessibles à la population générale du groupe linguistique qu’elles doivent desservir... [n]otre Commission a la conviction, à l’instar de la majorité des Franco ontariens, que l’établissement d’écoles de langue française dans lesquelles la langue des communications et de l’administration est le français, répond le mieux à ce [...] besoin de préserver la langue, les coutume et la culture de l’élève francophone.

Compte tenu de l’art. 27, l’al. 23(3)b) devrait être interprété comme signifiant que les enfants appartenant à la langue de la minorité doivent se faire instruire dans des établissements où l’environnement éducatif sera celui de la minorité linguistique. Ce n’est qu’alors que l’on peut dire raisonnablement des établissements qu’ils témoignent de la culture de la minorité et s’y rattachent

R. c. Sidhu, 2005 CanLII 42491 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[277] L’équité fondamentale et l’égalité de l’accès aux tribunaux pour les personnes appartenant à une minorité linguistique exigent une interprétation qui tient compte du but visé par le droit prévu à l’art. 14 de la Charte. « Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d’autres langues » : La Reine c. Beaulac (1999), 1999 CanLII 684 (CSC), 134 C.C.C. (3e) 481 (C.S.C.), au para. 41. Alors que l’objectif « du droit à l'assistance d'un interprète est d'accorder à tous des chances égales et non pas d'accorder à certaines personnes plus de droits qu'à d'autres », une « société multiculturelle ne peut être préservée et favorisée que si ceux qui s'expriment en d'autres langues que le français et l'anglais ont » pleinement accès au système judiciaire : La Reine c. Tran (précité, aux p. 239-241).

[278] Le droit prévu à l’art. 14 de la Charte est complémenté par le mandat constitutionnel de fournir plus que de vaines paroles relativement à l’art. 27, « selon lequel toute interprétation de la Charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens » : La Reine c. Tran (précité, p. 239-240). Aux États Unis, il a été observé que : « dans ce pays où de nombreuses langues sont parlées, l’insensibilité au handicap linguistique invalidant d’un nouvel arrivant sur son sol est particulièrement inappropriée » United States v. Si (précité, p. 1042); United States v. Negron (précité, p. 390).

Mutual Tech Canada Inc. c. Law, 2000 CanLII 22637 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

[NOTRE TRADUCTION]

[1] La présente affaire porte sur un litige lié à la capacité d’une des témoins à communiquer dans la langue utilisée pour mener le contre-interrogatoire. De tels différends sont déjà survenus auparavant, mais il s’agit, en l’espèce, d’un cas sans précédent du fait que la témoin insiste pour témoigner en anglais et que l’avocat de la partie adverse souhaite que les services d’un interprète soient retenus.

[…]

[7] Je suis d’accord avec l’avocat de la défense pour dire que dans une société multiculturelle, le système utilisé pour l’administration de la justice doit tenter de satisfaire le désir d’un témoin de participer à la procédure judiciaire directement plutôt que par l’intermédiaire d’un interprète. Si une source doit être citée pour prouver cette assertion, j’attirerais l’attention sur le fait que les Règles de procédure civile doivent être interprétées à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans Young c. Young, 1993 CanLII 34 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 3, 108 D.L.R. (4th) 193, le juge L’Heureux-Dubé a affirmé ce qui suit : « Ainsi que la Cour l’a souligné antérieurement, les valeurs consacrées par la Charte n’en demeurent pas moins un élément que les tribunaux doivent prendre en considération dans leurs décisions. Ils doivent s’efforcer d’assurer la protection des valeurs préconisées dans la Charte et leur accorder la préférence, dans l’interprétation des lois, sur les valeurs qui y sont contraires. » Le multiculturalisme a été établi comme un principe constitutionnel, en vertu de l’article 27 de la Charte, qui est ainsi libellé :

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

[8] Pour promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens, les témoins qui ne sont pas capables de communiquer dans la langue utilisée pour mener l’interrogatoire doivent se voir offrir les services d’un interprète. En outre, dans la mesure du possible, les personnes susceptibles de ne pas bien maîtriser la langue dans laquelle se déroule l’interrogatoire doivent pouvoir participer directement à la procédure judiciaire, sans se sentir étrangères à l’affaire. À mon avis, cela signifie que la question de savoir si un témoin est en mesure de comprendre la langue dans laquelle l’interrogatoire est mené doit être tranchée à la lumière des mesures prises pour pallier le manque de compétences du témoin dans cette langue. L’incapacité d’un témoin à comprendre l’avocat qui procède à l’interrogatoire n’amène pas forcément le tribunal à conclure que ce témoin est incapable de comprendre la langue dans laquelle se déroule l’audience. Lorsqu’il interroge un témoin qui ne parle pas couramment la langue de l’audience, l’avocat peut juger nécessaire de parler d’une voix lente et distincte (sans que cela suggère que le témoin entend mal), d’utiliser un langage clair et simple, d’être en tout temps directement face au témoin pour que ce dernier voie clairement son visage et ses lèvres, de faire une pause après une question pour lui permettre d’assimiler la question et de formuler une réponse en anglais, d’éviter d’utiliser des expressions idiomatiques ou d’autres termes à caractère culturel et de répéter ou de reformuler patiemment les questions. Dans les cas où, par exemple, le témoin est incapable de comprendre les expressions idiomatiques utilisées par l’avocat, il est probable que le tribunal ne demande pas que les services d’un interprète soient retenus, mais invite plutôt l’avocat à adapter son langage.

[9] À mon avis, l’obligation de faire preuve de souplesse et de patience n’incombe pas seulement à l’avocat qui procède à l’interrogatoire, mais bien à tous les participants, y compris aux témoins. La Cour suprême du Canada a effectué son examen le plus ciblé de la notion d’accommodement dans les affaires relevant des codes des droits de la personne. Bien que cette jurisprudence ne s’applique à l’affaire dont je suis saisi, je juge intéressant de souligner que même lorsque l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est prescrite par la loi, on s’attend à ce que la personne dont les besoins sont satisfaits contribue à l’efficacité des mesures prises. La Cour a indiqué ce qui suit dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 970, à la page 994, 95 D.L.R. (4th) 577:

La recherche d'un compromis fait intervenir plusieurs parties… Pour faciliter la recherche d'un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part… Ainsi, pour déterminer si l'obligation d'accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

[10] À mon sens, un témoin qui ne parle pas couramment la langue dans laquelle l’interrogatoire est mené est censé apporter sa contribution pour favoriser des communications efficaces.

Alavehzadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CanLII 73710 (CA CISR)

L’effet de l’article 27 de la Charte

[95] L’appelante a fait valoir que l’article 27 de la Charte ne confère pas de droits, mais sert à [traduction] « modifier et ajouter un sens à d’autres droits » prévus dans la Charte, et il est particulièrement intéressant en ce qui concerne cet appel parce que les répondants de parents sont [traduction] « des immigrants et sont dans une très grande mesure racialisés ».

[96] Le patrimoine multiculturel n’est pas une garantie découlant de la Charte, mais il est plutôt mentionné dans l’article 27 comme un guide pour l’interprétation :

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

[97] Le tribunal convient que l’article 27 de la Charte constitue un guide d’interprétation et relève que, dans une certaine mesure, il est reflété dans les objectifs en matière d’immigration, particulièrement l’alinéa 3b) de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] : « d’enrichir et de renforcer le tissu social et culturel du Canada dans le respect de son caractère fédéral, bilingue et multiculturel ». Toutefois, le tribunal n’est pas d’accord avec la prétention de l’appelante selon laquelle la preuve produite dans le cadre du présent appel établit que l’exigence relative au RVM [revenu vital minimum] affaiblit la composition multiculturelle de la société canadienne; la preuve ne peut servir à soutenir une telle conclusion. De plus, le tribunal relève que l’exigence relative au RVM n’est précisément pas imposée pour parrainer de nombreux membres de la famille immédiate.

Voir également :

Incredible electronics Inc. c. Canada (Attorney General of), 2002 CanLII 16056 (CS ON) [décision disponible en anglais seulement]

 

Application de la Charte (article 33)

33. (1) Dérogation par déclaration expresse

33. (1) Le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

33. (2) Effet de la dérogation

33. (2) La loi ou la disposition qui fait l'objet d'une déclaration conforme au présent article et en vigueur a l'effet qu'elle aurait sauf la disposition en cause de la charte.

33. (3) Durée de validité

33. (3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d'avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.

33. (4) Nouvelle adoption

33. (4) (4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée au paragraphe (1).

33. (5) Durée de validité

33. (5) Le paragraphe (3) s'applique à toute déclaration adoptée sous le régime du paragraphe (4).

[DERNIÈRE MISE À JOUR : JUIN 2017]

Annotations – Généralités

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (CSC)

V. L'article 58 ou l'art. 69 de la Charte de la langue française sont-ils soustraits à l'application de l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et applicable adoptée en conformité avec l'art. 33 de la Charte canadienne?

[23] Il ressort de la partie II des présents motifs, où sont citées les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes, et de la première question constitutionnelle que deux dispositions dérogatoires sont en cause : a) l'art. 214 de la Charte de la langue française, édicté par l'art. 1 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, chap. 21; et b) l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, L.Q. 1983, chap. 56. Ces deux dispositions dérogatoires sont identiques et se lisent ainsi : "La présente loi a effet indépendamment des dispositions des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l'année 1982)." La question qui se pose, à l'égard de la validité de l'art. 214 et de l'art. 52, est de savoir si une déclaration de ce genre constitue un exercice légitime du pouvoir de dérogation conféré par l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour ce qui est de la validité de l'art. 214 de la Charte de la langue française se posent en outre d'autres questions tenant à son mode d'édiction, c'est-à-dire le fait qu'il ait été édicté par une loi omnibus, et à l'effet rétroactif que lui donne son art. 7, dont le texte a déjà été reproduit.

[24] L'article 214 de la Charte de la langue française a cessé d'avoir effet cinq ans après son entrée en vigueur, suivant le par. 33(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, et n'a pas été adopté de nouveau en vertu du par. 33(4) de cette Charte. Si l'art. 7 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982 a validement donné à l'art. 214 un effet rétroactif au 17 avril 1982, celui-ci ne s'appliquait plus à compter du 17 avril 1987. Dans l'hypothèse contraire, l'art. 214 a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987, soit cinq ans après la date d'entrée en vigueur de la loi dans laquelle il a été édicté, c'est-à-dire le jour où cette loi a été sanctionnée. Dans l'un ou l'autre cas, la question de la validité de l'art. 214 ne présente qu'un intérêt théorique si l'on tient pour acquis, comme il a été fait en l'espèce, qu'un tribunal saisi d'une requête en jugement déclaratoire devrait dire le droit tel qu'il existe au moment de son jugement. Étant donné l'importance que cette question pourrait revêtir dans des instances pendantes devant d'autres tribunaux, les parties au présent pourvoi et aux pourvois connexes, nous ont néanmoins invités à nous prononcer sur la validité de la disposition dérogatoire type édictée par la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982. Avant de répondre à cette invitation, la Cour entend examiner l'autre disposition dérogatoire en cause laquelle, répétons-le, soulève la même question de validité.

[25] Ce n'est que le 1er février 1989 que, par l'application du par. 33(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, proclamée en vigueur le 1er février 1984, cessera d'avoir effet. Il nous faut donc étudier sa validité puisque le procureur général du Québec soutient qu'il met l'art. 58 de la Charte de la langue française à l'abri de l'application de l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Quant aux intimées dans le présent pourvoi, elles font valoir que l'art. 52 est inopérant parce qu'il s'agit d'une déclaration dérogatoire qui n'a pas été faite en conformité avec l'art. 33 de la Charte canadienne. L'appelante Singer dans l'affaire Devine a également soulevé une question au sujet de l'application de l'art. 52. Elle prétend qu'il n'est pas applicable à l'art. 58 modifié de la Charte de la langue française. Nous allons examiner ce moyen avant de passer à la question de la validité de la disposition dérogatoire type énoncée à l'art. 52.

[26] L'appelante Singer dans l'affaire Devine, avec l'appui du procureur général du Canada, a soutenu que l'art. 52 ne s'appliquait qu'aux formules d'édiction de la Loi modifiant la Charte de la langue française et non aux dispositions de la Charte de la langue française, dont l'art. 58, qui ont été modifiées par la première. En outre, elle a allégué que l'art. 52, entré en vigueur avant que l'art. 214 cesse d'avoir effet, ne pouvait avoir pour objet de soustraire certaines dispositions de la Charte de la langue française, mais non d'autres, à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés après la date où l'art. 214 ne s'appliquerait plus. Ces arguments sont sans fondement. L'article 52 serait sans objet et sans effet s'il ne s'appliquait qu'aux formules d'édiction de la Loi modifiant la Charte de la langue française, par exemple aux mots liminaires de son art. 12 (« L'article 58 de cette charte est remplacé par le suivant . . . »), et non à l'art. 58 tel que modifié par l'art. 12. L'expression « la présente loi a effet . . . », à l'art. 52, vise certainement la totalité de ce qui est édicté ou de ce qui devient opérant par suite de l'édiction. En ce qui concerne le rapport entre l'art. 52 et l'art. 214 de la Charte de la langue française, l'art. 52 paraît avoir été adopté dans le cadre d'une politique et d'une pratique législatives bien établies à l'époque qui consistaient à inclure la disposition dérogatoire type dans chaque loi québécoise. L'article 52 a été adopté avant que la disposition dérogatoire de l'art. 214 de la Charte de la langue française cesse d'avoir effet. Il s'agit d'une disposition dérogatoire distincte n'ayant aucun lien avec l'art. 214. Rien ne justifie qu'on se livre à des conjectures quant à savoir si, au moment de son adoption, le législateur voulait que l'art. 52 continue à s'appliquer à certaines dispositions de la Charte de la langue française lorsque l'art. 214 serait devenu inopérant. Il n'y avait aucune raison de supposer à cette époque que l'art. 214 ne serait pas adopté de nouveau en vertu du par. 33(4) de la Charte canadienne des droits et libertés. En conséquence, l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française se veut applicable à l'art. 58 de la Charte de la langue française tel que modifié et, s'il est valide, l'art. 52 doit recevoir son plein effet pour la période de cinq ans prévue au par. 33(3) de la Charte canadienne.

[…]

[33] Au cours des débats, différentes opinions ont été exprimées sur la perspective constitutionnelle à adopter pour étudier la question du sens et de l'application de l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon un point de vue, l'art. 33 traduit l'importance que continue de revêtir la souveraineté des législatures, tandis que l'autre point de vue fait ressortir la gravité de la décision du législateur de déroger à des droits et libertés garantis, décision qu'il est important de ne prendre que dans le cadre d'un processus démocratique éclairé. Ces deux perspectives ne sont pas particulièrement pertinentes ou utiles dans l'interprétation des exigences posées par l'art. 33. L'article 33 établit des exigences de forme seulement et il n'y a aucune raison d'y voir la justification d'un examen au fond de la politique législative qui a donné lieu à l'exercice du pouvoir dérogatoire dans un cas donné. L'exigence d'un lien ou d'un rapport apparent entre la loi dérogatoire et les droits ou libertés garantis auxquels on veut déroger semble ouvrir la voie à un examen au fond car il semble exiger que le législateur précise les dispositions de la loi en question qui pourraient par ailleurs porter atteinte à des droits ou à des libertés garantis spécifiés. Ce serait exiger dans ce contexte une justification prima facie suffisante de la décision d'exercer le pouvoir dérogatoire et non pas simplement une certaine expression formelle de cette décision. Rien dans les termes de l'art. 33 ne permet d'y voir une telle exigence. Il se peut en fait que le législateur ne soit pas en mesure de déterminer avec certitude quelles dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés pourraient être invoquées avec succès contre divers aspects de la loi en question. C'est pour cette raison qu'il doit être permis, dans un cas donné, de déroger à plus d’une disposition de la Charte et même à toutes les dispositions auxquelles l’art. 22 autorise à déroger. En conséquence, la disposition dérogatoire type présentement en cause constitue un exercice valable du pouvoir conféré par l'art. 33 dans la mesure où elle a pour effet de déroger à toutes les dispositions de l'art. 2 et des art. 7 à 15 de la Charte. La principale condition de forme, imposée par l'art. 33, est donc que la déclaration dérogatoire dise expressément qu'une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'art. 2 ou des art. 7 à 15 de la Charte. Avec égards pour le point de vue contraire, la Cour est d'avis qu'une déclaration faite en vertu de l'art. 33 est suffisamment explicite si elle mentionne le numéro de l'article, du paragraphe ou de l'alinéa de la Charte qui contient la disposition ou les dispositions auxquelles on entend déroger. Bien entendu, si l'on entend ne déroger qu'à une partie de la disposition ou des dispositions d'un article, d'un paragraphe ou d'un alinéa, il faut que des mots indiquent clairement ce qui fait l'objet de la dérogation. Pour autant que les exigences tenant au processus démocratique soient pertinentes, telle est la méthode employée dans la rédaction des lois pour renvoyer aux dispositions législatives à modifier ou à abroger. Il n'y a aucune raison d'exiger davantage en vertu de l'art. 33. Un renvoi au numéro de l'article, du paragraphe ou de l'alinéa contenant la disposition ou les dispositions auxquelles il sera dérogé suffit pour informer les intéressés de la gravité relative de ce qui est envisagé. Il n'est pas possible que par l'emploi du mot "expressément", l'on ait voulu obliger le législateur à alourdir une déclaration faite en vertu de l'art. 33 en y reproduisant textuellement la disposition ou les dispositions de la Charte auxquelles il entend déroger, ce qui, dans le cas de la disposition dérogatoire type en cause, l'obligerait à être particulièrement prolixe.

[34] En conséquence, l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, qui soustrait l'art. 58 de la Charte de la langue française à l'application de l'al. 2b) de la Charte canadienne, est un exercice valide et effectif du pouvoir de dérogation conféré par l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 69 de la Charte de la langue française ne bénéficie pas de cette protection puisqu'il n'est pas touché par la Loi modifiant la Charte de la langue française. En définitive, ainsi qu'il est indiqué à la partie VI des présents motifs, l'art. 58 est assujetti à l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, tandis que l'art. 69 est assujetti à la fois à l'al. 2b) de la Charte canadienne et à l'art. 3 de la Charte québécoise.

[35] Avant de terminer la partie V de ces motifs, il reste à examiner si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et se prononcer sur les autres aspects de la question de la validité de la disposition dérogatoire type adoptée dans la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982. Ces aspects sont, d'une part, le fait qu'il s'agit d'une loi omnibus et, d'autre part, l'effet rétroactif de la disposition dérogatoire. Ces questions touchent tant l'art. 214 de la Charte de la langue française, qui est en cause en l'espèce et dans le pourvoi Devine, que l'art. 364 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chap. P40.1, qui est en cause dans le pourvoi Irwin Toy. La Cour conclut que, bien que ces deux dispositions aient cessé d'avoir effet, il convient de trancher dans ces pourvois toutes les questions concernant leur validité, en raison de l'importance qu'elles peuvent revêtir dans d'autres affaires. Étant donné sa conclusion que l'adoption de la disposition dérogatoire type dans la forme susmentionnée constitue un exercice légitime du pouvoir conféré par l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour est d'avis que la validité de son édiction n'est nullement compromise par le fait que cette disposition a été insérée au moyen d'un seul texte législatif dans toutes les lois québécoises adoptées avant une date donnée. Il s'agissait d'un exercice valable du pouvoir législatif qui n'empêche aucunement la déclaration dérogatoire ainsi introduite dans chaque loi d'être une déclaration expresse au sens de l'art. 33 de la Charte canadienne. Les avocats ont dit de cette façon de procéder qu'elle représentait un exercice "machinal" inacceptable du pouvoir de dérogation ou même une "perversion" de ce pouvoir. On a même prétendu qu'il s'agissait d'une tentative de modifier la Charte. Là encore, il s’agit essentiellement d’arguments sur l’opportunité de la politique législative dans l’exercice du pouvoir de dérogation plutôt que sur ce qui constitue une déclaration dérogatoire suffisamment expresse. Comme il a été dit, rien à l'art. 33 ne justifie que de telles considérations soient retenues comme fondement de l'examen judiciaire d'un exercice particulier du pouvoir attribué par l'art. 33. La Cour est cependant d'un autre avis en ce qui concerne l'effet rétroactif donné à la disposition dérogatoire type par l'art. 7 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, qu'il est utile de citer de nouveau :

7. La présente loi entre en vigueur le jour de sa sanction.

Toutefois, l'article 1 et le premier alinéa de l'article 3 ont effet depuis le 17 avril 1982; l'article 2 et le deuxième alinéa de l'article 3 ont effet depuis la date à compter de laquelle chacune des lois remplacées en vertu de l'article 2 est entrée en vigueur.

En prévoyant que l'art. 1, qui adoptait de nouveau toutes les lois québécoises adoptées avant le 17 avril 1982 en y ajoutant la disposition dérogatoire type, s'appliquait à partir de cette date, l'art. 7 visait à donner un effet rétroactif à la disposition dérogatoire. À cet égard, le libellé du par. 33(1) de la Charte canadienne n'est pas sans ambiguïté. Il est utile de citer le paragraphe dans ses deux versions :

33. (1) Le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

33. (1) Parliament or the legislature of a province may expressly declare in an Act of Parliament or of the legislature, as the case may be, that the Act or a provision thereof shall operate notwithstanding a provision included in section 2 or sections 7 to 15 of this Charter.

Dans la version anglaise, l'expression-clef est "shall operate notwithstanding". En règle générale, "shall" exprime le futur ou l'impératif, ou les deux. De même, l'expression française correspondante "a effet indépendamment", qui emploie le présent intemporel, peut être validement interprétée comme exprimant plusieurs temps.

[36] Dans son ouvrage Interprétation des lois (1982), Pierre-André Côté traite en détail du principe de la non-rétroactivité de la loi. Il fait observer ceci, à la p. 105 :

Les affirmations jurisprudentielles du principe de la non-rétroactivité de la loi sont très nombreuses, sinon toujours heureusement formulées, comme on le verra.

Le dictum du juge Wright dans l'arrêt Re Athlumney est souvent cité à ce sujet :

"Il se peut qu'aucune règle d'interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci: un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte. Si la rédaction du texte peut donner lieu à plusieurs interprétations, on doit l'interpréter comme devant prendre effet pour l'avenir seulement." [[1898] 2 Q.B. 547, aux pp. 551 et 552]

Dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1975 CanLII 4 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 271, le juge Dickson (maintenant Juge en chef) écrivait ceci au nom de la majorité (à la p. 279) :

Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.

Lorsque, comme en l'espèce, une disposition habilitante est ambiguë sur le point de savoir si elle autorise la rétroactivité de la législation, la même règle d'interprétation s'applique. En l'espèce, le par. 33(1) se prête à deux interprétations possibles; l'une permet au Parlement ou à une assemblée législative d'édicter des dispositions dérogatoires rétroactives, l'autre n'autorise que des dérogations applicables pour l'avenir. Nous concluons que la seconde interprétation, qui est la plus étroite, est l'interprétation exacte et que l'art. 7 ne peut donner un effet rétroactif à une disposition dérogatoire. L'article 7 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982 est inopérant dans la mesure de cette incompatibilité avec l'art. 33 de la Charte canadienne. Les dispositions dérogatoires types adoptées par l'art. 1 de cette loi sont donc entrées en vigueur le 23 juin 1982 conformément à la première phrase de l'art. 7.

Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, 1988 CanLII 20 (CSC)

III. Les articles 52 (auparavant 53), 57, 58, 59, 60 et 61 de la Charte de la langue française, ou certains d'entre eux, sont-ils soustraits à l'application de l'al. 2b) et de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur édictée en conformité avec l'art. 33 de la Charte canadienne?

[21] Pour les motifs donnés dans l'arrêt Ford, l'art. 52 (auparavant 53) et l'art. 58 de la Charte de la langue française sont soustraits à l'application de l'al. 2b) et de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur adoptée en vertu de l'art. 33 de la Charte canadienne, c'est-à-dire l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, L.Q. 1983, chap. 56. Toutefois, il a été décidé dans l'arrêt Ford que l'art. 58 porte atteinte à la garantie de liberté d'expression que prévoit l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ainsi qu'à la garantie contre la discrimination fondée sur la langue énoncée à l'art. 10 de la Charte du Québec, qu'il n'est pas légitimé par l'art. 9.1 pour ce qui est de la violation de l'art. 3 et qu'il est par conséquent inopérant. En l'espèce, l'art. 52 de la Charte de la langue française n'est examiné qu'en fonction des art. 3, 9.1 et 10 de la Charte québécoise.

[22] Les articles 57, 59, 60 et 61 de la Charte de la langue française et le Règlement sur la langue du commerce et des affaires qui exigent l'usage du français mais permettent aussi l'usage d'une autre langue ne sont plus désormais soustraits à l'application de l'al. 2b) et de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur adoptée en vertu de l'art. 33 de la Charte canadienne, puisque l'art. 214 de la Charte de la langue française a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987. Ces dispositions sont aussi assujetties, bien sûr, aux art. 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 RCS 460, 1986 CanLII 65 (CSC)

[115] Cependant, il devrait être tout à fait clair que ce droit à un procès équitable que reconnaît la common law, y compris le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être compris, est un droit fondamental qui est profondément et fermement enraciné dans la structure même du système juridique canadien. C'est pourquoi certains aspects de ce droit sont enchâssés tout autant sous la forme de dispositions générales que sous celle de dispositions spécifiques dans la Charte, comme l'art. 7 relatif à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et l'art. 14 portant sur l'assistance d'un interprète. Tandis que le Parlement ou la législature d'une province peut, conformément à l'art. 33 de la Charte, déclarer expressément qu'une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'art. 2 ou des art. 7 à 15 de la Charte, il est presque inconcevable qu'ils supprimeraient complètement le droit fondamental lui‑même que reconnaît la common law, à supposer qu'ils pourraient le faire.

Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (QC CA)

[10] En 1977, la législature du Québec adopte la Charte de la langue française qui prévoit, par ses art. 1 et 58, que l'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement, sous réserve de certaines exceptions, dans la langue française.

[11] Le 15 décembre 1988, dans l'arrêt Ford c. Québec (P.G.), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, la Cour suprême du Canada déclare l'art. 58 inopérant parce qu'il constitue une violation de la liberté d'expression garantie par l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne et de la garantie contre la discrimination fondée sur la langue, énoncée à l'art. 10 de la Charte québécoise, violation qui n'est pas justifiée par l'art. 9.1 de la même Charte.

[12] Le même jour, dans l'arrêt Devine c. Québec (P.G.), 1988 CanLII 20 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 790, la Cour suprême déclare inopérantes certaines autres dispositions de la Charte de la langue française pour violation du droit à la liberté d'expression et du droit à l'égalité.  Cette décision fera l'objet de plus amples commentaires infra.

[13] Le 22 décembre 1988, la Loi modifiant la Charte de la langue française, (L.Q. 1988, c. 54) entre en vigueur.  Elle établit la règle de l'unilinguisme français dans l'affichage public fait à l'extérieur d'un établissement, tout en permettant par ailleurs que l'affichage soit bilingue à l'intérieur, selon certaines conditions.

[14] Cette loi comporte une clause dérogatoire d'une durée de cinq ans, permise par l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui soustrait à l'examen des chartes, ses art. 58 et 68 (1er alinéa).

[15] En 1993, à l'échéance de la clause dérogatoire, la Loi modifiant la Charte de la langue française (L.Q. 1993, c. 40) entre en vigueur.  C'est le nouvel art. 58 qui fait l'objet de la présente contestation.

L’arrêt Ford de la Cour suprême du Canada

[16] La portée de cet arrêt est au cœur du présent litige.  Il me paraît utile de faire une brève revue des questions qu'il tranche.

[17] En premier lieu, la Cour décide que l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française qui soustrait l'art. 58 de la Charte de la langue française à l'application de l'al. 2b) de la Charte canadienne est un exercice valide du pouvoir de dérogation conféré par l'art. 33 de cette Charte, mais que l'art. 58 demeure assujetti à l'art. 3 de la Charte québécoise.

[…]

[117] Je suis d'avis que l'art. 58 de la Charte de la langue française adopté par le gouvernement du Québec en suivant les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Ford et Devine est une disposition valide et que l'appelante n'a apporté aucune preuve pertinente qui aurait permis à la Cour supérieure de réviser ses conclusions portant sur la langue de l'affichage public et la publicité commerciale au Québec.